Astronomie populaire (Arago)/XVII/32

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 444-447).

CHAPITRE XXXII

une comète peut-elle venir choquer la terre ou toute autre planète ?


Par l’effet de causes premières dont la nature nous est inconnue et qui, cependant, ont donné déjà lieu à diverses théories cosmogoniques plus ou moins plausibles, les planètes de notre système font leurs révolutions autour du Soleil dans le même sens et dans des orbites presque circulaires. Les comètes, au contraire, parcourent des ellipses extrêmement allongées ; elles se meuvent dans toutes les directions imaginables. En venant de leurs aphélies, elles traversent constamment notre système solaire, elles pénètrent dans l’intérieur des orbites planétaires, souvent même elles passent entre Mercure et le Soleil. Il n’est donc pas impossible qu’une comète vienne rencontrer la Terre.

Après avoir reconnu la possibilité d’un choc, hâtons nous de dire que sa probabilité est excessivement petite. Cela paraîtra évident au premier coup d’œil, si l’on compare l’immensité de l’espace dans lequel notre globe et les comètes se meuvent, au peu de volume de ces corps.

Le calcul mathématique permet d’aller beaucoup plus loin : il fournit l’évaluation numérique de la probabilité en question dès qu’on fait une hypothèse déterminée sur le diamètre de la comète comparé à celui de la Terre.

Considérons une comète dont on ne saurait rien autre chose, si ce n’est qu’à son périhélie elle serait plus près du Soleil que nous ne le sommes nous-mêmes, et qu’elle aurait un diamètre égal au quart de celui de la Terre : le calcul des probabilités montre que, sur 281 millions de chances, il n’y en a qu’une de défavorable ; qu’il n’en existe qu’une qui puisse amener la rencontre des deux corps.

Sans porter atteinte à la tranquillité d’esprit que les personnes les plus craintives doivent puiser dans le nombre précédent, je puis dire que si, en calculant la probabilité du choc de la Terre et du noyau d’une comète, nous avons adopté une évaluation convenable du diamètre de ce noyau en le supposant égal au quart de celui de la Terre, nous nous trouverions bien au-dessous de la vérité ; que les chances de rencontre données par le calcul seraient beaucoup trop faibles, dans le cas où il devrait être question, non du noyau proprement dit, mais de la nébulosité qui l’enveloppe de toutes parts. En décuplant alors le nombre précédent, on n’aurait certainement pas un résultat exagéré.

Des idées justes sur le calcul des probabilités sont encore si peu répandues ; le public se méprend quelquefois d’une si étrange manière sur la signification des résultats numériques auxquels ce calcul conduit, qu’il m’a été permis de penser un moment à supprimer ce court chapitre ; mais j’ai tenu à faire remarquer qu’il y a deux questions bien différentes à poser.

Pour les comètes périodiques, dont l’orbite est connue, dont on peut prédire avec une très-grande approximation : l’époque du prochain retour ; pour les comètes de Halley, d’Encke, de Gambart, de Faye, on sait et on petit déterminer avec certitude quelle sera la moindre distance à la Terre. Il n’y a donc pas alors à faire usage des considérations de probabilité dont il vient d’être question,

Le problème, il faut bien le comprendre, est tout autre dans les calculs dont j’ai rapporté les résultats. Ici, nous voulons déterminer, sans rien savoir de la forme et de la position de l’orbite de la comète, à combien de chances de collision la Terre est exposée. C’est ainsi que nous avons trouvé, quant au noyau proprement dit, une chance de choc, une chance fâcheuse, sur 280 999 999 chances favorables ; pour la nébulosité, dans ses dimensions les plus habituelles, les chances défavorables seraient de 10 ou de 20 sur le même nombre de 281 millions. Admettons un moment que les comètes qui viendraient heurter la Terre par leur noyau, anéantiraient l’espèce humaine tout entière ; alors le danger de mort, qui résulterait pour chaque individu de l’apparition d’une comète inconnue, serait exactement égal à la chance qu’il courrait s’il n’y avait dans une urne qu’une seule boule blanche sur un nombre total de 281 millions de boules, et que sa condamnation à mort fût la conséquence inévitable de la sortie de cette boule blanche au premier tirage.

Tout homme qui consent à faire usage de sa raison, quelque attaché à la vie qu’il puisse être, se rira d’un si faible danger ; en bien, le jour qu’on annonce une comète, avant qu’elle ait été observée, avant qu’on ait pu déterminer sa marche, elle est, pour chaque habitant de notre globe, la boule blanche de l’urne dont je viens de parler.

Les calculs que nous avons faits pour les chances d’une collision d’une comète avec la Terre, seraient absolument les mêmes en ce qui concerne les autres planètes. La solution du problème est identiquement la même. Il n’est pas impossible qu’une comète vienne rencontrer Mercure, Vénus, Jupiter ou tout autre astre appartenant au système solaire.