bookArlequin gentilhomme par hasard, comédiePierre-François Biancolellis. n.1712ParisCBiancolelli - Arlequin gentilhomme par hasard, 1712.djvuBiancolelli - Arlequin gentilhomme par hasard, 1712.djvu/2
PRÉFACE
Voici, Lecteur, une pièce la plus divertissante qui ait encore paru de la composition de Monsieur Dominique, il n'y a point de Scène qui ne renferme un sujet particulier ; car on s'imagine trouver des règles pour la noblesse, ou du moins le portrait de ces Gentilshommes de fortune, au contraire, on y découvre l'entêtement de deux vieillards qui veulent marier leurs filles à leur fantaisie, et leur ôtent la liberté de faire un choix digne d'elles, et suivant leur penchant naturel : ainsi cela forme une dispute amoureuse très charmante, et capable de désennuyer le plus mélancolique.
Il y a un endroit très instructif pour ces pères absolus, qui veulent contre toutes sortes de raisons, qu'une jeune fille devienne malheureuse, avant même que le temps de son infortune soit arrivé : delà vient ces éclipses de modestie, de sagesse, et de réputation qu'une jeune personne perd aisément ; car sitôt que l'on contraint son inclination sur un choix, elle perd tout respect humain, elle n'écoute ni religion ni raison, l'obéissance paternelle lui devient insupportable, alors elle s'abandonne aisément, le dirai-je, à la débauche et au libertinage ; elle souffre qu'on l'enlève, elle embrasse tous les desseins d'un amant passionné et ne s'informe plus de ce que le monde en peut juger ; en un mot un père de ce caractère, ne s'en doit prendre qu'à lui, quand sa fille le déshonore, il a beau la menacer du Cloître, l'amour, ce Dieu si puissant, qui se rend maître des cœurs les plus rebelles, l'emporte toujours sur tout ce que les hommes se proposent ; d'ailleurs il n'est point de cœurs inaccessibles à l'amour ; nul état de la vie ne nous met à l'abri de cette violente passion.
Notre auteur s'applique particulièrement dans cette pièce, à instruire la jeunesse sur cette docilité si nécessaire aux ordres de ceux qui les gouverne, persuadé qu'il est, qu'une bonne ou mauvaise éducation décide du sort de notre vie, tout jeune qu'il paraît, ne l'est point dans ses mœurs ni dans ses sentiments, plus il travaille, et plus on remarque en lui, le vrai mérite d'un bon Acteur, toujours empressé de se distinguer de ceux qu'une vie molle entraîne dans cette profession : on voit régner la concorde parmi ceux qui secondent si agréablement ses intentions, et chacun dans son genre envie les applaudissements du public.
Le lecteur trouvera dans cette comédie une description des différents états de la vie qui renferme bien des vérités, et qui peut servir de leçons à tous ces fainéants de notre siècle, qui à trente ans ne peuvent se résoudre à prendre un état, et à se fixer selon leur rang et leur condition. En effet, combien en voyons-nous qui ambitionnent les premières charges, soit de l'Épée ou de la Robe, quoique leur naissance les en éloigne ? Quelle triste destinée de ceux qui, se sentant portés d'inclination à ruiner les familles, pour s'enrichir, font tout leur possible pour entrer dans les Finances, malgré le peu de talents que la nature leur a accordé !
Notre Gentilhomme par hasard ne peut souffrir ces airs de distinction que se donnent aujourd'hui la plupart des artisans ; il se livre même à des transports de colère, lorsque son beau-père Géronte le reprend de ce que ses actions ne répondent pas à sa prétendue naissance, il lui répond fort prudemment, qu'il n'appartient pas à un crocheteur (c'est la condition de notre Gentilhomme par hasard) de se donner des airs de grandeur, ni d'entrer dans une alliance bien au-dessus de lui : en effet l'erreur où se trouvent les deux vieillards sur le choix de deux gendres, se découvre aisément, et ils sont forcés d'avouer leur faiblesse sue les faux préjugés qu'ils avaient de la conduite de leur fille, et les deux gendres se trouvent justifiés de leur amour sincère.
On ne reprochera lamais à notre auteur ces expressions molles et efféminées, qu'on nomme dans le monde galanteries. Il ne se trouve point dans ses ouvrages, de ces traits satiriques qui déchirent le prochain ; il se contente de s'élever contre le désordre sans faire découvrir le coupable ; il observe toujours dans ses expressions, un certain respect qui ménage l'honneur et la réputation du beau sexe : s'il lui échappe quelques mots à double sens, on ne peut les appliquer qu'à son humeur enjouée : il bannit de son jeu de théâtre, cet air sombre et farouche, ces gestes contraints, ces déclamations si ennuyeuses par leur longueur ; ennemi des répétitions, heureux dans les rimes, toujours pensées nouvelles, jamais d'obscurité d'une Scène à une autre, et on se trouve à la fin de la comédie sans avoir été un moment ennuyé.
Cette comédie fut représentée à Lyon, au commencement de la présente année 1712, dans la salle de l'Opéra en Belle-Cour, le concours de Spectateurs fut une preuve de la satisfaction que les Dames de cette superbe ville, témoignèrent pendant que le temps que cette Pièce fut jouée, l'auteur se dispose à donner de nouvelles marques de son application, pour donner au public une suite de ses Pièces, qui feront la matière du second volume de son Nouveau Théâtre Italien.
À Paris, Chez Jacques Édouard, Paris Notre-Dame, près l'Hôtel-Dieu, aux trois Rois.
Achevé d'imprimer le 10 Août 1712.
Représenté pour la première fois en 1708 à la Foire Saint-Laurent.
PERSONNAGES
Le Docteur
Géronte
Octave, Gentilhomme Parisien.
Léandre, Gentilhomme Parisien.
Isabelle, fille du Docteur.
Léonore, fille de Géronte
Scaramouche, valet de Léandre.
Mezzetin, valet d’Octave.
Colombine, hôtesse
Pierrot, mari de Colombine.
Arlequin
Deux crocheteurs
Plusieurs valets
Des archets
Un geôlier
La chanteuse
Bergers et bergères
La Scène est à Lyon.
ACTE I
Scène I
Colombine, Pierrot, Arlequin
colombine
tenant un bâton à la main, et frappant Arlequin.
Allons, maître faquin, dénichez promptement.
pierrot
frappant Arlequin.
C'est ainsi que l'on traite un méchant garnement,
Hors d'ici...
arlequin
à Pierrot.
Modérez cette brusque colère,
Monsieur, que votre main soit un peu plus légère,
Et vous, Madame, ayez plus de compassion,
Vous pourriez bien me faire une contusion,
Je ne vis de mes jours femme plus violente,
Qui connaît mieux que moi votre humeur turbulente ?
colombine
Je ferais beaucoup mieux de te remercier,
Et te laisser gratis vider tout mon cellier,
Chez moi depuis trois mois tu prends ta nourriture,
J'ai voulu te prêter dix écus sans usure,
Et tu ne songes pas encore à t'acquitter,
Demain je prendrai soin de te faire arrêter,
Une obscure prison sera ta récompense,
Si par le paiement tu n'obtiens ta quittance.
arlequin
Vous voulez en prison faire mettre Arlequin,
Je n'y resterai pas je suis trop libertin.
pierrot
Bon, bon, quand une fois tu seras dans la cage,
Quoique tu sois porté pour le libertinage,
Tu ne sortiras pas pour t'aller promener,
Je te ferai mon cher, moi-même emprisonner,
Foi de Pierrot, hélas ! Quel serment effroyable
Cela me fait trembler.
arlequin
Vous êtes trop bon Diable,
Vous n'avez pas le cœur de me faire enfermer.
pierrot
Oh si tu prenais l'air tu pourrais t'enrhumer,
Dans un cachot bien clos tu seras à ton aise.
arlequin
Le cachot est mal sain et n'a rien qui me plaise,
D'ailleurs la solitude a pour moi peu d'appas.
pierrot
Tu pourras converser avec Messieurs les rats,
Qui le jour et la nuit te tiendront compagnie.
arlequin
La conversation sera, ma foi, jolie,
De grâce, cher Pierrot, soyez plus indulgent,
Le moyen de payer quand on est sans argent,
Je n'ai pas un denier, je me mets à la mode,
Et des gens du grand air j'observe la méthode,
Payer ce que l'on doit est du dernier bourgeois,
Mon ami, lui dit-on, venez une autre fois,
Il retourne, on lui tient toujours même langage,
Le pauvre malheureux fait en vain ce voyage.
L'homme de qualité qui ne veut point payer,
Conduit jusqu'aux degrés le morne créancier ;
C'est ainsi qu'aujourd'hui on acquitte ses dettes
Et Messieurs les Marchands sont traités en grisettes,
On leur trouve d'abord de merveilleux appas,
Quand on s'est servi l'on en fait peu de cas.
colombine
Ta comparaison cloche, il faut me satisfaire.
arlequin
L'honneur me le défend et je ne puis le faire,
J'ai le cœur noble et fier, connaissez Arlequin.
pierrot
Vous êtes, je le sais, Gentilhomme faquin,
Mais du moins mon ami laissez-nous quelque gage.
arlequin
tirant de sa poche un morceau de fromage enveloppé dans du papier.
Je ne puis vous donner qu'un morceau de fromage,
Que je garde avec soin depuis plus de dix ans,
Et je fais sur moi-même un effort des plus grands,
En vous abandonnant ce trésor plein de charmes
C'est lui seul dont le goût dissipe mes alarmes,
Lorsque je suis chagrin, inquiet, agité,
Je n'ai qu'à le sentir pour ma tranquillité.
Je le mets pour dormir la nuit sous ma paillasse
Et je ronfle en repos quelque bruit que l'on fasse
Quand même vingt canons péteraient à la fois,
Jamais malgré ce bruit je ne m'éveillerais.
Il dit ce qui suit d'un ton tragique.
Mais je vois bien qu'il faut répondre à votre envie,
Fromage de Milan, délice de ma vie,
Lénitif de mes maux, aimable cordial,
Rare et friand boucon, élixir pectoral,
Passez dans d'autres mains puisque du sort barbare,
L'injurieuse loi pour jamais nous sépare,
Recevez, cher Pierrot, ce bijou précieux,
Dont la perte de pleurs grossit mes petits yeux.
pierrot
Il est bon là ma foi, que veux-tu que j'en fasse ?
Cette plaisanterie est de mauvaise grâce,
Nous voulons de l'argent tout au plus tard demain,
Sinon sur le collet on te mettra la main,
Cherche un expédient pour te tirer d'affaire.
colombine
Je te l'ai déjà dit, songe à me satisfaire
C'est le plus sûr moyen pour sortir d'embarras,
Il me faut du comptant.
arlequin
Et n'en avez-vous pas ?
Pourquoi m'en demander ?
pierrot
C'en est trop ventre-bille,
J'entre en fureur, allons femme, rossons ce drille.
colombine
Pour moi je le veux bien je frappe de bon cœur.
arlequin
Est-ce ainsi qu'aujourd'hui l'on traite un débiteur ?
Je recevrais le double avec grande constance,
Si de ce que je dois vous donniez quittance.
pierrot
en le frappant.
Oh, tu gagnerais trop, et moi je perdrais tout.
arlequin
Par ma foi vous poussez ma complaisance à bout.
colombine
en s’en allant.
Il nous faut de l'argent, adieu maligne bête.
arlequin
en la saluant.
Peut-on vous refuser, vous êtes trop honnête ?
Scène II
Arlequin, seul.
Je me trouve à présent dans un piteux état,
Que ferai-je ? Endossons un habit de soldat...
Non pas c'est mal penser, le canon m'épouvante
Ce bruit alarme trop mon oreille tremblante,
D'ailleurs je ne prétends courir aucun hasard,
Car la valeur et moi, nous faisons pot à part.
Choisissons un métier lucratif et facile,
Où je puisse accorder l'agréable et l'utile ;
Celui de ne rien faire est un emploi charmant,
Morbleu que je saurais l'exercer noblement !
Mais pour le soutenir quoiqu'il puisse me plaire
Il faut avoir du fond, ce n'est pas mon affaire.
Faisons-nous Avocat, c'est un joli métier,
Il ne faut que mentir, supposer et crier,
Dire des faussetés, car c'est là la méthode,
Citer mal à propos un passage du code...
Non, non, il faut longtemps arpenter le Palais,
Avant que les plaideurs tombent dans les filets.
Devenons Procureur... j'ai trop de conscience
Il faut pour chicaner beaucoup d'expérience.
Financier... cet emploi partout est révéré,
Non celui de Jasmin est son premier degré.
Médecin ou Bourreau l'un vaut l'autre, il n'importe,
Je renonce à ce nom, ou le Diable m'emporte,
J'ai le cœur trop humain, et je ne pourrais pas
Voir chérir l'ignorant et vivre du trépas.
La charge de voleur me serait convenable,
Je suis adroit, subtil, alerte comme un Diable.
Je suis fou d'aspirer au titre de voleur,
Puisque je ne veux pas devenir Procureur.
Que choisirai-je donc pour sortir de misère ?
Item il faut manger la chose est nécessaire,
Devenons Procureur... j'ai trop de conscience
Il faut pour chicaner beaucoup d'expérience.
Financier... cet emploi partout est révéré,
Faisons-nous bel esprit, il est beau d'être auteur...
Encore moins, j'aime mieux l'emploi de crocheteur.
En voici la raison. Dans le siècle où nous sommes,
Les savants sont toujours de misérables hommes,
Qu'ils fassent de beaux vers, ils n'en sont pas moins gueux,
Et l'heure du dîner ne sonne pas pour eux.
Mais un bon crocheteur après son rude ouvrage
Trouve dans son taudis, son bouilli, son potage.
Juvénal nous apprend qu'un poète fameux
Quoiqu'il soit estimé n'en est pas plus heureux.
Scène III
Géronte, Le Docteur
géronte
Tous mes vœux sont comblés, et ma joie est extrême
D'avoir pu contenter une fille que j'aime.
J'ai pour elle fait choix d'un époux accompli,
Qu'elle aimera sans doute étant bien fait, poli,
Enfin je m'applaudis d'avoir un pareil gendre,
C'est le fils de Damon, on le nomme Léandre.
Chacun connaît son bien et sa condition,
Son père est pour le moins riche d'un million.
le docteur
Permettez, cher ami, que je vous félicite
Je ne puis qu'admirer votre sage conduite,
Comme je suis votre seul confident,
Je vous ai reconnu pour un homme prudent.
Le juste ciel protège un père de famille,
Quand avec avantage il établit sa fille,
La fortune m'a moins favorisé que vous,
J'attends de jour en jour pour la mienne un époux
Il est, je l'avouerai, moins riche que Léandre,
Mais d'un engagement je n'ai pu me défendre,
C'est le fils de Philinte, homme de qualité,
Avec ce bon vieillard j'ai déjà contracté.
Il ne peut lui donner que mille écus de rente,
Quoiqu'il en soit ma fille en doit être contente.
La vôtre jouira d'un plus heureux destin,
Ce choix avantageux rend son bonheur certain
Il réussit en tout au gré de son envie,
Sa fille pouvait-elle être mieux établie !
géronte
Un mari jeune, aimable, et de plus opulent,
A pour charmer sa femme un merveilleux talent
Enfin tout est conclu je n'ai plus rien à craindre
Vous de votre côté vous n'êtes pas à plaindre,
Dans nos projets formés nous sommes fort heureux,
Cette affaire nous va rajeunir tous les deux.
Mais j'ose vous prier de me rendre un service.
le docteur
Ne me pas éprouver est me faire injustice.
géronte
De meubles je n'ai pas grande provision,
Vous savez que jamais je n'eus d'ambition,
J'ai toujours pris plaisir à garder ma finance,
Dans la crainte de faire une folle dépense.
Pour recevoir mon gendre un peu plus noblement,
Je voudrais lui meubler un grand appartement,
J'aurais besoin d'un lit, d'une tapisserie,
De vases, de miroirs, prêtez-moi je vous prie.
le docteur
Disposez librement de toute ma maison,
J'ai des meubles chez moi pour plus d'une saison,
Envoyez-moi des gens pour porter le bagage
Et si vous en voulez encore davantage,
Croyez que j'ai, mon cher, de quoi vous contenter,
Et sur moi vous pouvez entièrement compter.
Scène IV
Léandre, Scaramouche
scaramouche
Quel vertigo vous prend, mon très illustre maître,
Vous demeurez ici sans vous faire connaître,
Géronte vous attend, que ne le voyez-vous ?
léandre
Hélas ! Il troublerait les plaisirs les plus doux,
J'adore, tu le sais, la charmante Isabelle,
Ne blâmez point, mon cher, une flamme si belle.
scaramouche
Je ne vous comprends pas, vous moquez-vous des gens ?
Peste des amoureux, ils perdent le bon sens :
Vous n'en usez pas bien, fi, fi, c'est une honte
Vous devez épouser la fille de Géronte,
Vous partez de Paris remplis de ce dessein.
Je crois que vous venez pour lui donner la main
Et quand vous arrivez malgré votre parole,
Vous vous amourachez d'une petite folle ;
Monsieur, ce procédé me parait fort suspect,
Vous êtes un coquin, soit dit par respect.
léandre
Tu condamnes en vain ma nouvelle tendresse,
Je ne puis aisément guérir de ma faiblesse,
Et malgré ma promesse un objet tout charmant
A dispensé mon cœur de son engagement.
Isabelle à ses lois tient mon âme asservie,
Et je sens qu'il faudra l'aimer toute ma vie
Quand Léonore aurait de plus puissants appas
Ses attraits de mon cœur ne triompheraient pas.
Quelque puisse être enfin le courroux de mon père,
J'attends sans m'alarmer l'effet de sa colère,
L'amour et la raison ne peuvent s'accorder.
scaramouche
Vous cherchez vainement à me persuader,
Monsieur, vous vous ferez quelque méchante affaire,
Vous avez le minois un peu patibulaire,
Croyez-moi profitez de ma sage leçon,
J'en sais plus long que vous, je suis un vieux barbon.
Ce n'est que l'amitié qui pour vous m'intéresse
Les filles de tout temps ont gâté la jeunesse,
C'est un malin bétail, pour l'avoir écouté,
Je ne sais que trop bien ce qui m'en a coûté.
Çà, que de cet amour votre cœur se délivre,
Je vous guiderez bien, vous n'avez qu'à me suivre,
Je veux de votre esprit gouverner le vaisseau,
Car il pourrait fort bien s'en aller à vau-l'eau,
Comme un Pilote expert je prétends vous conduire,
Et de votre raison calfeutrer le navire.
léandre
Termine ce discours, tes soins sont superflus,
J'en ai trop entendu, ne m'importune plus,
J'espère voir bientôt la charmante Isabelle,
Dans son appartement un rendez-vous m'appelle.
Adieu.
scaramouche
En l’appelant.
Vous persistez dans cette opinion,
Et ne profitez pas de ma correction,
Ah ! Le franc scélérat.
léandre
Quoique tu sois habile
Pour me faire changer ton soin est inutile.
Scaramouche, seul.
Comme de ma morale il ne fait point de cas,
Mes préceptes savants ne le réforment pas ?
Morbleu, de quoi me sert ma rhétorique ?
Je parle bon français c'est de quoi je me pique
Malgré ce que je dis, le pendard, le vilain,
Refuse de m'entendre et va toujours son train ;
Quand je veux lui tracer une plus belle route,
Pour ne pas y marcher il dit qu'il a la goutte.
Hé bien petit coquin, fais comme tu l'entends,
Pour moi je t'abandonne à tes égarements.
Scène V
Le Docteur, Deux Crocheteurs chargés de meubles, Arlequin, portant une chaise percée
Tous sortant de la maison du Docteur, Arlequin se tient derrière les crocheteurs sans se faire voir au Docteur.
le docteur
Vous n'avez qu'à porter ces meubles chez Géronte.
le premier crocheteur
A-t-il de quoi payer, je crains qu'il ne m'affronte ?
le docteur
Oh ! Vous ne risquez rien il est homme d'honneur.
arlequin
au premier crocheteur.
Maître Jacques prenez cette chaise percée,
D'une certaine odeur ma narine est blessée,
Et mon nez délicat s'en est formalisé.
Le crocheteur, la prenant.
Pour un rien vous voilà d'abord scandalisé.
arlequin
N'allez pas pour cela me faire une querelle,
Je sais bien que pour vous c'est une bagatelle,
Vous avez l'odorat faquin et roturier,
Mais pour le mien il craint de se mésallier.
J'ai vu chez le Docteur une vaste cuisine
Où je voudrais gratis calmer ma faim canine.
En m'approchant du feu dans deux larges chaudrons,
J'ai d'abord aperçu d'excellents macarons
Qui sur un clair brasier une flamme bien pure
Par leur bouillonnement faisaient un doux murmure,
Moi qui suis de Bergame où l'on en mange tant
Si j'en avais ma part que j'en serais content !
Ciel qui depuis longtemps connais ma gourmandise,
Ne m'abandonne pas dans ma belle entreprise,
Autorise en ce jour un innocent larcin,
Daigne me seconder dans ce noble dessein,
Ou si des deux chaudrons je ne suis pas le maître,
Fais qu'au moins sur un plat je puisse me repaître,
Scène VI
Octave, Mezzetin botté tenant un fouet à la main.
octave
Nous voici, grâce au Ciel, arrivé à Lyon.
mezzetin
Vous aurez en ce lieu de l'occupation,
Dans ce charmant pays les filles sont fringantes
Certaines quelquefois sont plus que complaisantes.
Je sais parbleu la carte et je puis me vanter
D'être des plus experts dans l'art de coqueter.
Au reste vous ferez ici très bonne chère,
Si vous aimez le vin, Lyon est votre affaire
Du matin jusqu'au soir les cabarets sont pleins.
octave
Non je n'ai point formé de semblables desseins
La fille du Docteur que l'on nomme Isabelle,
Est la seule beauté qui dans ces lieux m'appelle,
Tu sais que de Paris j'ai quitté le séjour
Pour unir, s'il se peut, l'hymen avec l'amour.
mezzetin
Si pour les accorder vous fîtes ce voyage,
Vous pouvez repartir sans tarder davantage,
Ici comme à Paris l'époux n'est point amant,
Je sais Lyon par cœur j'en parle savamment.
octave
Faut-il que sur les mœurs ta piquante critique,
À répandre son fiel incessamment s'applique ?
Ce n'est pas d'aujourd'hui que tu connais mon cœur,
Et j'aimerai toujours la fille du Docteur.
mezzetin
Ô miracle d'amour ! Quel excès de constance !
octave
Je ne veux point céder à mon impatience,
Avant que de la voir cherchons un cabaret.
mezzetin
J'y consens volontiers cet asile me plaît,
C'est dans ce beau réduit cette aimable retraite
Que Mezzetin jouit d'une douceur parfaite,
Toujours le cabaret ce lieu récréatif,
Contre le mauvais air fut un préservatif
Un antidote enfin...
octave
Finis donc je te prie,
Et frappe promptement à cette hôtellerie.
mezzetin
frappant au cabaret.
Holà ?
Scène VII
Colombine, Octave, Mezzetin.
Colombine, à Mezzetin.
Que voulez-vous ?
mezzetin
Ah ! le joli tendron,
Êtes-vous du logis l'enseigne ou le bouchon ?
colombine
Non je suis la maîtresse.
mezzetin
en la caressant.
Agréable mignonne,
Je gage que chez vous la pratique foisonne.
colombine
Tenez un peu vos mains et sans gesticuler...
mezzetin
la caressant toujours.
Quoi vous ne voulez pas vous laisser cajoler ?
colombine
Encore ? Finissez-vous bientôt ce badinage ?
Octave, à Mezzetin.
Coquin, veux-tu cesser ?
colombine
en regardant Octave.
Monsieur est bien plus sage
Que ne l'imitez-vous ?
Octave, à Colombine.
Pouvez-vous me loger.
mezzetin
La belle question, parbleu c'est l'outrager,
L'hôtesse là-dessus a le cœur fort tranquille,
Elle a de quoi loger la moitié de la ville,
Son cabaret, monsieur est vaste et spacieux,
Quand vous irez ailleurs vous ne serez pas mieux.
Colombine, à Octave.
Vous serez satisfait, vous n'avez rien à craindre,
Ceux qui viennent chez moi sont encore à se plaindre.
octave
Entrons.
mezzetin
La belle hôtesse attendez un moment,
Et daignez soulager mon amoureux tourment,
À peine ai-je entrevu votre belle figure,
Que vos yeux dans mon cœur ont fait une blessure,
Si grande qu'un carrosse avec quatre coursiers,
Pourraient s'y promener et passer quoi qu’entiers,
Vous voyez que j'exprime assez bien ma tendresse,
Et comme maintenant vous êtes mon hôtesse,
Traitez-moi largement car j'ai grand appétit,
C'est pourquoi...
colombine
Vous aurez bonne table et bon lit,
Il ne manque de rien chez moi je vous proteste.
mezzetin
Avec le lit, la table il me faudrait autre chose.
colombine
Que voulez-vous de plus, je ne vous comprends pas.
mezzetin
Je fais, voyez-vous bien, plus que mes deux repas,
Je suis encore à jeun, et ma faim est extrême,
On ne peut l'assouvir qu'en me mettant à même.
Après un bon repas
Au gré de mon envie
Servez-moi, je vous prie,
De ces mets délicats
Ne m'entendez-vous pas.
colombine
Vous êtes trop goulu, comment vous contenter,
Je vous répondrai bien s'il ne tient qu'à chanter.
Elle chante sur le même air.
Ces mets si délicats
Sont-ils votre usage ?
Un si grand avantage
À tous ne convient pas
Car je veux des ducats.
Scène VIII
Pierrot, Colombine, Mezzetin.
Pierrot se met au milieu et chante.
pierrot
Les mets que vous voulez
Me servent de pâture
Je ne mange autre chose,
Et quoique j'en sois saoul
Vous n'en tâterez pas.
Savez-vous mon ami que c'est là notre femme,
Et que Monsieur Pierrot est d'une humeur jalouse,
Si vous voulez loger dans notre cabaret.
Entrez-y vous aurez du vin blanc ou clairet,
Tel que vous le voudrez, mais laissez là ma femme.
Colombine, à Pierrot.
Mon fils point de courroux.
pierrot
Voyez la bonne lame
Tu voudrais sans savoir ni comment ni pourquoi,
Servir à ce Monsieur le même plat qu'à moi,
Il serait bientôt las d'un semblable ordinaire.
mezzetin
avec soumission.
Un air libre et badin pourrait-il vous déplaire ?
Ah ! De grâce excusez.
pierrot
Allez, boutez dessus,
Je veux tout oublier mais n'y revenez plus.
colombine
caressant Pierrot.
Pierrot es-tu fâché contre ta Colombine ?
Mon petit cupidon fais-moi meilleure mine.
pierrot
Je suis pris par mon faible, allons mets-là ta main,
Il le faut avouer je suis un bon humain.
colombine
lui faisant la révérence d’une manière toute gracieuse.
Adieu mon cher Pierrot, je suis votre servante.
mezzetin
L'époux est un magot et la femme est charmante.
pierrot
Voyez-vous devant moi comme elle file doux,
Dame je me fais craindre, allons entrez chez nous ?
Scène IX
Le théâtre se change et représente l’appartement d’Isabelle, on y voit un lit tout garni.
arlequin
tenant un plat de macarons.
C'en est fait, j'ai vaincu rien n'égale ma joie,
Je suis avec honneur chargé de cette proie,
Et malgré tous les soins des zélés marmitons,
Je triomphe aujourd'hui d'un plat de macarons
Dans ce lieu retiré j'aurai du moins la gloire,
De jouir en repos du fruit de ma victoire,
Aucun écornifleur ne viendra m'y troubler,
Et de ces macarons je pourrai me saouler.
Ils sont délicieux, ce beurre et ce fromage
Les rendent savoureux on ne peut davantage.
Mais qui peut interrompre ici mon appétit,
Quelqu'un vient, ô malheur, cachons-nous sous le lit.
Scène X
Isabelle, Arlequin caché sous le lit.
isabelle
Avec empressement j'attends mon cher Léandre,
En ce lieu chaque jour il a soin de se rendre,
L'amour qui nous permet des entretiens si doux
Nous marque également l'heure du rendez-vous
Et son exactitude à voir l'objet qu'il aime,
M'assure des transports de son ardeur extrême,
Mais je crois de l'entendre.
Arlequin, sous le lit.
Hélas c'est grand hasard
Si de mes macarons il ne prétend sa part.
Scène XI
Léandre, Isabelle, Arlequin caché sous le lit.
léandre
Guidé par mes soupirs je vous revois, Madame,
Vous ne pouvez douter de l'excès de ma flamme,
Trop heureux si l'amour qui me force à venir,
Voulait auprès de vous toujours me retenir :
Mais quand ce Dieu répond au beau feu qui me presse,
Hélas ! Que ces moments coulent avec vitesse,
À peine je me livre à ma félicité
Qu'il faut quitter d'abord un bien si souhaité.
arlequin
Je ne quitterai pas mon plat de cette sorte,
Et je mangerai tout ou le Diable m'emporte.
isabelle
Mon tendre cœur soumis à l'empire amoureux
Également blessé brûle des plus beaux feux
Qu'il m'est doux de porter une si belle chaîne,
Et de m'abandonner au penchant qui m'entraîne
Mon père me destine en vain un autre époux,
Je ne veux pour mari qu'un amant tel que vous.
léandre
Mon bonheur est parfait et cet aveu m'enchante
Que dans ces sentiments votre âme soit constante,
N'admettons d'autres lois que celles de l'amour,
Et livrons-lui nos cœurs pour honorer sa cour.
Ah ! Si pour posséder un bien si plein de charmes
Un rival téméraire en vous rendant les armes,
Prétendait me ravir ce que j'aime le mieux
Il serait accablé sous mes coups furieux.
arlequin
Ciel ! Il parle de moi, que faut-il que je fasse ?
Morbleu qu'il vient de faire une laide grimace,
Sans doute on préparait pour lui ces macarons,
Je dois craindre pour moi de toutes les façons ;
Mais il a beau crier, car enfin pour les rendre
Il faut les digérer, il peut encore attendre.
Le Docteur, en dedans.
Isabelle.
Isabelle, effrayée.
J'entends mon père, cachez-vous.
Léandre, embarrassé.
Où ?
isabelle
Derrière le lit.
arlequin
Ne venez pas dessous,
Car nous n'y serions pas tous deux fort à notre aise.
Scène XII
Le Docteur, Isabelle, Léandre derrière le lit, Arlequin dessous.
le docteur
Je veux chercher partout.
arlequin
Ah ! Ne vous en déplaise
Ne cherchez pas ici.
le docteur
Peut-être sous le lit
Pourrais-je la trouver.
arlequin
Que Diable est-ce qu'il dit ?
le docteur
À la chercher partout il faut que je m'applique,
Je ne trouve point une épée à l'antique.
Je veux voir sous le lit.
arlequin
Hélas ! Je suis perdu,
Il va me découvrir.
le docteur
faisant un cri.
Juste ciel ! Qu'ai-je vu ?
Isabelle, confuse.
Un homme sous le lit !
arlequin
sort de dessous le lit avec son plat de macarons.
Excusez-moi de grâce
Je consens à payer mon écot et ma place.
léandre
Apprends-moi le sujet qui t'amène en ces lieux,
Voleur ?
arlequin
Oh ! Ventrebleu vous pourriez parler mieux,
Ce larcin est ma foi le premier de ma vie,
Mais de ces macarons j'avais si fort envie
Que j'ai dans la cuisine avec dextérité
Escroqué ce butin si longtemps souhaité
Je vais me retirer car j'ai la panse pleine
Je vous rendrai le plat n'en soyez pas en peine
Je ne le vendrai point car il n'est point d'argent.
léandre
Mais quel est ton emploi ?
arlequin
D'être fort indigent,
J'ai longtemps parcouru les états de la vie,
Et depuis ce matin j'ai pris la fantaisie
De choisir parmi tous celui de crocheteur,
Je me suis introduit chez Monsieur le Docteur,
Après avoir volé ce plat dans sa cuisine,
Pour assouvir la faim qui rongeait ma poitrine
Je me suis confiné dans cet appartement,
J'y mangeais en repos et fort gloutonnement,
Quand cette Demoiselle en ce lieu s'est rendue
Moi pour me dérober aussitôt à sa vue,
Et me mettre à couvert du tumulte et du bruit,
Je me suis tout tremblant retiré sous le lit
Vous avez entendu mon histoire tragique
Bien loin de me blâmer plaignez un famélique.
isabelle
Comment ferons-nous donc mon père ça venir ?
Léandre il n'est pas temps de nous entretenir,
Mais plutôt...
léandre
Dissipez cette frayeur extrême
Je viens d'imaginer un plaisant stratagème,
Donne-moi ton habit et tu prendras le mien.
arlequin
Fi donc dans mon casaquin ne vous ira pas bien
Il faut pour le porter toute une autre encolure
Vous n'avez d'Arlequin ni gestes ni postures.
léandre
Dépêchons.
arlequin
J'y consens pour vous faire plaisir,
Quoique je perde au change, il faut vous obéir.
isabelle
Pourquoi vous déguiser, apprenez-moi Léandre.
léandre
Cette ruse, Madame, est facile à comprendre.
Va derrière le lit, je veux rester ici.
arlequin
allant derrière le lit.
Ce gentilhomme est fou, moi je le suis aussi.
léandre
Ici dans un instant le Docteur va se rendre
Me voyant cet habit il pourra se méprendre
Ainsi j'éviterai quelque éclaircissement,
Mais il vient, je saurai le tromper aisément.
Scène XIII
Le Docteur escorté de valets armés, Isabelle, Léandre avec l’habit d’Arlequin, Arlequin derrière le lit.
Le Docteur, aux valets.
Secondez, mes amis la fureur qui m'inspire,
Arrêtez ce voleur... Hé bien que vas-tu dire ?
Parle, dans ma maison quel dessein t'a conduit ?
Réponds, pendard, pourquoi te cacher sous le lit ?
léandre
Je ne suis pas, Monsieur, ce que vous pouvez croire,
Je vais vous raconter en deux mots mon histoire.
Je suis un crocheteur, victime de la faim,
Qu'ici son appétit n'a pas conduit en vain,
Un plat de macarons volés par prévoyance,
A soulagé les maux causés par l'abstinence,
Ici pour les manger je me suis introduit,
Et je me suis caché tout tremblant sous le lit.
isabelle
Mon père renvoyez ce pauvre misérable,
Ne le punissez point puisqu'il n'est pas coupable.
le docteur
Je plains ce malheureux, son sort me fait pitié
Il s'est auprès de nous assez justifié.
Va-t'en je te pardonne, et tu n'as rien à craindre,
Tu dis la vérité.
léandre
J'ignore l'art de feindre.
le docteur
Outre les macarons que tu viens de voler
Je veux bien de dix sols encore te régaler.
léandre
L'honneur de vous servir est le bien où j'aspire.
le docteur
Adieu mon pauvre enfant.
léandre
Monsieur je me retire.
Isabelle, bas.
Au gré de mes souhaits la fourbe a réussi.
arlequin
derrière le lit.
Oui mais pour mon malheur je suis encore ici.
le docteur
Qu'entends-je ? Que dit-on ?
Isabelle, bas.
Rien mon père... Ah le traître !
S'il dit encore un mot il fera tout connaître.
le docteur
Je ne me trompe pas et quelque autre est ici.
isabelle
Que je suis malheureuse !
le docteur
Examinons ceci.
isabelle
Tout va se découvrir la chose est certaine.
le docteur
conduisant Arlequin par le bras.
Dans ma maison, Monsieur, quel sujet vous amène ?
Holà, valets à moi, saisissez ce voleur.
arlequin
Ah, Monsieur, je ne suis qu'un pauvre crocheteur.
le docteur
Chansons, cet habit-là me fait croire autre chose.
Que veut dire ceci ?
isabelle
Je n'en suis point la cause
Mon père, et je ne sais...
le docteur
Je veux être éclairci.
arlequin
Par charité souffrez que je sorte d'ici,
Un fâcheux cours de ventre, en certain lieu m'appelle,
Et m'ordonne, Monsieur, de pousser une selle.
le docteur
Vous ne sortirez pas.
arlequin
Pourquoi m'en empêcher ?
le docteur
J'en sais bien la raison.
arlequin
Je vais donc tout lâcher.
isabelle
bas à Arlequin.
Que dis-tu, maraud, pour te tirer d'affaire ?
arlequin
Cela m'est échappé, je n'y saurais que faire.
Le Docteur, aux valets.
Fouillez-le promptement.
arlequin
Vous ne trouverez rien,
Je suis un crocheteur sans honneur et sans bien.
Le Docteur, aux valets.
Donnez-moi cette lettre.
arlequin
Hélas quel soin vous presse ?
Vieillard trop curieux.
le docteur
Je prétends voir l'adresse.
À Géronte... voyons ce que peut contenir...
arlequin
faisant comme s’il avait la colique.
Ma foi je ne puis plus, Monsieur, me retenir.
Le Docteur, lit.
Le porteur de la présente, est mon fils Léandre, qui
se rend à Lyon pour avoir l'honneur de donner la main
à la charmante Léonore ; j'espère que vous en serez satisfait,
et que vous ne différerez point de conclure un mariage
que je souhaite avec tant d'empressement. Je suis, en
attendant de vos nouvelles,
Votre très affectionné serviteur et ami, DAMON.
arlequin
faisant des lazzis, comme s’il était pressé de ses nécessités.
Ne me refusez pas le secours que j'implore.
Le Docteur, à Arlequin.
Vous venez pour donner la main à Léonore,
Et je vous trouve ici caché derrière un lit.
arlequin
J'avais sur mon honneur un terrible appétit,
Ces macarons exquis m'ont bien bourré la panse.
le docteur
Cette affaire est pour moi de grande conséquence,
Vous deviez un peu mieux connaître le Docteur
Je suis homme de bien.
arlequin
Moi je suis crocheteur.
le docteur
Il faut pour réparer l'honneur de ma famille,
Que sans plus différer vous épousiez ma fille,
Je veux que devant moi vous lui donniez la main.
Allons disposez-vous...
isabelle
Ah ! Quel ordre inhumain
Que me prescrivez-vous ? Malgré votre colère
Je ne puis sur ce point vous obéir mon père.
le docteur
Vous osez résister après un tel affront.
Arlequin, à Isabelle.
Pourquoi l'agacez-vous ? Vous savez qu'il est prompt,
Mettez là votre main, Madame la coquine.
isabelle
Laisse-moi.
le docteur
Comment donc vous faites la mutine
Obéissez, vous dis-je, et sans plus m'irriter...
isabelle
donnant la main.
Enfin vous m'y forcer.
arlequin
Vous vous ferez frotter,
Et je vous donnerai ma foi sur les oreilles,
Ma charmante avec moi vous serez à merveilles
Je vous ferai porter les crochets quelquefois.
Beau-père, pouviez-vous faire un plus joli choix ?
Le Docteur, à Arlequin.
Vous êtes à présent le mari d'Isabelle,
Adieu pour un moment je vous laisse avec elle.
arlequin
C'est agir prudemment.
Scène XIV
Isabelle, Arlequin.
isabelle
Ô mortelles douleurs !
Devais-tu m'exposer à de nouveaux malheurs
C'est toi qui dans ce jour cause mon infortune.
arlequin
Ma mie en vérité ce discours m'importune.
Si vous continuez vous vous ferez rosser.
isabelle
Infâme...
arlequin
Vous allez encore recommencer,
J'ai sur vous maintenant un pouvoir despotique
Vous pourriez à mes bras donner de la pratique,
Ainsi, ma chère femme, un peu plus de douceur
Là là, modérez-vous ma mignonne, mon cœur,
En voyant vos appas, l'eau me vient à la bouche,
Laissez-vous caresser, pourquoi cet air farouche ?
Ma belle crocheteuse allons-nous en coucher.
isabelle
lui donnant un soufflet.
Quoi malheureux encore, ose-tu m'approcher ?
arlequin
Un soufflet, finissons ce jeu de Comédie.
Adieu je me retire et je vous répudie.
Scène XV
Léandre avec un autre habit, Isabelle.
isabelle
Rien ne peut arrêter le torrent de mes pleurs
Venez, mon cher Léandre, apprendre mes malheurs,
Ce crocheteur a fait découvrir le mystère,
Il s'est sous votre habit, fait connaître à mon père,
Ayant trouvé sur lui la lettre de Damon,
Il a cru justement lui donner votre nom,
Le prenant pour Léandre.
Hélas ! Il m'a contrainte...
léandre
N'ayez aucune crainte,
C'est Léandre qui doit être votre époux,
Rien ne peut à mon cœur ravir un bien si doux
Et puisque entre mes bras votre père vous livre,
Il faut sans balancer vous résoudre à me suivre
La fuite est nécessaire en cette extrémité.
isabelle
Je dois me conformer à votre volonté,
Répondre à vos désirs est ma plus chère envie,
Vous pouvez disposer de mon sort et de ma vie.
ACTE II
Scène I
Le théâtre représente la rue. Léandre, Isabelle, sortant de la maison du Docteur. Scaramouche, qui vient d’un autre côté et trouve Léandre avec Isabelle.
scaramouche
Enfin vous prétendez Monsieur le Spadassin,
Persévérer toujours dans ce noble dessein,
Où Diable voulez-vous mener cette femelle ?
Pour en être charmé la trouvez-vous si belle ?
Pour moi je la verrais du haut jusques au bas,
Que je ne serais point tenté de ses appas.
léandre
Monsieur le Précepteur finissez, je vous prie,
De pareils quolibets passent la raillerie.
isabelle
Scaramouche n'est pas un garçon fort poli.
scaramouche
C'est que je ne vois rien en vous de trop joli.
Isabelle, à Léandre.
Monsieur, votre valet est prompt à la riposte.
Léandre, à Scaramouche.
Il faut aller chercher une chaise de poste,
Car je veux l'enlever.
scaramouche
Sans rien dire au Docteur.
léandre
Scaramouche qu'as-tu ?
Scaramouche, en pleurant.
Je pleure son honneur
Qui ne reviendra pas sitôt de ce voyage,
Pacatroufe en chemin il va faire naufrage.
léandre
Pauvre fol !
scaramouche
Je vois bien que je perds mon latin,
Et vous ne voulez pas renoncer au butin,
Allons je vous suivrai par-delà la Turquie,
Partons.
léandre
Va-t'en frapper à cette hôtellerie,
Madame y restera jusqu'à notre retour.
isabelle
Cher Léandre jugez de mon parfait amour
Puisque sans consulter une austère sagesse
Je cède aveuglément à l'ardeur qui me presse.
léandre
Rassurez-vous, Madame, et croyez qu'avec moi
Vous ne risquez rien.
scaramouche
J'en jurerais ma foi
Mon maître est pour le moins sage comme une fille.
léandre
Frappe donc.
scaramouche
Regardant Isabelle.
Je commence à la trouver gentille,
Oh di casa ?
Scène II
Pierrot, Léandre, Isabelle, Scaramouche.
pierrot
Dans la cantonade.
Claudine embrochez ce chapon,
Écumez la salade et plumez cet oignon,
Allez-vous-en compter avec ce Capitaine,
Scaramouche, bon jour, qu'est-ce qui vous amène.
scaramouche
Lui montrant Isabelle.
Cette fille est charmante et vaut un million,
Je veux dans ton logis la mettre en pension.
C'est moi qui l'entretiens, soit dit en confidence.
Toujours pour mes plaisirs je fis de la dépense.
pierrot
Dans la cantonade.
Elle le porte beau, c'est tout or et azur.
Ma foi si de mon fait je pouvais être sûr,
Je m'amuserais bien à lui conter fleurette,
Car tel que tu me vois j'aime un peu la grisette.
Léandre, à Pierrot.
Mon ami recevez cette Dame chez vous.
pierrot
Scaramouche, morgué tu te gausses de nous,
Tu n'entretiens donc pas cette beauté friande,
Puisque c'est ce Monsieur qui me la recommande,
Serais-tu par hasard de profit avec lui.
scaramouche
Oui nous nous relevons c'est son jour aujourd'hui,
Demain j'aurai le mien chacun a sa journée,
Nous nous accommodons.
pierrot
L'affaire est bien menée.
Léandre, à Isabelle.
Entrez belle personne et comptez sur mon cœur.
isabelle
Puissent les justes Dieux couronner votre ardeur
Je vous attends Léandre avec impatience.
léandre
Scaramouche suis-moi.
scaramouche
Partons en diligence.
Scène III
le docteur
Géronte cette fois ne sera pas content,
Mais lui-même à ma place en aurait fait autant,
Seul avec Isabelle ayant surpris Léandre,
Je crois que c'est ainsi que je devais m'y prendre,
Jusques au fond du cœur ce trait m'avait percé,
Il fallait satisfaire à l'honneur offensé
Ce parti pour ma fille est d'un grand avantage,
Et je me sais bon gré qu'il lui tombe en partage,
D'Octave je saurai bientôt me dégager
Et Géronte sur lui peut se dédommager,
Je vais lui raconter toute cette aventure,
Et de mon procédé je crains peu qu'il murmure.
Scène IV
Géronte, Le Docteur.
géronte
Ah c'est vous chez moi, quel plaisir de vous voir,
Souffrez que je m'acquitte ici de mon devoir,
En vous remerciant de la tapisserie...
le docteur
Fi donc ne parlez point de cela, je vous prie,
Je viens vous révéler des secrets importants,
Vous serez étonné...
géronte
Parlez je vous entends.
le docteur
De retour au logis j'ai trouvé votre gendre,
Caché derrière un lit.
géronte
Vous parlez de Léandre ?
le docteur
Justement à ma fille il faisait les yeux doux,
Et voulait profiter je crois du rendez-vous,
Léandre lui parlait, jugez de ma surprise,
Je me suis récrié contre son entreprise,
Mais enfin il fallait effacer ce forfait,
En cette occasion, cher ami, qu'ai-je fait ?
J'ai contraint le galant à devenir mon gendre,
D'épouser Isabelle, il n'a pu se défendre
Si vous eussiez été de la sorte insulté
Je crois qu'en pareil cas vous m'eussiez imité.
géronte
À quoi bon plaisanter, Docteur, c'est assez rire,
Léandre est-il ici ?
le docteur
Lui présentant la lettre.
Tenez vous pouvez lire,
Vous connaîtrez par là si j'ai tort ou raison,
C'est la lettre d'avis que vous écrit Damon.
géronte
Après avoir lu.
Je vous plains, mais enfin ce n'est pas là mon compte,
Léandre m'a promis...
le docteur
Point de courroux Géronte,
Il m'a déshonoré.
géronte
Que veut dire ceci,
Mais ne puis-je le voir ?
le docteur
Fort bien car le voici.
Scène V
Arlequin habillé en gentilhomme, ayant son coutelas au-dessus de son épée, Le Docteur, Géronte.
Géronte, à Arlequin.
Vous m'avez fait, Monsieur, une sensible offense,
Vous me tiendrez parole, ou j'en aurai vengeance.
arlequin
S’adressant au Docteur.
Que dit donc ce vieux fol ? Je ne le connais pas.
le docteur
C'est Géronte.
arlequin
Ma foi j'en fais fort peu de cas.
géronte
Vous devez épouser ma fille Léonore.
Arlequin, en riant.
Il lui faudrait donner quelques grains d'ellébore,
Il en a grand besoin.
géronte
Vous vous loquez de moi
Mais on n'abuse pas en vain ma bonne foi,
Votre père Damon...
arlequin
Ah ! Le plaisant jocrisse,
Je n'ai jamais connu que ma mère nourrice,
Je suis du côté gauche, autrement dit bâtard,
Dans ce monde, dit-on, j'arrivai par hasard.
géronte
Est-ce ainsi que s'explique un homme de naissance,
Un Gentilhomme...
arlequin
Moi, vous êtes en démence
Depuis quand, s'il vous plaît, Messieurs les crocheteurs,
Ont-ils été placés parmi les grands Seigneurs.
le docteur
Prenant Arlequin par le bras.
Mon gendre entrez chez nous.
géronte
Le prenant par l’autre bras.
Il n'est pas nécessaire,
Venez dans ma maison.
arlequin
Y fait-on bonne chère,
J'irai... non je ne puis et j'en sais les raisons,
On fait chez le docteur d'excellents macarons,
Allons-y promptement.
le docteur
Tirant Arlequin.
Entrez, Monsieur Léandre.
géronte
Le tirant aussi.
Corbleu vous n'irez pas.
Arlequin, à Géronte.
Je ne puis m'en défendre
C'est lui qui le premier m'a voulu régaler,
Oh parbleu je suis las de me voir tirailler,
Laissez-moi donc vous dis-je.
géronte
En le cachant.
Hé bien je vais sur l'heure
Vous faire préparer une bonne demeure.
le docteur
Il enrage.
arlequin
Cet homme a le cerveau gâté
Je veux aller chez vous j'y suis fort bien traité,
Préparez-moi, beau-père, une soupe au fromage,
Car selon mon avis, c'est le meilleur potage.
le docteur
On va vous en faire une et chez moi mes valets
Vous serviront toujours au gré de vos souhaits.
Géronte vient avec des Archets, leur montre Arlequin, les Archets veulent s’en saisir, Arlequin se défend contre eux avec son coutelas ; mais étant obligé à la fin de céder à la force, il se laisse conduire en prison, le Docteur se retire tout affligé.
Scène VI
Octave, Mezzetin, Colombine.
octave
Je te suis obligé, ma chère Colombine.
mezzetin
Je suis, je l'avouerai content de sa cuisine,
Messieurs les marmitons ont bien fait leur devoir.
Colombine, à Octave.
Je me flatte Monsieur, que vous viendrez nous voir,
Mon vin est assez bon j'en ai quelque barrique,
N'accordez qu'à moi seule au moins votre pratique.
mezzetin
En la caressant.
Je vous accorderai la mienne de bon cœur,
Pourvu que vous vouliez recevoir cet honneur
Ne me refusez point ma petite mignonne.
octave
J'ai vu dans ton logis une aimable personne,
Ne sais-tu point son nom ?
colombine
À vous parler sans fard,
On peut bien la nommer Madame du hasard,
Elle ne sent pas bon je le juge à la mine,
Je m'y connais un peu.
mezzetin
La peste qu'elle est fine
Bien fol ferait celui qui voudrait s'y fier
Elle a l'odorat bon pour flairer le gibier,
Que je lui donnerais volontiers son décompte.
Octave, à Colombine.
De grâce, enseignez-moi la maison de Géronte.
colombine
La lui montrant.
La voici.
octave
C'est assez j'y vais dans le moment.
colombine
Si je puis vous servir commandez librement.
mezzetin
Adieu belle traîteuse, hôtesse de mon âme.
colombine
Adieu le gros joufflu.
mezzetin
Votre valet Madame.
octave
Frappe à cette maison.
mezzetin
Vous êtes dans l'erreur,
Que n'allez-vous plutôt chez M. le Docteur ?
octave
Non je veux avant tout chez Géronte me rendre,
[Pour] le voir de la part du père de Léandre.
Mezzetin, va frapper.
J'obéis.
Scène VII
Géronte, Octave, Mezzetin.
Géronte, en sortant.
Que veut-on ?
mezzetin
Le patron du logis
Est-il ici, Monsieur ?
géronte
Oui sans doute j'y suis.
mezzetin
Excusez je n'ai pas l'honneur de vous connaître
Vous êtes en ce lieu demandé par mon maître.
octave
Saluant Géronte.
Avant que de partir pour me rendre à Lyon,
Un de vos bons amis que l'on nomme Damon,
Dont le fils, m'a-t-il dit, doit être votre gendre,
En arrivant ici m'a chargé de vous rendre
Cette lettre.
géronte
Parbleu vous me faites honneur,
Et je serais content si j'avais le bonheur
De vous faire plaisir, je parle avec franchise,
Mais Monsieur, s'il vous plaît, permettez que je lise.
Vous venez épouser la fille du Docteur,
Il m'a pour cet hymen témoigné tant d'ardeur,
Que vous avez grand tort de l'avoir fait attendre.
octave
Je dois aussi remettre une lettre à Léandre
Je ne le connais point.
géronte
Entrez dans ma maison.
octave
Je crains d'être incommode.
géronte
Ah Monsieur sans façon.
mezzetin
Ce vieillard est civil.
Géronte, à Octave.
Entrez donc, je vous prie,
Et vous aussi, mon cher.
mezzetin
Faisant des façons.
Ah !
géronte
Sans cérémonie.
Scène VIII
le docteur
Je ne puis revenir de mon étonnement :
Ciel ! Est-il pour un père un plus affreux tourment ?
Ma fille a déserté la maison paternelle
Tu formes le dessein, malheureuse Isabelle,
D'abandonner ainsi ton père, ton époux,
Sans craindre les effets de mon fuste courroux,
Ah ! Dans le désespoir qui pénètre mon âme,
Si le sort à mes yeux présentait cette infâme
Elle ressentirait ma fatale fureur,
Et je la livrerais à toute ma rigueur.
Scène IX
Géronte sortant de la maison, Le Docteur.
géronte
Parlant à la cantonade.
Je reviendrai bientôt vous n'avez qu'à m'attendre.
Docteur ai-je bien reçu le beau Léandre,
Ma foi s'il ne se met bientôt à la raison,
Il risque de rester quelque temps en prison.
Mais qu'avez-vous ?
le docteur
Hélas je suis inconsolable,
Ma fille m'a quitté.
géronte
Ce serait bien le diable.
le docteur
Je ne la trouve plus et sans doute elle est loin.
géronte
D'un pareil contretemps, vous n'aviez pas besoin,
Car Octave est chez moi.
le docteur
Que dites-vous Géronte,
Cessez de m'imposer...
géronte
Non ce n'est pas un conte.
Et mon ami Damon me l'a recommandé,
De ce que je vous dis soyez persuadé.
le docteur
Tâchez de découvrir où peut être Isabelle,
Et ne divulguez point cette triste nouvelle.
géronte
Croyez-moi, mon ami loin de vous alarmer,
En différents quartiers allez vous informer.
le docteur
Je ne veux épargner ni l'argent ni la peine,
Je vais tout de ce pas droit à la quarantaine,
Sous les Tillots, au Change, aux Cafés, aux Terreaux,
Dans la Traille, aux Faubourgs, à Saint Clair, aux Breteaux,
En un mot dans ces lieux si charmants à la vue,
Où l'on trouve toujours quelque fille perdue.
Géronte, seul.
Octave pourrait bien en écrire à Damon,
S'il savait que Léandre est dans une prison,
Pour éviter la chose il est de ma prudence,
De l'en faire sortir en toute diligence,
Je vais donner cet ordre à Monsieur le Geôlier...
Holà.
Le Geôlier paraît.
Je suis bien las d'avoir ce prisonnier,
Il veut toujours manger, le plaisant personnage
Il faut à tout moment lui donner du fromage,
Je vous rends son épée.
Géronte, la prenant.
Ah ! Je la reconnais,
C'est celle dont pour lui j'ai moi-même fait choix,
Et qu'ensuite j'eus soin d'envoyer à son père
Vous serez satisfait et j'en fais mon affaire,
Vous pouvez l'élargir et le conduire ici,
Je veux examiner...
Scène X
Le Geôlier conduisant Arlequin, Arlequin, Géronte.
Arlequin, au Geôlier.
Que veut dire ceci ?
Où voulez-vous que j'aille ?
géronte
Approchez-vous mon gendre,
Gardez par le Docteur de vous laisser surprendre,
Je vous rends votre épée et j'ose me flatter,
Que d'un esprit plus doux vous voudrez m'écouter,
Je vous ai destiné ma fille en mariage.
arlequin
Je suis trop jeune encore pour me mettre en ménage,
J'en mourrais.
géronte
Terminez de semblables discours,
Sans rimer et sans raison vous plaisantez toujours,
Je prétends dès ce soir terminer cette affaire.
arlequin
Puisque enfin vous croyez la chose nécessaire,
Je vous obligerai du meilleur de mon cœur,
J'épouserai d'abord la fille du Docteur,
La vôtre ensuite, vous, et toute la famille,
S'il le faut.
géronte
Il suffit seulement de ma fille,
Votre père Damon homme de probité,
A pour ce mariage avec moi contracté.
arlequin
Mon père dites-vous, hélas il s'est fait pendre,
Il fut, quoique honnête homme un peu sujet à prendre,
C'est-à-dire à voler, c'était son seul défaut,
La Justice en public lui fit faire le saut,
Qu'il mourut noblement.
géronte
Toujours l'humeur bouffonne,
Vous vous divertissez et je vous le pardonne.
arlequin
Votre fille, à propos, n'a-t-elle point servi ?
géronte
Non sans doute elle est sage.
arlequin
Hé bien, j'en suis ravi,
Je craignais de subir le destin de mon père
Il n'y prit pas trop garde en épousant ma mère
Puisque trois mois après elle accoucha de moi,
Gardez de me tromper je suis de bonne foi.
géronte
Que vous êtes badin, c'est votre caractère,
Et vous aimez à rire ainsi que votre père,
Mais n'aspirez point à vous entretenir
Avec ma fille.
arlequin
Oui da la belle peut venir.
Parbleu cette aventure est tout à fait comique,
Je suis un crocheteur de nouvelle fabrique,
Et jamais on n'en vit de si nobles que moi.
Scène XI
Léonore, Géronte, Arlequin.
géronte
Léonore venez.
léonore
Ciel qu'est-ce que je vois !
Ah le vilain magot !
Arlequin, en colère.
Savez-vous bien ma femme,
Que je vous frotterai sans craindre qu'on me blâme,
Cela vous convient-il, je ne suis point trompeur,
J'ai fait caca sous moi, pourquoi me faire peur
J'ai blêmi, j'en suis sûr
Léonore, à Géronte.
Quoi c'est là votre gendre ?
Mon mari prétendu.
géronte
C'est le Seigneur Léandre.
Léonore, bas.
Hélas ! Pourquoi faut-il qu'un destin rigoureux
Ait réservé ma main à cet époux hideux,
Octave mieux que lui serait sûr de me plaire.
arlequin
Venons au fait, ma fille et concluons l'affaire.
géronte
Honorez-la du moins de quelque compliment.
arlequin
Taupe, quand je m'y mets je parle élégamment,
Et dans ce que je dis je fus toujours sincère.
Madame, tout ainsi que le bourreau sévère
Attache un patient au funeste gibet,
Et pour le dépêcher lui sert le sifflet,
De même aussi la belle... au gibet de vos charmes,
Vous m'avez attaché... car enfin mes alarmes...
Le soleil... de vos yeux... votre nez... votre main...
Allons-nous-en souper, beau-père, car j'ai faim.
Léonore, bas.
Je souffre en le voyant on ne peut davantage,
Juste ciel qu'il est laid ! Le vilain personnage !
Géronte, à Arlequin.
Vous mangerez tantôt il n'est pas encore temps.
arlequin
Je suis content, joyeux quand j'exerce mes dents.
géronte
Vous allez recevoir une lettre bien chère
De la part de Damon.
arlequin
Qui Damon ?
géronte
Votre père.
léonore
Mon père, comment donc serait-il revenu ?
Après avoir été publiquement pendu.
géronte
Octave depuis peu rendu dans cette ville,
Doit vous en remettre une.
léonore
Ah ! Qu'il est imbécile,
Et moi j'épouserai cet objet odieux...
géronte
En voyant Octave sortir de la maison.
Le voici justement qui paraît à vos yeux.
Scène XII
Octave, Géronte, Isabelle, Arlequin.
Octave, à Géronte.
Est-ce là le Seigneur Léandre ?
géronte
C'est lui-même.
Octave, à Arlequin.
Enfin je vous rencontre et ma joie est extrême,
Permettez s'il vous plaît que cet embrassement
Vous témoigne mon zèle et mon empressement,
Votre père Damon m'a chargé de vous rendre
Cette lettre.
arlequin
En recevant cette lettre.
Monsieur je n'y puis rien comprendre,
Car je ne sais pas lire en tout cas je l'apprends,
Elle me servira dans mes besoins pressants.
Octave, à Géronte.
Votre gendre Monsieur, dit qu'il ne sait pas lire.
géronte
Ne voyez-vous pas bien qu'il ne se plaît qu'à rire.
Je vous laisse mon gendre et je rentre au logis.
arlequin
Si vous allez manger, beau-père, je vous suis.
géronte
Il n'est pas encore temps.
arlequin
Qu'est-ce à dire beau-père,
N'est-il pas toujours temps de faire bonne chère,
Pour moi j'aime à manger du matin jusqu'au soir,
À la table toujours je fis bien mon devoir.
géronte
En s’en allant.
Quand on aura servi on viendra vous le dire.
Léonore, à Arlequin.
Entrez aussi Monsieur.
arlequin
Je ne fais que vous nuire
Si je restais ici je pourrais vous troubler,
Peut-être tous les deux vous avez à parler,
Des époux de nos jours j'aime à suivre la mode
Et je me pique d'être un mari commode.
léonore
Vous me ferez plaisir si vous sortez d'ici,
Car ce certain secret il doit être éclairci,
Et je veux lui parler d'une affaire importante.
arlequin
S'il ne faut que cela pour vous rendre contente,
Pour ne point vous gêner je consens à partir.
Mais quand vous aurez fait songez à m'avertir,
Je vais en attendant visiter la cuisine.
Scène XIII
Octave, Léonore.
octave
Quoi, Madame, c'est là l'époux qu'on vous destine,
Il sera possesseur de vos divins appas.
Il va jouir d'un bien qu'il ne mérite pas,
Son extrême bonheur excite mon envie.
léonore
Il ne verrait jamais son attente remplie,
S'il consultait mon cœur pour s'unir à mon sort,
Plutôt qu'y consentir je choisirais la mort,
Mais du destin cruel telle est la violence,
Que je dois mes malheurs à mon obéissance.
octave
Ah ne permettez pas que cet indigne époux,
S'assure d'un bonheur si charmant et si doux,
À la plus vive ardeur donnez la préférence
Et bien loin d'approuver un choix qui vous offense,
Arrachez votre main à ce monstre odieux,
Sur un plus tendre amant daignez jeter les yeux
Me faisant occuper une si belle place
À ma flamme parfaite accordez cette grâce.
léonore
Quoi Monsieur, vous osez formez un tel espoir,
Croyez-vous que je puisse oublier mon devoir,
Je conçois les malheurs où cet hymen m'expose
Mais enfin de mon sort mon père seul dispose,
Vous avez autre part engagé votre cœur
Il ne doit pas brûler d'une nouvelle ardeur.
octave
Ah ! Mon âme pour lors n'était pas prévenue,
Vos appas n'avaient pas encore frappé ma vue,
Les crimes de l'amour s'excusent aisément,
Et je dois m'applaudir d'un si beau changement.
Scène XIV
Arlequin, Octave, Léonore.
arlequin
Vous n'avez pas fini, c'est trop me faire attendre.
octave
Vous venez à propos j'oubliais de vous rendre
Cinquante louis neufs que m'a donnés Damon,
Pour vous remettre en main.
arlequin
Prenant la bourse.
Il est bon sur ce ton,
Je reçois volontiers cette bourse garnie,
Autant qu'il vous plaira tenez-lui compagnie,
Et poussez votre pointe, adieu le beau garçon,
Je suis, vous le voyez, un mari sans façon.
Octave, vient.
Je ne vis de mes jours un époux plus affable.
léonore
Ah ! Ne m'en parlez point je le trouve effroyable.
octave
Hé bien d'aucun espoir ne flattez-vous mes feux
Et ne puis-je m'attendre à devenir heureux ?
léonore
D’un air tendre.
Je me plais à vous voir, en secret je soupire,
Que voulez-vous de plus c'est assez vous en dire.
octave
Ah ! Ce bonheur extrême égale mon amour.
léonore
Mon père dans ce lieu peut presser son retour,
Cher Octave avec vous je crains d'être surprise.
octave
Non ne redoutez rien l'amour nous favorise,
C'est lui qui dans mon cœur vient d'allumer ses feux.
léonore
Entrons.
octave
En lui donnant la main.
Vous obéir est tout ce que je veux.
Scène XV
le docteur
J'ai tant couru qu'enfin j'ai su quelque nouvelle,
On m'a nommé le lieu qui renferme Isabelle,
C'est dans ce cabaret qu'elle a porté ses pas,
À ce funeste coup je ne m'attendais pas,
Qui m'eût dit que ma fille à la fleur de son âge,
Aurait eu du penchant pour le libertinage ?
Mais j'aperçois Géronte, il vient fort à propos.
Scène XVI
Géronte, Le Docteur.
le docteur
Maintenant, cher ami, j'ai l'esprit en repos
Isabelle est cachée en cette hôtellerie,
Ne partez point d'ici Géronte, je vous prie,
Car je veux devant vous lui faire la leçon,
Et la traiter ici de la bonne façon.
Géronte, seul.
Hélas ! Pauvre Docteur, ton sort est déplorable,
Le ciel m'a regardé d'un œil plus favorable,
En donnant à ma fille un esprit mûr, rassis,
Elle n'écoute point les amoureux transis,
Qui bornent tous leurs vœux à tromper une belle,
Léonore n'est point de l'humeur d'Isabelle,
Elle sait s'écarter d'un chemin trop battu,
Et pratiquer les lois de l'austère vertu.
le docteur
Conduisant Isabelle.
Je vous retrouve enfin fille trop criminelle,
Qui désertez ainsi la maison paternelle
Vous avez par la suite animé mon courroux,
Et mon ressentiment doit éclater sur vous.
isabelle
Ah ! De grâce calmez cette affreuse colère,
Et ressouvenez-vous que vous êtes mon père.
le docteur
Contre ton procédé qui ne se récrierait,
Pendarde, quoi déjà tu cours le cabaret.
géronte
Docteur votre colère est juste et légitime,
Mais enfin croyez-moi pardonnez lui fort son crime
Que servent les éclats, il vaut mieux filer doux
Il faut la présenter vous-même à son époux,
Le plutôt est le mieux et dans cette journée
Effacez cet affront par un prompt hyménée,
On ne peut pas savoir tout ce qui s'est passé
Et vous ferez fort bien de paraître empressé.
le docteur
Mais Léandre...
géronte
Comment vous y pensez encore,
Il a donné déjà la main à Léonore,
Ainsi n'attendez pas qu'il change de dessein,
Si vous vous en flatter votre espoir sera vain,
Je vais si vous voulez, appeler votre gendre.
le docteur
Hé bien soit.
Isabelle, bas.
Juste ciel ! Qu'est devenu Léandre ?
Il a pour m'obtenir bien peu d'empressement,
Et je dois mon malheur à son retardement.
Scène XVII
Géronte, Octave, Isabelle, Le Docteur.
géronte
Voici votre beau-père avec la prétendue.
octave
En regardant Isabelle.
Quel objet en ce lieu se présente à ma vue ?
Le Docteur veut me faire un joli présent,
Il me prend pour un autre et le tour est plaisant,
Colombine tantôt m'a parlé de la belle,
Feignons... Quoi c'est donc là la charmante Isabelle ?
géronte
Oui, Monsieur, et voilà mon ami le Docteur.
le docteur
Ma fille avec raison peut vanter son bonheur,
Puisque je lui destine un homme de mérite.
Géronte, à Isabelle.
Madame permettez que je vous félicite.
Octave, à Isabelle.
Madame permettez, qu'en qualité d'amant,
Je vous témoigne ici mon tendre empressement,
Ce n'est point comme époux que je prétends paraître,
Mon ardeur sous ce nom le ferait mal connaître,
Et je dois autrement me présenter à vous.
le docteur
C'est-à-dire, qu'il veut être amant quoique époux.
isabelle
Imiter votre exemple est ce que je désire,
Et je ne craindrai point à mon tour de vous dire
Que le titre d'épouse a pour moi peu d'appas,
Qu'en cette occasion il ne me touche pas,
Que tout autre pour moi serait bien plus aimable.
géronte
C'est assez mes enfants allons-nous mettre à table,
Entrons dans le logis.
Isabelle, en entrant.
Ciel qui connaît mes feux,
Daigne, en parant ce coup, satisfaire à mes vœux.
Octave, en entrant.
Amour mon tendre cœur implore ta puissance,
Par un hymen plus doux couronne sa constance.
Scène XVIII
Léandre, Scaramouche.
léandre
Songeons à profiter d'un moment précieux,
Et sans plus différer abandonnons ces lieux,
Tout est prêt pour partir, fais venir Isabelle.
scaramouche
En vérité, Monsieur, l'action n'est pas belle,
Vous hasardez beaucoup en cette occasion,
Et l'on me pendre moi par conversation.
Léandre, en colère.
Finis donc si tu veux, frappe à l'hôtellerie.
scaramouche
Ne vous emportez pas, mon mignon, je vous prie.
Holà ?
Scène XIX
Pierrot, Léandre, Scaramouche.
pierrot
Que voulez-vous ?
scaramouche
Appelez promptement
La Dame en question.
pierrot
Vous vous moquez vraiment,
Elle n'est plus chez nous.
scaramouche
Comment que veux-tu dire ?
Pierrot, en chantant.
Elle est déjà bien loin.
léandre
Prends-tu plaisir à rire ?
pierrot
Non son père, vous dis-je, en propre original
Est venu la chercher, morgué qu'il est brutal.
Il l'a d'un bon soufflet d'abord apostrophée
Et peu s'en est fallu qu'il ne l'ait décoiffée.
Comment c'est donc ainsi, disait ce loup garou,
Sans ma permission que tu cours le guildou ?
Le docteur pour cacher son chagrin et sa honte
A fait entrer sa fille aussitôt chez Géronte,
Un étranger, dit-on, doit être son époux,
Je le connais fort bien il a logé chez nous.
La pauvre fille avait une grande tristesse,
Aussi l'on ne doit pas débaucher la jeunesse
Et cela n'est pas bien pour moi je sors d'ici,
Que sait-on, vous pourriez me débaucher aussi.
scaramouche
Hé bien, qu'en dites-vous ?
léandre
Ah ! Que viens-je d'entendre ?
À cet affreux malheur aurais-je dû m'attendre ?
Mais malgré les efforts et les soins du Docteur
D'Isabelle je veux être [le] possesseur.
Tu sais bien qu'Arlequin sous le nom de Léandre,
Chez Géronte introduit sera bientôt son gendre,
Il faut pour pallier un important secret,
Respecter arlequin te dire son valet,
Tu verras aisément la charmante Isabelle,
Et tu lui parleras de mon ardeur fidèle,
Une seconde fois tâche de l'enlever,
J'ai formé ce dessein et tu dois l'achever,
Entends-tu ?
scaramouche
Vous voulez que j'enlève Isabelle,
Mais si je suis pendu.
léandre
C'est une bagatelle.
scaramouche
Oui pour vous, mais pour moi cela change de ton,
J'aimerais mieux avoir trente coups de bâton.
léandre
Fais ce que je te dis et sans te mettre en peine...
scaramouche
Scaramouche ! Pour toi la potence est certaine.
Scène XX
Le Docteur, Géronte, Isabelle.
Le Docteur, à Isabelle.
De mon juste courroux tu dois craindre l'effet,
Si tu veux t'obstiner à garder le secret,
Ne me déguise rien, de toi je veux apprendre
Le nom du ravisseur, réponds-moi.
isabelle
C'est Léandre,
Qui cédant à l'ardeur dont il brûle pour moi,
Par ma fuite a voulu s'assurer de ma foi,
Lui-même m'a conduit dans cette hôtellerie.
géronte
C'est un peu trop avant pousser l'effronterie,
Le moyen de la croire il était en prison
Dans le temps qu'Isabelle a quitté la maison.
le docteur
Tu veux m'en imposer méchante créature,
Je suis persuadé...
isabelle
C'est la vérité pure
Oui mon père, c'est lui qui possède mon cœur,
Et je ne puis goûter un solide bonheur,
Si pour combler mes vœux le nœud de l'hyménée,
Au sort de cet amant n'unit ma destinée.
géronte
Je vous plains, mais pourquoi vous flatter de l'avoir,
N'y comptez plus la belle et perdez cet espoir,
Car Léandre sera l'époux de Léonore.
Isabelle, à Géronte.
Cruel vous m'arrachez à l'objet que j'adore,
Si rien ne peut changer les rigueurs de mon sort
Barbare je saurai recourir à la mort.
le docteur
Ma fille il n'est plus temps de songer à Léandre,
Puisque Octave est ici je ne puis me défendre
De te donner à lui.
isabelle
Quoi vous ne voulez pas
Autorisant mon choix détourner mon trépas.
Scène XXI
Scaramouche, Géronte, Le Docteur, Isabelle.
scaramouche
Messieurs vous n'avez pas l'honneur de me connaître,
Excusez, dans ce lieu je viens chercher mon maître.
Isabelle, bas.
C'est Scaramouche, hélas que vient-il faire ?
Scaramouche, à Isabelle.
Je vais feindre avec eux, dissimulez aussi.
On m'a dit qu'il était chez Monsieur son beau-père,
Je voudrais lui parler d'une petite affaire,
Est-il dans le logis.
géronte
Comment le nomme-t-on ?
Je ne le connais pas.
scaramouche
C'est le fils de Damon,
Léandre.
le docteur
Tirant Scaramouche à quartier.
Parlez-moi sans fard, je vous en prie,
A-t-il conduit ma fille en une hôtellerie ?
scaramouche
En montrant Isabelle
Oui sans doute et voilà la Dame en question,
Mais il n'a jamais eu mauvaise intention
Et c'était seulement pour lui payer feuillette.
géronte
Cette civilité me paraît indiscrète
Il était en prison vous l'accuser en vain
scaramouche
Je vous jure Monsieur que rien n'est plus certain,
Il m'en a donné l'ordre et pour le satisfaire,
J'ai moi-même prêté la main, à cette affaire.
géronte
Le voici justement qui vient de ce côté.
Scène XXII
Arlequin, Scaramouche, Isabelle, Géronte.
scaramouche
Allant au-devant d’Arlequin.
De vos commissions je me suis acquitté,
J'ai porté votre lettre à Monsieur le Vicomte,
Et venais vous chercher cher le Seigneur Géronte,
Je vous ai bien servi.
Arlequin, à Géronte.
Que dit donc ce benêt ?
géronte
Quoi vous méconnaissez jusqu'à votre valet ?
arlequin
Mon valet dites-vous ? Je n'en eus de ma vie.
Scaramouche, à Arlequin.
Vous pouvez m'employer au gré de votre envie
Je vous obéirai, je sais trop mon devoir,
Pour manquer au respect qu'un valet doit avoir.
arlequin
Je ne sais ce que c'est, et c'est me faire outrage
Que vouloir d'un valet grossir mon équipage,
Cet affront est trop grand, et comment le souffrir ?
Quoi donc lorsque je puis à peine me nourrir,
Il faut que j'entretienne encore un domestique ?
scaramouche
Que dites-vous, Monsieur, quelle mouche vous pique ?
Vous me désavouez, et ne connaissez pas...
arlequin
Encore un coup, mon cher, ta tête n'est pas saine
Et c'est mal à propos me causer de la peine.
Géronte, à Arlequin.
Mon gendre j'ai bien lieu de me plaindre de vous,
Vous manquez un peu trop au devoir d'un époux.
arlequin
Croyez-vous que toujours on y puisse suffire,
Vous parlez à votre aise et je vous laisse dire.
géronte
Vous avez enlevé la fille du Docteur.
le docteur
C'est trop sensiblement offenser mon honneur,
Quel dessein aviez-vous, dites-moi, je vous prie ?
Pourquoi mener ma fille en une hôtellerie ?
Arlequin, en riant.
Nouvelle vision, vous êtes fols tous deux,
Vous me feriez rougir si j'étais plus honteux,
Il n'en est rien.
le docteur
En vain vous voulez vous défendre,
Qui fut ton ravisseur Isabelle ?
isabelle
Léandre.
Arlequin, à Isabelle.
Je vous ai, dites-vous, conduite au cabaret ?
scaramouche
Oui vous-même, Monsieur, et j'étais du secret
Comme un valet zélé.
arlequin
En prenant un bâton.
Puisque je suis son maître,
Il faut de mille coups que je charge ce traître.
Scaramouche, en criant.
Hélas ! Je n'en puis plus je suis tout fracassé,
Et j'ai, je le sens bien, le croupion cassé.
géronte
Monsieur qu'avez-vous fait ?
arlequin
En se promenant.
Quand un valet m'obstine,
Je ne puis m'empêcher de frotter son échine.
géronte
Allons retirons-nous, et rentons au logis,
Je vous laisse mon gendre.
arlequin
Attendez je vous suis.
scaramouche
Mon maître demeurez j'ai deux mots à vous dire
Vous m'avez donc battu ?
arlequin
Bon ce n'est que pour rire,
scaramouche
Sais-tu, magot fieffé, vilain singe habillé,
Que je ne fus jamais de la sorte étrillé,
Ton bras audacieux m'a rossé d'importance,
Et je veux sur ton dos réparer cette offense.
ACTE III
Scène I
Scaramouche, Isabelle.
Le théâtre représente l’appartement de Géronte.
scaramouche
Oui, mon maître, Madame, épris de vos appas,
Sera dans ses amours constant jusqu'au trépas,
Sa lettre en dit assez vous n'avez qu'à la lire
Vous enlever encore est tout ce qu'il désire,
À votre destinée il veut unir son sort,
Enfin il est si tendre et vous aime si fort
Qu'il ne fait tout le jour que soupirer et braire.
isabelle
Après avoir lu.
Je n'ai d'autre dessein que celui de lui plaire,
Tu peux de ma tendresse assurer mon amant,
Dis-lui que je l'attends avec empressement,
Que pour me garantir du coup qui me menace,
Il n'est rien aujourd'hui que je ne fasse.
scaramouche
Je vais lui faire part de ce bon sentiment
Et nous allons songer ç votre enlèvement,
J'en viendrai bien à bout, ne soyez point en peine.
isabelle
J'attends tout de tes soins.
Scaramouche, s’en allant.
Adieu la belle Hélène,
isabelle
Seule tenant la lettre de Léandre.
Quand pourrai-je vous voir cher objet de mes feux,
Sans vous les plus beaux jours me paraissent affreux,
Léandre répondez à mon impatience,
Je ne puis plus longtemps supporter votre absence,
Ne différez donc plus offrez-vous à mes yeux,
Et venez m'affranchir d'un pouvoir odieux.
Scène II
Le Docteur vient tout doucement, et arrache la lettre qu’Isabelle tient entre ses mains, Isabelle voyant son père, s’enfuit toute épouvantée.
le docteur
Que veut dire ceci ? Ma fille prend la fuite,
J'ai lieu de soupçonner sa mauvaise conduite,
Mais lisons promptement, je veux être éclairci
Du sujet qui l'oblige à m'éviter ainsi.
L'amour qui ne trouve rien d'impossible, m'offrira
un nouveau moyen pour m'assurer de vous, malgré
tous les obstacles que l'on oppose à ma tendresse.
Si vous êtes dans la résolution de me suivre, ne manquez
pas de me faire savoir vos sentiments, et je prendrai
de justes mesures pour vous enlever, et vous dérober
au pouvoir tyrannique d'un père qui veut contraindre
votre inclination. Adieu ma charmante, j'attends votre
réponse, et suis votre fidèle amant,
léandre
Quoi le sort à mes vœux sera toujours contraire,
Isabelle m'outrage et cherche à me déplaire,
Léandre de nouveau veut me déshonorer,
À de cuisants chagrins le dois me préparer.
Scène III
Géronte, Le Docteur.
le docteur
Malgré tous vos efforts, je vois bien que Léandre,
Ne peut, mon cher ami, devenir votre gendre,
Il aime trop ma fille et je le connais bien
Puisque de l'enlever il cherche le moyen,
Cette lettre m'en donne une preuve évidente.
géronte
Contre ce scélérat ma colère s'augmente,
Voyons un peu la lettre.
le docteur
Hé bien qu'en dites-vous.
géronte
Je dis que de ma fille il doit être l'époux,
Et que je veux avant la fin de la journée,
Conclure quoiqu'il fasse un si juste hyménée.
Mais le voici qui vient.
le docteur
Ne le ménagez pas,
Parlez-lui comme il faut.
Scène IV
Arlequin, Géronte, Le Docteur.
géronte
D’un air fier.
À la fin je suis las
De me voit méprisé par vous de cette sorte,
Corbleu si contre vous la fureur me transporte,
Vous vous repentirez de m'avoir insulté,
Est-ce ainsi qu'on soutient son rang, sa qualité ?
arlequin
Le rang de crocheteur est glorieux, sublime.
géronte
Comment prétendez-vous mériter mon estime ?
Vous ne rougissez point du nom de suborneur,
Et voulez enlever la fille du Docteur.
Ne vous défendez point, cette chose est trop sûre,
Et d'ailleurs je connais votre écriture,
La crédule Isabelle approuve vos desseins,
Et son père a surpris la lettre entre ses mains.
arlequin
Je ne sais mon ami ce que vous voulez dire,
Vous m'accusez à tort je ne sais pas écrire,
Que faut-il que j'épouse ?
géronte
En pouvez-vous douter ?
Ma fille.
arlequin
Et pourquoi donc tant vous inquiéter ?
Je l'épouserai moi s'il le faut...
géronte
Mais vous avez écrit.
arlequin
Non vous dis-je, ou je meurs,
Je ne sais ce que c'est.
le docteur
À quoi bon le nier,
Votre nom est pourtant signé sur du papier
Et si vous en doutez, lisez.
arlequin
Autre délire,
Ne vous ai-je pas dit que je ne savais lire,
Sans cela, par ma foi, j'eusse été Bachelier.
le docteur
Vous raillez et cela commence à m'ennuyer.
arlequin
Ma noblesse m'ennuie encore davantage.
géronte
Qu'est-ce que vous mangez ?
arlequin
Un morceau de fromage
Que j'ai trouvé là-bas, mais il est trop petit,
Pour assouvir l'excès de mon grand appétit,
Il est temps de souper, allons nous mettre à table
Beau-père.
le docteur
Vous avez un estomac de diable.
arlequin
Je n'ai fait aujourd'hui que quatorze repas
Avant qu'entrer chez vous je n'étais pas si gras.
le docteur
Promettez-moi, Monsieur, de ne rien entreprendre.
arlequin
Moi si je n'entreprends rien puissiez-vous me voir pendre,
Voilà ce qui s'appelle un terrible serment.
le docteur
C'est assez.
arlequin
Vous voyez je jure noblement.
Scène V
Léandre, Scaramouche.
Le théâtre représente la rue.
scaramouche
Vous pouvez enlever votre belle Sabine,
J'ai fait, pour s'y résoudre, essai de ma doctrine,
Je n'ai point vainement employé mon savoir,
Et je me suis senti tout à coup émouvoir,
Lorsqu'elle m'a parlé de sa vive tendresse,
À ce que je puis voir elle n'est pas tigresse.
léandre
Les chevaux sont tous prêts, entrons il en est temps,
Puisse le tendre amour rendre mes vœux contents.
Suis-moi.
scaramouche
Déjà la nuit étend ses sombres voiles,
Et bientôt dans le ciel va clouer des étoiles.
Scène VI
Colombine, Pierrot.
colombine
Tu dis que chez Géronte arlequin est logé.
pierrot
Oui vraiment je l'ai vu mais il est bien changé
Il fait présentement l'homme de conséquence,
Et doit être en état de payer sa dépense.
Le drôle qui tantôt avait l'air d'un faquin,
A contre un bel habit changé son casaquin,
Mais la métamorphose est-elle surprenante ?
Dans ce siècle inconstant la fortune est changeante,
Tel portait des sabots qui devient Financier,
Je pourrais bien troquer d'habit et de métier,
Je sais signer mon nom, ce n'est pas peu de chose,
Je connais un Monsieur qu'on appelait la Rose,
Qui se donne des airs et passe pour Marquis,
Si tu savais combien de Jasmin dans Paris,
Occupent des Hôtels et font belle figure.
colombine
Je sais bien que plusieurs sont chargés de dorure,
Qui d'un gros habit brun, revêtus simplement,
Prenaient à la gargote un modique aliment,
Ce n'est pas aujourd'hui le mérite qui brille,
La volage fortune enrichit la mandille,
Souvent les plus abjects sont comblés de ses dons.
Et la triste vertu languit sous les haillons.
À votre débiteur allons rendre visite,
Surtout ne manquons point de vanter son mérite
Puisqu'il a du bonheur et n'est plus indigent,
Il faut que nous portions respect à son argent,
C'est la règle un faquin mérite qu'on le fronde
Mais un riche est toujours estimé dans le monde.
Scène VII
Nuit.
Arlequin, seul.
Je viens de voir là-bas ce Monsieur si plaisant,
Qui m'a de son habit fait tantôt un présent.
Il n'en faut point douter il vient pour le reprendre,
S'il me dépouille hélas ! Je ne suis plus Léandre
Quelques coups de bâtons ne me manqueront pas,
Et je ne ferai plus de si friands repas.
Il me faudra quitter cette aimable cuisine,
Cette réflexion m'agite et me chagrine,
Je ne mangerai plus ces ragoûts excellents,
Surtout ces macarons exquis et succulents.
Je reprendrai pour lors mon état misérable...
Pour éviter ce coup cachons-nous sous la table.
Scène VIII
Octave, Léonore, Mezzetin.
octave
Ne répondrez-vous point à mon empressement,
Craignez-vous de me faire un aveu trop charmant,
Tout se dispose ici pour votre mariage,
Pour vous faire expliquer, que faut-il davantage ?
Ah ne permettez pas qu'un trop indigne époux
Jouisse d'un bonheur si parfait et si doux.
léonore
Octave je ne puis plus longtemps me contraindre,
Et je vous aime trop pour avoir rien à craindre
Plutôt que d’obéir à cet ordre inhumain,
Un poignard de la mort m'ouvrira le chemin,
Dans mes yeux languissants vous avez dû connaître,
Les feux que dans mon cœur vous-même avez fait naître,
Ils vous ont dit assez mes peines, mes tourments
Et rien n'exprime mieux de tendres sentiments,
mezzetin
Elle a raison les yeux parlent mieux que Voiture,
C'est un style coulant, une éloquence pure.
octave
Puisque vous m'assurez de l'excès de vos feux
Je n'ai rien à prétendre et je suis trop heureux
Évitez le malheur qu'un père vous prépare
Et que de ce séjour la fuite vous sépare
La nuit secondera notre juste projet.
mezzetin
Madame nous ferons un fort petit trajet
Nous n'irons seulement que jusqu'à l'Amérique
Et là nous peuplerons d'un esprit pacifique.
léonore
Je ne puis résister à mon charmant vainqueur,
Octave vous avez tout pouvoir sur mon cœur,
Je vous suivrai partout.
mezzetin
Quel heureux caractère !
Les filles de Lyon ont l'humeur débonnaire,
Dans ce qu'on leur propose elles sont sans façon
Et chantent quelquefois sur le ton de flon-flon.
Partons, mon cher Léandre,
Et quittons pour jamais cet odieux séjour.
léandre
Profitons d'un moment accordé par l'amour
Et ne redoutez rien, adorable Isabelle.
Suivez-moi...
Mais quelqu'un fait ici sentinelle.
octave
Léandre est en ces lieux, le traître assurément,
Vient ici s'opposer à cet enlèvement,
Mais je saurai punir un rival téméraire.
léandre
Mettant l’épée à la main.
Qui va là ?
octave
Mettant l’épée à la main.
Maintenant songe à me satisfaire,
Je suis Octave ?
Léonore, à Octave.
Hélas arrêtez cher amant...
léandre
Je suis prêt à répondre à ton empressement.
Isabelle, à Léandre.
Ah ! Vous n'y pensez pas qu'allez-vous entreprendre.
léandre
Octave de ce fer prends soin de te défendre.
Isabelle, en fuyant.
Juste ciel !
scaramouche
Patatrouf, tirez un peu plus bas,
Messieurs je vous conjure, et ne me blessez pas.
Scène X
Le Docteur, Géronte.
Tenant des chandeliers d’argent qu’ils posent sur la table.
mezzetin
Faisant le brave à contretemps.
Le coquin a bien fait de décamper sur l'heure
Car j'allais le percer au gésier ou je meurs.
géronte
Qu'est-il donc arrivé ? Tirez-moi d'embarras.
mezzetin
Voyant Octave blessé.
Ciel ! Mon maître est blessé, qu'il n'y revienne pas,
Car il verra beau jeu.
le docteur
Quel est donc ce mystère ?
Mais j'aperçois du sang.
octave
La blessure est légère.
Scaramouche, à Octave.
Si je n'avais pas paré le coup s'en était fait,
Vous seriez à présent trépassé tout à fait.
octave
Léandre m'a blessé, sa valeur est extrême,
Et je ne craindrai point de l'avouer moi-même
Mais il ne devait point après ce qu'il a fait,
S'éloigner et laisser le combat imparfait.
Scène XI
Léonore, d’un côté, Isabelle de l’autre, Octave, Le Docteur, Géronte, Mezzetin, Scaramouche.
isabelle
Se mettant à genoux devant le Docteur.
Mon père devant vous vous voyez Isabelle
D'un amour violent victime trop fidèle,
En vain vous prétendez gêner ma rendre ardeur
Je ne puis obéir ni contraindre mon cœur,
J'avouerai que Léandre est l'objet de ma flamme
Que cet amant a su triompher de mon âme,
Et que malgré les lois d'un austère devoir,
Je ne reconnais plus votre absolu pouvoir.
Ne me refusez point la grâce que j'implore,
Je ne veux que Léandre, oui c'est lui que j'adore,
Et si vous refuser d'unir mon sort au sien
Je regarde la mort comme un souverain bien.
léonore
À genoux devant Géronte.
Mon père puisqu'il faut qu'à mon tour je m'explique,
Je ne subirai point une loi tyrannique,
Souffrez que résistant à cet ordre inhumain
Je refuse à Léandre et mon cœur et ma main.
Octave a seul trouvé le secret de me plaire,
Et mes yeux parleraient quand je voudrais me taire,
Ne vous opposez point à mes vœux les plus doux
Et ne me forcez pas à prendre un autre époux.
géronte
Comment c'est donc ainsi que tu trompes ton père ?
Coquine, peut s'en faut que ma juste colère...
Octave, l’arrêtant.
Ah : De grâce, arrêtez, modérez ce transport
Vous n'êtes plus, Monsieur, le maître de son sort,
Et quand vous offensez la beauté qui m'engage,
C'est sur moi qu'à présent retombe tout l'outrage.
le docteur
Nous ne sommes donc plus maîtres de nos enfants ?
géronte
Sur ma fille mes droits seront toujours puissants
Je veux qu'elle obéisse...
mezzetin
Attendez-la sous l'orme
Vous n'êtes tous deux pères que pour la forme.
le docteur
Mais où donc est Léandre ?
arlequin
Se faisant voir sous la table.
Hélas je suis ici.
géronte
Pourquoi vous cachez-vous, que veut dire ceci ?
Hé bien que faites-vous ?
arlequin
Qui moi, je me promène.
le docteur
Venez approchez-vous pour nous tirer de peine.
octave
Mettant l’épée à la main.
Allons il faut combattre une seconde fois.
Arlequin, tremblant.
Oh je ne me bats pas si souvent que je bois
Je suis trop fatigué, dispensez-moi de grâce,
Vous vous repentiriez, mon cher, de votre audace.
le docteur
Après avoir donné des marques de valeur
Osez-vous résister.
arlequin
Ma foi c'est que j'ai peur.
le docteur
Mais vous l'avez blessé, le devoir vous engage
À faire de nouveau briller votre courage,
Ne le refusez pas.
arlequin
Cet homme est trop pressé,
Je pourrais le tuer, mais où l'ai-je blessé.
géronte
Au bras.
arlequin
C'est justement ma botte favorite.
octave
Je me défendrai bien la blessure est petite.
arlequin
J'ai la main dangereuse et je ne voudrais pas
Par un funeste coup causer votre trépas,
Au prochain cabaret allons boire chopine.
Oh ciel je suis perdu, j'aperçois Colombine !
Vous plairait-il, Monsieur, payer mes dix écus,
Le temps est expiré.
arlequin
Faisant semblant de ne pas voir, Colombine s’adresse à Octave.
Mon cher n'en parlons plus.
Pierrot, à Arlequin.
Ma femme parle à vous, Monsieur le Gentilhomme,
Il est temps ou jamais d'acquitter cette somme,
Lorsque vous aviez l'air d'un pauvre marmiton
pierrot vous tutoyait et jouait du bâton,
Mais puisque depuis peu vous avez fait fortune.
arlequin
D’un air fier.
Mon cher, votre présence en ces lieux m'importune,
Allez retirez-vous.
colombine
Le tour est fort pasquin,
Avez-vous oublié qu'on vous nomme arlequin
Que je vous ai nourri dans mon hôtellerie,
Et que vous me devez...
géronte
Vous vous trompez ma mie.
colombine
Je ne me trompe pas et je veux de l'argent.
Ou sur l'heure je vais appeler un Sergent.
scaramouche
La mèche se découvre.
mezzetin
Allons Monsieur Léandre,
Parbleu quand on emprunte il est juste de rendre.
pierrot
Monsieur Léandre et fi, vous vous gausser de nous,
Et c'est trop honorer le Syndic des Filous,
C'est Arlequin, vous dis-je.
arlequin
Ôhimé, je frissonne.
Géronte, à Arlequin.
Vous ne répondez rien ce silence m'étonne.
Arlequin, à Scaramouche.
Mon valet donnez-lui quelques coups de bâton.
scaramouche
En se moquant de lui.
Oh ! Ce n'est plus le temps Monsieur le marmiton.
Pierrot, à Arlequin.
Vous vous donnez des airs, çà, ma femme, au pillage,
Déshabillons ce Monsieur.
mezzetin
Tu n'oserais, je gage.
pierrot
Je n'oserais, morgué je suis entreprenant.
Il a justement l'air d'un carême-prenant.
géronte
Je suis tout hors de moi.
pierrot
Le joli personnage
C'est Monsieur Arlequin Gentilhomme sauvage.
Vous avez trop longtemps été par moi trompé,
Je prétends qu'à vos yeux tout soit développé,
L'erreur était trop grande, il ne faut plus rien taire,
Je vais en peu de mots éclaircir ce mystère.
C'est moi qui suis Léandre, épris de cet objet,
Mon coeur depuis dix jours, brûle d'un feu secret ;
Cet autre est Arlequin un pauvre misérable,
Qui l'avait attiré chez Monsieur le Docteur.
arlequin
Je vous l'avais bien dit que j'étais crocheteur,
Est-ce ma faute à moi vous n'en vouliez rien croire,
Mais, Monsieur s'il vous plaît, achevez votre histoire.
léandre
Près de cette beauté l'amour m'avait conduit,
arlequin quelque temps fut caché sous un lit,
Dans cet appartement le Docteur vint se rendre,
Et comme il aurait pu près d'elle me surprendre
Je voulus me cacher.
arlequin
Pour moi j'étais dessous
Lui derrière, d'abord le Docteur vient à nous
Il me voit, ma figure l'épouvante,
Léandre en est surpris, à lui je me présente,
Je fais de mes malheurs un fidèle récit,
Ensuite il me contraint de prendre son habit
J'ai beau lui résister et faire la grimace,
Je ne puis réussir, il jure, me menace,
Il faut lui obéir pour éviter les coups.
Vous le faites sortir moi je reste chez vous
Caché derrière un lit par malheur j'éternue,
Sous cet habit doré je m'offre à votre vue,
Vous me faites fouiller par Messieurs vos valets
Que pour bien m'étriller faisaient de grands apprêts.
Vous trouvez une lettre et me nommez Léandre,
Vous voulez malgré moi me faire votre gendre
Moi je consens à tout pour n'être point battu,
Car je m'en souciais autant que d'un fétu,
Géronte ne veut pas que j'épouse Isabelle,
Et pour femme prétends me donner cette belle.
On me met en prison, et l'on m'en fait sortir,
Au désir du vieillard je feins de consentir,
Bref jusqu'à présent j'ai passé pour Léandre,
Mais je suis arlequin ne me faites pas pendre,
Messieurs, car après tout en serez-vous plus gras.
géronte
Il le faut avouer, je ne le croyais pas,
Mais Léandre à la fin me tiendrez-vous parole ?
léandre
Si vous vous en flattez votre espoir est frivole.
le docteur
Octave répondez, quel est votre dessein ?
À ma fille aujourd'hui donnerez-vous la main ?
octave
Un plus aimable nœud m'attache à Léonore.
Et vous n'ignorez pas Monsieur, que je l'adore
Ainsi n'en parlons plus mon feu vous est connu,
Je ne veux point d'un cœur par un autre obtenu.
Isabelle, au Docteur.
Pourquoi vouloir contraindre une flamme si belle
Déclarez-vous mon père en faveur d'Isabelle,
Je vous ai découvert mes tendres sentiments,
Hâtez-vous de répondre à mes empressements.
Léonore, à Géronte.
À mes justes désirs serez-vous inflexible,
Ne gênez point mes feux et montrez-vous sensible,
Mon père de vous seul dépend tout mon bonheur
Ne tyrannisez point une fidèle ardeur.
pierrot
Cela me fait pitié, car j'ai le cœur fort tendre.
Bonhomme mollissez il est temps de se rendre.
le docteur
Ne nous obstinons point à troubler leurs plaisirs.
Géronte unissons-les au gré de leurs désirs,
Un cœur que l'on contraint souffre de rudes peines,
L'hymen ne doit avoir que d'agréables chaînes
Imitez mon exemple et daignez en ce jour
Par un heureux lien satisfaire l'amour.
géronte
Octave s'en est fait je vous reçois pour gendre,
Mais je veux qu'à l'instant, vous embrassiez Léandre.
octave
À votre volonté je m'accorde aisément,
Et je veux lui jurer par cet embrassement...
arlequin
Se présentant à Octave.
Je vous suis redevable autant qu'on le peut être.
scaramouche
On parle de Léandre il croit être mon maître,
Hors de là marmiton.
léandre
Embrassant Octave.
Je ne puis qu'admirer
Les bontés dont ici vous voulez m'honorer.
colombine
Le crocheteur me doit j'ai son habit en gage,
Il vaut bien dix écus.
arlequin
Quoi Madame Tapage
Vous voulez le garder ?
Léandre, à Colombine.
Rendez-lui cet habit,
J'aurai soin de payer.
arlequin
Morbleu qu'il a d'esprit.
Pierrot, à Léandre.
Cela suffit, Monsieur, la caution est bonne.
Arlequin, à Léandre.
Les cinquante louis, Monsieur.
léandre
Je te les donne,
Et te prends avec moi.
arlequin
Par ma foi tout va bien
L'emploi de crocheteur m'a procuré du bien.
mezzetin
Ce diable d'Arlequin est plus heureux que sage.
Le Docteur, à Géronte.
Célébrons, cher ami, ce double mariage,
Que les jeux, les plaisirs ici s'assemblent tous,
Rions, chantons, dansons et réjouissons-nous.
pierrot
Morgué vive la joie, allons faisons la noce,
Et qu'Isabeau bientôt soit relevée en bosse.
géronte
Du divertissement que je vais apprêter,
Attendant le souper nous pouvons profiter.
Qu'on fasse entrer ici les Bergers et les Bergères
arlequin
Puissent de leurs enfants ces Messieurs être pères.
Scène XIV
Le théâtre change, et représente un jardin délicieux, ornée de Berceaux, les violons jouent une marche, des Bergers et des Bergères entrent avec la Chanteuse.
la chanteuse
Tous les Bergers de nos hameaux
Sont tendres et fidèles,
Aux Bergères sous les ormeaux,
Ils jurent chaque jour des ardeurs éternelles,
Ils n'ont jamais de maîtresses nouvelles,
Et leurs feux sont toujours nouveaux.
Un jeune Berger l'autre jour,
Avec la voix accordait sa musette,
Il me vit et je sus l'enflammer à son tour,
Il ne chantait que l'amourette,
Et je lui fis chanter l'amour.
Qu'une femme soit nouvelle,
Et s'attache à plaire sans fard,
Qu'une maîtresse soit fidèle,
Cela peut-être par hasard.
octave
Qu'un petit maître qui soupire,
Et tient une belle à l'écart,
Obtienne tout ce qu'il désire,
Cela peut-être par hasard.
pierrot
Qu'une femme dans son ménage
Fasse quelque petit bâtard,
Après deux ans de mariage,
Cela peut-être par hasard.
mezzetin
Qu'un homme qui sait bien écrire
Devienne opulent tôt ou tard,
Et que de la crasse il se tire,
Cela peut être par hasard.
scaramouche
Qu'une fille de bonne mise
Que pourchasse un jeune égrillard,
Fasse avec lui quelque sottise
Cela peut-être par hasard
arlequin
Qu'une nouvelle Comédie
Faite suivant les règles de l'art,
De tous ne soit pas applaudie,
Cela peut-être par hasard.