Astronomie populaire (Arago)/XXI/31

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 489-497).

CHAPITRE XXXI

y a-t-il dans la lune des points brillant d’une lumière propre, des volcans actuellement enflammés ?


Il y a sur la Lune des espaces circonscrits qui surpassent tellement par leur éclat celui de toutes les autres parties du disque, que des astronomes, très-réservés d’ailleurs dans leurs conceptions, ont été jusqu’à supposer que cette différence tenait à une lumière propre, s’ajoutant accidentellement à la lumière du Soleil, renvoyée à la Terre par des parties matérielles du corps lunaire.

Hévélius croyait, par exemple, qu’Aristarque était un volcan actuellement enflammé ; d’autres ont admis que l’éclat supérieur de cette portion de notre satellite tenait à sa forme parabolique ; avec cette forme, les rayons solaires réfléchis sur les parois doivent se réunir au foyer et, en partant de ce point, former par une seconde réflexion sur ces mêmes parois un faisceau de rayons parallèles, et conservant dès lors toute son intensité jusqu’aux plus grandes distances. Mais il est clair que ces rayons, ainsi réfléchis, n’arriveraient à la Terre que dans le cas très-exceptionnel où l’axe du paraboloïde la rencontrerait. Le moindre mouvement de libration dans la Lune ferait passer ce faisceau de rayons parallèles au dessus ou au-dessous de notre globe. Tout bien considéré, une différence dans la nature des matières réfléchissantes est suffisante pour rendre compte des inégalités d’éclat, observées dans les diverses parties du globe lunaire.

Pour résoudre la question posée en tête de ce chapitre, on s’est attaché avec raison à l’observation de la partie obscure de la Lune. Mais il faut remarquer que lorsqu’une portion du globe lunaire ne reçoit pas la lumière du Soleil, elle est éclairée par celle que la Terre lui envoie, et que dès lors les parties qui étaient les plus brillantes sous l’action de la lumière solaire doivent aussi avoir un éclat exceptionnel dans la lueur cendrée. Ainsi, l’observation de quelques points plus lumineux que le reste dans la phase obscure, ne prouve nullement qu’il existe dans la Lune des points doués d’une lumière propre. Il est vrai que les partisans de l’existence d’une lumière propre dans quelques points de notre satellite, et surtout dans Aristarque, s’étaient appuyés plus encore sur les variations rapides de grandeur et d’éclat de cette tache que sur son intensité absolue ; mais il faut remarquer que cette portion de la lumière cendrée dans laquelle Aristarque se trouve, ne peut être en général observée qu’assez près de l’horizon, c’est-à-dire à travers ces régions de notre atmosphère qui occasionnent des altérations si brusques et si considérables dans l’aspect des sommets des montagnes, éclairés directement par le Soleil et séparés du reste du croissant lumineux. Cette dernière remarque doit empêcher les observateurs de tomber dans l’erreur que je combats, de transformer en un phénomène réel qui s’opérerait sur Aristarque, des intermittences d’éclat qui prennent certainement leur naissance dans notre atmosphère.

L’idée qu’il existe dans la Lune des volcans qui brûlent encore actuellement, s’est présentée de bonne heure à l’esprit de quelques observateurs amis du merveilleux. Mais il s’en est trouvé aussi qui, examinant la chose de sang-froid, ne s’étaient point associés aux idées de leurs contemporains. Voici, par exemple, ce qu’on lit dans un Mémoire de Lahire inséré parmi ceux de l’Académie des sciences pour 1706, p. 111 : « La petite tache qu’on appelle Aristarque, qui est si brillante que quelques-uns ont cru que c’était un volcan et qu’elle avait une lumière particulière qui la rendait plus claire que tout le reste de la Lune, n’est pourtant qu’une petite cavité qu’on ne peut distinguer qu’à peine des autres qui l’environnent quand elle est sur le bord de l’ombre. »

L’opinion à laquelle je me suis arrêté sur les prétendus volcans ou sur des lumières propres à la surface de la Lune ne m’empêchera pas de réunir ici les observations qui sembleraient conduire à une opinion diamétralement contraire. Je ne veux jouer que le rôle de rapporteur, le lecteur aura ensuite les moyens de prononcer lui-même en connaissance de cause.

Louville dit avoir aperçu sur la surface de la Lune, pendant l’obscurité totale de l’éclipse du 3 mai 1715, « certaines fulminations ou vibrations instantanées de rayons lumineux, comme si on avait mis le feu à ces traînées de poudre dont on se sert pour faire jouer les mines. » … « Ces éclats de lumière ne duraient qu’un instant et paraissaient tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, mais surtout du côté de l’immersion. »

Louville n’a vu les éclats de lumière que vers le bord oriental, d’autres prétendent en avoir remarqué jusqu’au centre ; l’opinion de cet observateur est qu’il y avait pendant l’éclipse des orages dans l’atmosphère lunaire, et que les lumières serpentantes qu’il apercevait étaient des éclairs analogues à ceux qui sur la Terre précèdent toujours le tonnerre.

Avec toute la déférence qui est due à un observateur aussi distingué que l’était Louville, et avec tout le respect qu’un astronome doit professer pour Halley, à côté duquel ces observations furent faites, ne pourrait-on pas imaginer que ces lueurs droites ou serpentantes étaient nées dans notre atmosphère, et qu’elles se projetaient seulement sur la Lune ?

Les astronomes qui, en observant le Soleil, ont remarqué combien il passe fréquemment des objets lumineux dans le champ de la vision, ne trouveront pas mon doute illégitime. Il y a des étoiles filantes de toutes les grandeurs ; ces phénomènes existent le jour comme la nuit. Eh bien, les traînées lumineuses, aperçues par Louville et Halley en 1715, n’étaient-elles pas de très-petites étoiles filantes ? La forme serpentante ne serait pas une objection, car on a vu quelquefois des étoiles filantes parcourir des trajectoires sinueuses.

Le point lumineux aperçu en mer pendant l’éclipse totale de Soleil de 1778, par don Antonio de Ulloa, n’ayant été vu par aucun autre observateur, provenait certainement de quelque illusion d’optique et non d’un phénomène d’incandescence qui aurait existé alors à la surface de l’astre.

Venons maintenant à des documents empruntés à une autorité du premier ordre, et qui semblent devoir mettre mon scepticisme au néant.

À la fin d’avril 1787, Herschel présenta à la Société royale de Londres un mémoire dont le titre, Sur trois Volcans de la Lune, dut vivement frapper les imaginations. L’auteur y rapportait que le 19 avril 1787, il avait aperçu, dans la partie non éclairée, dans la partie obscure de la Lune, trois volcans en ignition. Deux de ces volcans semblaient sur leur déclin ; l’autre paraissait en pleine activité. Telle était alors la conviction d’Herschel sur la réalité du phénomène, que le lendemain de sa première observation il écrivait : « Le volcan brûle avec une plus grande violence que la nuit dernière. » Le diamètre réel de la lumière volcanique était d’environ 5 000 mètres. Son intensité paraissait très-supérieure à celle du noyau d’une comète qui se montrait alors. L’observateur ajoutait : « Les objets situés à proximité du cratère sont faiblement éclairés par la lumière qui en émane. » Enfin, disait Herschel, « cette éruption ressemble beaucoup à celle dont je fus témoin le 4 mai 1783. »

Herschel ne revint sur la question des prétendus volcans lunaires actuellement enflammés, qu’en 1791. Dans le volume des Transactions philosophiques de 1792, il rapporte qu’en dirigeant sur la Lune entièrement éclipsée, le 22 octobre 1790, un télescope de 6 mètres, grossissant trois cent soixante fois, on voyait sur toute la surface de l’astre environ cent cinquante points rouges et très-lumineux. L’auteur déclare vouloir rester sur la plus grande réserve, relativement à la similarité de tous ces points, à leur grand éclat et à leur remarquable couleur.

Cependant le rouge n’est-il pas toujours la couleur de la Lune éclipsée quand il n’y a point disparition entière ? Les rayons solaires arrivant à notre satellite par suite d’une réfraction éprouvée dans les couches les plus basses de l’atmosphère terrestre, pourraient-ils avoir une autre teinte ? Dans la Lune éclairée librement et de face par le Soleil, n’y a-t-il pas de cent à deux cents petits points remarquables par la vivacité de leur lumière ? Était-il possible que ces mêmes points ne se fissent pas aussi distinguer dans la Lune, quand elle recevait seulement la portion de lumière solaire la plus réfractée par notre atmosphère ?

Ces objections, on doit en convenir, doivent au moins nous laisser dans le doute relativement à l’explication de l’observation faite par Herschel de tant de points lumineux dans la partie cendrée de la Lune.

Passons à une observation d’un autre genre insérée dans les transactions philosophiques et à laquelle l’intérêt que lui accorda le savant directeur de l’observatoire de Greenwich, Maskelyne, a donné quelque célébrité.

Le 7 mars 1794, sur les huit heures du soir, un architecte de Norwich, M. Wilkins, vit, à l’œil nu, une lumière semblable à une étoile de troisième grandeur qui se projetait sur la partie non éclairée de la Lune. L’astre n’était pas encore à son premier quartier. L’apparition du point lumineux dura environ cinq minutes ; il ne changea ni de position, ni de forme ; il semblait notablement moins éloigné de la partie concave et lumineuse du croissant que du bord oriental invisible de la Lune (fig. 297).

Fig. 297. — Apparition d’une lumière semblable à une étoile de troisième grandeur, dans la partie obscure de la Lune, le 7 mars 1794.

Un domestique de lady Booth avait remarqué le même phénomène à Londres. Maskelyne s’assura, en le questionnant sur l’heure de l’apparition, sur la hauteur et la direction de la Lune, rapportée aux toits des maisons de Saint-John-square, au-dessus desquelles l’astre brillait, que l’observation de Londres s’accordait d’une manière satisfaisante avec celle de Norwich.

Voilà un fait qui semble bien constaté. Malheureusement, dans cette même soirée du 7 mars, la Lune occulta Aldebaran par sa partie boréale. On pourrait donc supposer, à toute rigueur, que M. Wilkins, que le domestique de lady Booth virent Aldebaran et non un phénomène de lumière extraordinaire ; qu’ils se trompèrent sur sa position ; qu’ils le supposèrent, par une fausse appréciation, en dedans du disque lunaire, tandis qu’il était en dehors.

À cela Maskelyne répondait qu’Aldebaran s’éclipsa sous le bord obscur oriental de la Lune, plus d’une heure avant l’observation, à Norwich et à Londres, de la disparition du point lumineux ; que sa réapparition au bord occidental éclairé avait eu lieu à 7h 30m. Il faudrait donc supposer une heure d’erreur sur le moment assigné à la disparition du point lumineux, ce qui paraissait inadmissible au directeur de l’observatoire de Greenwich. Si l’on prétendait d’autre part que le point observé était Aldebaran après son émersion, Aldebaran déjà sorti de dessous la Lune, il y aurait à expliquer comment ce qui était réellement à l’occident de l’astre paraissait à l’orient.

Ces raisonnements semblent sans réplique. Je me demande cependant comment les observateurs de Norwich et de Londres, si attentifs à décrire le point lumineux occidental intra-lunaire, n’ont pas dit un seul mot du point radieux (Aldebaran) qui, à huit heures, brillait à l’occident près de la Lune.

On sera sans doute étonné de n’avoir pas trouvé, dans ce qui précède, le nom de Schrœter. Mais j’avoue qu’après avoir parcouru sa volumineuse Sélénographie, je n’y ai rien trouvé de net et de précis sur la question qui nous occupe. Quant à MM. Beer et Maedler, ils disent positivement que dans leurs longues et pénibles observations sur la constitution de notre satellite, ils n’ont jamais rien vu qui puisse les autoriser à croire qu’il y ait dans la Lune des volcans en ignition ou une atmosphère qui serait le théâtre d’orages semblables à ceux qui, dans certaines saisons, se manifestent sur la Terre.

Je n’ai donné avec tant de développement l’analyse de ce qui a été écrit sur les volcans lunaires qu’en raison de la liaison qu’on aurait voulu établir, comme on le verra dans un autre livre, entre ces prétendus volcans et les aérolithes.