Astronomie populaire (Arago)/XIV/23

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 165-170).

CHAPITRE XXIII

intensité lumineuse comparative des diverses régions du disque solaire


Les opinions sur la question de savoir si les bords et le centre du Soleil sont également lumineux, ont beaucoup varié ; mais telle est la difficulté du sujet qu’après deux siècles et demi d’observations assidues et de mesures on n’est pas encore tombé d’accord.

Galilée, dans une lettre au prince Cesi (t. vi, p. 108 de l’excellente édition des Œuvres de l’illustre astronome publiée par M. Alberi de Florence), s’exprime ainsi : « L’image du Soleil projetée sur un carton à l’aide de la lunette paraît également lumineuse dans tous ses points. Je crois le fait incontestable. »

Huygens croyait le Soleil liquide et tirait cette conséquence de l’égale intensité de la lumière de cet astre sur tous les points du disque.

Bouguer paraît être le premier expérimentateur qui se soit prononcé sur la question. Après avoir dit que, dans une lunette qui grossit beaucoup, l’image du Soleil paraît « comme une surface plane dont l’éclat est, pour ainsi dire, le même partout ; » il ajoute que ce jugement peut être une illusion provenant de ce qu’en comparant le bord au centre, l’œil passe successivement sur des parties dont l’intensité varie par degrés insensibles. Il explique alors, mais d’une manière très-imparfaite, comment il a paré à cet inconvénient en faisant usage de l’héliomètre, instrument dont l’invention lui appartient (chap. ii).

Je soupçonne que l’artifice employé pour cela par Bouguer, consistait à isoler, par des écrans placés au foyer et convenablement découpés, deux parties d’égale étendue prises l’une sur le centre de la première image héliométrique, l’autre près du bord de la seconde. Il constata ainsi, dans trois ou quatre épreuves faites à différents jours, que l’ouverture correspondant au centre d’une image était plus brillante que l’ouverture correspondant au bord de l’autre. En diminuant l’ouverture de l’objectif qui fournissait l’image du centre, jusqu’à ce que cette image lui parût égale à l’autre, il arriva à cette proportion : l’intensité de la portion centrale du Soleil est à l’intensité d’une portion située aux trois quarts du rayon, à partir du centre, comme 48 est à 35. L’auteur avoue qu’il aurait dû répéter ces observations un plus grand nombre de fois ; «mais, dit-il, il est toujours certain que le Soleil est moins lumineux dans les endroits de son disque qui sont plus éloignés du centre. »

Lambert a adopté, dans sa Photométrie, une opinion directement opposée à celle de Bouguer. Au commencement du chapitre ii (n° 73), il dit en termes formels : « La surface du Soleil nous présente partout le même éclat ; il n’y a personne qui ne convienne de ce fait. »

MM. Airy et John Herschel, au contraire, admettent, avec Bouguer, que le bord du Soleil est moins lumineux que le centre.

Voici ce que dit sir John Herschel dans la 2e édition de son Traité d’astronomie (n° 395, page 234).

« Lorsqu’on regarde le disque entier du Soleil avec un télescope d’un grossissement assez modéré pour permettre cette observation, et à travers un verre noir qui laisse voir le disque tout à l’aise, il est tout à fait évident que les bords du disque sont beaucoup moins lumineux que le centre. On s’assure que ce n’est point là le résultat d’une illusion, en projetant l’image du Soleil sur une feuille de papier blanc qu’on a le soin de placer bien exactement au foyer ; alors on observe la même apparence. »

William Herschel composa, avec du velours, du papier blanc faiblement illuminé, et du papier pareil, mais très-fortement éclairé, un ensemble qui lui paraissait la représentation assez exacte, en forme et en intensité, d’une belle tache solaire. Le velours était le noyau ; le papier brillant figurait les parties lumineuses de la surface du Soleil ; le papier que très-peu de rayons frappaient donnait l’éclat intermédiaire de la pénombre. Herschel tira de son expérience les conclusions suivantes :

Si l’intensité de la lumière solaire est 
 1 000
L’intensité de la pénombre sera 
 169
Et celle du noyau 
 7

Il serait très-intéressant de vérifier cet aperçu de William Herschel par des expériences photométriques exactes. Ces expériences présentent des difficultés d’exécution fort grandes, qui cependant ne semblent pas insurmontables.

Il faut, dans les observations photométriques, se garantir avec soin des illusions ; il est important, toutes les fois qu’on le peut, de substituer des mesures à de simples appréciations. Je ne citerai qu’un exemple des erreurs auxquelles on s’expose lorsqu’on procède autrement. La totalité de l’atmosphère est envahie par des nuages uniformes et gris, une couche de neige couvre la Terre : il n’est personne qui, dans cette circonstance, hésite à déclarer que la neige est beaucoup plus brillante que le ciel ; en bien, si l’on substitue une mesure à un jugement vague, on trouve que le contraire est la réalité.

Ne pourrait-on pas dans le cas actuel appliquer directement le photomètre à la comparaison du bord et du centre de l’image solaire projetée sur l’écran de papier ? En théorie, la chose paraît aisée ; mais, en réalité, l’exiguïté de l’image solaire, l’extrême rapprochement du bord et du centre de cette image font naître de grandes difficultés. Je suis cependant parvenu à les tourner, à l’aide d’un artifice fort simple qui aurait dû se présenter plus tôt à mon esprit. Il consiste à produire deux images du Soleil, aussi distantes qu’on le voudra, avec les deux moitiés de l’objectif unique qui compose l’héliomètre de Bouguer modifié par Dollond. Je puis ainsi emprunter au centre d’une des images la lumière qui doit être réfléchie par la plaque centrale de mon photomètre, et au bord de l’autre image la lumière qui doit parvenir à l’œil par transmission.

Laplace, dans la Mécanique céleste, a complétement admis les déterminations de Bouguer, qui donnent, pour les intensités comparatives du centre et d’un point situé au trois quarts du rayon, les nombres 48 et 35, d’où il résulte entre les intensités du centre et du bord une différence au moins égale à celle des nombres 48 et 30 ; c’est en partant de ces données que Laplace a calculé l’extinction de la lumière dans l’atmosphère solaire.

Dans un Mémoire spécial qu’on trouvera dans la collection de mes œuvres, j’ai donné sans peine la preuve que ces longs et difficiles calculs reposent sur des faits complétement erronés, et qu’ils doivent être recommencés sur de nouvelles bases. Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans le détail des expériences que j’ai exécutées à ce sujet, et d’où j’ai conclu qu’il y a une différence d’intensité entre le bord et le centre égale à , c’est-à-dire que la lumière du bord étant 40, celle du centre est 41.

Deux physiciens très-distingués, MM. Fizeau et Foucault, en recevant, à ma prière, sur des plaques daguerriennes l’impression très-rapide du disque du Soleil, ont vérifie par la photographie les résultats auxquels je suis arrivé par la photométrie. La figure 163 représente fidèlement l’image photographique du Soleil qu’ils obtinrent en 1845 ; cette image très-remarquable montre parfaitement le léger excès d’intensité lumineuse du centre sur les bords. MM. Fizeau et Foucault ont en outre eu le bonheur de saisir les images des deux groupes de taches qu’on aperçoit dans la figure avec tous leurs détails.