Astronomie populaire (Arago)/XXXIII/47

La bibliothèque libre.
GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 732-735).

CHAPITRE XLVII

cycle chronologique, dit julien


On appelle de ce nom un certain mode de dénombrer les années, imaginé par Joseph Scaliger. Cette méthode, que nous allons faire connaître, a été appelée par l’auteur période julienne, ou cycle julien, parce que les années du calendrier julien y figurent exclusivement. C’est à tort, comme Daunou l’a remarqué, que ce nom a généralement été regardé comme un hommage rendu par l’auteur à son père Jules Scaliger.

La durée de la période julienne est de 7 980 ans. Ce nombre n’a pas été pris arbitrairement ; il est le produit de 15 par 19 et par 28. Ces trois nombres, comme on sait, sont les durées respectives des cycles de l’indiction (chap. xxiv). de Méton (chap. xiii) et du cycle solaire (chap. xxxviii).

Après avoir établi la durée de la période, il était indispensable, pour le parti que Scaliger voulait en tirer, de déterminer convenablement son point de départ ; c’est en cela surtout que le travail du célèbre érudit mérite d’être remarqué. L’origine de la période de Scaliger est l’année 4713 avant Jésus-Christ. Ainsi, si l’on dénombrait les armées suivant la méthode de Scaliger, l’année 4713 avant notre ère serait donc marquée du chiffre 1, l’année 4712 du chiffre 2, l’année 4711 du chiffre 3, et ainsi de suite indéfiniment, sans solution de continuité. L’absence de coupure à l’origine de notre ère serait, pour l’exactitude de la chronologie, un avantage réel ; à quoi nous pouvons ajouter d’autres propriétés plus précieuses encore de la période scaligérienne que nous allons signaler. Supposons qu’on remonte, par intervalles de 19 ans, à partir du commencement d’une période lunisolaire ou de Méton, on fixera, par ce calcul, toutes les années antérieures où cette période a dû commencer ; on découvrira ainsi que l’année 4713 avant notre ère était une de celles-là.

Supposons encore qu’on fasse un calcul analogue relativement au cycle solaire de 28 ans ; si à partir de la première année actuelle d’un de ces cycles on remonte successivement de 28 ans, on aura fixé toute la série d’années où le cycle solaire a dû commencer, et l’année 4713 figurera dans ce nombre.

Admettons enfin qu’on veuille chercher rétrospectivement quelles sont les années où le cycle d’indiction a commencé. Ces années s’obtiendront en remontant par périodes de 15 années à partir d’une de celles qui dans les temps modernes a signalé le commencement de l’indiction. Cette série de déterminations a montré à Scaliger que l’année 4713 avant notre ère, qui, déjà d’après les calculs précédents, avait dû coïncider avec les commencements d’un cycle lunisolaire de 19 ans, et d’un cycle solaire de 28 ans, marquait aussi le commencement d’une période d’indiction de 15 ans.

En définitive, les trois périodes citées ont pour origine commune l’année 4713.

On voit maintenant pourquoi Scaliger a pris pour durée de son cycle le produit de 15 par 19 et par 28. Ce produit renfermant un nombre exact de fois 15, 19 et 28, il est clair que lorsqu’il se sera écoulé un cycle d’années égal au nombre d’unités qu’il contient, à partir de l’origine de la période ou de l’année 4713, les choses se trouveront dans le même état qu’à l’origine, et que les trois cycles recommenceront simultanément.

Il n’est pas moins évident qu’en divisant par 19, par exemple, le chiffre indicateur du rang d’une année, suivant la manière de compter de Scaliger, le quotient en nombre rond fera connaître la série des périodes entières lunisolaires qui se sont écoulées depuis cette origine de la division du temps, et que les unités restantes détermineront combien d’années il faut compter de la période lunisolaire suivante, ou non révolue. Il en serait de même des calculs que l’on effectuerait à l’égard du cycle d’indiction ou du cycle solaire. Ces calculs peuvent amener quelquefois à constater des erreurs chronologiques.

Supposons, en effet, que tous les événements de l’histoire ancienne et de l’histoire moderne soient rapportés au cycle scaligérien. Supposons de plus qu’un fait ait été indiqué, suivant l’habitude des chroniqueurs, comme étant arrivé dans une certaine année, et qu’on donne en même temps pour cette année le millésime et les époques correspondantes de l’indiction, du cycle lunisolaire et du cycle solaire. Un calcul très-facile, trois divisions, montrera si ces quatre désignations sont concordantes.

J’ai voulu, dans ce qui précède, signaler clairement le but que Scaliger s’était proposé en inventant la période julienne ; cette méthode, si elle était suivie, aurait-elle pour la chronologie tous les avantages que son auteur s’en promettait ? Cette question a été fort débattue entre des savants d’un mérite éminent, mais je ne saurais même indiquer ici les raisons pour et contre qui ont été produites des deux côtés avec une amertume dont les érudits, dit-on, s’affranchissent difficilement.

Le cycle scaligérien ou julien a eu l’honneur inappréciable d’être suivi par Kepler et le père Petau ; c’est là ce qui justifie la mention détaillée que nous venons d’en faire. Nous nous abstiendrons, pour abréger, de parler d’une foule de périodes auxquelles des calculateurs et même des astronomes avaient prétendu attacher leurs noms, mais qui n’ont pas été adoptées par le public déjà trop fatigué des complications de la chronologie. Nous ne ferons pas même une exception en faveur du cycle dionysien, inventé par Denys le Petit et composé de 532 ans ; car, malgré sa précision, il n’a pas été employé.