Astronomie populaire (Arago)/XV/04

La bibliothèque libre.
GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 192-196).

CHAPITRE IV

sur les couleurs de la lumière zodiacale


Nous avons dit précédemment que Cassini croyait avoir remarqué une identité complète d’intensité et de couleur entre la lumière zodiacale et celle des queues des comètes. Les extraits suivants, empruntés à mon journal d’observations, montrent que l’assimilation manque d’exactitude à plusieurs égards. J’ajouterai que mes appréciations des couleurs comparatives de la lumière zodiacale et de la queue d’une comète, sont parfaitement conformes à celles qui résultent des observations simultanées de mes collaborateurs : MM. Laugier, Mauvais, Eugène Bouvard, Faye, Goujon.

Le 19 mars 1843, à 8h du soir, la lumière zodiacale s’étendait jusqu’aux Pléiades, elle avait donc de 57 à 58° de hauteur ; son axe était dirigé vers ζ de Persée.

Le 27 mars, la lumière zodiacale s’étendait jusqu’aux Pléiades, un tant soit peu à gauche de ces étoiles. Les jours précédents, la pointe de la colonne lumineuse était évidemment un peu plus boréale.

La lumière zodiacale était d’une teinte évidemment rougeâtre, comparée à la lumière de la queue de la comète que l’on apercevait alors. En 1707, Derham avait fait la même remarque.

En regardant la lumière zodiacale et la queue de la comète par des fentes, on a vu clairement que la queue était moins brillante que la lumière zodiacale prise dans sa région moyenne.

Jusque-là, l’intensité de la lumière zodiacale nous avait semblé assez faible, mais le 27 mars son éclat nous parut remarquable et inusité.

Le 28 mars, la pointe de la colonne formée par la lumière zodiacale semblait quelquefois se diriger vers les Pléiades et quelquefois à gauche de ces étoiles.

La lumière zodiacale nous a paru sujette à des changements brusques d’intensité. Y a-t-il là une illusion dépendante d’un changement dans la diaphanéité de l’atmosphère ? De pareilles intermittences ne se remarquaient pas dans la queue de la lumière de la comète.

À la hauteur angulaire de 7° à 8°, à 8h du soir, temps moyen, la largeur de la lumière zodiacale était égale à 15°.

Le lendemain 29 mars, la pointe de la lumière zodiacale paraissait dépasser un peu les Pléiades ; à 8h du soir, temps moyen, la largeur totale de la lumière, à 7° de hauteur, était de 17°. Le phénomène avait l’aspect que représente la figure 164.

Le 28 mars, la lumière zodiacale était jaunâtre, comparativement à la lumière de la Voie lactée et à la lumière de la queue de la comète.

Fig. 104. — Aspect de la lumière zodiacale à Paris, le 29 mars 1843,
à 8 heures du soir[1].

Le 29 mars, la teinte de la lumière zodiacale était rouge, tirant sur le jaune, comparativement à la queue de la comète.

Ni moi, ni mes collaborateurs, nous ne parvînmes à saisir aucune trace de polarisation le 19 mars 1843, soit dans la lumière zodiacale, soit dans la lumière de la queue de la comète placée en son voisinage. On s’est servi, dans ce genre de recherches, de polariscopes procédant simplement par variation d’intensité, c’est-à-dire n’ayant pas pour objectif une lame mince de mica ou une plaque de cristal de roche, comme de polariscopes procédant par phénomènes de coloration (liv. xiv, chap. vi).

Les mêmes observations, répétées le 29 mars, ont encore donné un résultat négatif.

Pour espérer voir des phénomènes de coloration avec mes polariscopes, il eût été indispensable d’accroître l’intensité de la lumière zodiacale qui se peignait sur la rétine. Ce résultat aurait été sans doute obtenu en augmentant considérablement, comme cela est possible, par l’action de la belladone, l’ouverture de la pupille de l’œil de l’observateur, mais je ne crus pas devoir soumettre à cette épreuve un organe dans lequel je commençais à soupçonner quelques traces d’affaiblissement.

La lumière zodiacale, quoiqu’elle soit observée avec soin depuis deux siècles environ, offre encore aux cosmologues, comme on voit, un problème qui n’a pas été résolu d’une manière complète. Mon ami Alexandre de Humboldt a vu souvent dans les régions tropicales de l’Amérique du Sud, des intermittences d’intensité brusques et rapides, des ondulations qui traversaient la pyramide lumineuse. Des variations supposées dans la constitution de notre atmosphère ne sauraient suffire à rendre compte des changements que subissent la configuration et l’intensité de la lumière zodiacale. Ces brillants phénomènes doivent attirer d’une manière toute particulière l’attention des savants qui voyagent, ou mieux encore qui séjournent dans le Nouveau Monde.

  1. S est le point où le Soleil s’est couché