Association du capital et du travail/Section IX

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IX.

Réfutation des Objections


J’admets volontiers que l’application de ce principe présente des difficultés, et qu’on pourra lui susciter des objections : mais ces difficultés naissent toutes de l’égoïsme humain. C’est l’intérêt mal entendu — mal entendu, remarquez-le bien — du capitaliste, qui est la plus grande difficulté. C’est cet intérêt qui soulève toutes les objections. La seule difficulté réelle, c’est d’établir la valeur du travail relativement au capital. Mais de même qu’il faut tant de piastres par jour pour défrayer les dépenses de la machine, de même il faut telle somme de travail pour faire l’opération manufacturière. Quoi de plus facile, pour le capitaliste comme pour l’ouvrier, que d’estimer la valeur du travail. Cette estimation faite, c’est de la considérer comme capital et d’établir la proportion des bénéfices relativement à la somme totale du capital-travail et du capital-argent, respectivement.

Déblayons la voie de cette grande réforme des objections dont elle sera sans doute assaillie.

Justinien dit que la loi doit-être établie sur ces principes : qu’il faut vivre honnêtement, ne faire tort à personne, et rendre à chacun ce qui lui est dû. (Inst., I. l. 3.) Le mot loi, dit Blacksbone, dans son sens le plus général et le plus étendu, signifie règle d’action, et s’applique indifféremment à toute espèce d’actions, animées ou inanimées, supposant ou non de l’intelligence.

Cicéron a peut-être mieux défini la loi lorsqu’il a dit : Lex est summa ratio insita à naturâ, quæ jubet ea, quæ facienda sunt, prohibetque contraria. Cic. de leg. bb. i c. 6. C’est-à-dire : La loi est la raison suprême, fondée sur la nature, qui ordonne ce qui doit être fait et prohibe le contraire.

« Le motif et l’objet des lois est d’établir ce qui est juste, honorable et convenable », dit Démosthène.

Me dira-t-on que la loi outre-passera sa limite en réglementant les relations du capital et du travail. Qu’est-ce donc que la loi ? N’est-ce pas l’expression de la volonté sociale ? Or, la volonté sociale n’a-t-elle pas le droit de prédominer par une loi chaque fois que l’intérêt social et l’ordre public sont en jeu ? Qui peut le nier ? Par conséquent, qui aurait le droit de repousser le projet d’une loi en ce cas-ci, lorsqu’il est si bien prouvé que l’intérêt social comme l’ordre public requièrent impérieusement cette loi ? Le monopole du capital a donné lieu, parce qu’il est dans l’essence de tout monopole de produire ces résultats — à tous les abus, jusqu’à concurrence de tous les vices, de toutes les misères, de toutes les souffrances, de toutes les pestes, de tous les genres de martyrs domestiques, de toutes les dégradations morales et intellectuelles, et c’est après une expérience aussi positive qu’elle était inévitable comme conséquence de la cause d’où elle procède, qu’on objecterait à la réforme proposée la limite naturelle de la loi ? La loi est le contre-poids de l’abus et de la tyrannie. Là où la loi ne règle pas les rapports des hommes, c’est la volonté du plus fort qui domine, sans frein, sans vergogne, sans limites. La loi doit donc statuer tout ce qui est juste. Les inconvénients sont impossibles, les avantages sont évidents. Comme le disait l’hon. M. Sumner, dans son discours pour soutenir le projet de loi restreignant à un seul terme la présidence des États-Unis : C’est un axiôme de la vraie science sociale : « La loi, comme moyen de gouvernement, est incomparablement supérieure à la volonté arbitraire des hommes. » Bref, une loi qui supprimerait l’inégalité des conditions sociales, la misère, le paupérisme, l’ignorance le mécontentement et la révolution, et substituerait à ces maux affreux et déshonorants pour notre époque et pour les classes qui les entretiennent, l’égalité fraternelle, l’aisance, le contentement, l’éducation, l’élégance des mœurs, une telle loi est-elle utile ? N’est-elle pas même indispensable ? N’est-elle pas souverainement juste et chrétienne ? Vous, messieurs les capitalistes, qui vous targuez avec raison de ne pas être des révolutionnaires, sans doute parce que vous avez raison d’être satisfaits de votre sort, comment pourriez-vous vous objecter à une loi qui préviendrait les révolutions sociales, les plus terribles et celles qui vous concernent de plus près ?

Me dira-t-on que cette loi sent le communisme ? Alors tout industriel qui s’associe à celui qui consent à opérer avec lui, est donc entaché de communisme ? Le communisme mal entendu consiste du reste dans le partage aveugle des richesses. Le communisme bien entendu, consiste à faire partager à ceux qui produisent un article quelconque, le bénéfice réel de leur travail. Il est un troisième communisme, le communisme chrétien, qui consistait, dans les premiers temps de l’Église, à mettre son bien en commun et à vivre à même la masse du bien ou des fruits qu’il rapportait. Pour que ce communisme fût praticable universellement dans une société, il faudrait que le christianisme, c’est-à-dire la perfection même, au moins en autant que l’humanité puisse y atteindre, eut pénétré la presque totalité des hommes. Ce communisme existe dans les communautés religieuses : les Dominicains comme les Shakers le pratiquent. Ce n’est pas tout-à-fait le communisme absolument chrétien que je propose à mon pays, c’est le communisme ou le partage le plus chrétien ou le plus juste qu’il soit possible d’établir dans les circonstances actuelles. Avec le perfectionnement des hommes viendra le perfectionnement des lois, et le moyen d’arriver à la perfection à laquelle Dieu pousse sa grande préférée, c’est de réaliser par la loi et la pratique les progrès accomplis par l’esprit humain.

Voici du reste, sur ce point, l’autorité du correspondant de Londres, déjà cité. Après avoir tracé le tableau des contrastes sociaux de Londres, qui réflète l’état social fait par le capital-monopole, sous ses diverses formes, à toute l’Angleterre, l’auteur conclut en ces termes :

« Est-ce là un état naturel de société où il y a de si étonnants contrastes ? Jugeant à la lumière de la Parole Divine, on est contraint de dire que non. Toute la tendance du système de Moïse est d’empêcher l’accumulation des grandes propriétés et la formation de ce gouffre même entre les riches et les pauvres ; et le Nouveau-Testament fait ressortir d’une manière encore plus frappante l’idée de la fraternité de l’homme et du devoir des riches de distribuer une partie de leur abondance à ceux qui sont dans le besoin. L’un des premiers fruits de la prédication de l’Évangile fut de briser, dans un cercle étroit, il est vrai, mais non moins efficacement, la barrière entre le riche et le pauvre, et tout difficile qu’il puisse paraître d’appliquer ces principes à des sociétés qui ont grandi sur le système de l’Angleterre, il ne peut y avoir de doute que toute intervention législative, tout remède moral, toutes tentatives religieuses, tout projet d’amélioration des logements, toutes mesures sanitaires ayant pour objet l’élévation et l’amélioration du sort du pauvre ouvrier, sont en accord avec l’esprit du Nouveau comme de l’Ancien Testaments. »

Plus loin, l’auteur ajoute avec non moins d’amertume que de vérité :

« Si les hommes s’étaient donné autant de trouble pour assujettir la terre à leur bien-être qu’ils s’en sont donné pour s’assujettir les uns les autres, toutes les parties du monde seraient remplies et soumises aujourd’hui à l’influence de la civilisation et de la vertu, et les maux effroyables que nous voyons développés dans ces centres encombrés auraient été évités. En même temps, on doit faire tous les efforts possibles pour amener une distribution plus équitable, » etc.

Entends-je les précieux et les précieuses faire la moue à l’idée de se trouver sur un pied d’égalité avec l’ouvrier ? Je serais plus sensible à leur objection, si elle avait une raison d’être. Je suis pour l’égalité de droit et non pas pour l’égalité de fait, ou, pour mieux dire, non pour l’uniformité de sentiments. Une bonne éducation, l’instruction, l’élégance et la délicatesse des mœurs des riches n’ont rien que je n’approuve parfaitement, et je ne prétends pas ouvrir tous les salons somptueux de l’aristocratie aux ouvriers dont les mœurs primordiales et l’éducation négligée l’y mettraient considérablement à la gêne, à ce point qu’il n’aimerait guère à se prévaloir d’une telle disposition réglementaire. Non, mais remarquez bien ceci : ce que vous exigez de ceux qui ont la prétention de fréquenter votre société, messieurs les riches, c’est une bonne éducation et des mœurs douces et délicates : eh bien, la distribution de la richesse permettra aux classes ouvrières de s’intruire et de se vêtir élégamment, et l’égalité inaugurée légalement dans l’atelier s’étendra naturellement aux relations sociales. Quoi de plus beau que les rares exemples d’ouvriers s’élevant aux hautes positions industrielles, sociales, politiques et même littéraires ! N’a-t-on pas vu plusieurs présidents de la République Américaine sortir de la position infime qu’ils occupaient pour s’élever jusqu’à la suprême magistrature de leur pays ? Pourquoi cela s’est il vu plutôt chez nos voisins que dans les pays trans-océaniques ? Par ce que leur travail mieux rétribué leur permettait de se consacrer à l’étude et même de faire un cours collégial. Tels de nos compatriotes aux États-Unis sont devenus avocats, notaires ou médecins, grâce à ce que leur travail manuel bien rétribué, leur a permis de faire des épargnes qu’ils ont consacrées à leur instruction. Après une génération ou deux, les exceptions seront devenues la règle générale. Alors on ne se plaindra pas comme aujourd’hui que « la bonne société » est rare. Ne vous imaginez pas que l’opération soit lente. La soudaineté des transformations sociales individuelles donne une juste idée de la spontanéité d’une transformation générale. Ceux-là mêmes qui aideront la transformation auront l’occasion de jouir de la haute situation sociale et intellectuelle qu’elle devra produire.

Me fera-t-on observer que l’exemple des États-Unis, s’il prouve ce que la prospérité des classes ouvrières peut produire de bons résultats, démontre aussi l’inutilité de mon système, puisque cette prospérité y existe sans lui. Au contraire, ce qui prouve bien la grande supériorité de ma proposition sur le système du salaire, c’est que, aux États-Unis où ce système a été le mieux appliqué, le système de l’association du capital et du travail y est jugé si supérieur, qu’on veut à tout prix renoncer au système du salaire pour adopter le système de l’association. Or, aux États-Unis on ne rétrograde pas. Chaque démarche industrielle et sociale y est un pas ferme et positif vers la fraternité pratique et le bien-être général.

Par manière d’objection, me donnera-t-on le mérite exclusif d’avoir inventé ce système. Je veux bien qu’on m’accorde de l’avoir appris de mon cœur plutôt que dans les livres et les journaux ; mais cette intuition ne m’a pas été donnée à moi seul, et je pourrais citer à l’appui de la cause que je défends, les plus grands noms de la pensée littéraire, ou de l’industrie ou de la politique, en France, en Angleterre, en Allemagne, et surtout aux États Unis, où Wendell Phillips est le phare brilliant sur lequel se guide le grand mouvement social de l’association du capital et du travail.

Au reste, tous ne proposent pas le même moyen.

Un « Comité de Travailleurs » en Angleterre a proposé, par l’entremise de M. J. Scott Russell, et de M. Ruskin, deux des maîtresses influences de l’Angleterre, au dire même de la Gazette de Montréal, un programme de la législation que le comité réclame sur les bases suivantes, reproduites dans la Tribune de New York du 22 Janvier dernier :

1. La délivrance des familles ouvrières des ruelles lugubres, des allées encombrées et des taudis malsains de nos villes, et leur transplantation dans l’espace ouvert, où, au milieu d’un jardin, dans une maison détachée, dans un air sain et aux rayons du soleil, elles puissent subsister et croître dans la force, la santé et la pureté, sous l’influence d’une demeure bien ordonnée.

2. Pour l’exécution de ce projet, il faut la création d’une organisation parfaite du gouvernement responsable des comtés, des villes et des villages, avec les pouvoirs nécessaires pour l’acquisition et la cession du sol pour le bien commun.

3. Une autre condition du bien-être de l’ouvrier habile, c’est que la journée de travail soit de huit heures de travail honnête.

4. En outre des écoles élémentaires, nous demandons des écoles de connaissances pratiques et d’apprentisage technique au centre de l’endroit de nos demeures.

5. Pour le bien-être moral et physique du peuple, il faut des institutions de récréation publique, de science et de civilisation, au moyen d’une organisation qui dépende du service public.

6. Les articles de première nécessité devront être fournis au prix du gros.

7. Il devrait y avoir une grande extension de l’organisation du service public (sur le modèle des bureaux de poste) pour le bien commun.

Je trouve dans la Gazette de Montréal, du 24 janvier dernier, quelques développements, précédés de lignes où l’écrivain constate que ce mouvement que l’on croyait destiné à périr, reparait, après avoir été revisé et étendu. Le projet tel que revisé est comme suit :

« Le Parlement accordera aux villes et villages des pouvoirs compulsoires pour l’achat des terres inoccupées, dans la proportion d’un âcre par dix habitants dans les villes de vingt mille âmes et plus, et par vingt habitants dans les villes de plus de cent milles âmes ; moitié du terrain devant être consacrée aux cottages détachés et aux jardins, moitié devant être un terrain commun et pour les édifices publics de la communauté. L’occupant ne paiera le terrain qu’au taux de cinquante chelins l’âcre, et l’État votera 150 millions pour payer la différence. L’intérêt de ce montant de 150 millions en consolidés sera payé à même une taxe sur l’extrême richesse. La journée de travail ne sera que de huit heures, afin de laisser au travailleur le loisir de s’instruire et de se récréer.

« M. Scott Russell a calculé que la production augmenterait en conséquence de 150 millions par année. »

Je n’hésite pas à dire qu’une somme considérable pourrait être employée avec non moins d’avantage au Canada. Cependant qu’on accorde à nos ouvriers le partage équitable des bénéfices de l’industrie, et ils sauront bien acheter des emplacements, y construire des maisons convenables et encourager les institutions scolaires pratiques et les écoles technologiques que des particuliers établiront pour leur compte et pour l’avancement intellectuel de nos populations ouvrières.

Enfin, si l’on me dit qu’il sera temps d’appliquer ici ce système lorsqu’il aura fait ses preuves à l’étranger, je répondrai, que l’épreuve en a été faite souvent, partout et ici-même, sur une petite échelle, chaque fois qu’un patron capitaliste s’est associé avec un ou plusieurs de ses ouvriers, à la grande satisfaction des uns et des autres. En second lieu, le Canada ne peut et ne doit attendre, parce qu’il a besoin d’industrie, et qu’il lui vaudrait mieux, cependant, ne pas avoir d’industrie que de l’avoir au sacrifice de l’humanité, de la morale, du bien-être du peuple, ou au prix de la famine et de la démoralisation sociales comme en Europe. Si l’expérience du nouveau système n’a pas été faite sur une grande échelle, l’expérience du capital-monopole a certes démontré que c’était la malédiction des peuples, l’enfer moderne. Il n’y a pas de pis-aller possible : tout changement sera une amélioration, un progrès. Au reste, il y a telle chose que la raison et le bon sens, qui permettent de juger par la synthèse et le raisonnement, du mérite d’un principe et de ses conséquences naturelles. Or, le monopole-capital est par le fait même qu’il est un monopole, une monstruosité mensongère en économie politique, une hydre dévorante dans le sens physique et moral. Tandis que le système de l’association du capital avec le travail, est basé sur l’union de deux forces naturellement unies, ce qui est l’essence du succès économique, et, sur l’égalité chrétienne, qui est l’idéal vers lequel l’humanité est appelée providentiellement, par l’infaillible volonté du Créateur tout-puissant.

Au reste, les exemples des résultats de cette association pour ne pas être nombreux, n’en sont pas moins la preuve concluante, dans l’ordre des faits, que le système proposé est en même temps tout ce qu’il a de plus pratique, de plus sensé, de plus noble et de plus encourageant. Voici des faits que je trouve reproduits dans le Messager Franco-Américain, publié à New-York :

Les ouvriers plombiers et appareilleurs de l’établissement de M. A. Bourieff, rue Oberampf, No. 5, à Paris, ont adressé à M. Alexandre Dumas, fils, la lettre suivante :

Monsieur Alexandre Dumas, Fils,

« Votre sympathie bien connue pour les travailleurs, qui ne veulent devoir leur émancipation qu’à leur travail, nous engage à venir vous exposer l’organisation de l’atelier dans lequel nous travaillons, persuadés que nous sommes que ce serait mettre fin aux grèves et établir l’harmonie entre les deux forces productives, le capital et le travail, si ce mode était généralement adopté.

Voici le mode d’organisation :

Lorsque M. Bourrieff nous a embauchés, il n’a discuté avec nous que le prix de notre journée. C’est seulement lors de la première paie qu’il nous a remis un livret avec 50 cts. en plus de notre salaire, à la condition que ces 50 cts. seraient versées dans la caisse des travailleurs en participation, qui a remis en échange de la somme versée des timbres d’épargnes, qui ont été donnés à chacun de nous, afin qu’il les applique sur son livret.

« Il y a ajouté que chacun de nous devenait par cette épargne, co-propriétaire de l’établissement dans lequel il travaillait ; il nous a ajouté que cela ne nous liait en rien, que nous pouvions quitter l’établissement quand il nous conviendrait, comme nous serions remerciés le jour où nous cesserions de faire notre devoir, mais sans jamais perdre nos droits soit comme commanditaires ou intéressés.

« L’épargne qui constitue la commandite de chacun de nous, n’est remboursable qu’à la dissolution de la société.

« Nous devenions intéressés en raison du travail exécuté par chacun de nous ; mais toutes les sommes que nous touchons sont portées sur notre livret ; c’est avec le total de ces sommes que nous sommes admis au partage des bénéfices, en concurrence avec le capital. Nous devenons par ces deux moyens co-propriétaires et co-intéressés de l’établissement dans lequel nous travaillons. Il n’a pas fallu plus de huit jours pour faire de chacun de nous des capitalistes et des intéressés.

« Lorsque notre épargne atteint le chiffre de vingt francs, il nous est remis un titre, qui nous donne droit aux bénéfices de la Société financière. Quand notre épargne atteint cent francs, nous avons voix délibérative.

« Tout travailleur ayant fait une épargne de vingt francs, peut demander l’escompte d’un billet de sa main de même somme, en déposant son titre en garantie.

« Cette organisation donnant satisfaction à toutes nos prétentions, nous pensons que ce qui a été fait ici sur une échelle restreinte devrait se produire en grand, afin que la transformation industrielle et qui est imminente, se fasse sans secousses, en donnant satisfaction à tous les intérêts légitimes.

« Agréez, monsieur, l’assurance de notre sympathie, et nous sommes vos dévoués et respectueux serviteurs.

(Suivent les signatures.)

Voilà bien tout un tableau réel, vivant, du système que je propose, de ses avantages, de ses résultats certains, de son succès éclatant. Et, cependant, on ne l’appliquera que si on y est forcé par une loi. Voilà pourquoi je la réclame pour mon pays.

Creusons la pensée du capital, et nous y trouverons peut-être une dernière ressource contre le système que je propose. On nous dira : nous admettons la vérité de votre jugement sur les résultats du capital-monopole appliqué à l’industrie. Aussi nous voulons éviter ces résultats en donnant un meilleur salaire à l’ouvrier.

Les capitalistes du Canada sont de bons enfants, qui ne feront pas souffrir les classes ouvrières, et leur donneront un salaire équivalent à leur mérite et suffisant pour leurs besoins !

C’est bien là la mesure la plus large de la libéralité du capital. Eh bien, cela ne suffit pas. D’abord, parce que pas plus ici qu’aux États-Unis, le capital libéralisé autant qu’il peut l’être, laissé à lui-même, ne donnera qu’un salaire. Or le salaire est une chaîne plus ou moins dorée, mais c’est une chaîne, et tous les jours dans l’administration civile ou financière, les plus hauts salariés nous montrent le boulet moral qu’ils traînent au pied. De plus, le salaire ne peut produire la répartition équitable du revenu du travail. Avec le salaire l’égalité sociale prédéterminée par le Créateur est impossible. En un mot, tous les grands résultats anticipés par l’observateur de la marche des choses humaines : le bien-être, la vraie liberté, la vraie égalité, la vraie fraternité, ne peuvent-être assurés que par l’association du capital et du travail. Du moment que l’évidence est admise, la loi doit venir au secours des besoins sociaux, pour assurer le progrès de l’humanité. Oui, une loi est nécessaire, parce que les hommes doivent se protéger contre eux-mêmes, contre leur égoïsme, contre leurs passions mauvaises. Le capital a besoin d’être garanti contre son ambition et sa convoitise ; et l’ouvrier contre son indifférence et contre son envie. Je n’obligerais personne à placer ses capitaux dans l’industrie, mais je soumettrais le capitaliste désireux d’y employer ses fonds à des dispositions générales et réglementaires, dont le motif se traduisant par la santé, la moralité et l’éducation des travailleurs, et la paix sociale, est par cela même on ne peut plus justifiable. Tel qui n’a pas la passion de l’avarice peut y être assujetti par l’avarice de son voisin. Tel veut rendre justice et adopter le vrai système, et en sera empêché par son voisin, qui en produisant un article à meilleur marché, grâce à son avarice, ruinera son voisin ou foulera la justice à ses pieds.

La loi, et la loi seule, peut et, par conséquent, doit garantir le capital honnête et juste, tout aussi bien que le travail consciencieux et profitable. En un mot, il faut cette loi pour nous préserver de l’injustice. Autrement l’injustice fera ici ce qu’elle fait en Europe : des ruines et des massacres.