Astronomie populaire (Arago)/XXI/10

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 405-411).

CHAPITRE X

rotation de la lune — libration — éléments du mouvement de la lune


Bérose, dont les opinions (chap. iv) sur les phases de la Lune sont si peu dignes d’attention, disait cependant que cet astre avait un mouvement de rotation sur son centre, dont la durée égalait celle du mouvement de circulation autour de la Terre.

Simplicius dit formellement que la Lune nous présente toujours la même face, et tire de là la conséquence qu’elle ne tourne pas sur elle-même. Cette conclusion, de tout point inadmissible, tenait à ce que Simplicius et les astronomes ses contemporains admettaient que la Lune était entraînée avec la sphère de cristal à laquelle on la supposait attachée. Il est certain que relativement aux parties matérielles de cette prétendue sphère, la Lune ne tournait pas, mais dans l’espace son mouvement de rotation était évident, puisqu’un observateur placé en dehors de la courbe décrite, aurait vu successivement toutes les parties de l’astre.

Si la durée de temps que la Lune emploie à tourner sur elle-même est exactement égale à celle dont elle a besoin pour faire sa révolution autour de la Terre, la Lune doit nous présenter toujours la même face ; mais pour peu qu’il y eût la moindre inégalité entre ces deux durées, nous finirions par voir à la longue la région de l’astre qui est invisible aujourd’hui.

La différence entre la face vue dans une lunaison, comparée à la lunaison suivante, pourrait ne s’élever en angle qu’à une fraction de seconde, que dans la suite des siècles, cette fraction accumulée produirait des effets sensibles. En point de fait, on peut affirmer que les durées de la rotation et de la révolution de notre satellite sont exactement égales entre elles et que nous voyons aujourd’hui la même face de la Lune qui se montrait aux anciens il y a plus de 2 000 ans. En effet, aujourd’hui, quand la Lune est dans son plein, les parties obscures et lumineuses dessinent vaguement une sorte, de figure humaine, les deux yeux, le nez, la bouche. On avait, très anciennement, fait la même remarque.

Un poëte cité par Plutarque, Agesianax, avait décrit la figure lunaire dans des vers dont Amyot a donné la traduction suivante :

De feu luisant elle est environnée
Tout à l’entour ; la face enluminée
D’une pucelle apparoist au milieu,
De qui l’œil semble être plus vert que bleu,
La joue un peu de rouge colorée.

On voit que la région de la Lune que nous voyons à notre époque, est la même que celle dont parle le poëte cité par Plutarque.

La Lune, pendant son mouvement de circulation autour de la Terre, nous présentant toujours la même face, il en résulte inévitablement la conséquence que cet astre tourne sur lui-même dans un temps égal à celui qu’il emploie à faire sa révolution autour de notre globe. On a peine à concevoir que cette conséquence ait jamais pu soulever un doute. Comment des esprits éclairés ont-ils pu ne pas reconnaître d’emblée que si le globe lunaire ne tournait pas sur son centre, que si pendant son mouvement de circulation il n’était pas doué d’un mouvement de rotation, que s’il restait toujours parallèle à lui-même, la face du globe qui se présenterait à nous, après chaque demi-révolution, serait toujours opposée à celle que nous voyons d’abord.

Dès qu’il est admis que le globe lunaire tourne sur lui-même, il y a lieu de distinguer à sa surface les pôles de rotation, c’est-à-dire les points où aboutit l’axe autour duquel le mouvement s’effectue. Il faut aussi considérer l’équateur, c’est-à-dire le plan passant par le centre de la Lune et perpendiculaire à la ligne des pôles.

Si l’on conçoit, par le centre C de la Lune (fig. 294}, le plan de l’équateur de cet astre OBO′A, le plan de l’orbite lunaire LBL′A et un plan parallèle à l’écliptique EBE′A, ces trois plans ont une intersection commune BCA, du moins si l’on fait abstraction des inégalités périodiques qui affectent les nœuds et l’inclinaison de l’orbite lunaire sur l’écliptique. Le plan parallèle à l’écliptique forme avec le plan de l’équateur lunaire un angle EAO de 1° 28′ 45″, et avec le plan de l’orbite lunaire un angle LAE de 5° 8′ 48″.

C’est de l’existence de ces angles que proviennent les phénomènes de la libration réelle de notre satellite. En outre, il existe une autre espèce de libration qu’on peut appeler une libration optique, en vertu de laquelle les taches lunaires voisines du bord s’en rapprochent, disparaissent et reviennent ensuite dans l’hémisphère visible.

Fig. 294. — Angles de l’orbite et de l’équateur de la Lune avec l’écliptique.

Les causes de ces librations apparentes sont très-faciles à assigner. C’est au centre de la Terre que la Lune présente toujours la même face, et c’est de la surface de notre globe que nous l’observons. La ligne menée d’un point de cette surface au centre du globe lunaire, diffère plus ou moins, à cause de la distance comparativement petite de la Lune à la Terre, de la ligne unissant les centres des deux globes. C’est perpendiculairement à ces deux lignes qu’on doit mener par le centre de la Lune les plans qui détermineront les contours apparents dans les deux positions.

Ces contours différeront donc, plus ou moins, suivant que les lignes menées au centre de la Terre et à un point de la surface, formeront entre elles des angles, plus ou moins grands.

Ces angles variant avec la hauteur de l’astre au-dessus de l’horizon, on expliquera par là une partie des changements observés dans les positions des taches rapportées aux bords de la Lune.

L’axe de rotation de notre satellite n’étant pas perpendiculaire au plan de l’écliptique et l’orbite lunaire ne coïncidant pas avec ce plan, on trouvera dans ces deux circonstances, l’explication des disparitions successives des deux pôles de rotation de la Lune, et conséquemment des changements observés dans les positions des taches de la Lune, voisines de ces deux points.

Enfin, pour que les taches conservassent une position invariable relativement au contour de la Lune, il faudrait qu’il y eût une égalité mathématique entre le mouvement de révolution de notre satellite et son mouvement de rotation ; or, il faut remarquer que le premier de ces mouvements est assujetti à des inégalités périodiques, connues sous le nom de perturbations, et auxquelles le mouvement de rotation ne participe pas d’une manière sensible.

Les causes des librations optiques avaient été reconnues et clairement décrites par Galilée et Hévélius, mais c’est à Jean-Dominique Cassini qu’est due la découverte de la coïncidence des nœuds de l’orbite lunaire avec les nœuds de son équateur, c’est-à-dire de la partie la plus curieuse du phénomène.

Je dis de la partie la plus curieuse du phénomène, parce qu’en effet il est étrange de voir deux mouvements tels que celui des nœuds de l’orbite lunaire et le mouvement des nœuds de l’équateur de cet astre, qui semblent devoir être d’abord tout à fait indépendants, présenter une égalité mathématique. Cette égalité et celle des mouvements de révolution et de rotation envisagée analytiquement, ont conduit Lagrange aux conséquences les plus curieuses sur la constitution physique de la Lune.

Faute d’avoir établi une distinction nécessaire entre les phénomènes de la libration optique et ceux de la libration réelle, de prétendus historiens de la science ont commis au préjudice de J.-D. Cassini les plus incroyables bévues.

En résumé, on doit considérer dans le mouvement de la Lune quatre révolutions :

La révolution synodique, qui la ramène en conjonction avec le Soleil ; elle est de 29j 12h 44m 2s,9 ;

La révolution sidérale, qui la ramène à la même étoile ; sa valeur est de 27j 7h 43m 11s,5 ;

La révolution tropique qui la ramène, par son mouvement moyen, à la même longitude comptée de l’équinoxe mobile ; elle est de 27j 7h 43m 4s,7 ;

La révolution anomalistique qui la ramène au même point de son ellipse ; elle est de 27j 13h 18m 37s,4.

Le moyen mouvement de la Lune en 100 années juliennes, ou en 36 525 jours, est de 1 336 révolutions sidérales plus 307° 52′ 41″,6.

Pour fixer la Lune dans l’espace et placer son orbite, nous ajouterons que sa longitude moyenne, le 1er janvier 1801, temps moyen de Paris, était de 118° 17′ 8″,3 ;

La longitude du périgée était 266° 10′ 7″,5 ;

Celle du nœud ascendant 13° 53′ 17″,7.

Nous avons déjà dit que l’inclinaison de l’orbite lunaire sur l’écliptique est de 5° 8′ 47″,9, que son excentricité a pour valeur 0,0548442, et que le volume de notre satellite est un quarante-neuvième du volume de la Terre.

La distance de la Lune à la Terre est de 0,0025, celle de la Terre au Soleil étant prise pour unité.