Astronomie populaire (Arago)/XXIX/03

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 436-441).

CHAPITRE III

anneau de saturne


Saturne présente un phénomène unique dans le système solaire : le globe qui forme la planète proprement dite est entouré, à une distance considérable, d’un anneau presque plat et fort large (fig. 345) qui fait avec le plan de son orbite un angle dont la valeur est actuellement d’environ 28°. Conséquemment cet anneau, dans aucune circonstance, ne se présente de face à un observateur situé sur la Terre ; il paraît toujours elliptique et d’une dimension transversale variable ; le plus petit diamètre apparent n’est jamais supérieur à la moitié du plus grand.

Vue de la Terre, une portion de l’anneau paraît passer sur la planète ; dans la partie opposée, Saturne se projette sur l’anneau et nous en cache une partie. Près de la région où l’anneau se projette sur la planète, on voit, à la surface de celle-ci, une ombre marquant évidemment la portion où, à cause de l’interposition de la matière solide de l’anneau, la lumière du Soleil ne pénètre pas. La planète n’est donc point lumineuse par elle-même, elle ne brille que de la lumière du Soleil réfléchie.

Cette conclusion peut être étendue à l’anneau, car, dans la partie diamétralement opposée à celle qui nous a offert une ombre sur la planète, celle-ci projette, au contraire, sur l’anneau une ombre noire très-facile à distinguer et à reconnaître par son parallélisme aux bords de la planète qui la produit.

L’anneau disparaît dans la plupart de nos télescopes quand son plan prolongé passe par la Terre, l’angle qu’il sous-tend étant alors trop petit pour produire un effet sensible sur nos yeux. Cependant la lumière réfléchie par la tranche reste toujours perceptible lorsqu’on emploie des télescopes de la puissance de ceux de William Herschel. Il disparaît aussi lorsque son plan prolongé passe par le Soleil, les rayons de cet astre glissant alors, pour ainsi dire, sur la surface de l’anneau sans lui imprimer la propriété d’émettre de la lumière. Il disparaît enfin à une époque intermédiaire entre les deux premières, et peu éloignées l’une de l’autre, quand l’anneau, par son prolongement, passe entre le Soleil et la Terre et est éclairé par la face que nous ne voyons pas.

Le plan de l’anneau dans le mouvement de circulation de la planète autour du Soleil restant toujours parallèle à lui-même, il est évident que les positions propres à amener sa disparition, c’est-à-dire le passage de son plan par le centre du Soleil, doivent se reproduire deux fois pendant la durée de la révolution de la planète autour du Soleil et se représenter conséquemment tous les quinze ans environ.

Dans tout ce qui précède, nous avons parlé du plan de l’anneau ; mais il n’est pas certain que cette dénomination soit rigoureusement exacte ; en effet, il est toujours arrivé, à l’époque des disparitions, qu’une anse s’évanouissait plus tôt que l’anse opposée, et que cette dernière était restée visible plusieurs jours après l’entière disparition de l’autre. Les mêmes phénomènes se sont offerts à l’époque des réapparitions. Il y a plus, les anses ont quelquefois diminué d’amplitude vers les époques de la phase ronde. Ainsi, en 1714, elles paraissaient de moitié plus courtes qu’à l’ordinaire.

L’anneau n’est pas continu, il est nettement divisé en deux ; la séparation est plus voisine du bord extérieur que du bord intérieur. Des astronomes ont vu quelquefois des traces d’un plus grand nombre de divisions, d’où l’on a cru pouvoir conclure l’existence de quatre ou cinq anneaux concentriques situés à peu près dans le même plan.

Des observations d’une délicatesse extrême, faites par William Herschel en 1790, ont prouvé que l’anneau ou les anneaux tournent sur leur centre commun en 10h 32m 15s, résultat qui, pour le dire en passant, semble difficile à concilier avec les phénomènes présentés par les deux anses de l’anneau près des moments de sa disparition ou de sa réapparition.

L’anneau, envisagé dans son ensemble, est sensiblement plus lumineux que la planète, et si l’on ne veut comparer que les deux parties distinctes dont l’anneau général se compose, l’anneau extérieur est notablement moins lumineux que l’anneau intérieur.

Des observations dont la précision ne semble pas pouvoir être contestée ont montré que le centre de l’anneau et celui de la planète ne coïncident point exactement. Cette excentricité est d’ailleurs extrêmement petite. La planète a paru toujours un peu plus rapprochée du bord occidental de l’anneau intérieur que du bord oriental.

Voici les valeurs angulaires de l’anneau et des principales parties dont il se compose, pour la distance moyenne de la planète à la Terre ; en d’autres termes, pour la distance moyenne de la planète au Soleil.

Diamètre extérieur de l’anneau extérieur 
40″,09
Diamètre intérieur 
id.   35 ,29
Diamètre extérieur de l’anneau intérieur 
34 ,47
Diamètre intérieur 
id.   26 ,67
Largeur de l’anneau extérieur 
2 ,40
Largeur de la division entre les anneaux 
0 ,41
Largeur de l’anneau intérieur 
3 ,90
Distance entre le bord intérieur de l’anneau et la planète 
4 ,34

Ces dimensions conduisent à la conséquence que le diamètre extérieur de l’anneau extérieur est de 71 174 lieues ; que le diamètre intérieur de l’anneau extérieur est de 62 643 lieues ; que le diamètre extérieur de l’anneau principal intérieur est de 61 198 lieues, et que le diamètre intérieur de ce même anneau est de 47 339 lieues. De là il résulte que la largeur de l’anneau extérieur est de 4 265 lieues ; que celle de l’anneau intérieur est de 6 930 lieues ; que celle de la séparation des deux anneaux est de 723 lieues ; que la largeur totale du double anneau est de 11 918 lieues, et enfin que l’intervalle qui sépare le bord intérieur de l’anneau de la surface de la planète est de 9 314 lieues. L’épaisseur de l’anneau ne parait pas d’ailleurs être de plus de 100 lieues. La figure 346 représente l’aspect de Saturne et de son double anneau pour un observateur qui serait placé sur le prolongement de l’axe de la planète.

Ce qui précède est le résumé de ce que les astronomes avaient aperçu en étudiant l’anneau de Saturne avec les plus grands télescopes. Nous devons dire maintenant que des singularités extraordinaires sont venues s’ajouter récemment à celles qui avaient été signalées antérieurement et dans lesquelles il paraît difficile de ne pas voir le résultat de créations nouvelles qui sembleraient impliquer la conséquence que Saturne est encore aujourd’hui, dans son ensemble, le théâtre de révolutions matérielles dont nous pouvons difficilement nous faire une idée. Voici, en abrégé, un extrait des observations faites par MM. Bond, assistants de l’Observatoire d’Harvard, près de Cambridge, en Amérique :

Les premières observations de M. G.-P. Bond remontent au 11 novembre 1850. Ce jour-là M. Bond aperçut une lumière en dedans de l’ancien anneau. Cette lumière paraissait se terminer brusquement avant d’atteindre le corps de la planète.

Le 15, M. W.-C. Bond, examinant Saturne avec divers oculaires, entre autres avec un grossissement de 400, aperçut distinctement le même phénomène : le nouvel anneau était bien défini, le bord touchait à la planète. L’observateur crut que le nouvel anneau n’était pas adhérent à l’ancien, mais il ne put pas l’affirmer. On suivit le nouvel anneau sur le corps de la planète.

M. G.-P. Bond, avec des grossissements variant de 140 à 400, ne put pas s’assurer si le nouvel anneau était séparé de l’ancien, mais il vit le bord intérieur bien terminé.

M. W.-C. Bond soupçonna enfin plusieurs fois, avec des grossissements considérables, que le nouvel anneau était séparé de l’ancien.

Les mesures faites par MM. Bond donnent 2″,3 pour la largeur de l’anneau extérieur, et 1″,5 pour la largeur du nouvel anneau.

Le 7 janvier, les astronomes américains eurent une pleine confirmation de toutes les observations précédentes.

Nous devons ajouter à ces détails ceux qui ont été recueillis en Angleterre presque à la même date.

Le 3 décembre 1850, M. Lassell étant allé visiter M. Dawes à Wateringburg, dirigea sur Saturne une lunette de Merz, de 18 centimètres d’ouverture, armée d’un grossissement d’un peu moins de trois cents fois : il aperçut comme un voile lumineux qui couvrait sur les deux anses la moitié de l’intervalle compris entre le bord intérieur de l’ancien anneau et le bord de la planète. M. Hind vit les mêmes apparences à Londres, à la suite de la communication que M. Lassell lui avait faite. Enfin, le 3 décembre, M. Dawes lui-même vit le nouvel anneau et aperçut une séparation un peu obscure, mais non entièrement noire, entre son bord le plus éloigné de la planète et le bord extérieur de l’ancien anneau.

Ces observations de M. Dawes ont été faites avec des grossissements compris entre trois cents et six cents fois.