Astronomie populaire (Arago)/XXVIII/08

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 404-411).

CHAPITRE VIII

théorie de l’aberration


Pour rendre intelligible l’explication de l’aberration, nous prendrons d’abord un exemple familier.

Soit le tube CD (fig. 336). Supposons qu’on le ferme dans sa partie supérieure par une mince plaque métallique percée dans son centre d’une très-petite ouverture A, et que, dans la partie correspondante de l’ouverture inférieure, se trouve placée une petite plaque opaque B de la largeur de l’ouverture A, qui soit maintenue dans sa position par des traverses aboutissant aux côtés du tube. Supposons enfin qu’une molécule soit lancée dans l’intérieur du tube par l’ouverture supérieure A, et demandons-nous quelle direction doit avoir le tube pour qu’en arrivant à son extrémité inférieure ladite molécule soit arrêtée par la petite plaque B ? Il y a ici plusieurs cas à considérer.

Fig. 336. — Explication de l’aberration dans le cas de deux mouvements perpendiculaires. Fig. 337. — Explication de l’aberration dans le cas de deux mouvements obliques.

Admettons en premier lieu, pour fixer les idées, que le tube soit immobile et que la molécule se meuve verticalement, que ce soit, par exemple, une goutte de pluie tombant par un temps parfaitement calme. Il est alors évident que pour satisfaire à la condition de rencontrer la plaque B, la ligne AB devra être verticale : c’est alors seulement que la molécule qui a traversé la plaque supérieure tombera en B en arrivant à la limite inférieure du tube, n’ayant pas quitté la ligne AB dans son mouvement descendant. Ainsi, dans ce cas, l’axe du tube fera connaître la direction AB suivant laquelle la molécule l’a parcouru. Il n’en sera pas ainsi si le tube est animé d’un mouvement de translation, et si cette vitesse de translation est dans un rapport appréciable avec la vitesse dont est animée la molécule.

Imaginons d’abord que ce mouvement de translation du tube s’exécute de gauche à droite, de manière que chacun de ses points ne sorte pas d’une ligne perpendiculaire à AB. Admettons que pendant le temps dont la molécule a besoin pour parcourir l’espace vertical AB, la plaque inférieure du tube et, par conséquent, le point B s’avance d’une petite quantité BB′ ; ce sera à gauche de cette plaque B, considérée par rapport au tube, en un point B″, BB″ étant égal à BB′, que la molécule parviendra à l’extrémité inférieure du tube ; elle ne sera plus arrêtée par la plaque B qu’elle ne rencontrera pas ; pour que cette rencontre eût lieu, il aurait fallu qu’au moment du passage de la molécule tombant par l’ouverture A, la plaque B fût située non plus dans la verticale AB, mais sur la ligne AB″, AB étant à BB″ comme la vitesse de la molécule tombante est à la vitesse de chaque point du tube mesurée dans une direction perpendiculaire à AB.

La ligne AB″ satisfaisant à la condition que la molécule pénétrant dans le tube par l’ouverture A, serait arrêtée par la plaque en B″, n’indiquerait pas, dans ce cas, la direction de la chute de la molécule.

Supposons maintenant que chaque point du tube se meuve avec la vitesse précédente, non plus perpendiculairement à la ligne AB, mais dans une direction oblique et parallèle à la ligne BE (fig. 337). Dans ce cas, si l’on veut que la molécule qui a passé par l’ouverture A soit arrêtée par la plaque B lorsque cette plaque parviendra en E, il faudra d’abord que la plaque ne se trouve pas originairement sur la ligne AB ; que, de plus, elle soit en un point B′ situé à gauche de cette ligne AB, et que les deux côtés AB et BB′ du triangle ABB′ soient entre eux comme la vitesse de la molécule est à la vitesse du point B ; ce sera alors seulement que la molécule, en arrivant en B, y rencontrera la plaque B.

Il faudra bien remarquer que l’angle BAB′, que nous venons de déterminer pour le cas du mouvement oblique du tube, est plus petit pour des vitesses égales que l’angle correspondant au mouvement du tube perpendiculaire à la ligne AB ; en effet, ce dernier angle se déterminerait, ainsi qu’on l’a vu précédemment, en menant par le point B une ligne perpendiculaire à BA, et prenant sur cette ligne un point R éloigné de AB d’une quantité égale à BE, ce qui place le point R à gauche du point B.

Il est un cas, outre celui que nous avons déjà considéré du repos absolu du tube, dans lequel la ligne AB restant verticale jouira de la propriété que la molécule passant par A rencontre la petite plaque inférieure : ce sera celui où le tube, quelle que soit sa vitesse, se meut précisément dans la direction BA.

Tout ce que nous venons de dire d’une molécule matérielle passant par l’ouverture A et aboutissant au repère inférieur B, pourra s’appliquer sans modification au cas où l’on observe une étoile avec une lunette. La molécule matérielle tombante deviendra alors une molécule lumineuse partant de l’étoile ; l’ouverture A sera le centre optique de l’objectif ; enfin la plaque B sera le point de croisement des deux fils opaques placés au foyer derrière lequel l’image observée de l’astre vient se placer et même disparaître quelquefois.

Les rayons qui tombent sur l’objectif, tout autour de son centre optique, ne font que changer l’intensité de l’image totale sans altérer en rien l’exactitude de la comparaison que nous avons cherché à établir entre le tube et la lunette.

Voyons maintenant si le rapport entre la vitesse de la Terre et la vitesse de la lumière est assez grand pour que, dans le maximum d’effet, la ligne AB s’éloigne sensiblement de celle qui aboutit à l’étoile.

Si la Terre est une planète, elle parcourt tous les ans une orbite à peu près circulaire dont le rayon est de 38 millions de lieues, et dont la circonférence par conséquent est égale à 239 millions de lieues ; en divisant ce nombre par celui des secondes dont l’année se compose, on trouve que la Terre parcourt en une seconde de temps 7 lieues 6 dixièmes, tandis que la lumière franchit dans le même intervalle 77 000 lieues. La vitesse de la Terre se trouve ainsi être en nombre rond la dix-millième partie de la vitesse de la lumière. En revenant à la figure 336, dans laquelle la ligne AB est perpendiculaire à la direction BB″, nous aurons AB est à BB″ comme 10 000 est à 1. On trouve ainsi par la trigonométrie ou par une simple construction graphique que l’angle B″AB égale 20″,44 de degré.

La belle théorie que nous venons d’exposer est due à Bradley.

Fig. 338. — Effet de la combinaison de la vitesse de la lumière et de la vitesse de la Terre sur la position apparente des étoiles.

Il résulte de tout ceci, comme on voit, que si la Terre se meut, la ligne AB (fig. 338), ou l’axe optique de la lunette, n’indique pas la direction suivant laquelle les rayons de lumière d’un astre e nous parviennent. On voit même que dans le cas où les rayons nous arrivent perpendiculairement à la direction Af suivant laquelle la Terre se meut, l’étoile e, à en juger par la direction de la ligne AB″, paraîtra en e′ de 20″,44 plus avancée que sa position réelle, comme si le mouvement de la Terre l’avait refoulée dans le sens où notre globe se meut.

Quand la Terre, considérée dans notre écliptique, se déplacera du nord au sud, l’étoile paraîtra au midi de sa véritable place ; elle semblera au nord de cette même place lorsque la Terre, à six mois d’intervalle, se mouvra du midi au nord. Si l’on considère la Terre quand elle se meut de l’occident à l’orient, l’étoile paraîtra à l’orient de sa véritable place, et, quand après six mois d’intervalle, notre mouvement s’effectuera d’orient à l’occident, ce sera à l’occident de sa véritable place que l’étoile semblera située.

Remarquons maintenant qu’il résulte d’une multitude d’observations que nous avons rapportées, que les dimensions de l’orbite parcourue par la Terre sont insensibles relativement à la distance des étoiles, en sorte que tous les phénomènes qu’on observe dans les positions que la Terre vient occuper sur tous les points de son orbite seraient exactement les mêmes si un observateur était placé au centre de l’écliptique. Eh bien, supposons qu’un astronome occupe cette position centrale et qu’il observe une étoile située sur une perpendiculaire au plan de l’orbite terrestre ; en d’autres termes, une étoile située au pôle de l’écliptique. En vertu du mouvement d’aberration, quand la Terre se mouvra du nord au midi, l’étoile sera à 20″,44 au midi de sa position réelle ; quand la Terre se mouvra du midi au nord, l’étoile paraîtra à 20″,44 au nord de sa véritable position ; cette même étoile paraîtra à 20″,44 à l’est ou à 20″,44 à l’ouest de la place qu’elle occupe réellement, lorsque la Terre se mouvra de l’ouest à l’est ou de l’est à l’ouest. Un raisonnement semblable s’appliquerait aux tangentes diversement orientées que la Terre parcourt dans l’intervalle d’une année. Il est clair que si l’on fait passer une courbe par toutes les positions apparentes de l’étoile, elle sera une circonférence de cercle ayant pour centre le pôle de l’écliptique et dont le rayon égalera 20″,44. Si l’on divise ce cercle et celui que la Terre parcourt dans le plan de l’écliptique en 360 degrés qui se correspondent en ce sens que les divisions analogues seront situées dans une série de plans perpendiculaires au plan de l’écliptique et passant par la ligne des pôles, ce qui s’effectuera en menant à la ligne aboutissant au pôle de l’écliptique et par les deux divisions, 360 plans, il est évident que la position apparente de l’étoile sur la circonférence de cercle qu’elle semble parcourir annuellement, sera toujours à 90° de la place que la Terre occupe dans son orbite.

On a vu que c’est là précisément une des lois expérimentales déduites par Bradley de l’ensemble de ses admirables observations. L’accord ne serait pas moins parfait, si, au lieu de prendre une étoile située au pôle de l’écliptique, nous choisissions un astre situé dans l’écliptique ou dans toute autre position intermédiaire.

On demandera peut-être comment on connaît la position réelle d’une étoile ? Je répondrai qu’elle est invariablement au milieu de deux positions diamétralement opposées ; que le plus grand diamètre des orbites apparentes étant de 40″,88, c’est à 20″,44 d’une des deux extrémités qu’est la vraie place de l’étoile.