Astronomie populaire (Arago)/XXI/17

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 430-432).

CHAPITRE XVII

examen de ce qu’il est possible d’attendre de l’emploi des plus forts grossissements dans l’étude de la constitution physique de la lune


Le rayon de la Terre ou 1 594 lieues, vu de la Lune, sous-tendrait un angle de 57′ (chap. ix) ; mettons, pour plus de simplicité, 1° ou 60′ ou 3 600″.

On déduit de là que

2″,2   valent une lieue sur la Lune,
1″,1   vaut une demie-lieue ou 2 000 mètres,
0″,1   représente 200 mètres,
0″,01 vaut 20 mètres.

Prenons, conformément à l’expérience, 60″ pour la limite de la vision d’un objet rond ou carré.

1″ deviendra 60″ avec un grossissement de 60 fois. Un grossissement de 60 fera donc voir un carré de 2 000 mètres de côté, un cercle de 2 000 mètres de diamètre.

Un grossissement de 600 montrera des objets dix fois plus petits que ne le fait un grossissement de 60 ; un grossissement de 600 permettra de voir des carrés et des cercles de 200 mètres de côté.

Un grossissement de 6 000 permettrait de voir des objets ronds ou carrés de 20 mètres de côté.

Un objet allongé se voit quand il sous-tend latéralement un angle de 6″ ou de 1/10e de minute ; un objet de 2 mètres de large pourrait donc être vu avec un grossissement de 6 000 s’il était très-allongé : tel serait un front de fortification, un remblai de chemin de fer, etc., etc.

Prenons au reste la chose d’un autre point de vue.

La distance moyenne de la Lune à la Terre est de 96 000 lieues.

Quand on se sert d’un grossissement de 1 000 fois, c’est comme si l’on observait la Lune, à l’œil nu, à la distance de 96 lieues.

Un grossissement de 2 000 ramène la Lune à 48 lieues.
Un grossissement de 4 000   à 24 lieues.
Un grossissement de 6 000   à 16 lieues.

De Lyon on voit parfaitement le mont Blanc, à l’œil nu, à 16 myriamètres, à 160 000 mètres, à 40 lieues.

Les montagnes de la Lune se verraient comme le mont Blanc de Lyon, en se servant d’un grossissement de 2 500 fois.

En présence de ces calculs, on se demandera sans doute pourquoi on n’a pas déjà appliqué les forts grossissements dont il vient d’être question à l’observation de la Lune ; la réponse est toute simple. La lumière lunaire n’est pas d’une intensité suffisante pour supporter l’affaiblissement qui résulte de grossissements aussi énormes.

C’est seulement lorsqu’on parviendra à faire des miroirs de télescope ou des objectifs réunissant en leur foyer une très-grande quantité de lumière, qu’on arrivera à tous les résultats annoncés et déduits de calculs dont on ne saurait contester les bases.

Dans l’état actuel des choses, on est forcé de n’appliquer à l’observation de la Lune que des grossissements modérés ; quand on force outre mesure ces grossissements, on perd plus par l’affaiblissement de la lumière qu’on ne gagne par l’amplification des angles sous lesquels les objets se présentent.

L’emploi d’une monture parallatique à mouvement d’horlogerie sera alors aussi d’une indispensable nécessité ; il n’est pas possible de faire des observations utiles lorsque chaque objet, chaque tache ne reste visible dans le champ de la vision que pendant une ou deux secondes de temps.

On voit par ces calculs ce qu’il faut penser de cette assertion du célèbre Robert Hooke, qu’il avait trouvé le moyen de construire des lunettes avec lesquelles on pourrait voir dans la Lune des habitants de la dimension de ceux de la Terre.