Association de Demi-Vierges Vol.I/I

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I


Un fiacre s’arrêta au haut du Luxembourg, près de l’avenue de l’Observatoire, et deux femmes en descendirent, l’une assez grande et sèche, d’une quarantaine d’années, révélant dans toute sa personne le type de ces gouvernantes anglaises, que beaucoup de familles françaises croient de bon genre de donner à leurs jeunes filles, sous le prétexte de les perfectionner dans la langue anglaise et de leur inspirer l’art du décorum individuel que la pudique Grande-Bretagne à la prétention de monopoliser ; l’autre, une jeune fille de beauté remarquable, d’allures distinguées, une blonde aux yeux bleus, aux traits délicats, digne de provoquer les aventures à chacun de ses pas, si l’amour n’était point réputé chose déshonnête et malpropre, que l’on doit enterrer le plus promptement possible dans la sacro-sainte institution, qualifiée du titre de mariage.

Le cocher payé, miss Blettown, dont les yeux brillaient d’une malice inhabituelle chez ses respectables compatriotes, dit avec un sourire assez gracieux à sa jeune pupille, mademoiselle Balbyne de Primetard :

— Yes, nous sommes dans le bon chemin.

Elle souligna l’exclamation d’un petit rire sec qui amena un peu de trouble sur le visage de sa compagne, et elles se dirigèrent vers la rue Notre-Dame-des-Champs.

— Ah, ma petite chérie, reprit l’anglaise, vous vous souviendrez toujours du bonheur dont vous serez redevable à votre bonne amie miss Blettown.

— Oui, une bonne amie, ma miss Blettown, et elle ne se plaindra jamais des sentiments d’affection que lui a voué sa petite Balbyne. Parlez-moi de l’affaire ; vous savez, on a beau être bachelière en amour… parmi ses amies, on se brulicotte l’imagination à chercher le procédé… masculin.

— Aoh yes, le procédé masculin, le procédé mâle, un excellent petit procédé, qui est, ma chérie, la ponctuation de l’histoire amour.

— Parfait, la ponctuation ! Alors, sans le procédé mâle nous autres, simplettes, nous énoncerions des phrases sans aucun sens, sans aucune portée.

— Sans aucun sens, sans portée, vous le dites.

— Cependant…

— Yes, les jambes des Miss et des Milady, sont certes de belles choses à contempler et à caresser, mais les jambes des Messieurs, elles ne sont pas du tout non plus désagréables… à approcher. Ah, ma Balbyne, quand les boutons de la culotte s’ouvrent.

— Oh schoking !

— Aoh yes, dans le monde, pas entre nous.

— Il passe des gens.

— Dans la rue Notre-Dame-des-Champs ! No, il n’y a que nous. Vous ne voulez pas que je continue ?

— Si, si, au contraire, ça m’accoutumera. Sommes-nous encore loin ?

— Non, pas beaucoup. Donc, les jambes des Messieurs, elles ont au Nord un bâton de mesure, qui bouge tout le temps quand le Monsieur vous regarde et quand vous le regardez et, rien que de le voir, cela déjà secoue le dos de mille fourmillements qu’on dirait le sang prêt à s’échapper. Ah, Balbyne, Balbyne !

— Je crois ce que vous me contez, ma bonne Blettown, parce que, rien que d’y penser, cela chatouille doucement la nuque sous les cheveux. D’ailleurs, moi, j’ai toujours aimé à voir sous les jupes de mes amies et, par conséquent, j’aimerai certainement à voir dans la culotte des Messieurs.

— Yes, yes, vous l’aimerez ! Ça ne vous empêchera d’aimer le plaisir avec vos amies et avec votre bonne Blettown quand elle grattouille votre si joli cul.

— Oh, oh, Miss, dans la rue !

— Il n’y a que deux chats et, en comptant les nôtres, Balbyne, ça fait quatre.

— Fi de la vilaine Miss, qui ne scrute plus ses mots.

— À quoi bon ici ! Nous sommes deux petites cochonnes qui allons rendre visite à M. l’aumônier du Couvent des Bleuets, M. l’abbé Tisse, au grand maître, au grand chef, qui accorde le plaisir à toutes les gentilles demoiselles et à leurs gouvernantes, et qui le leur fait donner par ses amis.

— Quel homme est-ce, cet aumônier ?

— Eh je vous l’ai dit, petite friponne, qui, sans cesse, me poussez à répéter les mêmes choses ; l’abbé Tisse est un homme très bien, très puissant, qui, après avoir été curé dans les provinces françaises, est venu habiter à London, où il a appris toutes sortes de merveilleux secrets pour contenter les pauvres femmes de ce monde, si malheureuses, avec ou sans mari. Il a maintenant de quarante-deux à quarante-trois ans, mais on ne lui en donnerait pas plus de trente-cinq. Il est bel homme, avec des manières distinguées, ne s’embarrasse pas dans les questions et, avec quelques signes, apprend à tout comprendre. Pas de peur à avoir, ma mignonne, on est vite à l’aise et, quand nous partirons, vous serez étonnée que ce moment si agréable ait si tôt passé. Mais, ma chère enfant, tout ce que je vous en narrerais à cette heure ne vaudrait pas la réalité, et la réalité est là, dans cette maison.

— Ah, nous arrivons !