Astronomie populaire (Arago)/XVII/26

La bibliothèque libre.
GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 409-416).

CHAPITRE XXVI

historique des différentes explications qu’on a données
de la queue des comètes


D’anciens philosophes regardaient les comètes comme des planètes qui, par une cause quelconque, s’étaient rapprochées de la Terre et se formaient une chevelure en ramassant les vapeurs dont notre globe est sans cesse entouré.

Aristote allait même plus loin que ses prédécesseurs ; il regardait les comètes comme des météores sublunaires engendrés dans notre atmosphère. Les observations de Tycho sur la distance de plusieurs de ces astres, ont réduit au néant l’hypothèse d’Aristote.

Nous ne ferons aucune mention des opinions fort préconisées dans l’antiquité, suivant lesquelles les comètes n’auraient rien de réel et seraient, comme l’arc-en-ciel, comme les parhélies, des effets de la réflexion de la lumière solaire sur les cieux de cristal. De telles idées ne peuvent être soutenues par des arguments de quelque valeur.

Lorsqu’un faisceau de lumière est réfracté par une lentille de verre ou une boule remplie d’eau, les rayons, après s’être réunis au foyer, continuent leur route et forment un faisceau divergent, qui est rendu visible dans l’obscurité par la réflexion que les rayons éprouvent sur les molécules de poussière qui voltigent dans l’air, et peut-être un peu par la réflexion sur les molécules de l’air elles-mêmes.

Cardan voyait dans cette expérience une démonstration naturelle du mode d’action par lequel les queues des comètes sont engendrées ; il lui suffisait d’assimiler ces astres à des corps sphériques que la lumière du Soleil traverserait en s’y réfractant ; les rayons réfractés devenaient visibles dans cette hypothèse en se réfléchissant sur les molécules de l’éther.

Cette explication de la queue des comètes fut adoptée par Tycho Brahé, et pendant quelque temps par son disciple Kepler. On trouve dans un ouvrage intitulé il Trutinatore, que Galilée lui donna son approbation.

Kepler, qui était primitivement un partisan enthousiaste de l’explication donnée par Cardan, l’abandonna lorsqu’il eut vu l’impossibilité de rendre compte suivant cette théorie de la courbure qu’affectent si souvent les queues de certaines comètes et de leur déviation presque constante. Il imagina alors une nouvelle hypothèse qui se trouve exposée dans ses traités sur les comètes de 1607 (4e apparition de la comète de Halley) et de 1618 (n° 40 de notre catalogue). Il dit formellement dans ces ouvrages que les queues sont formées d’une matière, partie intrinsèque du corps de la comète, et que les rayons solaires transportent par leur impulsion dans la région opposée au Soleil.

Parmi ceux qui adoptèrent cette conception de Kepler, nous devons citer Riccioli qui, voulant expliquer comment la queue était quelquefois fort éloignée de la ligne passant par les centres du Soleil et de la comète, supposait celle-ci entourée d’orbes transparents, concentriques, de différentes densités, et dont elle n’occupait pas le centre. Mais ce qui a donné le plus de poids à cette théorie, ce fut l’adhésion non déguisée que Newton et Euler lui ont accordée.

En se fondant sur la remarque que les queues des comètes atteignent leur maximum de longueur après le passage de ces astres par le périhélie, Newton donna le principal rôle à la chaleur solaire dans la production de ce phénomène. Il supposa que les queues n’étaient autre chose qu’une vapeur extrêmement rare qui sortait de leur tête ou du noyau de la comète. Pour justifier sa conjecture, l’immortel géomètre calcula la chaleur qu’avait dû éprouver la comète de 1680 (n° 49 du catalogue) dans son passage au périhélie, et la trouva 2 000 fois plus forte que celle d’un fer rouge. Mais il y a longtemps que les physiciens ont signalé l’inexactitude de cette évaluation, à quoi on doit ajouter que l’astre marchant avec beaucoup de rapidité dans la portion de son orbite qu’on appelle le périhélie, ne resta que pendant peu de temps à la distance du Soleil marquée par le nombre de lieues que supposait le calcul de Newton. Ainsi, on trouve que lh 16m après le passage au périhélie, la comète de 1680 était déjà éloignée du Soleil du double de la distance périhélie, et conséquemment que la chaleur qu’elle éprouvait dans cette seconde position ne s’élevait qu’au quart de la chaleur correspondante à la première. D’après des calculs analogues, il fut constaté que 2h 40m après le passage, la distance au Soleil avait triplé, que la chaleur était neuf fois moindre, etc., etc.

Admettons, et c’est une bien large concession, que la vapeur légère formée aux dépens de la matière de la comète par l’action des rayons solaires, doive toujours s’élever à l’opposite du Soleil ; chaque molécule de cette matière deviendra en quelque sorte une petite comète décrivant, autour de l’astre central de notre système une ellipse plus grande que celle que parcourt le noyau dont elle s’est détachée ; le mouvement dans ces ellipses sera moins rapide que celui que subit le noyau, ce qui, conformément aux observations, servira à expliquer la déviation de la queue relativement à la ligne joignant le centre du Soleil et la tête de la comète. Mais ce qui résulte de ces considérations, c’est que la queue formée dans la première portion de l’orbite suivrait toujours le noyau, même après son passage au périhélie, ce qui est démenti par toutes les observations. On sait, en effet, que dans la seconde portion de son orbite la comète paraît pousser la queue devant elle. Après un désaccord aussi manifeste entre la théorie et l’expérience, il serait superflu d’insister sur des difficultés de détail ; nous dirons cependant que l’hypothèse newtonienne ne rend pas plus compte que celle de Kepler des queues multiples que diverses comètes ont présentées, et des courbures en sens contraire que les bords latéraux ont quelquefois offertes.

M. Biot a donné son assentiment à la théorie de Newton quant à l’élévation d’une certaine portion de la matière du noyau par suite de l’action de la chaleur solaire. « Certaines comètes, dit-il, sont en quelque sorte incendiées à leur périhélie, et les vapeurs qui s’en élèvent, ne participant plus au mouvement de la comète, doivent tracer derrière une sorte de queue. » Il serait peut-être difficile d’expliquer, malgré toute l’autorité qui s’attache à une opinion de M. Biot, comment des molécules s’élevant du corps d’une comète perdraient subitement le mouvement de translation dont elles étaient douées lorsqu’elles faisaient corps avec l’astre. Au reste, cette supposition inadmissible laisse subsister dans son entier le désaccord que nous avons signalé entre la théorie et l’observation.

Serait-il maintenant nécessaire d’entrer dans un examen détaillé de la théorie jadis imaginée par Grégory et adoptée depuis par Pingré, Laplace et Delambre, et dans laquelle on fait agir les rayons solaires par impulsion sur la vapeur légère détachée du corps de la comète par la chaleur solaire ? Toutes les difficultés que nous avons faites contre la théorie de Kepler s’appliquent évidemment à cette nouvelle hypothèse. Qu’importe, en effet, que la matière de la queue soit celle qui composait primitivement la tête de la comète, ou bien cette même matière atténuée par une chaleur excessive provenant du Soleil ? Des expériences très-imparfaites de Homberg avaient fait croire, un certain temps, à la réalité de l’impulsion causée par les rayons solaires ; mais des expériences de Bennet, conduites avec toutes les précautions que commande une recherche aussi délicate, ont montré que même en réunissant un très-grand nombre de rayons lumineux sur un même point, à l’aide d’une lentille à très-large ouverture, on ne parvient jamais à obtenir un mouvement qui puisse être attribué au choc de ces rayons. L’idée fondamentale de l’impulsion due aux rayons solaires n’est donc qu’une hypothèse sans valeur réelle.

Knigt et Oliver de Salem, en Amérique, publièrent peu de temps après l’apparition de la fameuse comète de 1769 (n* 84 du catalogue), si remarquable par sa longue queue, une théorie dans laquelle ils attribuent la formation de ces appendices à l’action révulsive que l’atmosphère solaire exercerait sur les atmosphères des comètes qui viennent se mêler à elle ou seulement s’en approcher.

La supposition qu’il existerait une force révulsive entre deux atmosphères mêlées l’une à l’autre, paraît inadmissible, physiquement parlant, et ne conduit pas d’ailleurs à l’explication de ce qu’il y a de plus caractéristique et de plus capital dans les formes et dans la position des queues des comètes.

Bénédict Prevôt, nous ne citons vraiment cette théorie que pour échapper au reproche d’avoir négligé une seule explication de la queue des comètes, suppose que ces astres sont entourés d’une atmosphère dont le diamètre est double de la longueur de la queue ; que cette atmosphère contient un liquide et même de l’eau en dissolution, et que là où la température diminue, il y a une précipitation d’eau et formation de nuages réfléchissant la lumière comme dans l’atmosphère terrestre. « Or, dit-il, dans la direction de la ligne qui joint le Soleil et la tête de la comète il existera à l’opposite du Soleil une moins grande quantité de rayons que partout ailleurs, puisque les vapeurs dont cette tête se compose ont dû en arrêter un certain nombre. » La queue de la comète ne serait dans ce système que la région dans laquelle, par l’effet d’une diminution de température, les nuages auraient été formés dans l’atmosphère primitive de la comète. Je ferais injure à mes lecteurs si je m’attachais à montrer en détail que l’explication de Bénédict Prevôt ne conduit à une explication possible d’aucun des faits qui nous ont été révélés par l’observation des queues ; qu’on n’en saurait déduire, par exemple, pourquoi les queues sont quelquefois très-courbes, pourquoi leurs bords présentent un maximum d’éclat, pourquoi ces bords sont quelquefois convergents, etc., etc.

On voit qu’aucune de ces théories ne rend compte non seulement des détails, mais encore du gros des phénomènes. Peut-être s’étonnera-t-on du sans façon avec lequel je reconnais l’insuffisance de la science à ce sujet. Qu’on me permette de consigner ici une anecdote. Au temps de la régence du duc d’Orléans, une dame de la cour, qui était allée visiter l’Observatoire, demandait à Mairan : « Dites-moi, je vous prie, ce que sont les bandes de Jupiter ? — Je ne sais pas, répondit incontinent le secrétaire de l’Académie des sciences. — Pourquoi, répliqua la dame curieuse, Saturne est-il la seule planète entourée d’un anneau ?— Je ne sais pas, » fut encore la réponse de Mairan. La dame impatientée lui dit alors avec une certaine rudesse : « À quoi sert-il donc, Monsieur, d’être académicien ? — Cela sert, Madame, à répliquer : Je ne sais pas. » Je ne sais serait encore aujourd’hui la réponse qu’on aurait à faire aux questions qu’on pourrait formuler sur les queues des comètes. Cependant la science n’est pas restée stationnaire à ce sujet depuis le temps où furent imaginées les théories imparfaites ou insuffisantes que nous avons discutées plus haut. On sait, par exemple, aujourd’hui que la plupart des queues de comètes sont des cônes ou des cylindres creux.