Astronomie populaire (Arago)/XXV/01

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 141-144).

CHAPITRE PREMIER

découverte des petites planètes — loi de titius


Nous allons maintenant passer en revue la fourmilière de petites planètes qu’on a récemment découvertes entre Mars et Jupiter.

Les érudits ont cherché si quelque ancien astronome n’avait pas rêvé, ou, si on l’aime mieux, n’avait pas deviné leur existence. Artémidore d’Éphèse sera, si l’on veut, ce devin, car il soutenait un siècle avant Jésus-Christ que le nombre des planètes est infini ; que la faiblesse, que l’immensité de leur distance étaient les seules causes qui nous empêchaient de les apercevoir.

Démocrite n’allait pas aussi loin qu’Artémidore ; ce philosophe se contentait de dire, selon ce que Sénèque rapporte, qu’il y a beaucoup plus de planètes que nous n’en voyons.

Kant, à son tour, expliquait pourquoi il n’en existait pas entre Mars et Jupiter. À l’origine des choses, Jupiter avait attiré à lui toute la matière qui devait engendrer la planète intermédiaire. Mars était très-petit et manquait de satellite par une raison analogue : une portion de son contingent lui avait été enlevé par la planète colossale.

Titius était entré dans un autre ordre d’idées, il avait cherché si les distances des planètes au Soleil ne se succédaient pas suivant quelque loi régulière. Après bien des essais, il imagina d’écrire la série suivante, dans laquelle, à partir du troisième terme, chaque nombre est le double du précédent.

0 3 6 12 24 48 96 192

Ajoutant ensuite le nombre 4 à chacun des huit termes, Titius obtint la série nouvelle :

4 7 10 16 28 52 100 196

Dans cette série :

4 étant, je suppose, la distance de Mercure au Soleil ;
7 devenait celle de Vénus ;
10 la distance de la Terre ;
16 la distance de Mars ;
28 ne correspondait à rien, c’était une lacune ;
52 était la distance de Jupiter ;
100 celle de Saturne.

Les véritables distances moyennes des planètes au Soleil sont, en effet, ainsi que nous l’avons déjà dit (liv. xvi, chap. vi), les suivantes :

Mercure   0,387098
Vénus   9,723331
La Terre   1,000000
Mars   1,523691
Jupiter   5,202798
Saturne   9,538852
Uranus   19,182730
Neptune   30,036280

Il est remarquable que 196 représente à peu près la distance d’Uranus, planète que Titius ne connaissait pas.

Mais la loi de Titius ne donne pas la distance moyenne de Neptune au Soleil, car est égal à 388, nombre très-différent de 300.

Généralement on attribue les remarques sur l’ordre des distances moyennes des planètes au Soleil, à Bode, directeur de l’Observatoire de Berlin, qui s’en est beaucoup occupé ; mais suivant ce qu’il dit lui-même dans ses Mémoires, la loi qu’on a pris l’habitude d’appeler la loi de Bode, doit être nommée la loi de Titius. Cette prétendue loi a été indiquée pour la première fois dans une traduction allemande de la Contemplation de la nature de Bonnet, publiée à Wittenberg par le professeur Titius.

Quoi qu’il en soit, la lacune qui existe entre Mars et Jupiter dans la loi de Titius, semblait indiquer qu’une ou plusieurs planètes inconnues devaient circuler autour du Soleil à la distance 28. La conjecture s’est complétement vérifiée. C’est vers les régions situées à la distance 28, celle de la Terre au même astre étant 10, que sont venues se placer les petites planètes découvertes depuis le commencement de ce siècle.

À peine les quatre premières de ces planètes furent-elles découvertes, qu’Herschel s’empressa de les observer avec son scrupule et son assiduité ordinaires. Il étudia leurs orbites, leur grandeur, leur constitution physique.

Herschel conclut de ses recherches que les astres situés entre Mars et Jupiter ne méritaient, ni à cause de leur volume, ni par d’autres raisons, de porter le nom de planètes. Il proposa de les appeler des Astéroïdes. Un historien de la Société royale (le docteur Thomson) critiqua cette dénomination avec amertume ; il alla jusqu’à supposer que le savant astronome « avait voulu enlever aux premiers observateurs de ces corps toute idée de se placer aussi haut que lui-même (Herschel) dans la liste des découvreurs astronomiques. » Je n’aurai vraiment besoin, pour réduire au néant une semblable imputation, que de la rapprocher du passage suivant, extrait d’un Mémoire du célèbre astronome, publié dans les Transactions philosophiques, année 1805 : « La différence spécifique qui existe entre les planètes et les astéroïdes est aujourd’hui pleinement établie. Cette circonstance, dans mon opinion, a plus ajouté à la beauté (ornement) de notre système, que la découverte d’une nouvelle planète n’aurait pu le faire. »

Nous allons maintenant nommer les nouvelles planètes, faire connaître l’observateur à qui l’on doit leur découverte, indiquer exactement la date des premières observations dont elles ont été l’objet, rapporter leurs éléments elliptiques, et, lorsqu’il y aura lieu, ce qu’on a pu découvrir du volume et de la constitution physique de ces petits astres.