Astronomie populaire (Arago)/XIV/21

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 157-163).

CHAPITRE XXI

lumière des étoiles comparée a la lumière du soleil


Les difficultés qu’on rencontre dans la comparaison de la lumière des étoiles à celle du Soleil tiennent en grande partie à l’énorme différence qui existe entre les deux lumières.

Pour que le lecteur comprenne les explications que nous allons donner, nous le prions de se rappeler que l’intensité de la lumière émise par un corps dans tous les sens, varie en raison inverse du carré des distances, c’est-à-dire paraît 4 fois, 9 fois, 16 fois…, plus petite, quand on l’éloigne d’une distance 2, 3, 4… fois plus grande.

Le premier observateur qui, à ma connaissance, ait entrepris de déterminer le rapport qui existe entre la lumière du Soleil et la lumière d’une étoile est Huygens.

Voici, d’après le Cosmothéoros, comment ce grand géomètre opéra.

Dans la vue de diminuer le diamètre du Soleil de manière qu’il n’envoyât pas à l’œil plus de lumière que ne le fait Sirius, Huygens boucha avec une lame très-mince l’une des deux extrémités d’un tube de 4 mètres de long. Il fit au milieu de cette lame un trou dont le diamètre n’excédait pas les 188 millièmes d’un millimètre. Il tourna le tuyau vers le Soleil, du côté où était la petite lame, et ayant appliqué l’œil à l’autre extrémité, il vit une portion circulaire du Soleil dont le diamètre était au diamètre total de cet astre dans le rapport de 1 à 182. Huygens trouva cette petite partie beaucoup plus éclatante que Sirius ne nous le paraît pendant la nuit.

Voyant qu’il fallait encore diminuer le diamètre du Soleil, il eut recours à l’emploi d’un petit verre ; mais cette partie de l’expérience n’est pas décrite avec une précision suffisante. Voici les propres termes de la traduction du Cosmothéoros :

« Je mettais devant la lame trouée un petit verre très-fin, d’un diamètre à peu près égal à celui du petit trou, et dont j’avais auparavant fait usage dans mes microscopes. C’est dans cet état que regardant le Soleil, et m’étant couvert la tête de tous côtés de crainte que la lumière du jour n’amenât quelques troubles dans l’observation, son éclat ne me paraissait pas moindre que celui de Sirius. Ayant ensuite établi mon calcul suivant les lois et les règles de la dioptrique, le diamètre du Soleil devenait le 152e de cette 182e petite partie, ce qui donne . Ayant donc diminué le Soleil jusqu’à ce point (ou l’ayant reculé, car l’un et l’autre produisent le même effet), il lui reste encore assez de lumière pour ne le pas céder à Sirius et pour n’être pas moins éclatant que lui. Or, le Soleil transporté à 27 664 fois sa distance actuelle, éclairerait la Terre (27 664)² moins que dans la première position, ou 765 296 896. Il faudrait donc 765 millions d’étoiles égales à Sirius pour donner une lumière égale à celle du Soleil. »

Voici maintenant les calculs dont s’est servi Michell pour arriver à la même évaluation, et le résultat qu’il a obtenu.

Nous admettrons que Saturne, à ses moyennes distances au Soleil, nous envoie autant de lumière que la plupart des étoiles de première grandeur, même quand son anneau, se présentant par sa tranche, ne se voit pas de la Terre.

Or, la distance de Saturne au Soleil est égale à environ 2 082 rayons solaires ; donc sur l’orbe de Saturne, la lumière du Soleil sera moins vive qu’à la surface de ce dernier astre, dans le rapport de (2 052)² à 1² ou dans le rapport de 4 334 724 à 1. Ainsi chaque élément superficiel de la planète serait plus de 4 millions de fois moins vif que chaque élément superficiel du Soleil, alors même que la matière de Saturne réfléchirait la totalité de la lumière incidente.

Pour savoir dans quel rapport deux sphères également lumineuses, mais placées à des distances différentes, éclairent un objet éloigné, il suffit de comparer les surfaces apparentes des grands cercles suivant lesquelles, vues de l’objet, se présentent ces sphères. Quand les deux distances sont égales, la chose est évidente d’elle-même ; mais elle le deviendra aussi pour des distances dissemblables, si l’on remarque que, d’après un principe bien connu de photométrie, sur un objet qui s’éloigne, l’espace qui embrasse une minute carrée, par exemple, demeure toujours également lumineux, en sorte que l’éclairement total sera exactement proportionnel au nombre de minutes carrées qu’embrasse la surface apparente.

Cela posé, le diamètre apparent de Saturne, quand cette planète est en opposition, c’est-à-dire située au delà de la Terre par rapport au Soleil, étant au plus la 105e partie de celui du Soleil, ces deux astres, si on les supposait également lumineux, nous éclaireraient dans le rapport de 1 à (105)² ou dans celui de 1 à 11 025 ; multipliant ce rapport par celui de 1 à 4 324 724, qui exprime, comme on vient de le voir, celui des intensités comparatives de la surface de Saturne et du Soleil, nous trouvons que ces deux astres nous éclairent dans le rapport de 1 à 48 000 000 000.

Le carré de 220 000 étant à peu près 48 000 000 000, c’est à 220 000 fois sa distance actuelle que le Soleil devrait être transporté pour qu’il nous éclairât comme le fait Saturne, pour qu’il devînt une étoile de première grandeur. À cette distance, le diamètre de l’orbite terrestre vu du Soleil ne serait pas de 2″.

Nous avons supposé dans le calcul précédent que Saturne réfléchit la totalité de la lumière solaire qui vient frapper sa surface. Si, comme tout porte à le croire, il n’en réfléchit que le quart ou le sixième, nous aurons à multiplier la distance déjà obtenue, par 2 ou par 2 1/2, pour avoir celle où le Soleil serait une étoile de première grandeur. Ainsi il faudrait le transporter à 440 000 ou 550 000 fois la distance actuelle. À cet éloignement, sa parallaxe annuelle ne s’élèverait pas à 1″ de degré.

Si la matière de Saturne et celle de Jupiter réfléchissent les mêmes proportions de la lumière incidente, on trouvera que les clartés que ces deux planètes répandent sur la Terre quand elles sont en opposition, sont entre elles comme 22 est à 1. Si Jupiter réfléchissait toute la lumière qui le frappe, le Soleil devrait être 46 000 fois plus loin qu’il ne l’est, pour paraître tout juste aussi lumineux que lui.

Il est clair, d’après ces calculs de John Michel, insérés dans les Transactions philosophiques de 1767, que dans la supposition que les étoiles sont des soleils, on peut conserver l’espoir de déterminer un jour leur parallaxe ; il n’en saurait être de même de leurs diamètres angulaires, car ils ne doivent guère s’élever, au plus, qu’à 1/50e de seconde (liv. ix, chap. vii,).

Suivant Lambert, le Soleil, transporté à 425 000 fois sa distance de la Terre, est plus lumineux qu’une étoile de première grandeur, telle que Saturne sans son anneau.

L’éclat du Soleil, par conséquent, est à celui d’une étoile de première grandeur, comme 108 000 millions est à 1.

Dans son calcul Lambert a supposé (car le résultat précédent est purement théorique) que la matière de Saturne réfléchit la septième partie de la lumière incidente.

On trouve dans les Transactions philosophiques, année 1829, des expériences de Wollaston qui conduisent à une évaluation du rapport de la lumière du Soleil à la lumière de Sirius. Les observations furent faites par la méthode de l’égalité des ombres, en prenant pour intermédiaire la lumière d’une chandelle. Le résultat définitif fut que la lumière du Soleil est 200 000 millions de fois celle de Sirius.

Il n’y a rien dans tous ces résultats, ni dans ceux de parallaxe annuelle, qui soit contraire à l’opinion suivant laquelle les étoiles ne seraient que des soleils fort éloignés. Cette opinion avait, du reste, été adoptée par les anciens astronomes.

Héraclide et quelques autres philosophes de l’école d’Alexandrie enseignaient, selon Plutarque, « que chaque étoile était un monde existant dans l’immensité des cieux, et avait autour de soi une terre, des planètes et un espace céleste. »

Kepler, dans son Epitome, s’exprime en ces termes sur l’analogie qui peut exister entre le Soleil et les étoiles :

« Il est possible que le Soleil ne soit autre chose qu’une étoile fixe, plus brillante à nos yeux par sa proximité seulement, et que les autres étoiles soient également des soleils entourés de mondes planétaires. »