Astronomie populaire (Arago)/XVII/15

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 328-332).

CHAPITRE XV

sur la possibilité de prédire l’apparition des comètes


À l’occasion de la brillante comète de 1843, on a fait planer sur les astronomes modernes des reproches au moins singuliers. Ceux qui les ont inventés ou propagés étaient certainement étrangers aux notions les plus élémentaires de la science. J’ajouterai que la futilité de ces reproches peut être constatée à l’aide des simples lumières du bon sens.

La comète s’est montrée inopinément ; personne n’avait prévu son apparition. De deux choses l’une : ou la science n’est pas aussi avancée qu’on le prétend, ou les astronomes ont été coupables de négligence et d’incurie. Examinons ces reproches, l’un après l’autre. La discussion à laquelle je vais me livrer pourra servir pour tous les cas semblables qui devront longtemps encore se présenter.

Personne n’avait prévu l’apparition de la comète de 1843 ! Le fait est vrai ; je m’étonne même qu’on le cite comme une singularité. Les catalogues astronomiques font aujourd’hui mention de 226 apparitions régulièrement observées. Dans ce nombre, 210 eurent lieu inopinément ; aucun calcul ne les avait indiquées ni quant aux dates, ni relativement aux positions que les nouvelles comètes devaient occuper dans le ciel. La comète de 1843 rentre donc dans la règle commune. Les astronomes du milieu du XIXe siècle n’ont pas été plus inhabiles en se laissant surprendre par l’astre à longue queue du mois de mars 1843, que ne l’avaient été : Lacaille en 1744, Bradley en 1757, Maskelyne en 1769, Wargentin en 1771, Herschel en 1795, Piazzi en 1807, Olbers, Delambre, Gauss, Oriani, etc., en 1841, etc., etc.

En s’évertuant à déconsidérer tel ou tel astronome français contemporain, certains journalistes ne comprennent peut-être pas qu’en cas de réussite ils frappent d’une égale défaveur les savants les plus illustres du XVIIIe siècle ; mais ne faut-il pas remarquer, au moins, que les célèbres directeurs des Observatoires de Berlin, de Greenwich, de Poulkova, de Kœnigsberg, etc., MM. Encke, Airy, Struve, Bessel, etc., n’ont pas non plus prédit la comète de 1843, et qu’il n’y a personne au monde qui ne dût se croire très-honoré de figurer en pareille compagnie ? Au surplus, je laisse à l’écart toutes ces considérations secondaires ; je prendrai les choses dans leur essence, heureux si je puis dissiper une erreur étrange, et cependant fort répandue.

Les astronomes prédisent avec une exactitude merveilleuse les éclipses de Soleil, les occultations des étoiles et des planètes par la Lune ; est-ce montrer trop d’exigence que de les prier d’annoncer au moins l’apparition des comètes ?

Telle est la substance des difficultés, plus ou moins empreintes de malice, dont on est assailli dès qu’un astre chevelu se montre dans le ciel. Il suffira de quelques courtes remarques pour montrer que, sous une apparence semi-scientifique, ces difficultés couvrent un très-gros sophisme.

À l’aide d’une suite d’observations assidues embrassant l’intervalle d’environ 2 000 ans, combinées avec la plus savante théorie, les astronomes sont parvenus à déterminer très-exactement la forme et la position des orbites parcourues par le Soleil, la Lune et les planètes ; à calculer les perturbations qui résultent des attractions mutuelles de tous ces astres ; à construire des Tables où l’on peut trouver l’image fidèle du firmament pour une époque quelconque. Ces progrès admirables, la science les attendrait encore si les siècles n’étaient pas venus à son secours ; si les astres qu’elle considérait, continuellement visibles, n’avaient pas pu être observés dans toutes leurs positions relatives.

En général, une comète ne se voit, elle n’est observable de la Terre que pendant quelques jours, que dans une très-petite partie de son orbite. Vouloir que l’astronomie cométaire marche de pair avec l’astronomie planétaire, c’est demander que l’œuvre d’une ou deux semaines soit comparable à celle de vingt siècles accumulés : c’est tout simplement demander une chose impossible.

Il y a plus ; la grande majorité des comètes dont nous devons la découverte au zèle infatigable des astronomes modernes, ne s’étaient point montrées depuis les temps historiques, ou n’avaient pas été observées. La comparaison des orbites paraboliques calculées met ce fait dans une complète évidence.

Or, je le demande, est-il permis d’espérer raisonnablement qu’on pourra prédire un jour l’arrivée, dans notre sphère de visibilité, de comètes qui depuis des siècles restent comme perdues au milieu des régions les plus reculées de l’espace ; que personne n’a jamais aperçues ; dont l’action sur les astres du système solaire est au-dessous de toute grandeur appréciable, tant à raison de l’excessive rareté de la matière vaporeuse qui les compose, qu’à cause de leur prodigieux éloignement. Un astre se révèle aux hommes, en devenant visible ou en produisant des effets saisissables. Celui qui n’a jamais été vu, qui n’a jamais engendré aucun déplacement observable, est pour nous comme s’il n’existait pas. L’annonce de l’apparition d’une comète totalement inconnue serait du domaine de la sorcellerie, et non de celui de la vraie science. L’astrologie elle-même ne poussa pas ses prétentions jusque-là, dans le temps de sa plus grande ferveur.

Mais, dira-t-on, la comète du mois de mars de 1843 ne se trouvait pas dans les conditions dont il vient d’être parlé ; on l’avait observée en 1668.

Je reconnaîtrai, si l’on veut, qu’on avait vu en 1668 la comète de 1843 ; ma concession n’ira pas plus loin. Voir une comète et l’observer sont deux choses entièrement distinctes. Les observations proprement dites déterminent seules la forme et la position de l’orbite parcourue : or il n’y a qu’un moyen décisif pour reconnaître une comète dans ses diverses apparitions ; c’est la similitude complète des orbites. Celui qui voit le ciel en simple contemplateur, rend tout aussi peu de service à l’astronomie que s’il était aveugle.