Astronomie populaire (Arago)/XXIV/06

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 131-135).

CHAPITRE VI

les saisons sur mars


Puisqu’il existe un axe de rotation, il y a lieu à distinguer sur Mars comme sur la Terre, deux pôles diamétralement opposés et deux hémisphères, l’un boréal et l’autre austral, séparés par le plan passant par le centre de la planète et perpendiculaire à l’axe, par un plan équatorial. Ce plan restant parallèle à lui-même, le Soleil se trouvera dans l’hémisphère boréal pendant la demi-durée de la révolution de la planète et ensuite dans l’hémisphère opposé.

Des équinoxes semblables à ceux que nous observons sur la Terre, sépareront ces deux périodes. Il y aura enfin sur Mars des saisons diverses analogues à celles qu’on observe sur notre globe, et dont nous trouverons la raison dans les positions différentes du Soleil relativement à notre équateur.

Ces considérations servent à expliquer un phénomène singulier, qui se manifeste vers les pôles nord et sud de Mars. Je veux parler de l’apparition, de la croissance et de la diminution de deux taches blanchâtres dont l’éclat est plus que double de celui des autres parties de la planète. La tache nord diminue d’amplitude pendant le printemps et l’été de l’hémisphère de même nom ; elle augmente pendant les deux saisons suivantes. Le contraire arrive au pôle sud ; de là on a tiré légitimement la conclusion qu’il se forme successivement autour des pôles de Mars des calottes étendues d’une matière blanchâtre semblable aux neiges qui se précipitent de notre atmosphère et dont la quantité est réglée par la température.

J’ai dit que ces taches blanches polaires, les taches neigeuses, brillaient d’une lumière plus que double de celle qui nous arrive des bords de Mars. Pour s’assurer de l’exactitude de ce résultat, on n’a qu’à se servir d’une lunette prismatique et à faire empiéter les bords des deux images d’une quantité suffisante peu de jours avant ou peu de jours après l’opposition ; le segment provenant de cette superposition paraîtra un peu moins lumineux que la tache polaire vue en même temps sur chacune des images séparées. Il n’est pas nécessaire d’expliquer ici comment on aurait dû s’y prendre pour faire cette comparaison d’intensité, si par hasard les deux régions équatoriales superposées n’avaient pas donné, par leur réunion, une intensité à peu près égale à celle des taches polaires.

Maraldi disait au commencement de 1706 que depuis cinquante ans on avait observé les taches blanches polaires ; ceci nous ramènerait à une époque antérieure à celle où Cassini déterminait à Bologne la durée de la révolution de la planète. Le même Maraldi fit des observations suivies de ces taches en 1719, les vit changer d’étendue et signala de plus la disparition momentanée de l’une d’entre elles, celle du pôle boréal.

Les taches blanches polaires semblent former des protubérances locales et interrompre ainsi la courbure régulière du disque. Maraldi, dans son Mémoire inséré parmi ceux de l’Académie des Sciences pour 1720, s’exprime à cet égard à peu près en ces termes : « La partie du bord où existait la tache paraissait excéder le disque de la planète et former en cet endroit une espèce de tubérosité. Mars, vu avec la lunette, ressemblait à la Lune observée à la vue simple, aux époques où seulement une partie de son disque, éclairé par le Soleil, est visible de la Terre, tandis que le reste ne devient apparent que par la lueur cendrée. »

Les deux taches polaires parurent à Herschel, confirmé en cela par MM. Mædler et Beer, diamètralement opposées.

Herschel étudia les deux taches neigeuses avec un soin infini. Le centre d’aucune de ces deux taches ne lui parut exactement placé aux pôles de rotation. La déviation semblait néanmoins plus grande pour la tache boréale que pour celle du pôle sud. Les changements observés dans les grandeurs absolues s’accordèrent à merveille avec l’idée que ces taches sont des amas de glace et de neige. Si en 1781, par exemple, la tache parut extrêmement étendue, ce fut après un long hiver de cet hémisphère, ce fut après une période de douze mois pendant laquelle le pôle correspondant avait été entièrement privé de la vue du Soleil. Si, au contraire, en 1783, la même tache se montra très-petite, c’était à une époque où, depuis plus de huit mois, le Soleil dardait ses rayons d’une manière continue sur le pôle sud de Mars. La tache boréale offrit aussi des variations de grandeurs absolues, étroitement liées à la position du Soleil relativement à l’équateur de la planète.

Le 18 mars 1837, les bords de la tache blanche du pôle austral étaient, suivant MM. Mædler et Beer, à 35° du pôle. En 1830, pendant l’été de l’hémisphère sud, les bords de la même tache n’étaient qu’à ou environ du pôle.

MM. Mædler et Beer ont suivi jusque dans les dernières conséquences susceptibles d’être vérifiées par nos instruments, l’explication qu’on a donnée des taches polaires brillantes de Mars en les assimilant à de la neige.

Sur les 668 jours 2/3 dont se compose une année solaire de Mars[1], ces astronomes trouvent que les saisons estivales de l’hémisphère boréal de la planète renferment en nombres ronds 372 jours, et que les saisons hivernales contiennent 296 jours.

Ces mêmes résultats s’appliquent aux saisons de l’hémisphère sud, en remplaçant seulement le mot estivales par le mot hivernales et réciproquement.

Cette inégale durée entre les saisons froides et les saisons chaudes n’empêche pas, comme je le montrerai en m’appuyant sur un théorème de Lambert dans la théorie des saisons terrestres, que les deux hémisphères de Mars ne doivent jouir de la même température moyenne.

Quant aux extrêmes de ces températures, ils peuvent être très-dissemblables si l’on compare un hémisphère à l’hémisphère opposé.

Ainsi, au solstice d’été de l’hémisphère sud de Mars, cette planète est actuellement à sa moindre distance au Soleil et par conséquent reçoit alors de cet astre le maximum de chaleur qu’il puisse jamais lui communiquer. Cette chaleur sera à son minimum au solstice d’hiver.

Il résulte de là que si la matière qui produit la tache blanche du pôle austral de Mars jouit des propriétés analogues à celle de nos neiges, cette tache doit varier considérablement plus que la tache blanche du pôle boréal.

MM. Mædler et Beer disent que cette conséquence est confirmée par leurs observations.

  1. Les jours dont il est question ici expriment le temps que la planète Mars emploie à exécuter son mouvement de rotation sur elle-même.