Astronomie populaire (Arago)/XIV/19

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 143-152).

CHAPITRE XIX

a quels anciens observateurs faut-il remonter pour retrouver les premiers germes de la théorie presque généralement admise aujourd’hui sur la constitution physique du soleil ?


Les anciens ne nous ont rien laissé de plausible, ni même de raisonnable, sur la constitution physique du Soleil. Toutes leurs disputes paraissent avoir roulé sur cette question : le Soleil est-il un feu pur, ou un feu grossier ? un feu qui se maintienne de lui-même, ou un feu ayant besoin d’aliment ? un feu éternel ou un feu susceptible de s’éteindre ?

S’il fallait s’en rapporter aveuglément à Plutarque, Anaximandre, né à Milet 610 ans avant J.-C., disciple de Thalès et un des chefs de la secte ionienne, aurait soutenu que le Soleil est un chariot rempli d’un feu très-vif qui s’échappe par une ouverture circulaire.

Diogène Laërce se contente d’attribuer à Anaximandre l’opinion que le Soleil est un feu pur.

Anaxagore, né 500 ans avant J.-C, regardait le Soleil, dit Plutarque, comme une pierre enflammée ; comme un fer chaud, selon Diogène Laërce.

Cette assimilation du feu solaire aux feux terrestres était, dans les temps reculés, une idée extraordinaire. Xénophon, en effet, crut pouvoir la tourner en dérision.

Zénon, le fondateur de la secte stoïque, composait le Soleil d’un feu pur plus grand que la Terre.

On prête à Épicure, au philosophe qui rendit si célèbre le système des atomes, l’opinion que le Soleil s’allumait le matin et s’éteignait le soir dans les eaux de l’Océan. Selon Plutarque, les idées d’Épicure auraient été un peu moins étranges : il faisait du Soleil une masse terrestre, percée à jour comme les pierres ponces, et en état d’incandescence. Mais pourquoi percée à jour ? On ne saurait comprendre une telle assimilation.

La découverte des lunettes, celle des taches qui en fut la conséquence, vont maintenant nous conduire à des théories plus substantielles.

Après avoir remarqué combien les taches changent rapidement de figure, Galilée fut naturellement conduit à supposer qu’il existe autour du Soleil un fluide subtil, élastique. Les taches, à cause de leur imparfaite obscurité, furent assimilées à nos nuages nageant dans ce fluide : « Si la Terre, dit l’illustre philosophe, était lumineuse par elle-même, et qu’on l’examinât de loin, elle offrirait les mêmes apparences que le Soleil. Suivant que telle ou telle région se trouverait derrière un nuage, on apercevrait des taches tantôt dans une portion du disque apparent, tantôt dans une portion différente ; la plus ou moins grande opacité du nuage amènerait un affaiblissement plus ou moins grand de la lumière terrestre. A certaines époques il y aurait peu de taches ; ensuite on pourrait en voir beaucoup ; ici elles s’étendraient, ailleurs elles se rétréciraient ; ces taches participeraient au mouvement de rotation de la Terre, en supposant que notre globe ne fût pas fixe ; et comme elles auraient une profondeur très petite comparativement à leur largeur, dès qu’elles s’approcheraient du limbe, leur diamètre s’amoindrirait notablement. » Scheiner entourait le Soleil d’un océan de feu, ayant ses mouvements tumultueux, ses abîmes, ses écueils, ses brisants.

Hévélius y ajoutait une atmosphère sujette à des générations, à des corruptions semblables à celles que l’atmosphère terrestre nous offre.

Huygens ne voyait que deux suppositions possibles touchant la nature de la portion incandescente du Soleil ; il ne devait y avoir, selon lui, d’incertitude que sur la question de savoir si l’astre est solide ou liquide. Il se montrait d’ailleurs lui-même très-disposé à admettre que le Soleil est liquide. (Cosmolheoros, traduction française de 1718.)

Jusqu’à présent je n’ai eu à citer que des explications vagues. Les théoriciens ne semblaient pas avoir songé à tous les détails du phénomène. Comment apparaît-il quelquefois des taches noires à la surface du Soleil ? telle était presque l’unique question qu’ils se fussent proposé de résoudre. Nous trouverons maintenant des vues plus complètes : les pénombres, les facules de tous les genres ne seront plus mises en oubli ; elles prendront une place nécessaire dans les spéculations des astronomes. Parmi ces spéculations, celles d’Alexandre Wilson occuperont le premier rang par leur date, et j’ajoute aussi par leur nouveauté.

En 1774, l’ingénieux observateur de Glasgow prouva, à l’aide d’observations dont on a vu plus haut l’analyse (chap. xiv), que les taches sont des excavations au fond desquelles se trouve la partie appelée le noyau. Dès ce moment il admit que le Soleil est composé de deux matières de nature très-différente. La masse de l’astre devint pour Wilson un corps solide non lumineux et noir. Cette grande masse était recouverte d’une légère couche d’une substance enflammée, dont l’astre devait tirer toutes ses propriétés éclairantes et vivifiantes.

Dans cette hypothèse, Wilson rendait compte de l’apparition des taches en supposant qu’un fluide élastique, élaboré dans la masse obscure du Soleil, s’élevait à travers la matière lumineuse, l’écartait, la refoulait dans tous les sens, et laissait voir à nu une portion du globe obscur intérieur. Les talus de l’excavation constituaient la pénombre.

Après avoir vainement essayé d’expliquer les divers phénomènes des taches en faisant l’enveloppe lumineuse, fluide jusqu’à un certain point, l’auteur découragé déclara s’être abandonné quelquefois à l’idée que cette enveloppe éclairante solaire ressemble par sa consistance à un brouillard épais.

Wilson put présenter alors des vues assez satisfaisantes sur la disparition, par empiétement, des noyaux, sur la persistance de Ja pénombre après cette disparition, etc. il avoua, avec une franchise bien rare, ne rien savoir absolument touchant la nature des facules. On pourrait ajouter que les talus de la cavité, considérés comme la pénombre, n’expliquent pas pourquoi cette pénombre est plus claire près du noyau que partout ailleurs.

Un volume publié à Berlin, en 1776, par la Société des amis de l’investigation de la nature, renferme un Mémoire de Bode où les idées de Wilson se trouvent reproduites avec quelques variations importantes. L’astronome allemand fait du Soleil un corps obscur comme notre Terre, solide en partie, en partie couvert de liquides, parsemé de montagnes, sillonné de vallées, enfin enveloppé d’une atmosphère de vapeurs et d’une atmosphère lumineuse. La première atmosphère empêche la seconde (l’atmosphère lumineuse) d’aller toucher le corps solide du Soleil,

Lorsqu’une agitation quelconque, ajoute Bode, occasionne un déchirement dans l’atmosphère lumineuse, nous apercevons le noyau solide de l’astre, toujours très-obscur par rapport à la vive clarté qui l’entoure, mais plus ou moins sombre cependant, suivant que la portion ainsi découverte est une vaste mer, une vallée resserrée ou une plaine unie et sablonneuse.

La nébulosité qui environne souvent les taches, poursuit l’astronome de Berlin, provient de ce que l’atmosphère lumineuse n’est entièrement déchirée que vers le milieu. À partir de ce point milieu et jusqu’à une certaine distance, l’atmosphère lumineuse est seulement réduite d’épaisseur. La nébulosité peut donc exister seule, ou continuer à paraître après la disparition de la tache noire.

L’auteur trouve l’explication des facules en donnant à l’enveloppe lumineuse du Soleil une forme irrégulière, plus ou moins élevée en certains endroits, plus ou moins déprimée dans d’autres. Les vagues de la mer, dit-il, si apparentes quand on les voit du rivage, seraient peu visibles pour qui les observerait d’un point situé verticalement au-dessus d’elles. Telle est aussi la raison qui fait que les facules disparaissent ordinairement en allant du bord au centre.

Je m’arrête : il serait certainement superflu de reproduire ici les considérations que Bode a longuement développées sur le bonheur dont jouissent les habitants du Soleil, perpétuellement éclairés par leur atmosphère lumineuse, perpétuellement échauffés par les rayons calorifiques provenant des combinaisons de cette même atmosphère et de l’atmosphère grossière qui la supporte ; admirant le spectacle de la création à travers les ouvertures que nous prenons de la Terre pour un amas des scories noirâtres, etc., etc.

Pendant les vingt dernières années du xviiie siècle, peu d’astronomes s’occupèrent, soit d’une manière suivie, soit passagèrement, de la constitution physique du Soleil, sans en revenir à l’idée que la lumière émane d’une atmosphère incandescente.

Dans un Mémoire de Michell, portant la date de 1783, je trouve, par exemple, ce passage très-explicite : « La clarté excessive et universelle de la surface solaire, provient probablement d’une atmosphère lumineuse dans toutes ses parties et douée aussi d’une certaine transparence. Il résulte de cette constitution que l’œil reçoit des rayons provenant d’une grande profondeur. »

J’ajoute que Schrœter publiait à Erfurt, en 1789, un ouvrage où chacun peut lire : « On ne saurait douter que le Soleil n’ait une atmosphère dans laquelle s’opèrent des condensations fortuites, qui nous paraissent des nuages obscurs. »

En poursuivant ainsi le cours des siècles, on arrive à William Herschel, et l’on trouve des idées de plus en plus plausibles sur la constitution de notre astre radieux.

Dans son Mémoire de 1795, le grand astronome déclare être convaincu que la substance par l’intermédiaire de laquelle le Soleil brille, ne saurait être ni un liquide, ni un fluide élastique. « Sans cela, dit-il, les cavités des taches et les ondulations de la surface pointillée seraient bientôt remplies. »

Cette substance, à laquelle le Soleil doit sa vive lumière, doit donc être analogue à nos nuages, et flotter dans l’atmosphère transparente de l’astre.

Les taches naissent, comme dans les idées de Wilson et de Bode, lorsqu’une cause quelconque ayant entr’ouvert l’enveloppe nuageuse et lumineuse du Soleil, on voit par l’ouverture le corps obscur intérieur ; de même qu’un observateur situé dans la Lune pourrait apercevoir la partie solide de la Terre, par les éclaircies de notre atmosphère, par les interstices que les nuages laissent entre eux.

Herschel plaçait entre le corps solide du Soleil et la couche extérieure de nuages phosphoriques, une couche atmosphérique plus compacte, beaucoup moins lumineuse, ou qui même ne brillait que par réflexion. La naissance d’une tache exigeait donc qu’il se formât des ouvertures correspondantes dans les deux atmosphères superposées. Les grandeurs relatives de ces ouvertures laissaient-elles apercevoir seulement le corps obscur du Soleil, c’était un noyau sans pénombre. L’œil découvrait-il en outre une certaine étendue de l’atmosphère intérieure, de l’atmosphère réfléchissante, le noyau se montrait entouré d’une pénombre ayant à peu près une nuance uniforme, quelle que fût son étendue. Enfin, n’y avait-il d’ouverture que dans l’atmosphère lumineuse, on se trouvait dans le cas d’une pénombre sans noyau.

HerscheL reconnaissait que les deux atmosphères devaient avoir des mouvements tout à fait indépendants. Il ne pouvait pas toutefois s’être jamais prononcé d’une manière catégorique, définitive, sur la question de savoir si elles sont en contact immédiat, ou si un certain intervalle les sépare.

Après avoir déduit des observations solaires les conséquences qui paraissent naturellement en découler, Herschel, faisant un pas de plus, a cherché hypothétiquement les causes physiques qui président à la naissance et à la transformation des taches.

Suivant le grand astronome, un fluide élastique d’une nature inconnue se forme incessamment à la surface du corps obscur du Soleil et s’élève dans les hautes régions de son atmosphère, à cause de sa faible pesanteur spécifique. Quand ce gaz est peu abondant, il engendre de petites ouvertures dans la couche supérieure des nuages lumineux : ce sont les pores.

Le gaz, en arrivant dans la région des nuages lumineux, est brûlé ou se combine avec d’autres gaz. La lumière résultant de cette action chimique n’est pas également vive partout : de là les rides.

Les nuages lumineux ne se touchent pas parfaitement ; les interstices qu’ils laissent entre eux permettent de voir les nuages intérieurs à l’aide de la réflexion qui s’opère à leur surface. Cette réflexion de la lumière étant comparativement faible, le Soleil doit paraître peu lumineux dans la région où elle a lieu. Le mélange de cette faible lumière réfléchie et de la vive lumière émise par les parties élevées des rides, doit donner au Soleil une apparence pointillée, tant qu’on n’emploie pas un très-fort grossissement.

Un courant ascendant de gaz, plus fort que les courants générateurs des simples pores, donne naissance à de larges ouvertures. Si les nuages lumineux ne cèdent pas immédiatement à l’impulsion de la force qui tend à les séparer, ils s’accumulent près de l’ouverture, et il en résulte des facules longues ou allongées.

Les courants ascendants les plus intenses diviseront, sur une grande étendue, l’enveloppe continue que forment les nuages inférieurs ; ils divergeront en continuant à s’élever entre les deux couches et opéreront dans l’atmosphère lumineuse une éclaircie plus étendue encore. Dans le voisinage de cette éclaircie, certaines parties du courant ascendant iront fournir un nouvel aliment à la combustion. De tout cela résulteront des noyaux, des pénombres et des facules.

William Herschel paraît disposé à croire que la cause inconnue qui rend la photosphère lumineuse, est analogue à celle qui semble embraser les régions de notre atmosphère situées au nord en temps d’aurores boréales. Il y aurait ainsi, sur toute la surface du Soleil, une aurore boréale permanente.

On voit, dans cet exposé, par quelles circonstances la théorie d’Herschel a modifié les idées antérieures deWilson, de Bode, de Michell.

Il me sera peut-être permis de citer, à la fin de cet aperçu historique, les expériences de polarisation et de rayonnement des flammes (chap. vi), qui me paraissent avoir ajouté de grandes probabilités à celles qui résultaient déjà de l’examen impartial des faits.