Astronomie populaire (Arago)/XVIII/03
CHAPITRE III
passages de mercure sur le soleil
Pendant l’intervalle qui s’écoule entre la disparition de Mercure le soir, et sa réapparition le matin, on voit quelquefois sur le Soleil une belle tache noire qui entre par le bord oriental du disque, s’avance avec une vitesse uniforme vers le centre, dépasse ce point, parvient au bord opposé et s’évanouit. Cette tache est Mercure s’interposant entre le Soleil et la Terre et produisant une véritable éclipse partielle de Soleil.
On peut s’assurer de cette vérité à ces caractères divers. La tache se meut, de l’orient à l’occident, comme se mouvait Mercure au moment de sa disparition, et à très-peu près avec la même vitesse. Elle a un diamètre égal à celui qu’avait la planète lumineuse quand on la perdit de vue le soir.
Cette tache noire ne peut d’ailleurs être confondue avec les taches dont le Soleil est souvent parsemé ; celles-ci emploient un temps fort long, près de 14 jours, à parcourir les cordes visibles du disque solaire suivant lesquelles elles se meuvent (liv. xiv, chap. iii) ; la tache exceptionnelle dont nous parlons fait le même trajet en une petite fraction de jour. Les taches solaires, proprement dites, marchent comparativement avec très-peu de rapidité quand elles occupent le bord du Soleil ; la tache actuelle est douée de la même vitesse près des deux bords et au centre. Les taches solaires offrent toujours dans leur contour de grandes irrégularités ; la tache dont l’apparition se trouve expliquée naturellement par l’interposition de Mercure, est parfaitement ronde et sans rien qui puisse être comparé, quant à la visibilité et à l’étendue, aux espaces faiblement lumineux entourant les taches proprement dites, auxquelles on a donné le nom de pénombre. Enfin, cette dernière tache est d’un noir bien plus prononcé que les taches qui se forment dans l’atmosphère du Soleil. Mais on dépasserait ce que l’observation autorise en concluant de ce fait que le corps qui par son interposition produit la tache, est d’une obscurité parfaite et n’émet absolument aucune lumière. Il est manifeste, en effet, comme nous l’avons prouvé en nous occupant précédemment (liv. xiv, chap. xx) des taches du Soleil, que la noirceur de la tache actuelle peut être un phénomène de contraste et qu’en réalité elle paraîtrait, vue isolément, au moins aussi lumineuse que les régions du ciel qui entourent le Soleil.
Il faut donc chercher dans les phénomènes des phases la preuve que Mercure n’est pas lumineux par lui-même.
Alpétrage, astronome arabe, voulant expliquer comment Mercure ne s’était jamais montré à lui sur le Soleil, faisait cette planète lumineuse par elle-même. Mais nous avons vu que l’orbite de Mercure n’est pas couchée sur le plan de l’écliptique, mais qu’elle fait avec celui-ci un angle d’environ 7°. Cette circonstance sert à expliquer pourquoi il y a un très-petit nombre de conjonctions inférieures, pendant lesquelles la planète se projette sur le Soleil.
Les passages de Mercure sur le Soleil ont été d’une grande utilité quand on a voulu calculer son orbite avec une grande approximation. Ils donnent, en effet, des observations précises, faites dans les meilleures conditions d’exactitude, complétement authentiques, et que beaucoup d’astronomes, situés dans des lieux très-éloignés, concourent à rendre extrêmement utiles pour les progrès de la science.
Le médecin et astronome arabe Averrhoès, au XIIe siècle, crut avoir aperçu Mercure sur le Soleil, mais la planète ne sous-tend qu’un angle de 12″ dans sa conjonction inférieure ; or, un objet rond et obscur de 12″, lors même qu’il se projette sur le Soleil, n’est pas visible à l’œil nu ; il est donc très-probable que l’observateur arabe n’avait vu qu’une tache solaire. Nous dirons la même chose des observations de Scaliger et de celles que fit Kepler le 28 mai 1607. Le premier qui ait incontestablement aperçu Mercure sur le Soleil, est notre compatriote Gassendi, professeur au collége de France et chanoine de l’église paroissiale de Digne.
Le 7 novembre 1631, ce savant étant à Paris observa Mercure sur l’image solaire projetée sur une feuille de papier blanc, dans une chambre obscure, suivant le procédé mis en usage par Scheiner pour suivre les taches du Soleil.
Plein d’enthousiasme d’avoir enfin réussi dans une pareille observation, il s’écria, en faisant allusion à la pierre philosophale : « J’ai vu ce que les alchimistes cherchent avec tant d’ardeur, j’ai vu Mercure dans le Soleil. »
La seconde observation de ce curieux phénomène fut faite en 1651 par Skakerlœus, qui s’était rendu tout exprès à Surate pour en être témoin.
Hévélius, en 1661, observa le troisième passage de la planète arrivé depuis l’invention des lunettes ; mais, comme Gassendi, l’astronome de Dantzig ne visait pas directement à l’astre, il se contentait d’examiner l’image agrandie du Soleil dans une chambre obscure.
Enfin, en 1677, Halley vit à Sainte-Hélène un passage complet, je veux dire l’entrée et la sortie de la planète sur le disque solaire. C’est la première fois que le phénomène a été observé pendant toute sa durée.
Les autres passages de Mercure sur le Soleil, qui ont été observés, sont les suivants :
Les passages attendus jusqu’à la fin de ce siècle sont :
1861 | 11 | novembre. | |
1868 | 4 | novembre. | |
1878 | 6 | mai. | |
1881 | 7 | novembre. | |
1891 | 9 | mai. | |
1894 | 10 | novembre. | |
1901 | 4 | novembre. |
Depuis que l’on calcule en divers endroits d’Europe et d’Amérique des éphémérides célestes, qui sont publiées en France dans la Connaissance des temps trois ans à l’avance, il est facile de savoir d’un seul coup d’œil s’il doit y avoir un passage de Mercure sur le disque du Soleil ; si la latitude de l’astre excède le demi-diamètre du Soleil, le phénomène ne peut avoir lieu.
On comprend du reste, sans que j’aie besoin d’insister, que si le passage doit s’effectuer lorsque le Soleil est au dessous de l’horizon du lieu de l’observation, il est invisible, et que l’état de l’atmosphère, que des nuages peuvent empêcher l’observation de se faire, lors même que les autres circonstances sont propices.