Archives curieuses de l’Histoire de France/Avertissement

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Archives curieuses de l’Histoire de Francesérie 1, tome 7 (p. i-iv).

MASSACRE
DE LA SAINT-BARTHÉLEMY.




AVERTISSEMENT.


Un jugement impartial demande un juge impassible. Malheureusement ce calme nous abandonne devant les événements si odieux, au premier aspect, qu’une discussion sérieuse annoncerait une hésitation coupable et que l’horreur pour eux fait partie de la conscience publique. Le zèle à flétrir l’existence et à prévenir le retour du mal se manifeste avec une sorte d’émulation dont chacun tire honneur ; celui-là ne serait pas juste qui le serait justement ; les rapports les plus noirs offrent les renseignements les plus sûrs, et la crainte d’affaiblir expose au péril de calomnier. Cependant les jours s’éloignent, les hommes s’éteignent, les choses se calment. Survivant au dernier retentissement des commotions sociales, la vérité réclame alors ses droits imprescriptibles. Les excès soufferts perdent cette proximité menaçante qui nous les rendait personnels, la conscience révise les arrêts de la colère, une condamnation devient un procès ; la postérité monte enfin sur son tribunal, et deux poids sont jetés dans la balance. Le massacre de la Saint-Barthélemy doit-il compter parmi les phénomènes qui d’abord ne permettent pas d’examiner sans trouble et de prononcer sans appel ? L’histoire en aurait-elle envenimé les causes, oublié les circonstances, exagéré les résultats ? Les victimes de cette journée ont-elles péri l’âme pure de mauvais desseins, et leur innocence est-elle aussi bien démontrée que leur infortune ? Le sang versé coulait-il comme prémices ou comme représailles d’une guerre d’extermination, et verra-t-on dans l’arme qui a frappé le poignard de l’assassinat ou le glaive de la vengeance ? Les ordonnateurs de cette homicide tragédie ont-ils commandé ou obéi à leur époque, et la responsabilité du dénouement est-elle nationale ou individuelle ? L’éloge après suppose-t-il le calcul avant l’exécution, et faut-il envisager comme un exploit dont on se vante, un bonheur dont on se réjouit ? Ces problèmes sollicitent à la fois l’investigation patiente des érudits et la méditation profonde des philosophes.

Nous avons consciencieusement recueilli les éléments épars du fait terrible sur lequel on trouvera ci-après les descriptions les plus détaillées, et revu les textes avec l’attention de supprimer toute longueur et d’éclaircir toute obscurité. Quant aux conjectures hasardées sans fondement, multipliées sans accord et adoptées sans examen, touchant le nom des auteurs ou le mérite, des pièces, nous n’en disons rien, ne voulant pas servir d’écho à ces préjugés dont l’influence entraîne la crédulité, et l’assurance intimide la raison. Cette réserve a présidé et présidera toujours au choix de ce recueil. Cinq des relations qui nous occupent maintenant, le Tocsin des massacreurs, le Réveille-matin des Huguenots, les Registres de l’Hôtel-de-Ville, les Mémoires de l’État de France et le Stratagème de Charles IX, présentent le tableau de l’exécution dans ses préparatifs ordonnés et ses effets accomplis. La dernière a encore pour but d’en manifester la pensée secrète. L’auteur, Capilupi, dont les sentiments fanatiques approuvent les résolutions violentes, s’efforce d’établir que le massacre a été voulu, mûri et disposé à l’avance par Charles IX, croyant ainsi faire non injure à sa mémoire, mais honneur à sa piété. Il loue si ouvertement ou plutôt il charge si naïvement ce prince, qu’on attribuerait volontiers son livre à un calviniste soigneux de déguiser pour assurer sa vengeance. Cette pièce donne la preuve, l’éveil et la source de tout ce qui imprimerait à la Saint-Barthélemy un caractère de préméditation.

Nous n’avons trouvé dans les écrits de l’époque aucune réponse à ceux qui, par différents motifs, tendent à présenter les choses sous leur jour le plus défavorable. Afin de remédier à ce silence, nous terminons par une dissertation non imprimée séparément ni réimprimée collectivement, dissertation célèbre, où l’abbé de Caveirac, sans faire l’apologie du massacre, en rejette les causes prétendues et restreint les conséquences funestes. Caveirac, originaire de Nîmes, entraîné par une a me impétueuse vers une controverse hardie, patron officieux d’opinions proscrites, ne s’était jamais placé dans une position plus difficile. Cette difficulté l’anima sans doute et lui dicta un mémoire qui pût laisser croire à une meilleure cause, mais non à une meilleure défense. Nous nous abstenons, suivant notre coutume, de prononcer sur le fond, désirant mériter une entière confiance par une exacte neutralité.

Voilà les documents qui composent ce septième volume. Jamais on n’avait réuni autant de versions curieuses sur le massacre de la Saint-Barthélémy, offert autant de moyens propres à en sonder l’énigme mystérieuse et dresser la statistique funèbre. Nous ne pensons pas qu’on nous accuse de répétition pour avoir donné plusieurs histoires du même attentat. Comparer ces écrits entre eux, restituer à chacun ce qui n’appartient qu’à lui seul, examiner leur tendance commune ou particulière, établir en quoi ils se ressemblent, ils se détruisent, ils se complètent, telle est, dans cette circonstance, la marche à suivre pour acquérir comme citoyen, et consacrer comme historien des idées justes. Heureusement le sujet ne craint pas d’épuiser l’attention. Il s’agit du supplice ordonné sans loi, sans restriction et sans exemple, pour le martyr de toute une secte ou le châtiment de tout un parti. Le pouvoir ne triomphe pas ici dans les limites étroites d’un fait sans conséquence, il triomphe par un coup dont le contre-coup devient un héritage national. Le maintien de la société dans ses voies tenait-il à cette homicide extirpation de la nouveauté et les doctrines sont-elles parce que les personnes ne sont plus ? Quand le combat qui divise les citoyens est celui de deux croyances, jusqu’à quel point, en supposant la ruine jurée de l’une ou de l’autre, les opinions absolues peuvent-elles se contenir et les principes légitimes se défendre ? Reste à savoir où brille cette légitimité. Ainsi, d’explications en explications, on arrive conduit jusqu’à l’essence des vertus morales et l’entrée des conseils éternels. Certes, dans un événement qui compromet de si grands personnages, étale de si grandes violences, consomme de si grands résultats, soulève de si grandes discussions, telle est l’importance de la vérité que rien ne peut ni transiger sur le devoir qu’elle impose, ni fatiguer sur l’intérêt qu’elle inspire. Le propre des choses qui tout ensemble attaquent la société et outragent l’humanité est de ne devenir jamais familières, et de laisser à leur suite une pitié profonde dont l’émotion agite, une curiosité insatiable dont le besoin demande, une terreur solennelle dont la majesté impose toujours.