Asie Française : Le Budget de l’Indo-Chine pour 1901. — Le sanatorium du Lang-bian. — Le caoutchouc. — Grandes manœuvres au Tonkin

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ASIE FRANÇAISE

Le Budget de l’Indo-Chine pour 1901.

Quand ces lignes paraitront, le budget général de l’Indo-Chine pour 1901 sera exécuté pour un quart environ. Dans ces conditions, il est peut-être un peu tard, pourrait-on penser, pour s’en occuper. Et cependant, quel document pourrait mieux que celui-là nous faire connaître, au début de ces études, les ressources de l’Indo-Chine et sa situation financière ? En France, il est assez rare que l’étude d’un projet de budget, du moins dans ses grandes lignes, apporte de bien grandes clartés sur la politique générale du gouvernement et sur la prospérité du pays. Il n’en est pas de même aux colonies, et quand il s’agit surtout de colonies en période de croissance, de pays dont la situation économique se modifie d’année en année, les variations du budget sont parfois telles que l’œil le moins exercé ne peut manquer d’y reconnaître l’effet de telle ou telle mesure administrative et comme la marque personnelle de l’homme qui les a conçus.

En ce qui concerne plus spécialement l’Indo-Chine, l’étude du budget offre, avons-nous dit, un intérêt particulier. Elle permet en effet de se rendre compte des résultats obtenus par l’œuvre fiscale de ces dernières années. Que produisent donc ces taxes de consommation, ces régies, dont l’établissement a soulevé les critiques que l’on sait ? comment ces revenus sont-ils dépensés ? quels services improductifs ou utiles assurent-ils ? à quelle politique l’administration actuelle entend-elle les employer ?

Pour être absolument complète, une étude du budget de l’Indo-Chine en 1901 devrait embrasser les budgets locaux de la Cochinchine, de l’Annam, du Cambodge, du Laos et du Tonkin. Mais cette étude comparative nous entraînerait trop loin et nous nous bornerons à passer rapidement en revue les chapitres principaux du budget général de la colonie.

Le budget général de l’Indo-Chine — dans lequel les prévisions de dépenses s’élevaient en 1899 à 17.617.500 piastres 42.282.000 francs)[1] et en 1900 à 20.796.000 piastres 49.910.400 francs) — a été équilibré pour 1901 de la manière suivante :

Recettes 22.998.000 p. (65.195.200 fr.)
Dépenses. 22.982.000 p. (55.156.800 fr.)

Le budget général de l’Indo-Chine est alimenté presque exclusivement par les revenus indirects perçus dans l’ensemble de la colonie. Sur 22.998.000 p. de recettes en 1901, on suppose que l’enregistrement, les domaines et le timbre fourniront 807.000 piastres, les douanes 5.910.000 p. ; les contributions indirectes proprement dites et les régies, qui constituent la principale source de richesse du Trésor, figurent aux recettes prévues pour 1901 pour 15.060.000 piastres. Si nous décomposons ce dernier chiffre, nous trouvons que c’est la régie de l’opium qui fournit les plus gros revenus 6.400.000 piastres. La régie des sels, dont il a été si souvent question depuis sa création, figure pour 2.100.000 piastres ; quant aux droits de consommation sur les alcools européens (100.000 piastres), les alcools indigènes (3.300.000 piastres, les tabacs, les huiles minérales, les allumettes, les noix d’arec, ils forment ensemble un bloc de 4.450.000 piastres.

Quand on passe à l’examen de la section des dépenses, on aperçoit à première vue quelques chapitres très importants : services militaires, douanes, travaux publics, dettes remboursables par annuités, qui absorbent la majeure partie des ressources de la colonie. L’Indo-Chine est la seule de nos colonies qui paye une partie de ses dépenses militaires. Le budget général pourvoit à l’entretien des troupes indigènes (tirailleurs annamites, tonkinois, cambodgiens, chinois, escadron de chasseurs annamites, peloton de cavaliers de remonte), de certains services maritimes, du service de santé et de la gendarmerie. Il en résulte, pour les finances indo-chinoises, une charge de 1.677.000 p., soit 11.224.000 francs. Viennent ensuite suivant l’ordre d’importance des dépenses : l’administration des douanes et régies (4.572.000 p.) que l’on pourrait grouper avec le service de l’enregistrement, du timbre, sous la rubrique : services chargés du recouvrement des impôts. On ne peut pas apprécier la dépense qu’ils occasionnent suivant son chiffre absolu, mais bien suivant la proportion qui existe entre cette dépense et le revenu des impôts que ces services administrent.

Cette dépense d’administration s’élève, en ce qui concerne les douanes, à 21, 67 % du revenu total, et pour l’enregistrement à 16 % environ : ce sont des proportions assez faibles. Les postes et télégraphes coûteront à la colonie 1.478.000 piastres, et ici le rapport que nous indiquions pour le service des douanes, entre le coût du service et les revenus qu’il procure à l’Indo-Chine, se trouve renversé. À ces 1.478.000 piastres de dépenses correspondent seulement 382.000 piastres de recettes. Ce résultat n’a rien qui doive surprendre, étant donné les conditions dans lesquelles le service doit être assuré et le développement relativement restreint des relations postales et télégraphiques dans un pays où les Européens sont peu nombreux.

Au chapitre XV, intitulé Travaux publics, est inscrit pour 1901 un crédit de 3.866.000 piastres. Dans ce chiffre, ne sont pas comprises, bien entendu, les dépenses de construction des chemins de fer, dépenses auxquelles il est pourvu au moyen de l’emprunt de 100 millions que la colonie a été, par une loi du 25 décembre 1898, autorisée à contracter.

Nous passons rapidement sur les chapitres du budget des dépenses qui ont un caractère purement administratif, service judiciaire, service forestier, etc., pour nous arrêter un peu plus longuement sur l’un des chapitres assurément les plus intéressants du budget général de l’Indo-Chine Il s’agit du chapitre XVIII, intitulé Résidences et établissements français en Extrême-Orient. Les 301.000 piastres qui y sont inscrites représentent la contribution de la colonie au développement de l’action française dans l’Asie extrême-orientale, et notamment au Siam et en Chine. Dans le premier de ces deux pays, le gouverneur général compte fonder, au cours de cette année, des postes médicaux analogues à ceux qui existent déjà en Chine, et pour l’entretien desquels il est prévu au budget de 1901 25.000 piastres contre 15.500 en 1900. Ce chapitre contribue encore à l’entretien d’écoles françaises dans les pays limitrophes de la colonie et assure la participation de l’Indo-Chine aux dépenses des consulats français d’Extrême-Orient. C'est comme le budget des affaires étrangères de la colonie ; ce sont les dépenses qui pourvoient à sa vie de relation, en tant que puissance d’Extrême-Orient.

Il nous reste, pour terminer l’examen des principales charges du budget de l’Indo-Chine en 1901, à dire quelques mots du chapitre intitulé Dettes remboursables par annuités ; chapitre auquel sont inscrits des crédits dont l’ensemble s’élève à 3.182.823 piastres. Sur ce chiffre, la part de l’Indo-Chine dans l’annuité de l’emprunt de 80 millions de francs contracté en 1896 par le protectorat de l’Annam et du Tonkin s’élève à 750.000 piastres et l’annuité de remboursement du capital de construction du chemin de fer de Saïgon à Mytho, à 131.573 piastres. La différence, soit 2.601.250 p. (6.243.000 francs), représente l’annuité de remboursement de l’emprunt de 200 millions de francs. Il n’a été jusqu’à présent réalisé, sur ces 200 millions, qu’une somme de 50 millions ; mais il faut prévoir des réalisations nouvelles à bref délai et la somme inscrite au budget de 1901 représente, pour éviter toute surprise, l’annuité normale d’un emprunt de 150 millions. Il convient à ce propos de faire observer que ce chiffre de 6.213.000 francs se rapproche sensiblement de celui qui représente l’annuité d’un emprunt de 200 millions, soit 8.324.000 francs. L’écart entre les deux est d’environ 2 millions de francs, et il est à supposer, si le budget de 1900 et les suivants s’exécutent dans des conditions aussi favorables que les précédents, que l’inscription au budget de l’Indo-Chine d’un crédit égal à cette somme pourra être effectuée sans compromettre l’équilibre des finances de la colonie.

Nous avons rappelé, au début de ces notes, les chiffres globaux des budgets antérieurs et l’on n’aura pas manqué de remarquer la progression rapide du budget général qui, en deux ans, est passé de 17 à près de 23 millions de piastres. C’est un accroissement de 3 millions de piastres par année en moyenne. Il peut être intéressant de comparer rapidement le budget de 1901 à celui qui l’a précédé et d’indiquer en passant sur quels chapitres portent les principales augmentations.

C’est aux budgets des services militaires et des travaux publics que nous trouvons les majorations les plus importantes, soit 627.000 piastres pour le premier et f.347.000 piastres pour le second. À ces 1.974.000 p. il convient d’ajouter pour parfaire la somme de 2.186.000 piastres, montant exact de la différence entre le budget de 1901 et celui de 1900, des accroissements de crédits prévus pour la plupart des grands services de la colonie qui, créés depuis peu, ne sont pas encore dotés de toutes les ressources nécessaires à leur bon fonctionnement, et pour l’organisation administrative de Konang-tchéou-ouan.

Pour faire face à ces augmentations de dépenses, l’administration compte principalement sur les plus-values résultant du fonctionnement du régime fiscal actuel, sur les progrès du mouvement commercial et de la consommation locale. À ces causes normales, pourrait-on dire, d’accroissement de recettes, viendront s’en ajouter quelques-unes ayant un caractère un peu plus exceptionnel. C’est ainsi que l’expiration du contrat de M. de Saint-Mathurin avec le protectorat de l’Annam va permettre d’étendre à ce dernier pays ce système de la vente de l’opium en régie directe qui donne de si beaux bénéfices dans le reste de l’Indo-Chine ; l’on compte de ce chef sur une notable plus-value. Ajoutons que l’unification du régime fiscal de l’enregistrement et du timbre, unification effectuée en novembre dernier, produira probablement une plus-value de 200.000 piastres.

Il est une question qu’il convient de se poser en terminant cet aperçu des ressources et des charges du budget de 1901. Ce budget, tel qu’il nous est présenté, est-il équilibré autrement que par un de ces jeux d’écriture au moyen desquels tous les budgets du monde offrent toujours une apparence parfaite d’ordre et de symétrie ? N’y a-t-il pas à redouter, au cours de son exécution, de ces surprises, de ces accroissements de dépenses qui bouleversent si souvent les budgets les mieux balancés ? C’est seulement en examinant les conditions dans lesquelles se sont réglés les exercices précédents qu’il est possible de réunir les éléments d’une réponse à ces questions. Nous ne citerons que quelques chiffres.

Le budget général de 1899 avait, nous l’avons vu, été arrêté en dépenses à la somme de 17.617.500 p. ; or, les dépenses réellement effectuées n’ont pas dépassé cette année-là 16.397.193 piastres. Le même budget prévoyait, pour les recettes, 17.620.000 piastres ; les recettes réalisées se sont élevées à 19.687.701, laissant ainsi un excédent des recettes sur les dépenses de 3.290.500 piastres.

Les comptes de l’exercice 1900 n’ont pas encore été arrêtés, mais l’exposé de la situation de cet exercice fait au Conseil supérieur au cours de sa dernière session[2] laissait espérer qu’il se solderait par des plus-values de 3.000.000 de piastres environ.

Il semble donc que l’on puisse être pleinement rassuré sur l’élasticité du budget de 1901, car en admettant que les plus-values de recettes prévues fassent toutes défaut, ce qui parait difficile, il suffirait les recettes demeurassent égales à ce qu’elles étaient en 1900 pour assurer l’équilibre du budget général.

La colonie est donc dans une situation financière très satisfaisante. Ce n’est pas là une nouveauté assurément, et en constatant ce fait nous n’avons pas la prétention de faire une découverte. Nous avons cru néanmoins qu’il était bon de le rappeler au début de ces études.

Ne s’est-on pas trouvé dans la nécessité, pour en arriver à ces plus-values remarquables, d’accroire dans de sensibles proportions les charges imposées aux indigènes, et ces accroissements de recettes ne sont-ils pas la conséquence d’un système de fiscalité un peu trop lourd ? C’est là une autre question, mais quelle que soit la réponse que l’on soit disposé à y faire, on ne peut nier l’efficacité même des mesures que l’on critique ni s’empêcher de reconnaître l’importance des résultats acquis.

Le sanatorium du Lang-bian.

On sait que le gouverneur général actuel a décidé d’installer un sanatorium sur le plateau du Lang-bian, à 1.500 mètres d’altitude environ. En attendant que la station soit créée, M. Doumer fait procéder à divers essais d’agriculture et d’élevage afin de se rendre compte des ressources qu’il sera possible de trouver sur place pour alimentation du personnel résidant au sanatorium. C’est ainsi qu’à Dang-hia, situé au pied du mont Lang-bian dont les trois pitons dominent de plusieurs centaines de mètres le plateau, mais un peu plus bas que celui-ci, a étẻ organisée récemment une station agricole par les soins de M. S. André. Au jardin potager de 55 ares qu’avait créé en 1898, durant un séjour au Lang-bian, M. Jacquet, directeur de l’agriculture de l’Annam, M. S. André a ajouté, l’année dernière, un jardin potager, une plantation d’arbres fruitiers et de pieds de vigne, et une pépinière d’arbres d’ornement et de parc ; enfin il a installé une ferme et ses annexes. Les essais de culture potagère auxquels s’est livré M. S. André, d’avril à novembre, paraissent avoir donné des résultats satisfaisants, mais toutefois ces essais sont trop récents, ainsi que le fait justement remarquer le Bulletin économique[3], pour que leur réussite puisse servir de base à des appréciations définitives. Ajoutons que l’on entretient au Lang-bian un troupeau de 100 bêtes à cornes qui semblent s’acclimater parfaitement. La station possède encore un petit troupeau de 10 bêtes à laine que M. Outrey, administrateur de la province du Haut-Donnai, a acheté aux missionnaires de Phan-rang et qui sera complété bientôt par quelques moutons du Yunnan.

Ce n’est cependant pas à Dang-hia que s’élèvera le sanatorium. Le point choisi pour la construction des premiers bâtiments et l’installation du camp pour les troupes est Dalat, à 13 kilomètres au sud-est de Dang-hia. Dalat, à 106 kilomètres environ du petit port de Phan-rang, est situé sur les pentes nord-ouest du versant de la chaine annamitique que l’on traverse, quand on vient du littoral de la mer de Chine, avant de redescendre sur le plateau du Lang-bian proprement dit. L’altitude de Dalat est de 1.195 mètres. L’endroit a été choisi à cause de la proximité des forêts de pins étendues.

Le caoutchouc.

Parmi les produits naturels dont l’exploitation parait appelée à contribuer dans une large mesure à la prospérité de l’Indo-Chine, le caoutchouc mérite une mention spéciale. Il ne se passe guère de mois sans que le Bulletin économique, que publie la direction de l’agriculture et du commerce de l’Indo-Chine, ne signale la découverte de nouveaux centres de production.

Ainsi se complète peu à peu l’inventaire des ressources en caoutchoutc de la colonie, inventaire commencé il y a quelques années seulement. Au commencement de l’année dernière, le colonel Tournier, résident supérieur au Laos, signalait que, au cours d’une longue tournée effectuée entre le Nam-hou et le Mékong, il avait constaté partout la présence de nombreuses lianes à caoutchouc. Plus récemment, l’existence de la liane a été reconnue dans la province de Quangbinh (Annam), au phu de Quang-binh, par un colon français, M. Delabaume, qui s’est installé à Dong-hoï pour se livrer au commerce du caoutchouc et encourager par sa présence les indigènes à l’extraction du latex… Dans la province de Binh-dinh Annam, près du poste d’Aï-lao et dans le phu de Binh-khé, le garde principal Trinquet, MIM. Rideau et Ferré, ont trouvé des lianes en grande abondance[4]. La mise en valeur des régions caoutchouquifères, au fur et à mesure qu’elles sont reconnues, exerce sur l’exportation des caoutchoucs une action dont les statistiques du commerce de la colonie permettent de mesurer l’importance et les progrès. C’est dans les tableaux statistiques relatifs à 1898 que le caoutchouc figure pour la première fois parmi les produits du cru de la colonie exportés : cette année-là, il en sortit de l’Indo-Chine 9.000 kilog. environ ; en 1899, l’exportation est passée à 52.813 kilog. et, pour 1900, elle s’est élevée, dit une note du Bulletin économique (n° de février 1901), à 339.100 kilog. Ce caoutchouc provient, en majeure partie, pour 1900, du Laos et de l’arrière-pays des provinces de Thanh-hoa, de Nghé-an et de lafinh, avec Vinh, devenu le principal marché de caoutchouc des provinces septentrionales de l’Annam, comme port d’exportation[5].

Grandes manœuvres au Tonkin

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Les journaux de l’Indo-Chine arrivés par le dernier courrier ont donné le programme des grandes manœuvres qui devaient avoir lieu dans les premiers jours de mars au Tonkin. C’est dans la région des provinces de Bac-ninh et de Bacgiang, proche la gare de Seno, que l’on projetait de faire ces exercices, les premiers de ce genre qui soient exécutés au Tonkin. Le général Dodds, commandant en chef des troupes de l’Indo-Chine, devait diriger en personne les manœuvre, et les troupes devaient être groupées en deux brigades.

  1. Dans le projet de budget de 1901, la piastre a été comptée à 2 fr. 40.
  2. Novembre 1900.
  3. Voir le Bull. écon. de janvier 1901.
  4. Bull, écon., janvier 1901.
  5. On trouvera un très intéressant rapport de M. Capus, directeur de l’agriculture et du commerce de l’Indo-Chine, sur les ressources de la colonie en caoutchouc dans la Revue coloniale (n° de mars 1900).