Astronomie populaire (Arago)/XXXIII/09

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 661-665).

CHAPITRE IX

mois romains


Romulus institua une période de dix mois, après l’épuisement de laquelle on recommençait à compter toujours dans le même ordre.

Le premier de ces dix mois s’appelait Mars, du nom du dieu dont Romulus prétendait descendre. Le nom du deuxième mois (aprilis) a une origine moins certaine : les uns le font dériver du mot aperire, ouvrir, parce que c’est le moment où la terre s’ouvre ; d’autres, ainsi qu’Ovide, le considèrent comme venant, par corruption, d’Aphrodité, un des noms de Vénus.

Le troisième mois fut consacré à Maïa, mère de Mercure.

Le quatrième à Junon ; Junius serait une abréviation de Junonius.

Les noms des six autres mois exprimaient simplement leur rang :

Quintilis, Sextilis, September,
(Cinquième) ; (Sixième) ; (Septième) ;
October, November, December,
(Huitième) ; (Neuvième) ; (Dixième).

Des deux mois ajoutés par Numa aux dix de Romulus, l’un prit le nom de Januarius, de Janus ; le nom de l’autre dérive, disent quelques antiquaires, des sacrifices expiatoires (februalia), par lesquels on se purifiait des fautes commises dans le cours de l’année. Je vois dans Cagnoli qu’en Italie on explique d’une manière un peu différente le nom du second mois : février viendrait de Februo, le dieu des morts, auquel ce second mois aurait été consacré.

Les mois romains sont devenus les nôtres. Il est donc indispensable de les considérer à leur origine, et de voir comment ils se sont modifiés et complétés.

Censorin, d’après le témoignage de Varron, de Suétone, il aurait pu ajouter d’Ovide, dit que, primitivement, en conformité de ce que nous venons de rapporter, il n’y avait que dix mois : mars, avril, mai, juin, quintilis, sextilis, september, october, november et december. Les mois de mars, de mai ; les mois quintilis et october, avaient chacun 31 jours ; les autres 30 seulement. La période romaine d’après laquelle on comptait le temps (l’année) n’était donc que de 304 jours.

Numa ou Tarquin (les érudits n’ont pas osé décider lequel de ces deux rois fit la modification) ajouta 51 jours aux 304 de Romulus, qui servirent à constituer deux nouveaux mois ; la période devint donc de 355 jours.

Les cinquante et un jours ajoutés ainsi n’étant pas suffisants pour donner aux deux mois nouvellement créés de janvier et de février, une longueur peu différente de celle qu’avaient déjà les anciens mois, on fit subir à quelques-uns de ceux-ci une diminution. Les quatre grands mois, mars, mai, quintilis et octobre, conservèrent leurs 31 jours ; l’emprunt s’effectua sur les six mois caves, sur les six mois de 30 jours, qui, à partir de là, n’en eurent plus que 29 ; 6 jours ajoutés à 51, formèrent un total de 57, qu’on répartit ainsi : 29 à janvier, et 28 à février.

Un mot sur ce qu’il y a d’étrange dans ces arrangements numériques.

Les Grecs comptaient par périodes de 354 jours. En ajoutant 50 jours aux 304 de la période de Romulus, on aurait retrouvé le même chiffre. On en ajouta 51 par superstition ; on voulut que le total ne fût pas un nombre pair, d’après la persuasion que les nombres impairs étaient plus heureux, plus agréables à la divinité. Tel fut aussi le motif de la bizarre répartition des jours entre les divers mois : il y en avait quatre de 31 jours ; sept de 29 ; le mois de février en comptait 28. Ce mois avait un double défaut : il était le plus court ; et, chose autrement grave, il se composait d’un nombre pair de jours.

Voilà, suivant la remarque d’un historien illustre, de Daunou, ce qu’était la sagesse romaine au temps du divin Numa.

Chacun des mois romains était partagé en trois sections inégales, séparées par des jours portant les noms de calendes, de nones et d’ides.

Les calendes étaient invariablement fixées aux premiers jours de chaque mois ; les nones arrivaient le 5 ou le 7 ; les ides, le 13 ou le 15.

Les enfants, ayant leur attention principalement fixée sur le prochain jour de congé, sur le dimanche, désignent souvent les jours de la semaine d’après leur distance à cette époque tant désirée. Il n’est pas rare de leur entendre dire : Nous sommes à deux, à trois, à quatre jours, etc., du dimanche. Ainsi comptaient les Romains : ils caractérisaient chaque jour par sa distance à la fête suivante du même mois. Immédiatement après les calendes d’un mois quelconque, les dates étaient rapportées aux nones, et l’on disait : sept jours, six jours, cinq jours, etc., avant les nones. Dès le lendemain des nones, on comptait par ides ; enfin les jours qui terminaient un mois étaient rapportés de même aux calendes du mois suivant. Par exemple, les derniers jours de février s’appelaient le septième, le sixième, le cinquième avant les calendes de mars. Quand les ides étaient le 13, on avait à dénombrer jusqu’à dix-sept jours avant les calendes du mois suivant.

Il est bon de consigner ici une remarque qui fera ressortir encore davantage l’incroyable bizarrerie de cette manière de compter.

Le jour qui précédait immédiatement les nones, les ides, les calendes, s’appelait comme de raison la veille des nones, la veille des ides, la veille des calendes. L’avant-veille de chacun de ces jours aurait dû prendre respectivement le nom de deuxième jour avant les nones, avant les ides, avant les calendes ; il s’appelait en réalité le troisième ; le jour qui précédait l’avant-veille prenait le nom de quatrième, et ainsi de suite, avec une erreur constante en plus d’une unité.

Qui ne voit avec surprise, je dirai presque avec dégoût, dans cette numération rétrograde, le jour des nones, par exemple, pris comme vrai point de départ, ne pas figurer dans le compte quand il s’agit de la veille, et figurer, au contraire, comme une unité dans la fixation du rang de l’avant-veille !

Lorsque désormais on entendra Bélise, dans les Femmes savantes, demander au notaire :

De dater par les mots d’ides et de calendes,


on connaîtra la signification de ce vœu, on saura que la folle, comme la qualifie Molière, fait appel à ce que l’antiquité nous avait légué de plus décousu, de plus déraisonnable.

Les Romains sentirent, comme les Égyptiens, la nécessité, qui sera bientôt démontrée, de recourir à des mois intercalaires.

Tous les deux ans, un mois supplémentaire s’ajoutait aux douze mois ordinaires. Ce mois s’appelait mercedonius, merkedonius ou merkedinus.

Par une bizarrerie presque inexplicable, le mois mercedonius s’intercalait tout entier entre le 23 et le 24 février. Ainsi, après le 23 février venaient : le 1er, le 2, le 3, etc., mercedonius ; ce n’était qu’après l’épuisement des jours de ce mois supplémentaire, qu’on reprenait la série : 24, 25, 26, 27 et 28 février.