Au Congrès de Bonn - Choses vues en Rhénanie

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Contre-amiral Degouy
Au Congrès de Bonn - Choses vues en Rhénanie
Revue des Deux Mondes7e période, tome 13 (p. 676-692).
AU CONGRES DE BONN
CHOSES VUES EN RHÉNANIE

Le 17 décembre 1922 devait se réunir, à Bonn, sur le Rhin, le troisième Congrès du « parti populaire républicain rhénan. » Le Comité de la Rive gauche du Rhin était invité par le chef de ce parti, M. Smeets, à y envoyer des délégués, comme il l’avait fait pour les deux Congrès précédents (novembre 1921, juillet 1922). Je fus désigné, avec MM. Dontenville et Mallez, pour aller témoigner de notre sympathie en faveur de l’œuvre entreprise par le jeune et énergique directeur de la Rheinische Republik, organe officiel du parti.

Que je dise, tout d’abord, que le Comité français de la Rive gauche du Rhin ne demande pas et n’a jamais demandé l’annexion de la province rhénane. En ce qui nous concerne ; du moins, nous tenons qu’à aucun prix il ne doit y avoir au Palais-Bourbon de député protestataire, comme il y en eut, dès 1871, au Reichstag allemand. Or, c’est ce qui pourrait se produire, en cas d’annexion, même si la grande majorité de la population rhénane s’était déclarée en notre faveur.

Laissons donc, au seuil de ce récit, toute préoccupation relative à la prise de possession définitive, par la France, du territoire rhénan. Il n’en peut être question que dans la propagande anti-française si remarquablement organisée à Berlin et acceptée, — reconnaissons-le avec regret, — beaucoup trop bénévolement chez nos anciens alliés et associés.


Le trajet de Paris à Cologne dure 13 heures environ, de 8 h. 10 du matin à 8 h. 45 du soir. C’est trop, la distance n’excédant pas 460 kilomètres. On perd beaucoup de temps aux formalités de la douane, aussi vaines que désagréables [1]. Mais on en perd davantage encore à l’arrêt de Liège qui est, normalement, de plus de deux heures, parce qu’on attend, là, l’express de Bruxelles à Berlin. Celui-ci, par surcroît, est assez fréquemment en retard. Nous profitons de l’arrêt de Liège pour aller voir la sympathique cité wallonne et admirer le magnifique palais de ses anciens princes-évêques. Le temps est pluvieux, malheureusement ; mais le 15 décembre, c’est déjà beaucoup de n’avoir pas de neige. Le soir d’hiver nous enveloppe de ses voiles humides et froids au moment où, reliés enfin au train de Bruxelles, — en retard de trois quarts d’heure,— nous entrons dans la pittoresque contrée de l’Herve et des Hautes Fagnes et suivons le cours de la Vesdre, si riante, en été, entre ses prairies et ses futaies. Tout cela se perd dans la fin d’un crépuscule pleurard et nous voilà à Herbesthal, la douane allemande. Une demi-heure après, c’est Aix-la-Chapelle, aux mille feux et, enfin, au bout de deux heures d’un bercement monotone sur une voie presque toujours en « palier, » ce sont les faubourgs de l’énorme Cologne.

A peine hors de l’immense « galerie des machines » qu’est la gare de la capitale rhénane, nous retrouvons ceux de nos amis qui nous y devaient recevoir : ces Messieurs avaient dû, de guerre lasse, aller souper au buffet.

Mais qu’est-ce donc que la colossale muraille, noyée dans un nuage gris, qui nous barre le passage au sortir du vestibule de la gare ? Encore ébloui par les lampes électriques, je ne reconnais pas tout d’abord la nef de la cathédrale : après vingt-huit ans écoulés depuis le moment où, entre deux trains, je visitais rapidement Cologne avec mon pauvre ami Delgüey de Malavas, — nous revenions de Glatz ! — je ne me rappelais plus qu’un des traits caractéristiques de la moderne Colonia Augusta Agrippiniensis, c’est qu’on y débarque tout juste au cœur de l’ancienne ville, au pied du célèbre « Dom, » lui-même entouré d’églises satellites fort curieuses, tout près de l’immense pont du Rhin, au milieu des palais, des hôtels, des plus beaux magasins, des banques, de la poste... et du Quartier général anglais.

C’est merveilleux. Mais il est trop tard pour jouir pleinement de la beauté de Cologne. Nous installer au Fürstenhof, en face de la cathédrale, et à peu de distance, — qu’on me passe le rapprochement, — de l’historique boutique de Jean-Marie Farina, nous restaurer un peu, prendre langue avec nos amis, et c’est assez, en vérité, pour la journée du vendredi.


Le samedi 16 nous trouve sur pied d’assez bonne heure pour que nous puissions faire une tournée dans les banques, — il s’agit d’avoir le plus de marks possible pour un billet de cent francs : nous en trouvons 47 200, en fin de compte, — avant d’aller voir le représentant du haut-commissaire français de Coblence, à qui notre visite a été annoncée.

M. A... nous reçoit, — officieusement, j’ai à peine besoin de le dire, — de la manière la plus courtoise et nous met, en quelques mots, au courant d’une situation assez particulière, que nous ne connaissions encore qu’imparfaitement.

Il paraît qu’à la réunion du mois de juillet, à Aix-la-Chapelle, le succès, très marqué, de la délégation de notre Comité n’avait pas laissé d’indisposer les représentants de certain parti, actif, patriote et quelque peu ambitieux, semble-t-il, chez nos voisins de Belgique. On nous signale donc, discrètement, l’intérêt qu’il y aurait à laisser, cette fois, la parole, — exclusivement, — à l’élément belge, à supposer que cet élément soit représenté, le lendemain dimanche, à la réunion de Bonn.

J’avoue que je suis surpris et je n’en fais pas mystère. Qu’est-ce que cette jalousie et en quoi l’avons-nous méritée ? Nos délégués ont dit, à Aix-la-Chapelle, leur sympathie pour le mouvement autonomiste rhénan. Personne, que je sache, n’a empêché les délégués du parti belge en question d’en faire autant. Les choses se présenteront-elles différemment à Bonn ? Ce n’est pas probable. En tout cas, invités par M. Smeets et désireux de ne le gêner en rien, nous nous en tiendrons aux indications qu’il voudra bien nous fournir, cet après-midi.

Il y a un peu moins d’un an, j’assistais à une réunion de la ligue des associations patriotiques françaises. Un orateur belge y prit la parole. C’était l’un des écrivains les plus populaires de la Wallonie, M. des Ombiaux. Dans son allocution, d’ailleurs parfaitement aimable pour la France, et qui fut très applaudie, M. des Ombiaux avait fait allusion au désir que le parti belge dont je viens de parler nous attribuait de vouloir, un jour, porter notre frontière jusqu’au delà de Dusseldorf et d’absorber tout le territoire rhénan de la rive gauche. L’orateur ne paraissait pas faire grand état d’une telle appréhension. Il s’en tenait certainement aux déclarations françaises, si répétées, et que nous savons, nous, si parfaitement sincères. Cependant, je pensai qu’il n’était pas tout à fait inutile de protester une fois de plus du désintéressement, à ce sujet, de l’immense majorité des Français. Mais, traitant l’affaire sur un ton humoristique, je demandai à M. des Ombiaux si l’on pouvait vraiment supposer, en Belgique, que cette France, toujours éprise de beauté, qu’il venait de célébrer, aimerait à prendre la physionomie cornue et pointue que lui donnerait le tracé d’une frontière qui, poussant au Nord jusqu’à Clèves, borderait sur cinquante lieues les limites orientales du Luxembourg, de la Belgique et de la Hollande.

On rit : l’aimable Belge, tout le premier. Peut-être, cependant, quelques-uns de ses compatriotes ne furent-ils pas désarmés. Le spectre de « l’encerclement français » hante certains esprits, à Bruxelles et à Anvers. Il semble cependant que de bien autres périls que celui-là menacent la Belgique. Souhaitons-lui de les vaincre sans de trop profondes convulsions.


Je ne connaissais M. Smeets que d’après le crayon tracé par ceux de nos collègues qui avaient eu l’occasion de le rencontrer en Rhénanie : « Ce n’est point du tout un docteur Dorten, un intellectuel doublé d’un homme du monde, mêlé aux grandes affaires politiques et financières. Plus jeune que le chef du parti rhénan autonomiste « dans le cadre de l’Allemagne » (retenons cette réserve), Smeets est un « self made man, » très actif, très vigoureux, combatif à souhait, car il faut l’être, et résolument, pour résister à l’énorme pression de tout l’organisme impérial et prussien dans la partie de la province rhénane où le pavillon aux léopards couvre volontiers les agissements, légaux ou non, des gouvernants de Berlin. Mais cet homme de courage et de foi, entouré d’une élite de fidèles aussi déterminés que lui, soutenu par la vaillante Lorraine, — de l’ancien pays annexé, — qu’est sa femme, joint à une remarquable justesse de vues générales, la connaissance parfaite du tempérament de son peuple, de ses sympathies et de ses antipathies, de ses intérêts et de ses aspirations, économiques aussi bien que politiques. Avec cela, une plume alerte et incisive, une éloquence naturelle, entraînante, qui s’adresse à la fois à la raison et au sentiment... Or, de sentiment, il n’y en a pas de plus vif, chez les Rhénans, que la haine du Prussien et, mieux encore, la profonde défiance des prétendus Allemands de l’Est, « de ces Slaves mal germanisés qui se mêlent de régenter les descendants de la noble nation franque... »

Le portrait était exact. Je n’y ajoute quelques traits que pour constater que je me suis trouvé, cet après-midi du samedi 16 décembre, en face d’un jeune homme de trente à trente-cinq ans, de physionomie sympathique, de regard droit et net, qui dit bien ce qu’il veut dire, sans détours, sans réticences et qui, d’entrée de jeu, nous demande en souriant : « Eh bien ! pouvons-nous espérer que la France nous soutiendra ? »

La France ! Nous n’avons, nous, aucune qualité pour parler en son nom ; et il le sait bien, au demeurant. Nous disons seulement notre effort, les luttes que nous avons soutenues depuis huit ans pour le triomphe de notre cause, qui est justement celle de Smeets et de Dorten, — l’autonomie rhénane, — mais plutôt celle de Smeets, qui n’ajoute pas, lui, « dans le cadre de l’Allemagne. »

Lejeune chef de parti reconnaît la valeur de notre aide ; il reconnaît aussi que, depuis quelque temps, l’opinion française, engourdie jusque-là, semble s’émouvoir à la pensée qu’il y a ici, tout le long du Rhin, des populations qui ne nous sont aucunement hostiles ; qui, bien au contraire, s’étonnent que nous n’ayons pas repris la politique séculaire qui les défendait contre les empiétements et la mainmise des « gens de l’Est ; » des populations qu’effraie singulièrement, à l’heure présente, la catastrophe financière dont l’Allemagne est menacée, la catastrophe politique, aussi, — car ils sont convaincus que la première entraînera fatalement la seconde et que la Russie soviétique n’attend que cela pour entrer en scène. Or, tous les Rhénans, ouvriers compris, sont anti-bolchévistes... Et alors ils commencent à se tourner vers nous, qui apparaissons si tranquilles, si fermes et si forts, encore que, — là, en vérité, ils ne comprennent plus, — nous semblions nous défier de notre propre puissance, en tout cas redouter de nous en servir.

Et puis la question économique, celle des « intérêts, » toujours et partout bien près du premier rang :

« La Rhénanie est riche, dit Smeets. Tout le monde le sait ! Mais les Etats dont elle dépend, Prusse, Hesse, Bavière, l’exploitent sans vergogne. Le « Reich, » par là-dessus, dispose de ses impôts, — écrasants, — pour payer, dit-il, les réparations françaises ; mais, en réalité, il ne paie rien, tandis qu’il subventionne indirectement, — ne fût-ce qu’en ne leur réclamant pas les taxes sur la richesse acquise et sur les revenus industriels ou commerciaux [2], — toutes les entreprises des magnats de la rive droite ; tandis qu’il exécute et solde lui-même, là-bas, d’énormes travaux, chemins de fer, canaux, ports de mer et de rivière, et qu’il crée, au profit des industries d’État, — télégraphes et téléphones, par exemple, — les outillages les plus perfectionnés. Ne sait-on pas aussi qu’il favorise par tous les moyens, « participations » comprises, le développement de la flotte marchande [3], du cabotage, de la grande batellerie ? Et enfin, vous. Français, comment ne le voyez-vous pas (il est vrai que vos malheureux contrôleurs militaires sont lapidés partout...) ? le Reich, que vous avez laissé se prussianiser plus encore qu’il ne l’était avant la guerre, dépense follement pour reconstituer sa force militaire, son armement, son aviation, désormais libre, ses usines de gaz empoisonnés. Et toutes les formations militaires, avouées ou secrètes ; et tous les règlements qui n’ont en vue que l’offensive, comme en 1914 : et toute l’éducation de la jeunesse qui roule sur la nécessité de la revanche ; toutes les Universités, — celle de Bonn en tête, — où l’on enseigne ouvertement, comme dans les gymnases et les écoles primaires, la haine de la France ! Ignorez-vous donc tout cela, que nous savons, nous, de source certaine, puisque ça se passe sous nos yeux et que nos oreilles en retentissent... Etes-vous donc à la fois aveugles et sourds ?... »

Smeets s’échauffe. Qu’il soit convaincu, comment en douter ? N’a-t-il point, d’ailleurs, souffert pour ses convictions ? N’est-il pas menacé, traqué, plusieurs fois condamné, — sauvé, d’ailleurs, d’un internement de l’autre côté du Rhin, qui ne finirait probablement jamais, par notre haut-commissaire [4], dont il loue l’esprit de justice et la vigilance. Son journal, son organe essentiel, la Reinische Republik, n’est-il pas persécuté de toutes les façons, suspendu, interdit, ses abonnés dénoncés à la police, ses acheteurs au numéro obligés de se cacher... ?


Oui, mais, en définitive, que se passera-t-il demain, à Bonn ? Quels sont les espoirs du chef du parti des libertés rhénanes ?

— Espoirs, dit Smeets ? Non pas ! Certitude absolue d’un grand succès. Nous avons, dès maintenant, l’adhésion de 1 860 délégués représentant 800 et quelques communes, c’est-à-dire plus du double des délégués que nous réunissions pour la première fois en novembre 1921. Notre parti grandit tous les jours. La France, le jour de Faction venu, peut être certaine d’un résultat heureux, pour peu qu’elle nous aide...

— La France, dis-je en souriant, avec la Belgique...

— Assurément, répond Smeets en souriant, lui aussi, car il a parfaitement saisi l’allusion. Oui, je comprends, on vous a dit que je devais compter avec certaines susceptibilités. C’est vrai. Peut-être, à Aix-la-Chapelle, ne m’en suis-je pas avisé assez tôt. Aidez-moi, messieurs, à tout arranger en ne prenant pas la parole, cette fois. Le parti n’en saura pas moins ce qu’il doit aux efforts généreux et persévérants de votre comité...

— Mais, quelques mots de sympathie seulement ?...

Smeets réfléchit un moment. Sans doute il hésite à nous refuser cette petite satisfaction. Mais il doit y avoir des engagements pris...

— Non, vraiment, dit-il enfin. Je crois que le silence vaudra mieux. N’avez-vous pas un proverbe français qui affirme que le silence est d’or... quelquefois au moins ?

Il n’y a plus rien à dire, évidemment, d’autant mieux que notre hôte nous comble d’attentions et d’amabilités que nous sentons sincères. Il faut bien voir que, représentant plutôt la Rhénanie du Nord, — secteur belge, plus encore que secteur anglais, — il est obligé de garder les plus grands ménagements vis à vis de nos Alliés de Belgique. En langage militaire, je dirais volontiers que sa base d’opérations est surtout du côté de la Meuse ; de quoi il faut bien tenir compte.

Le sacrifice, au demeurant, ne nous paraît pas si cruel. Ni mes collègues, ni moi ne recherchons les succès oratoires. J’aurais, pour ma part, certain embarras, — ayant fort oublié le peu d’allemand que j’avais appris dans mes voyages et aventures d’autrefois, — à dire très correctement les quelques mots de sympathie dont il était question tout à l’heure.


Il n’y a que 25 kilomètres, — en palier, — de Cologne à Bonn. Quand on n’a pas de bagages, on ne prend pas la voie ferrée, mais un bon et rapide tramway sur route, qui fait le trajet en quarante minutes, presque toujours le long du grand fleuve, tandis que le chemin de fer court un peu plus dans l’Ouest. M. Charles L.-S., notre aimable guide habituel, nous fait remarquer, d’abord le grand port fluvial de Cologne qui, peu à peu, rivalisera avec celui de Dusseldorf, puis les vastes docks, les entrepôts, les usines qui s’échelonnent le long de notre route : « Observez, dit-il, qu’il y a beaucoup de noms français sur les enseignes [5], » puis les nombreuses et belles villas, toutes neuves, que les grands commerçants et industriels de Cologne ont fait bâtir, depuis la fin de la guerre, sur les bords du Rhin.

— Avouez, messieurs, dit notre cicerone bénévole, que rien de tout cela ne sent la défaite, encore moins la ruine. Cologne grandit toujours et prospère. C’est le plus vaste « emporium » du centre et de l’Ouest de l’Allemagne, la distributrice et la régularisatrice de tout ce qui arrive par le Rhin et par l’éventail de voies ferrées dont elle est le centre. Le territoire de la Ruhr devenant trop étroit pour la complète utilisation sur place de ses ressources minières, beaucoup de « transformations » se font et se feront de plus en plus ici.

D’ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il existe sur la rive gauche du fleuve, dans la région dont Cologne est le naturel débouché, des mines importantes de charbon et de lignite [6], dont l’exploitation est en progrès constant. — Mais, au fait, dis-je, si Cologne prend une telle importance et qu’elle atteigne son million d’habitants, ce qui ne tardera guère, ne se souviendra-t-elle pas qu’elle appartint autrefois à la Hanse et que, sous ses Archevêques Électeurs, aux XVIIe et XVIIIe siècles, elle était, en somme, une ville libre ? Dans le cas où le mouvement autonomiste réussirait, n’y ferait-elle pas figure d’un Hambourg industriel ?

— Hé I Précisément, il en est fort question ; et le curieux est que ces velléités reçoivent, dit-on, de secrets encouragements. On dit déjà que les Britanniques se sont pour toujours établis à Cologne, au point de vue économique, s’entend. Il est certain qu’ils y font de très grandes affaires, qu’ils achètent maisons, fabriques, usines ; en quoi, du reste, ils doivent compter avec les Hollandais, les uns et les autres bénéficiant d’un change très élevé... Bref, Cologne, admirablement administrée par un homme remarquable, le bourgmestre Adenauer...

— Celui qui, en 1919, disait à l’un de nos officiers supérieurs : « Vous êtes surprenants, vous autres Français. Vous voulez certainement garder ce pays et vous ne vous informez même pas de ses ressources, de ses richesses. C’est comme si l’acquéreur d’une maison l’achetait sans l’avoir visitée... »

— Justement ; Cologne donc, sous M. Adenauer, est en passe de jouer un grand rôle,— mais un rôle à tendances particularistes sans doute,— dans les événements qui se préparent... car il est impossible, tout le monde en est d’accord, ici, que la situation actuelle se prolonge. Une révolution, quel qu’en soit le caractère, est inévitable...

— C’est l’avis de M. Smeets. Il nous le disait hier, en ajoutant que c’était de ce « mouvement » fatal, inéluctable, qu’il fallait profiter pour organiser « la République rhénane, indépendante, libre et neutre, » — cartel est, en résumé, son programme, qui se distingue de celui du docteur Dorten par l’adjonction de ce mot significatif : et neutre, formule concise de ce que nous appelons, nous autres, l’État-tampon.

Tout en devisant ainsi, nous arrivons à Bonn. Il est près de onze heures : une rapide visite de la ville, le déjeuner, la prise de contact avec diverses personnalités françaises et rhénanes venues de Coblence, de Mayence et du Palatinat, nous feront atteindre l’heure de la réunion du Congrès, au Kôlnerhof.

Mais je m’avise de présenter mes compliments à M. le général Henrys qui commande, dans ce secteur détaché de celui de Mayence, le 33e corps, et que j’ai l’honneur de connaître depuis longtemps. Cela change tout, au moins en ce qui me concerne. J’erre dans la ville, — d’ailleurs charmante, — à la recherche de l’hôtel du commandant en chef, que personne ne sait m’indiquer. En revanche, j’ai la chance heureuse de voir défiler le personnel de deux batteries d’artillerie lourde : hommes superbes, portant haut la tête, qui marchent fort bien au son des trompettes. Ah ! Cette marche de l’artillerie française qui évoque chez moi les plus lointains et les plus chers souvenirs d’enfance, cette marche alerte, décidée et grave en même temps, quel frisson elle me donne aujourd’hui, ainsi entendue dans une ville du Rhin, au milieu de passants rangés sur les trottoirs, silencieux, attentifs… Je suis justement tout près de la petite maison de Beethoven, qu’à mon grand regret je n’aurai pas le temps de visiter… Que d’impression vives, que de sentiments profonds ! On a beau dire, c’est quelque chose que la gloire, c’est quelque chose que la victoire, — même « sabotée, » — quand cette victoire est celle de la plus juste cause, celle d’un peuple qui a dû défendre son existence contre l’inique agression provoquée par ces Germano-Slaves de l’Elbe et de la Sprée que Smeets va flétrir tout à l’heure.


Il m’a fallu une heure, guère moins, pour atteindre la belle villa du général Henrys.

Le commandant du 33e corps s’intéressait beaucoup à la question du Congrès. Il voulut bien m’assurer que toutes mesures étaient prises pour que les violences qui avaient marqué, de la part de la police prussienne, la fin du premier Congrès, en 1921, ne pussent se renouveler. D’ailleurs, les décisions adoptées par la Haute-Commission interalliée, sur l’initiative de notre représentant, avaient porté leurs fruits. M. Smeets et ses partisans étaient couverts d’une efficace protection.

Et la question des gages ? Et l’occupation, — ou l’encerclement, — de la Ruhr ?… On s’en entretint, certes, pendant le déjeuner, mais le lecteur ne s’étonnera pas si je me borne à dire que « le 33e corps était prêt à exécuter toutes les missions que le Gouvernement français voudrait lui confier… »

À deux heures, le général mettait gracieusement à ma disposition son auto, et c’est dans ce somptueux véhicule que j’arrivai à la porte du Kôlnerhof.

Une grande salle carrée avec, au pourtour, un balcon et, au fond, une scène de théâtre. Beaucoup de drapeaux alliés et l’étendard rhénan, vert, blanc et rouge, qui n’est pas du tout « l’étendard impérial. » Il y a là, au moment où j’entre, de deux mille à deux mille cinq cents personnes. Les délégués sont rangés des deux côtés de longues tables, perpendiculaires à celle qu’occupent, — parallèlement à la rampe de la scène, — Smeets, ses principaux lieutenants, qui prendront la parole après lui, les journalistes allemands et un « reporter » belge. Je ne vois aucun représentant de la presse française. L’annonce de ce Congrès rhénan a fait peu de bruit chez nous. L’a-t-on, à dessein, passé sous silence ? Il se peut. La perspective de la création d’un Etat rhénan, plus ou moins indépendant, qui, bientôt, aurait une puissance économique marquée et que l’Etat français, l’ayant soutenu, traiterait peut-être mieux encore « que la nation la plus favorisée, » ne laisse pas d’indisposer beaucoup d’intérêts particuliers peu enclins aux sacrifices patriotiques.

Et puis cet Etat serait catholique... ce qui fait hocher la tête à beaucoup d’hommes politiques « des années cinquante ou soixante, » comme disent les Russes.

Et encore, — peut-être davantage, — faut-il compter avec ceux dont la seule formule de politique française à l’étranger se résume dans ces trois mots : « Que dira l’Angleterre ?... »

Laissons cela. Je me mets à la recherche de mes collègues du Comité. Mais comment les découvrir dans cette foule ? Je pousse jusqu’à la table de Smeets et aussitôt on se lève, on m’accueille, on me fait place, ce qui n’est plus très facile. Il faut que je renonce, non sans regret, à voir mes deux collègues à mes côtés. Je ne les retrouverai qu’à la fin de la séance.

Quelques mots brefs du chef du parti, déjà vigoureusement acclamé. Le programme annonce un chœur. Le voici : une demi-douzaine de chanteurs, pas plus, mais qui sont excellents. Les Allemands, disons-nous volontiers, sont bons musiciens. C’est vrai ; mais là encore, il faut distinguer. Je me rappelle la surprise que j’éprouvai, autrefois, à constater qu’en Prusse, la musique d’opérette, des flons-flons quelque peu vulgaires, — d’étiquette française assez souvent, — étaient beaucoup plus goûtés de la foule que les morceaux tirés des grands maîtres, du dieu Wagner lui-même. Tant y a que ces rhénans chantent fort bien et qu’ils sont très applaudis.

Mais voici Smeets qui escalade la scène et s’installe à un pupitre. Le silence se fait instantanément, profond, presque religieux. Cet homme, on le sent tout de suite, est un conducteur d’hommes. Il le sait. Il est tranquille, à son aise, un peu souriant, sans toutefois prendre l’air « avantageux » (pour parler comme l’aimable Charles Nodier). Conformément aux principes de l’art, sa voix reste d’abord assez basse, son débit assez lent, ses gestes très mesurés. Il s’échauffera peu à peu, il parlera plus fort, plus vite, ses mains, ses bras, ses jeux de physionomie, — c’est, ma foi ! presque un Français du Midi... — appuieront fortement son discours, et, dans sa péroraison, ardent, enflammé, quittant son pupitre, et s’avançant jusqu’à la rampe pour mieux s’emparer de son public, il va soulever l’enthousiasme, déchaîner à la fois les trépignements, les claquements de mains, les hoch ! et les bravos...

C’est un orateur. Un orateur, mais aussi un homme d’action : il l’a déjà prouvé, il le prouvera encore, n’en doutons pas, quand le moment viendra des décisives résolutions.

Quelle est sa thèse ? Celle que nous connaissons, celle que ses auditeurs habituels connaissent encore mieux et qu’ils ne se lassent pas, cependant, d’applaudir, parce qu’elle répond exactement à leurs sentiments intérieurs, à une mentalité profonde, atavique... « Nous n’avons rien de commun, s’écrie Smeets, avec cette Prusse dont on nous a imposé la maîtrise en 1815, sans jamais nous consulter. Qu’est-ce que ces gens-là ? Des métis de Wendes, d’Obotrites, de Finnois même et de Saxons, presque aussi barbares que ces sauvages idolâtres et qui habitaient encore des huttes en branchages à la fin du VIIIe siècle, quand nous, les Francs ripuaires, les Francs austrasiens, nous jouissions déjà depuis trois ou quatre cents ans de la civilisation latine, que nous nous étions assimilée, mêlant notre sang à celui des Gallo-romains. Nous n’avons donc ni la même origine, ni le même cerveau, ni la même culture ; — leur langue ? mais c’est la nôtre que nos chefs carolingiens les ont obligés à apprendre... — ni les mêmes aspirations, ni, pas davantage, la même philosophie et la même croyance religieuse, car nous leur laissons leur Fichte et cet Hegel qui alla mourir chez eux, et s’ils sont protestants luthériens, nous, nous sommes restés presque tous catholiques, des catholiques qui ont subi le Kulturkampf, du temps de leur Bismarck.

« Et dans quelle situation nous ont-ils mis, nous et toute la vieille Allemagne ! Quelle guerre atroce, et comment conduite ! Quel désastre ! Et cette chute lamentable des Hohenzollern, et d’ailleurs de toutes les institutions monarchiques !...

« Or, ils veulent nous y ramener, les gens de Berlin, à ces institutions monarchiques ; ils prétendent nous imposer encore les Hohenzollern ; mais ce ne serait qu’après nous avoir fait passer par l’enfer communiste, afin d’obtenir le concours des Soviets russes et de l’armée rouge dans la guerre de revanche qu’ils méditent contre la France... de sorte, mes amis, que ce serait notre belle Rhénanie qui servirait de champ de bataille, cette fois... Et vous savez ce que cela signifie !

« La révolution, la servitude, une nouvelle vague d’horreurs, de dévastations et de destructions, voilà pour notre avenir, si nous n’en finissons pas au plus tôt avec le Reich prussien. Quant au présent, nous savons tous ce qu’il est : la ruine de l’Allemagne, conséquence d’une détestable politique, — la résistance obstinée à toute solution équitable de la question des réparations, — la banqueroute de l’Etat et la misère affreuse des particuliers, à l’exception, bien entendu, d’une bande nombreuse et puissante de pirates sans scrupules, les grands « capitaines d’industrie, » les fournisseurs du matériel de guerre, dont la fortune a décuplé, les grands banquiers et tous les manieurs d’argent... »

Mais il faut en venir aux faits précis, aux conclusions pratiques. Smeets n’y manque pas et il s’attaque d’abord à ce « haut-commissaire du Reich » auprès de la commission interalliée (le prince de Hatzfeld), qui devrait représenter les intérêts rhénans et qui ne représente que ceux de l’« Empire, » c’est-à-dire de la Prusse : « Que fait d’ailleurs à Coblence, dit-il, ce chef suprême des fonctionnaires prussiens ? Le traité de Versailles prévoyait-il que la Haute-Commission compterait un Allemand ? En aucune façon. Quelle est donc la signification exacte de cette complaisance surprenante des Alliés pour les intérêts berlinois ? Oh ! nous le savons, nous autres : c’est que, sous la pression des Puissances anglo-saxonnes, les Alliés ont laissé, bon gré mal gré, se resserrer, au lieu de s’élargir, les liens de l’unitarisme prussien. Et voilà comment nous subissons ici le contre-coup des fautes du « Reich, » alors que, couverts par les armées d’occupation, nous devrions y échapper. Voilà pourquoi nous avons des impôts plus forts, plus écrasants qu’aucune des autres provinces de l’ancien royaume de Prusse, qu’aucun des États confédérés. On se défie de nous, à Berlin ; on nous appelle les demi-Allemands, et l’on veut que si, d’aventure, nous réussissions à nous affranchir, ce ne fut, au moins, qu’après avoir été rongés jusqu’à l’os.

« Et pourquoi, aussi, alors que la barrière douanière avait été placée d’abord le long de notre grand fleuve, a-t-elle été, peu de temps après, reportée aux anciennes limites du « Reich ? » Nous a-t-on demandé notre avis pour prendre une mesure qui avait pour nos industries, pour notre commerce, une si capitale et néfaste importance ? Oui, il est vrai... on affirme que, chez nos voisins de l’Ouest, beaucoup d’intérêts étaient lésés par cet abaissement de la barrière et qu’un protectionnisme égoïste s’effrayait de la concurrence de nos producteurs. Il se peut. Mais la raison principale est que le Reich prétendait ne pas pouvoir s’acquitter de sa dette, s’il ne lui était plus possible d’imposer à nos exportations des taxes extraordinaires, celles que nous subissons, en effet, et qui nous paralysent [7]. »

« Il faut que tout cela finisse ; il faut que nos intérêts soient efficacement défendus et que l’on cesse de les confondre, au défi de tout bon sens, de tout bon principe économique, avec ceux des gens de Stettin, de Breslau et de Königsberg.

« Nous demanderons formellement, en conséquence, la suppression du haut-commissariat du Reich à Coblence et son remplacement par une commission économique exclusivement rhénane. Tout à l’heure, du reste, nous dresserons une liste de 70 délégués de notre parti que nous présenterons, à titre d’organe économique consultatif, à la Haute-Commission interalliée. Ce sera notre premier pas dans la voie des réalisations pratiques, le premier pas, aussi, dans celle de l’élimination progressive des agents officiels prussiens, fonctionnaires de tous ordres, financiers, politiques, administratifs, qui nous ruinent [8] et dont nous ne voulons plus entendre parler, pas plus que des représentants de la fausse culture des gens de l’Est, professeurs, privat-docenten, instituteurs, etc... Il est essentiel que les éducateurs de notre jeunesse soient de chez nous, soient imprégnés de notre esprit, de nos tendances morales, philosophiques et religieuses, soient, enfin, les représentants qualifiés, autorisés de la belle civilisation rhénane. Nous n’avons que faire, ici, du militarisme, de l’esprit de caserne, du pangermanisme et de la « revanche. » Or, c’est cela que l’on enseigne encore, et plus que jamais, à nos enfants. En voilà assez !... »

Pour finir, Smeets entretient son auditoire, — qui n’a cessé de lui prodiguer les marques de la plus vive approbation, — d’une question qui préoccupe en ce moment tous les esprits, là-bas : celle de la création du « franc rhénan, » qui se substituerait, avec les plus précieuses garanties locales de valeur absolue et de fixité, au moins relative, dans ce temps d’instabilité des changes, au mark complètement déprécié, dont les fluctuations capricieuses font le désespoir de tous ceux qui ne spéculent pas sur ses bonds désordonnés. Le report, observe-t-il, des douanes du Reich à la frontière militaire et l’administration directe des finances rhénanes, — revenus domaniaux et impôts, — par les Rhénans, aplaniraient toutes les difficultés et assureraient au nouvel Etat le bienfait d’une saine monnaie.


En ce moment, quand crépitent encore les applaudissements provoqués par la péroraison de Smeets : l’appel vibrant au patriotisme rhénan et à la clairvoyance politique des protecteurs naturels de l’État qu’il s’agit de fonder, deux incidents vont se produire, émouvants à des titres divers, le premier que l’on pouvait prévoir, le second qui était inattendu, au moins de la presque totalité de l’assemblée.

A la table centrale se lève un des journalistes C’est un Belge. Au nom de la presse du Royaume, il prononce, en bon allemand, une courte harangue où il dit la chaude sympathie dont on entoure, sur la Meuse et sur l’Escaut, les efforts du parti de la République rhénane et de son fondateur. Cette déclaration est accueillie avec enthousiasme. Les cris de : « Vive la Belgique ! » fusent de tous les côtés. Mais voici qu’un des membres de l’état-major de Smeets se lève à son tour, comme mû par un mouvement irrésistible : « Vive la France ! » clame-t-il, avec un accent d’une rare vigueur. Quelques cris lui répondent, assez éparpillés... L’instant est pénible pour nous. L’assemblée a été surprise, évidemment. Elle est désorientée. Elle sait fort bien qu’il y a là des Français : Smeets l’a dit lui-même, dans les termes les plus flatteurs. Pourquoi ne prennent-ils pas la parole ? N’y en a-t-il pas un qui, lui aussi, dira quelques mots de sympathie à ces braves gens ? Je crois que je n’ai jamais mieux senti la rigueur de certaines consignes et l’amertume de certains sacrifices. A côté de moi, une jeune femme, une Française venue de Mayence s’indigne, frémit, et des larmes montent à ses yeux. Son mari la calme en appuyant sur son bras une main un peu crispée : « Que veux-tu ! murmure-t-il, c’est toujours la politique d’entre chèvre et chou... »

Et comme le silence s’est fait, un appel au président est lancé par un homme qui s’est dressé au centre du balcon. La parole lui est donnée aussitôt : « Je suis, dit-il, le délégué d’une commune de la rive droite et je suis venu vous dire que, de l’autre côté du fleuve, nous pensons comme vous, nous sommes avec vous de cœur, comme nous le serons, de fait, au moment de l’action. Croyez-en un homme qui sait qu’il sera arrêté par les Prussiens quand il reviendra chez lui, car mon pays n’est pas dans la zone d’occupation et personne ne nous protège... »

Toute la salle est debout. On acclame avec une émotion profonde ce citoyen courageux. Ses derniers mots se perdent dans le tonnerre des applaudissements, et il se rassied, paisible, tandis qu’autour de lui on se presse pour lui serrer la main...


Il faut conclure cependant, c’est-à-dire voter. Voici les quatre résolutions principales que Smeets fait adopter, — à l’unanimité, — par le Congrès :

1° Suppression du poste de haut-commissaire d’Empire à Coblence ; remplacement des fonctionnaires prussiens par des fonctionnaires rhénans ; représentation rhénane auprès de la Haute-Commission interalliée.

2° Interdiction dans les territoires occupés des journaux prussiens pangermanistes, tous subventionnes par le Gouvernement de Berlin, ainsi que de l’association « Heimatdienst, » qui ne cesse de provoquer à la haine, à la revanche, à la guerre immédiate.

3° Suppression de toutes les entraves au commerce et à l’agriculture imposées par Berlin et rétablissement de la frontière économique douanière à l’Est des territoires occupés.

4° Création d’une monnaie rhénane.

Les votes acquis, on procède à la nomination, par acclamation, des 70 membres de la Chambre économique, qui doit s’offrir à représenter les intérêts rhénans auprès de la Haute-Commission ; et enfin le chef du parti, remontant sur la scène, invite les 1860 délégués à se lever et à jurer, — en répétant mot pour mot la formule qu’il prononce, — dévouement absolu et fidélité inaltérable à la République populaire rhénane, libre, indépendante et neutre. Neutre ! Il appuie particulièrement sur ce mot et tous s’associent à cette insistance.

Neutre... Voilà, je crois, ce que nous devons retenir avant tout de cette belle manifestation de l’ardent désir d’indépendance qui anime les Rhénans. Rien, en effet, ne se peut mieux accorder avec les vœux d’une clairvoyante politique française que la constitution de l’Etat-tampon qui nous séparerait enfin d’une Prusse incorrigible dans ses visées de domination et d’une Allemagne centrale dont la moutonnière docilité est toute prête encore, peut-être, à lui servir d’instrument.

Plus indépendants d’esprit, plus fermes de caractère, plus rapprochés de nous par leurs ascendances, — gallo-romaines aussi bien que franques, — les Rhénans d’aujourd’hui nous appellent à leur aide pour que leur soit rendue la liberté de disposer d’eux-mêmes que le président Wilson réclamait pour tous les peuples opprimés. Entendrons-nous cet appel ? Il n’est pas interdit de le croire, depuis que nous avons nous-mêmes reconquis certaine liberté d’action...

En tout cas, les événements qui se préparent au moment où j’écris, feront naître probablement des occasions de satisfaire nos anciens compatriotes de 1793 à 1814. Ces occasions n’échapperont pas à la vigilance du Gouvernement de la République.


Contre-Amiral DEGOUY.

  1. Ne pourrait-on créer des trains rapides où ne seraient admis que des voyageurs sans gros bagages, ou, du moins, qui les feraient expédier d’avance à destination, sauf à subir la visite au point d’arrivée. L’inspection des bagages à main est généralement assez prompte, sauf, bien entendu, — et pas toujours, heureusement, — à la douane française. Signalons le lamentable état des locaux douaniers à Erquelines, où les voyageurs obligés de prendre un billet français sont parqués d’une manière indécente.
  2. Assertion reconnue et expliquée par le « leader » du Temps du 6 janvier.
  3. 31 milliards de marks aux constructeurs et armateurs, depuis moins de trois ans.
  4. M. Tirard, toutefois, n’aurait probablement pas pu intervenir en temps utile si Smeets, appréhendé par des agents de la sûreté prussienne qui prétendaient l’emmener en automobile au delà du Rhin (l’enlèvement en automobile avait été déjà employé, on se le rappelle, à l’égard du Dr Dorten, en 1920), n’avait pas été énergiquement défendu par mes deux collègues, MM. Dontenville et Mallez. Ceux-ci agirent immédiatement auprès des autorités locales.
  5. Bien plus frappante encore, à ce sujet, est l’étude du Bottin commercial et industriel de Cologne, — ou, si l’on veut, celle du répertoire des abonnés du téléphone. Les noms français y abondent. Ce sont ceux des descendants, non pas des protestants de 1685, mais des immigrés de la période de 1794 à 1815.
  6. Le centre de ce bassin est la ville, toute nouvelle et déjà puissante, de München-Gladbach, sur la Niers, affluent de la Meuse. Le bassin s’étend d’ailleurs au Sud.
  7. ... « Les Rhénans demandent que la Commission chargée de défendre leurs intérêts soit élue par eux. Le Gouvernement de Berlin inflige à leur commerce et à leur industrie des tarifs ruineux à l’exportation comme à l’importation ; Ils rappellent l’article 270 du Traité : « Les Puissances... pour sauvegarder les intérêts économiques de la population des territoires allemands occupés par leurs troupes, se réservent d’appliquer à ces territoires un régime spécial, tant à l’exportation qu’à l’importation... » Général Mangin, Comment finit la guerre. Remarquable étude, écrite en 4920, que nos lecteurs n’ont pas oubliée, et qu’on ne saurait trop étudier.
  8. Il y a 1 557 786 fonctionnaires dans la Rhénanie. Ils lui coûtent 45 milliards de marks.