Astronomie populaire (Arago)/XX/28

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 357-361).

CHAPITRE XXVIII

méthode pour déterminer la distance de la terre au soleil par les passages de vénus sur le disque de l’astre radieux


Pour fixer les idées, supposons que le Soleil, parvenu à certain méridien, soit représenté par le cercle S de la figure 290.

Fig. 290. — Détermination du rayon de l’orbite terrestre par les passages de Vénus sur le Soleil.
Admettons que Vénus, à sa conjonction inférieure, se projette sur le disque solaire pour deux observateurs situés en A et B à la surface de la Terre. Pour plus de simplicité, nous supposerons ces deux stations placées sur le même méridien. Si a est le point du disque solaire où se projette Vénus pour l’observateur A, le point b, situé au-dessous du premier, sera la position apparente de Vénus pour la position B, plus éloignée du Soleil que la distance A. La distance angulaire du point a au point b dépendra évidemment de la distance itinéraire AB des deux stations occupées par les deux observateurs, de la distance de Vénus à la Terre et de la distance de Vénus au Soleil. Mais la distance de Vénus à la Terre est égale à la distance du Soleil à la Terre, moins la distance de Vénus au Soleil. Par conséquent, dans la relation que les combinaisons trigonométriques font découvrir entre les quantités d’où dépend la distance angulaire a b et la distance AB des deux stations, si AB et a b sont déterminées par l’observation, il reste deux inconnues, la distance de la Terre au centre du Soleil et la distance de Vénus à ce même centre.

Une combinaison, ou pour me servir d’une expression technique, une équation renfermant deux inconnues ne peut pas servir à les déterminer toutes deux. Il faut deux équations pour cela. Or, une seconde équation entre V, distance de Vénus au Soleil, et T distance de la Terre au Soleil, est fournie par la troisième loi de Kepler, en vertu de laquelle (liv. xvi, chap. vi) le carré du temps de la révolution de la Terre est au carré de temps de la révolution de Vénus comme T3 est à V3, les carrés des temps des révolutions pouvant être déterminées indépendamment de toute connaissance des distances T et V.

Si l’on fait, dans cette proportion, le produit des extrêmes égal au produit des moyens, on a une équation dans laquelle il n’y a d’inconnu que les quantités T et V. Ces mêmes quantités T et V étaient aussi les deux inconnues contenues dans la première équation dont nous avons parlé. Or, deux équations sont nécessaires, mais suffisent à la détermination de deux inconnues. On obtiendra donc, par la résolution des deux équations en question, la distance V de Vénus au Soleil et la distance T de la Terre à ce même astre. Ces deux distances seront connues avec d’autant plus d’exactitude que la distance itinéraire AB et la distance angulaire a b seront plus exactement déterminées. La distance AB, mesurable sur la Terre, s’obtient avec toute la précision désirable. Quant à la distance angulaire a b, elle peut être conclue de la considération suivante : Pendant un temps d’une durée limitée, Vénus paraît décrire une ligne droite ; b semblera donc parcourir sur le Soleil la ligne rectiligne c b d. Pour la station A, Vénus se mouvra en apparence suivant la corde e a f. Les durées comparatives des temps employés par la planète à parcourir c d, serviront à déterminer les positions de c d et de e f relativement au diamètre du Soleil, et par conséquent la distance angulaire a b avec une très-grande précision.

Si les stations A et B n’étaient pas situées sur le même méridien, le calcul des observations serait un peu plus compliqué, sans pour cela être devenu plus difficile.

Il est évident aussi que pour se conformer à la réalité des choses, il faudrait tenir compte du mouvement de rotation de la Terre, en tant que ce mouvement peut affecter la durée des passages de la planète sur le disque solaire. Mais ce sont des détails qui ne peuvent intéresser que les astronomes de profession, et ici nous nous sommes proposé seulement de faire connaître l’esprit de la méthode.

Un des caractères les plus précieux de la méthode proposée, en 1725, par Halley, c’est de n’exiger pour les observations à faire en A et en B, qu’une bonne lunette et une horloge astronomique ; c’est de rendre inutile l’emploi des instruments gradués, auxquels on ne peut se fier quand on vise à une grande précision, alors seulement que leurs dimensions sont considérables, ce qui les rend peu portatifs.

En évaluant la précision avec laquelle on pourrait déduire la parallaxe solaire ou l’angle que le rayon de la Terre, vu perpendiculairement, sous-tendrait du Soleil (liv. ix, chap. xxxii), des observations faites en 1761, Halley avait porté à 1/500e du total l’erreur dont le résultat définitif pourrait être affecté. L’expérience a montré que le célèbre astronome anglais s’était exagéré un peu la précision dont sa méthode était susceptible. Elle n’en reste pas moins une des plus ingénieuses dont l’astronomie moderne puisse se glorifier. Dans le passage de 1769, les différences entre les temps employés par Vénus à parcourir les cordes diverses du disque solaire suivant lesquelles elle parut se déplacer, furent considérables. La différence entre la durée observée à Wardhus, et la durée moins considérable observée à Taïti, s’éleva à 23m 23s.

On se demandera sans doute pourquoi les passages de Mercure sur le Soleil ne pourraient pas, comme les passages de Vénus, servir à la détermination de la parallaxe solaire. Halley, dans son Mémoire de 1725, avait déjà répondu à cette question. « La différence, dit l’astronome anglais, de la parallaxe de Mercure et de la parallaxe du Soleil est si petite, qu’elle est toujours moindre que la parallaxe solaire qui est la quantité à trouver. Quant à Vénus, la parallaxe de cette planète étant dans ses passages presque quadruple de celle du Soleil, rendra très sensibles les différences entre les espaces de temps que Vénus sera visible sur le Soleil pour les diverses régions de notre globe. Or, ces différences constituent l’élément principal d’où l’on déduit la parallaxe du Soleil. »