Au couchant de la monarchie/05

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Au couchant de la monarchie
Revue des Deux Mondes5e période, tome 53 (p. 758-790).
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AU
COUCHANT DE LA MONARCHIE[1]

V.[2]
LA VICTOIRE DE TURGOT — LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE


I

Le secret désir de Turgot, en insistant pour la prompte entrée de Malesherbes dans les conseils du Roi, était de trouver un allié en vue des luttes qu’allait prochainement entraîner l’assemblée du clergé, assemblée ouverte en juillet pour ne prendre fin qu’en décembre. Ces assises solennelles, où l’épiscopat discutait les affaires ecclésiastiques, se tenaient, d’après la coutume, à intervalles réguliers de cinq ans. Elles se terminaient par le vote d’un don gratuit au Roi[3], dont l’importance variait selon les circonstances. La session de 1775 s’annonçait comme fort agitée, et réchauffement des têtes faisait prévoir des débats orageux. Un trouble profond, en effet, régnait parmi le haut clergé de France, par suite du progrès grandissant de la philosophie, et par suite également de la désaffection qui se manifestait, dans toutes les classes de la nation, à l’égard des représentai du pouvoir religieux. Seul, le peuple, dans les provinces, gardait quelque attachement aux curés de campagne, qui, pauvres, besogneux, médiocrement instruits, partageant contre la noblesse, l’épiscopat, les ordres monastiques, bon nombre des préventions populaires, ne portaient ombrage à personne et faisaient pitié à beaucoup. Les évêques, au contraire, sauf d’heureuses exceptions, ne rencontraient que la défiance et l’hostilité de leurs ouailles. Chaque jour voyait s’affaiblir leur prestige et baisser leur autorité.

De cet état de choses, la cause première était sans doute dans les mœurs relâchées et la vie scandaleuse de certains des prélats en vue qui faisaient tort aux autres. Il faut accuser également l’habitude établie, même chez les plus irréprochables, de déserter annuellement leurs diocèses pour résider aux abords de Versailles et, selon l’expression du temps, « prendre l’air de la Cour. » Enfin il faut noter comme un motif sérieux d’impopularité les règles exclusives qui présidaient, depuis le commencement du siècle, au recrutement du haut clergé. Sous Louis XIV, encore que les principaux évêchés fussent la plupart réservés à la grande noblesse, le mérite néanmoins pouvait suppléer la naissance, et l’on comptait nombre d’évêques de modeste extraction. Il n’en fut pas de même sous Louis XV et son successeur. Vers la fin du XVIIIe siècle, tous les prélats sont gentilshommes. A l’heure de la Révolution, « sur cent trente évêques français, il n’y avait pas un seul roturier[4]. » On imagine l’irritation que semait en certains milieux un si injuste parti pris.

Cette parité d’origine des évêques n’avait pas même eu l’avantage d’établir entre eux la concorde. Au temps dont nous nous occupons, deux partis très tranchés, et très opposés l’un à l’autre, existaient dans l’épiscopat, le parti des évangélistes, qu’on nommait aussi les chrétiens, et le parti des politiques, appelés aussi les administrateurs ; énoncer ces appellations, c’est du même coup indiquer leurs tendances. Les premiers, pris dans leur ensemble, passaient pour plus vertueux, les seconds, pour plus éclairés. Dans le camp des évangélistes, les chefs étaient MM. De Juigné, de La Rochefoucauld, et surtout Christophe de Beaumont, archevêque de Paris depuis plus de trente ans, qui tirait de cette ancienneté, comme de la pureté de ses mœurs et de sa charité notoire, une grande autorité et une légitime influence, mais qui, par son zèle fanatique, s’était attiré autrefois les sévérités de Louis XV et que Louis XVI lui-même, en plus d’une circonstance, dut gourmander durement[5]. Parmi les prélats politiques, les plus en évidence étaient Dillon, archevêque de Narbonne, Boisgelin, archevêque d’Aix, Cicé, archevêque de Bordeaux, Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, gens de talent, d’esprit ouvert, habiles à se plier aux exigences du temps, comprenant la nécessité de certains sacrifices, mais auxquels le « parti dévot » reprochait, non sans apparence, quelques défaillances de doctrine, quelque secrète tendresse pour les « idées nouvelles. »

L’élévation de Turgot et de Malesherbes donnait à ce second parti une force incontestable. En revanche, le premier avait pour lui la majorité des évêques. Bon nombre de ceux-ci voyaient avec effroi siéger dans les conseils du trône deux amis déclarés de l’Encyclopédie. Le mémoire de Turgot sur la tolérance religieuse leur avait inspiré une vive indignation, et, troublés des pressans périls qui menaçaient l’Eglise de France, ils ne voyaient de remède efficace contre l’incrédulité grandissante que dans des mesures de rigueur qui réduiraient l’adversaire au silence. Ce qu’ils réclamaient avant tout, c’était la stricte application des lois, non encore abolies, qui régissaient la librairie. Empêcher par tous les moyens la publication et la vente des audacieux ouvrages dont gémissait l’orthodoxie, s’opposer fermement à la diffusion des écrits non revêtus du privilège et de l’approbation du Roi, tel était, pensaient-ils, le seul moyen pratique d’enrayer la marche ascendante de la doctrine impie, qui, comme l’écrivait un prélat, « a initié dans ses mystères les femmes, ce sexe même dont la piété faisait autrefois la consolation de l’Eglise ! »

Aux plaintes ainsi portées contre la licence de la presse, se joignaient, dans le même parti, les plus vives récriminations au sujet de la tolérance pratiquée par l’autorité envers les protestans. C’était un point qui donnait lieu, depuis quelques années, à d’incessans conflits entre l’épiscopat et l’administration royale. Les lois farouches édictées un siècle plus tôt contre les réformés n’avaient jamais été ni abrogées ni adoucies en droit, mais, plus fort que les lois, l’esprit nouveau qui soufflait sur la France en avait peu à peu tempéré la rudesse. Si l’on pouvait, de loin en loin, dans les provinces éloignées de la capitale, citer encore certains faits isolés de persécution religieuse, ces cas exceptionnels se faisaient tous les jours plus rares. Plus le siècle s’avance, plus on voit fréquemment les intendans résister avec énergie aux réclamations des évêques et répudier hautement cette « politique des dragonnades, » qui, écrit l’un d’entre eux, « n’a fait que trop de bruit dans la France et dans toute l’Europe[6]. » Soit que les religionnaires s’assemblent pour leurs offices, soit qu’ils renoncent à la méthode ancienne des « mariages au désert » pour procéder ouvertement, en suivant les rites de leur culte, à des cérémonies nuptiales, soit enfin qu’ils bâtissent des temples, comme cela arrive quelquefois, pour toutes ces infractions flagrantes, infatigablement dénoncées, la réponse est toujours la même de la part des agens de l’administration : « Il faut user de modération… Il convient de fermer les yeux… Le grand nombre des contrevenans met le gouvernement dans la nécessité de ne point sévir contre les contraventions, etc.[7]. »

Louis XVI lui-même, malgré sa sincère dévotion, approuvait cette manière de faire et répugnait à tout procédé de contrainte. Dans une réponse aux doléances d’une délégation des évêques : « Je favoriserai toujours, déclare-t-il, les vues pacifiques et charitables du clergé pour ramener à l’unité ceux de nos frères qui oui eu le malheur d’en être séparés. » Plus explicite encore est cette note de sa main inscrite en marge d’un mémoire sur la tolérance religieuse : « Des évêques très dignes de confiance m’ont assuré que les surprises de conversions n’étaient pas du tout dans l’esprit de la religion, et qu’elles (les conversions) devaient être le seul ouvrage de la conscience libre et éclairée, pour être louables[8]. »

Toutes ces questions allaient être soulevées et discutées avec passion dans l’assemblée de 1775. Quelques semaines avant la réunion, l’archevêque de Paris avait fait auprès de Maurepas une tentative, que l’abbé de Véri rapporte dans ces termes[9] : « On sera surpris qu’au milieu de la pente universelle vers la tolérance, il y ait eu un homme assez borné pour proposer de remettre en vigueur les lois les plus rigoureuses contre les protestans. Cet homme est M. de Beaumont, archevêque de Paris. Il y a huit jours qu’il est allé trouver M. de Maurepas pour lui dire que le parlement lui paraissait prendre la tournure de la docilité, — ce parlement qu’il regardait comme impie et athée, lorsqu’il était jadis opposé à ses violentes diatribes contre le jansénisme, — que, si l’on voulait en profiter, l’occasion était favorable pour rappeler dans une seule loi toutes celles faites depuis François Ier contre les protestans, que sûrement cette loi serait enregistrée, et qu’on arriverait par là, à cette uniformité de religion que tant de rois avaient tentée pour le bien du royaume. »

Une telle proposition n’était pas pour plaire à Maurepas. D’opinions modérées et de caractère pacifique, ses idées politiques comme son goût du repos le portaient vers la tolérance. Mais, sceptique avant tout, son grand souci était de maintenir l’équilibre entre les partis opposés. « Il ne cherchait, dit l’abbé de Véri, qu’à s’arranger, d’après les sentimens du maître et les avis du conseil, pour ne contredire personne mal à propos. » Il s’appliquait donc soigneusement à garder la balance égale entre les fureurs orthodoxes de certains membres de l’épiscopat et les tendances libérales de Turgot, dont les principes en cette matière semblaient alors d’une singulière audace. Nous en connaissons les grandes lignes : libre exercice de tous les cultes, légitimité des mariages contractés dans les temples, création de « registres où le juge civil inscrirait naissances, morts, filiations, sans que le mot de religion y soit prononcé, » suppression des « certificats de catholicité, » admission de tous les Français à tous les emplois auxquels ils sont reconnus aptes, « sans qu’y entrent pour rien leurs opinions théologiques, » enfin, comme conséquence et pour couronner l’œuvre, rentrée en masse des protestans émigrés depuis Louis XIV, et par ce bienfaisant afflux, augmentation de la richesse et de l’industrie nationales. Tel était, nous apprend le confident de leurs pensées[10], le programme de Turgot d’accord avec Malesherbes, programme qui, de nos jours, paraît simple autant qu’équitable, mais dont l’exécution complète, en l’an 1775, eût constitué une révolution véritable.

Ces projets, faute de temps, ne furent d’ailleurs pas rédigés, et ils ne virent jamais le jour. Mais, vaguement soupçonnés, annoncés par les nouvellistes, ils augmentaient l’effervescence. Les discussions de l’assemblée prirent, sous l’empire de cette émotion, une allure assez violente. Après deux mois de délibérations, une députation solennelle fut envoyée au Roi pour lui porter des « remontrances. » L’orateur, dans un long discours, « supplia Sa Majesté de daigner considérer de quelle importance il était d’arrêter enfin les coups multipliés que tant d’écrivains portaient journellement à la religion, que la liberté de penser et d’écrire versait le poison sur toutes les classes de la société, que la dépravation des mœurs, suite infaillible de la licence des principes, en devenait d’autant plus générale[11]. » La conclusion était un appel direct à la force : « Sire, vous ne serez jamais plus grand que quand, pour protéger la religion, vous emploierez votre puissance à fermer la bouche à l’erreur… Le prince est ministre de Dieu, ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée ! » La réponse de Louis XVI à ces phrases enflammées fut d’une modération habile, jointe à une ironie discrète, où l’on devine la tactique prudente de Maurepas : « Tant qu’il régnerait, dit-il, son premier soin serait de faire respecter la religion et de veiller au maintien des bonnes mœurs, et il prendrait à cet égard les mesures qu’il croirait les plus efficaces. Il comptait bien d’ailleurs que les évêques y coopéreraient, en donnant, dans leurs diocèses, des exemples propres à ranimer la foi et la pratique des vertus[12]. »

Même attitude et même langage, avec un peu plus de froideur, lorsque, quelques semaines plus tard, de nouvelles admonestations vinrent stimuler son zèle contre « les entreprises et l’audace des religionnaires. » Le cardinal de La Roche-Aymon, qui porta la parole, rappela les engagemens contenus dans la formule du Sacre : « Achevez, s’écria-t-il, l’œuvre que Louis le Grand avait entreprise et que Louis le Bien-Aimé a continuée… Ordonnez qu’on dissipe les assemblées schismatiques… Excluez-les sectaires, sans distinction, de toutes les branches de l’administration publique. » Le Roi, pour toute réplique, se défendit de l’intention de « protéger l’hérésie, » affirma son désir sincère de maintenir la foi catholique, mais quant à réprimer, comme on l’y invitait, « les pratiques des religionnaires, » il s’y montra peu disposé. « Plus ces entreprises, expliqua-t-il, étaient multipliées, plus elles exigeaient du Roi de profondes considérations. »

Les prélats durent se contenter de ces assurances évasives. Pas plus, du reste, sur cette question que sur les autres points discutés au congrès[13], il ne fut adopté de solution précise ; et l’archevêque de Bourges, qui-prononça la harangue de clôture, s’efforça de sauver la mise en répudiant toute idée de persécution et tout conseil de violence : « Ne croyez pas, Sire, que des évêques, des ministres de paix, veuillent armer votre bras contre les sectateurs de l’hérésie. Nos frères errans sont nos frères ; nous les aimons, nous ne cesserons d’avoir pour eux la charité la plus tendre et la plus compatissante[14]. » Tant d’éloquens discours n’aboutirent finalement qu’à un seul résultat : l’assemblée, à la veille de sa séparation, vota, sur la demande du Roi, un « don gratuit » de seize millions, au lieu de dix qu’on complaît lui offrir. Après quoi, l’on se dispersa, plus désunis qu’auparavant et « dans un mécontentement général. »


II

Si la discorde sévissait dans les rangs de l’épiscopat, le gouvernement, au contraire, avait fait preuve, en ces circonstances délicates, d’une réelle unité de vues. Entre le Roi et son conseil, l’accord avait été complet pour suivre une politique modérée et ferme à la fois. Rien ne donnait à supposer que cette harmonie fût précaire. La France entière s’émerveillait à contempler ce spectacle nouveau et sympathisait avec ceux qui conduisaient ses destinées. Rarement, il faut le reconnaître, la direction des affaires de l’Etat avait été remise en des mains plus honnêtes : Turgot, Malesherbes, Maurepas, Vergennes, pouvait-on rassembler, pour parler le langage du temps, « plus de lumières avec plus de vertus ? » « Voilà quatre hommes, s’écriait Galiani, dont un seul suffirait pour rétablir un empire ! » Sa pénétration singulière s’alarmait cependant de cette abondance même : « Dieu sait, ajoutait-il, si tous les quatre feront le bien comme un seul l’aurait fait. Ah ! que l’arithmétique politique est différente de la numérique ! Je crois voir la conjonction de toutes les planètes ; elles s’entr’éclipseront[15]. »

Que dut-il dire, trois mois plus tard, en apprenant le nouveau choix qui renforçait encore « le ministère réformateur ? » Le 10 octobre 1775, le maréchal du Muy succombait, presque subitement, aux suites d’une opération douloureuse, subie avec un courage héroïque. À ce sage administrateur, laborieux, appliqué, mais de vue courte et d’intelligence limitée, l’opinion attendait un successeur d’esprit plus large et d’humeur plus hardie, prêt à porter la hache dans les abus dont fourmillaient nos institutions militaires. Quinze jours passèrent sans qu’on connût la décision du Roi, quinze jours pendant lesquels l’intrigue et l’ambition se donnèrent librement carrière. On s’étonnerait, dans une telle occasion, de ne pas voir le baron de Besenval en scène ; il ne manqua pas à l’appel : « La Cour, dit-il, était à Fontainebleau, lorsque M. du Muy mourut ; je partis sur-le-champ pour m’y rendre. » Il avait son candidat prêt, qui était le marquis de Castries, bon militaire, apprécié de la Reine, grand ami du duc de Choiseul. Le baron le recommanda avec son ardeur habituelle et obséda de sa faconde Maurepas d’abord, puis Marie-Antoinette ; mais, de son propre aveu, il n’eut qu’un médiocre succès. Maurepas ne répondait que « par des plaisanteries, » et Marie-Antoinette l’écoutait « d’une oreille distraite. » Besenval n’en revenait pas. Sa surprise redoubla, comme celle de toute la Cour, quand lui fut révélé le nom du nouveau secrétaire d’État.

Au lendemain de la mort du maréchal du Muy, Turgot, rapporte l’abbé de Véri[16], s’était rendu chez le comte de Maurepas : « J’ai une pensée, lui dit-il, que vous trouverez peut-être ridicule, mais comme, à l’examen, elle me paraît bonne, je ne veux pas avoir à me reprocher mon silence. J’ai pensé à M. de Saint-Germain. — Eh bien ! répondit Maurepas, si vos pensées sont ridicules, les miennes le sont aussi, car je vais partir pour Fontainebleau dans le but de le proposer au Roi. » La carrière agitée du comte de Saint-Germain est trop connue pour qu’il ne suffise pas d’en rappeler sommairement les péripéties principales. D’abord novice chez les Jésuites, puis officier de dragons, tour à tour au service d’Autriche et de Bavière, appelé en France par les soins de Maurice de Saxe, qui s’entendait en hommes, il s’élevait rapidement au grade de lieutenant général, et sa brillante conduite dans les premières campagnes de la guerre de Sept Ans le désignait, assurait-on, pour le bâton de maréchal de France, quand une querelle avec le maréchal de Broglie arrêtait net ce bel essor. Intraitable dans sa rancune, il brisait alors son épée, rendait son cordon rouge, partait pour le Danemark, où, six années durant, il s’employait avec succès à réorganiser l’armée. Une nouvelle brouille l’amenait à une nouvelle retraite. Il renonçait à la carrière des armes, et se fixait à Lauterbach, en Alsace, dans une terre de famille qu’il n’avait pas revue depuis le temps de son enfance. Là, le soldat se faisait laboureur ; il cultivait ses champs, vivant chichement, obscurément, en philosophe chrétien, — car il était devenu « fort dévot, » — employant ses loisirs à rédiger « des mémoires sur le militaire, » qu’il envoyait en France aux différens ministres et qui, vierges de toute lecture, s’amoncelaient discrètement sous la poussière inviolée des armoires administratives.

Il avait conservé pourtant, chez ses compagnons d’armes, des partisans et des admirateurs. Ce fut, dit-on, par l’un d’entre eux, le sieur Dubois, officier du guet à Paris et frère d’un ancien aide de camp du comte de Saint-Germain, que ce nom, un peu oublié, fut suggéré, au moment opportun, à M. de Malesherbes. Malesherbes en parla à Turgot, que cette idée séduisit fort, comme nous l’avons vu tout à l’heure. Un scrupule l’arrêtait pourtant : comment être assuré que ce quasi septuagénaire[17], après quinze ans d’absence de France et sept ans d’inaction, gardât toute la vigueur d’esprit qu’on lui avait connue naguère ? Ce fut l’objet d’une délibération entre Turgot, Malesherbes et Maurepas. Ce dernier les tira d’affaire : « J’ai dans mon cabinet, proposa-t-il à ses collègues[18], un moyen de le juger. Il m’a envoyé des mémoires faits sur le militaire pendant sa retraite. Lisons-les et faisons-les lire au Roi. Après, nous déciderons. » Ainsi fut fait ; l’épreuve fut favorable. Louis XVI, sur le compte qui lui fut rendu, donna son approbation sans réserve : « Il n’est d’aucun parti, dit-il, et c’est une des raisons qui me le font choisir[19]. » Sur l’avis des ministres, il consulta la Reine, pour la forme et par déférence. « Celle-ci, quoiqu’elle désirât M. de Castries, ne marqua pas trop de mécontentement[20]. » On doit la croire sincère quand elle écrit le lendemain à sa mère : « Je n’aurai rien à me reprocher pour le choix du nouveau ministre de la Guerre. Je n’ai rien à dire, ni pour ni contre, ne le connaissant pas. »

Il n’était plus qu’à informer M. de Saint-Germain, lequel était loin de s’attendre à un pareil honneur. Maurepas rédigea le message qui fut porté à Lauterbach par ce Dubois dont j’ai plus haut cité le nom. Dubois trouva le futur secrétaire d’Etat « dans sa basse-cour, en redingote et en bonnet de nuit, occupé à donner à manger aux poulets[21]. » Il reçut la nouvelle avec stupéfaction : « Eh quoi ! murmura-t-il, la cour de France se ressouvient encore de moi ! » Puis il « pleura de joie et de reconnaissance, » et se borna à demander « quelques jours de délai pour se faire faire un habit et acheter une voiture. » N’ayant point de laquais, il prit un paysan et, dans cet équipage, il s’achemina vers Fontainebleau. Son arrivée fut pittoresque. Il débarqua le jeudi 26 octobre, à la nuit tombante. Personne ne l’espérait si tôt. « Il descendit au Cerf, place du Charbon, où l’aubergiste, ne le connaissant pas, refusa de le loger, l’assurant que, comme le nouveau ministre de la Guerre était attendu, toutes ses chambres étaient remplies par des militaires venus de Paris pour le voir[22]. » Il n’insista pas davantage et « chercha gîte dans une auberge borgne, où il commanda son souper. » Ce fut laque Maurepas, prévenu de l’incident, le fit quérir pour l’installer-dans le logement de feu le maréchal du Muy, où rien, du reste, n’était prêt, et où il dut « faire porter son souper d’auberge. »

MM. de Maurepas et de Malesherbes vinrent le chercher dans la matinée du lendemain pour le présenter à Louis XVI. « Voici, dit l’abbé de Véri, son premier propos à M. de Maurepas : « Monsieur, vous m’avez tendu dans ma misère une main secourable[23]. Ce bienfait ne sortira jamais de mon cœur. Vous m’avez ensuite appelé ici ; ce n’est pas de cela que je vous remercie. Si mes forces et mes talens peuvent suffire à la tâche, j’en serai heureux. Si je n’y fais rien de bon, ma maison de campagne est toujours prête à me recevoir. » Son entrevue avec le Roi fut d’une simplicité cordiale. Louis XVI, dès qu’il le vit entrer, lui remit de sa main ce cordon rouge auquel il avait naguère renoncé, lui promit une somme assez forte pour « se meubler et monter sa maison, » lui témoigna l’estime la plus flatteuse et la plus affectueuse confiance. Quand Saint-Germain sortit de la chambre du Roi, « il fut facile de remarquer la joie très vive qu’il éprouvait de son élévation[24]. »

L’impression première du public, quand il connut le nom du nouveau secrétaire d’Etat, fut une surprise profonde. « Ce choix est sublime, s’écriait Mme de Civrac, et il faut qu’il le soit, car autrement il serait extravagant. » Les jours suivans virent se manifester, dans les sphères politiques, une satisfaction enthousiaste. Toute la France, à cette heure, semblait prise, en effet, d’une folie de réformes, d’une rage d’innovation, que le duc de Croy compare à la mode des « grandes plumes » pour la coiffure des femmes. On se flattait que Saint-Germain serait l’homme qu’il fallait pour assouvir cette fringale de changemens. On le savait cassant et absolu dans ses idées, un peu « singulier dans ses mœurs, » dénué d’intrigue, sans relations mondaines, sans attaches à la Cour ; une légende se formait, qui le représentait comme un homme « sensible et sauvage, » un bourru bienfaisant, un ours humanitaire, un Jean-Jacques en bottes et en casque, marchant droit son chemin, sabrant abus et préjugés, sourd aux lamentations des gens à privilèges.

Ces mêmes raisons qui lui valaient la faveur de la foule éveillaient les méfiances de quelques grands seigneurs et faisaient « trembler dans leur peau » les détenteurs de sinécures. On entend l’écho de ces craintes dans les lignes suivantes, qu’écrit à Gustave III la comtesse de La Marck : « M. de Saint-Germain est une espèce de pourfendeur, qui va d’estoc et de taille. Nous sommes dans un moment de crise ; il faut espérer que le bon tempérament de la France supportera sans périr tant d’opérations cruelles. Nos ministres sont des chirurgiens qui nous coupent bras et jambes. » Enfin, pour achever cette revue, les militaires, dans leur ensemble, applaudissaient à l’avènement d’un homme probe, instruit, courageux, épris du bien public, plein de bonnes intentions et d’idées généreuses. Quelques-uns cependant, — non parmi les moins éclairés, — exprimaient l’inquiétude que son humeur entière et son esprit systématique ne l’entraînassent à des mesures insuffisamment réfléchies, et qu’au cours de sa longue pratique des armées allemandes et suédoises, il n’eût, selon l’expression d’un contemporain, « perdu la sensibilité française. »


III

Par l’adjonction de Malesherbes et de Saint-Germain, le Cabinet présentait désormais un ensemble homogène. Nul obstacle intérieur ne semblait plus devoir arrêter les réformes, et Turgot sentait l’heure venue de marcher en avant. A l’exception de l’édit sur les grains, les mesures prises par lui depuis son arrivée au contrôle général étaient des actes d’administration : il avait hâte maintenant de réaliser son programme et de faire œuvre de législateur. Ainsi s’explique la rédaction presque simultanée des six édits qu’il déposait, le 6 janvier 1776, sur la table du Roi et dont il réclamait l’examen immédiat. On lui a reproché cette précipitation, et Malesherbes lui-même le reprenait affectueusement sur l’excès de son zèle : « Pourquoi, lui disait-il[25], vouloir tant de choses à la fois ? Vous êtes trop pressé. Vous vous imaginez avoir l’amour du bien public ; point du tout, vous en avez la rage ! » D’autres amis, en sens inverse, notamment Condorcet, l’exhortaient à agir et lui poussaient l’épée aux reins, s’indignant de bonne foi qu’il fût depuis seize mois ministre et qu’il n’eût pas encore tout détruit et tout rénové. Il fallait résister à ces courans contraires. « Sur beaucoup de points, vous prêchez un converti, répondait-il à Condorcet. Sur d’autres, vous n’êtes pas à portée de juger ce que les circonstances rendent possible. Surtout, vous êtes trop impatient. » Aux prudens conseils de Malesherbes il opposait des raisons d’un autre ordre : « Est-ce qu’avec le mal de famille qui circule dans mes veines, il m’est permis d’avoir de la patience ? Ce mal s’aigrit tous les jours par le travail. En mettant toutes mes heures à profit, j’aurai du moins fait ce que j’aurai pu, et ce seront toujours autant de vexations dont j’aurai délivré le peuple[26]. »

Des six édits soumis ensemble à l’approbation de Louis XVI, quatre visaient des objets d’importance secondaire : police des grains, règlement sur les halles, quais et ports de Paris, caisse de Poissy, droits sur les suifs ; mais deux résolvaient des questions d’une exceptionnelle gravité : l’édit relatif aux corvées et celui relatif aux maîtrises et jurandes. Chacune de ces deux grandes réformes mérite quelques éclaircissemens.


La corvée remontait au régime féodal. On désignait ainsi les journées de travail forcé que les vassaux devaient à leur seigneur pour la culture de ses domaines et pour l’entretien des chemins. C’est comme premiers seigneurs suzerains que les rois peu à peu adoptèrent ce moyen commode, d’abord pour la confection des grandes routes, puis pour certains travaux d’une utilité générale. Restreinte à ces limites, la corvée n’eût été somme toute, qu’un impôt raisonnable, analogue à ce qu’aujourd’hui l’on nomme prestations en nature. Mais Louis XIV en avait fait le plus terrible abus, traînant sur les chantiers les populations des villages, contraintes à peiner sans salaire pendant des semaines et des mois. La corvée, ainsi pratiquée, était vite devenue la terreur des campagnes, et encore qu’au siècle suivant elle ne fût guère d’usage que pour les travaux des chemins, le nom en était demeuré impopulaire et exécré. D’ailleurs, malgré l’adoucissement, la charge restait lourde aux épaules villageoises. Le paysan, réquisitionné de la sorte, devait s’arracher à ses champs, passer parfois trois jours hors du logis, se nourrir lui et son cheval, ou se chercher an remplaçant, qu’il ne trouvait pas à bon compte. Au cours de ces besognes, fréquentes étaient les discussions entre les corvéables et les piqueurs, ou surveillans chargés de les harceler à la tâche, fréquentes aussi les amendes infligées aux récalcitrans. Sous Louis XV, assure-t-on, dans une seule intendance, il fut prononcé, en quinze jours, pour délits de ce genre, 2 688 condamnations.

Aux tracas, aux dépenses qu’entraînait la corvée, s’ajoutait la piqûre, plus irritante encore, d’une vexation morale et d’une humiliation. La brèche creusée dans l’épargne rurale était, dans la réalité, minime, mais rien n’accusait plus durement la partialité de la loi et l’inégalité des classes, rien n’excitait plus âprement la rancune populaire contre la condition de ceux qui, sans bourse délier, recueillaient le profit du rude labeur des misérables. Ce sentiment, de jour en jour plus fort, exaspérait l’âme villageoise, élargissait constamment le fossé entre le menu peuple et les privilégiés du clergé et de la noblesse. L’ami des hommes, le marquis de Mirabeau, exagère, selon sa coutume, quand il nomme la corvée « l’abomination de la désolation, » et il passe toute mesure lorsqu’il dit qu’elle fera du royaume « un vaste cimetière ; » mais Condorcet est dans la vérité en mandant à Turgot : « L’abolition de la corvée sera aux campagnes un bien inappréciable. On peut calculer ce que cette suppression peut épargner d’argent au peuple, mais ce qu’elle lui épargnera du sentiment pénible de l’oppression et de l’injustice est au-dessus de nos méthodes de calcul[27]. »

L’abolition de la corvée, du moins son remplacement par une taxe en argent, n’était pas chose nouvelle. Parmi les intendans, plus d’un avait, dans sa province, essayé ce système ; Turgot, tout le premier, s’était par ce bienfait attiré les bénédictions des habitans du Limousin. On aurait donc pu se borner à prescrire partout cette méthode et procéder par simple voie d’arrêt, sans recourir aux formes solennelles d’une loi promulguée par le Roi, enregistrée au parlement. Mais la taxe de remplacement n’eût été, dans ce cas, perçue que sur les seuls « taillables, » c’est-à-dire sur les roturiers, à l’exclusion des grands propriétaires, et, pour être moins vexatoire, la loi serait restée inégale et injuste. La pensée de Turgot est d’une portée singulièrement plus vaste : que toute dépense soit supportée par ceux qui en profitent, que les privilégiés contribuent, comme les autres, aux frais de construction et d’entretien des routes, c’est le principe fondamental de la réforme proposée, principe fécond et gros de conséquences, d’où découleraient la disparition progressive de tous les privilèges, l’égalité devant l’impôt, l’égalité devant la loi, c’est-à-dire le dogme essentiel de la Révolution française. S’étonnera-t-on dès lors de l’opposition acharnée et des colères ardentes qu’allait rapidement déchaîner une innovation si hardie ? Toutes les raisons, tous les effets probables du nouveau système sont passés en revue et discutés à fond dans le mémoire que Turgot adjoignait au dispositif de l’édit et que, le 5 janvier 1776, il remettait au Roi[28]. Les premières objections qui s’élevèrent contre la réforme vinrent d’un membre du Cabinet, Miromesnil, garde des Sceaux. Esprit souple et lucide, mais imprégné des idées et des préventions des vieux parlementaires, Miromesnil ne pouvait accepter l’atteinte portée aux droits traditionnels des classes privilégiées. En termes modérés, d’une argumentation habile, il présenta sur chaque article des observations par écrit, auxquelles Turgot répliqua de même style. Cette discussion serrée, ardente sous des formes courtoises, se poursuivit pendant un mois, sans rien changer, comme bien on pense, aux convictions des interlocuteurs. Le duel oratoire terminé, Miromesnil fil reporter le dossier à Turgot, en y joignant ces lignes : « M. de Miromesnil fait mille complimens à M. Turgot. Il lui envoie le projet d’édit concernant les corvées… et il avoue qu’il est peu touché des réponses à ses observations[29]. »

Toutes les pièces du procès, augmentées d’un mémoire rédigé, dit-on, par Malesherbes, furent placées sous les yeux du Roi, afin qu’il pût juger en connaissance de cause. Maurepas lui-même, bien qu’assez effrayé des résistances qu’il prévoyait, engagea loyalement Louis XVI à tout lire par lui-même : « Il s’agit ici de vous, lui dit-il ; c’est par conséquent votre volonté qui doit paraître, et non celle des ministres. Or, pour la montrer, il faut l’avoir. Mettez-vous au fait de la matière sous toutes ses faces[30]. » Mémoires, objections et réponses furent remises à Louis XVI le dimanche 4 février, un peu avant l’heure du souper. Il consacra la nuit à cette lecture, et le lendemain, à dix heures du matin, quand Maurepas entra dans sa chambre, il témoignait par ses propos qu’il possédait les détails de l’affaire. Il exprima pourtant le vœu, pour éclairer sa religion, que ledit fût examiné et discuté en sa présence par un comité compétent, dont il désignerait les membres. « Je veux, expliqua-t-il, pouvoir bien m’assurer que je me déciderai d’après une croyance propre et réfléchie. » Quatre jours s’écoulèrent encore avant qu’il donnât au projet une approbation officielle.


La deuxième grande réforme proposée par Turgot, la suppression des jurandes et maîtrises, n’avait pas une gravité moindre et ne fut pas moins combattue. On sait que, sous l’ancien régime, l’exercice des arts et métiers était assujetti, de temps immémorial, dans la plupart des villes, à une sorte de monopole, qui réservait la fabrication et la vente à des corporations, ou compagnies de « maîtres, » investies d’un droit exclusif. Les membres de ces sociétés se recrutaient eux-mêmes ; les aspirans étaient soumis à des épreuves longues, difficiles, voire à des exactions, où les jeunes apprentis laissaient uni* bonne part de leurs gains. Quelquefois ces statuts, arbitrairement imposés par les maîtres, renfermaient des dispositions véritablement despotiques. Telle la défense à certains apprentis de se marier avant d’acquérir la maîtrise ; telle encore l’exclusion des femmes des métiers même les plus naturels à leur sexe, comme la broderie, qu’elles ne pouvaient exercer pour leur compte. Le préambule du projet de Turgot flétrit avec indignation ce qu’il appelle « des codes obscurs, rédigés par l’avidité, adoptés sans examen dans des temps d’ignorance, et auxquels il n’a manqué, pour être l’objet de l’indignation publique, que d’être connus. »

L’article premier de l’édit proclamait le principe de la liberté du travail, considéré comme un « droit naturel, » et accordait à tous, Français ou étrangers, la faculté d’exercer à leur gré, sans autre obligation qu’une déclaration de police, tout commerce et toute profession. Un autre article proscrivait toute espèce d’association, sous quelque forme que ce fût, « entre tous maîtres, compagnons ou apprentis des corps ou communautés professionnelles. » C’est cette disposition qui, de nos jours, a valu à Turgot les plus sévères critiques. Quant aux contemporains, ils s’attaquèrent surtout au principe général de l’affranchissement du travail, considéré par les adversaires de l’édit comme néfaste pour l’industrie, nuisible aux travailleurs eux-mêmes. « Quelle sera, disaient-ils[31], l’autorité des maîtres, quand leurs ouvriers, toujours indépendans, toujours libres de se lever à côté d’eux, pourront sans cesse s’échapper de leurs maisons ?… La nouvelle législation ouvre la porte aux mauvais ouvriers et ôte aux bons la préférence qu’ils auraient méritée. C’est allumer une guerre intestine entre les maîtres et les ouvriers. » Séguier allait encore plus loin : « Ce sont les gênes, les entraves, les prohibitions, qui font la gloire, la sûreté, l’immensité du commerce de France. » D’autres enfin, comme l’abbé Galiani, invoquaient contre le projet des argumens tirés de la psychologie : « Pour ce qui est de la suppression des jurandes, c’est une bêtise, une faute, une absurdité. Plus une chose est difficile, pénible, coûteuse, plus les hommes l’aiment et s’y attachent… Je suis persuadé que M. Turgot a porté le coup fatal aux manufactures de la France[32]. »


IV

Malgré critiques et objections, — dont les unes étaient présentées par les membres de son conseil, d’autres, plus vives encore, par les gens de son entourage, — Louis XVI, le 9 février, signa les six édits et en ordonna le jour même l’envoi au parlement, afin d’y être enregistrés. Cette décision, selon toute apparence, lui fut principalement dictée par des raisons d’ordre sentimental, qui primèrent tous les argumens invoqués pour ou contre. Adoucir le sort des classes pauvres, soulager les populations rurales, prendre les intérêts des faibles contre les puissans, gagner ainsi le cœur des obscurs et des humbles, il forma ce beau rêve avec une bonne foi indéniable. C’est, dit-on, à cette occasion qu’il prononça le mot célèbre : « Il n’y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple, » parole dont l’abbé de Véri donne une version nouvelle, non moins touchante que l’autre et peut-être plus vraisemblable : « On met dans la bouche du Roi, écrit-il[33], un propos qui lui ferait honneur : Je vois, lui fait-on dire, que le peuple n’a que deux amis dans ce pays-ci, M. Turgot et moi. Voilà ce que le public raconte ; voici le fait au vrai : un ouvrier, que le Roi emploie lorsqu’il s’amuse à tourner, lui dit un jour : Sire, je ne vois ici que vous et M. Turgot qui soyez amis du peuple. Le Roi répéta ce mot à la Reine, qui le répandit. »

Le préambule, rédigé par Turgot, d’accord avec le Roi, pour expliquer le sens et le but des édits, faisait foi de ces sentimens. Il affectait une forme dogmatique qui en accentuait l’importance : « L’homme qui travaille par force et sans récompense travaille avec langueur et sans intérêt ; son ouvrage est mal fait. Un pareil ouvrage coûte plus cher au peuple et à l’État qu’il ne coûterait s’il était exécuté à prix d’argent… Le droit de travailler n’est pas un droit royal que le prince puisse vendre et que les sujets doivent acheter… Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme… » N’entend-on pas, dans quelques-unes de ces phrases solennelles, comme un écho anticipé du langage de 89, et ne croit-on pas voir déjà la monarchie traditionnelle s’acheminer, d’un pied sûr, vers la Déclaration des droits de l’homme ?

Une semaine s’écoula sans que le parlement fit connaître ses intentions au sujet des réformes. Cette lenteur inquiétait les partisans du contrôleur : « Il faut se hâter, écrivait Trudaine. Plus on retardera, plus la résistance aura le temps de se préparer. » Il s’organisait, en effet, une opposition formidable. Une inondation de brochures s’abattait sur la capitale. Grands seigneurs et hobereaux, gens de robe et gens de finance, oubliaient leurs querelles, leurs divisions d’antan, et se réunissaient pour défendre leurs privilèges. Tant de fracas, tant de protestations, intimidaient Maurepas, qui commençait à s’en prendre à Turgot et le poussait doucement à esquisser un mouvement de retraite[34]. Le parlement, prédisait-il, refusera l’enregistrement : « Eh bien ! lui répondait Turgot, nous avons la ressource d’un lit de justice. — C’est vrai, je n’y pensais pas, ripostait le Mentor sur un ton d’ironie, le moyen est infaillible ! » Miromesnil persévérait dans son hostilité polie. Vergennes, Sartine et Saint-Germain, se renfermant dans leurs attributions, s’appliquaient à paraître désintéressés de l’affaire. Malesherbes, il est vrai, soutenait son vieil ami, mais sa fidélité était pleine de découragement ; il proclamait d’avance la faillite de ces beaux projets et proposait quotidiennement d’abandonner son portefeuille. Seul, Turgot faisait tête avec une croissante énergie. Intraitable sur les principes, il refusait toute concession, et dédaignait de ménager les hommes pour s’occuper uniquement des idées. « Ce qui est certain, mandait Mme du Deffand à Walpole[35], c’est que le Turgot ne cédera pas. Il n’y a pas d’homme plus entreprenant, plus entêté, plus présomptueux. »

Le 17 février, le parlement examina l’édit sur les corvées Quinze voix seulement, dit-on[36], acceptèrent l’enregistrement ; l’immense majorité rejeta le projet, et il fut résolu « qu’il serait fait des remontrances au Roi, » pour le prier de retirer Ledit. Une pareille décision fut prise bientôt après au sujet des autres réformes, à l’exception d’une seule, la plus insignifiante, la suppression de la caisse de Poissy. Les remontrances furent rédigées, et une députation vint, le 7 mars, en porter le texte à Versailles. La réponse de Louis XVI fut brève : « J’ai examiné les remontrances de mon parlement. Elles ne contiennent rien qui n’eût été prévu et mûrement réfléchi. » Le lendemain vendredi, nouvel envoi de délégués porteurs d’observations nouvelles, que « le Roi, insista le chef de la députation, était prié de vouloir bien lire par lui-même[37]. » Le Roi fut choqué de ce mot, qui semblait, fort injustement, mettre en doute son activité laborieuse. Sa réplique témoigna de son mécontentement. De ce jour, son parti fut pris de recourir, une fois de plus, à l’expédient d’un lit de justice.

Le 12 mars, en effet, le parlement fut mandé à Versailles et tint séance aux pieds du Roi avec l’appareil coutumier. Les princes étaient présens, Monsieur grave et le front soucieux, le Comte d’Artois marquant par des gestes peu mesurés son humeur et son impatience. Un grand nombre de dames étaient assises sur les banquettes, si serrées, rapporte un témoin, que Ion dut exiger qu’elles « quittassent leurs paniers. » Dans l’air qu’on respirait, on sentait comme un vent d’orage ; les passions étaient en éveil, les esprits chauffés et tendus. Dès l’entrée en séance, une altercation éclata entre Choiseul et le prince de Conti, le premier favorable à l’enregistrement, le second adversaire fougueux de la politique de Turgot. Ils en vinrent aux dernières injures, et il les fallut séparer[38]. Cette émotion calmée, Miromesnil prit la parole. Il dut, pour accomplir le devoir de sa charge, justifier les projets qu’il avait si fort combattus. Le premier président d’Aligre parla en sens contraire. Sa harangue fut d’une violence que tempérait à peine l’expression d’une amère tristesse : « L’appareil dont Votre Majesté est environnée, l’usage absolu qu’Elle fait de son autorité, impriment à tous ses sujets une profonde terreur et nous annoncent une fâcheuse contrainte. » Après cet exorde audacieux, il dépeignait « le peuple consterné et la capitale en alarme, » énumérait « les pernicieux effets de tant d’innovations, » et terminait en étalant le découragement de son âme : « En cet instant, à peine sommes-nous assez maîtres de nous-mêmes pour exprimer une faible partie de notre douleur. » L’avocat général, Séguier, renouvela tour à tour, pour chacun des édits, les mêmes menaces et les mêmes doléances.

Cinq heures durant, Louis XVI dut subir ce langage, qui le représentait comme un tyran et comme un oppresseur. Personne, d’après la coutume établie, ne répondait et ne relevait ces attaques. Après chaque harangue, l’avocat général requérait, sur l’ordre du Roi, l’enregistrement de l’édit sur lequel, la minute d’avant, il lançait l’anathème. Puis le garde des Sceaux commandait au greffier d’inscrire l’accomplissement de cette formalité. Ainsi, par une anomalie flagrante, la cause de la justice et de la liberté était-elle entourée de l’appareil du despotisme. Louis XVI paraît l’avoir senti, car, les édits enregistrés, il crut devoir ajouter quelques mots, dont les derniers surtout firent une impression favorable. « Vous venez d’entendre, dit-il, les édits que mon amour pour mes sujets m’a engagé à rendre. J’entends qu’on s’y conforme… Je ne veux régner que par la justice et les lois. Si l’expérience fait reconnaître des inconvéniens dans quelques-unes des dispositions que ces édits contiennent, j’aurai soin d’y remédier. » Ce souverain absolu déclarant de lui-même « qu’il n’est point infaillible » et que, « s’il s’est trompé, il ne balancera pas à se rétracter pour mieux faire » parut une nouveauté qui fut vivement admirée du public. « Cette phrase très simple me paraît sublime ! » s’écriait un gazetier du temps[39].

Dans les milieux philosophiques, c’est avec plus d’exubérance encore que l’on célébra le triomphe de la cause populaire. « Voilà, disait Voltaire, la première fois qu’on a vu un Roi prendre le parti de son peuple ! » Le lit de justice est, pour lui, « un lit de bienfaisance, le premier lit dans lequel on a fait coucher le peuple depuis la fondation de la monarchie[40]. » C’est bien ainsi, d’ailleurs, que l’entendit la foule. La suppression des jurandes et maîtrises notamment provoqua dans la capitale des manifestations bruyantes. Le lendemain du lit de justice, la police de Paris se rendit au bureau de chaque corporation, pour la dissoudre et pour « sceller les caisses ; » sur quoi, les ouvriers quittèrent les ateliers avec des cris de joie. La plupart envahirent cabarets et guinguettes, où ils burent jusqu’à la nuit close ; d’autres ; rapporte un témoin, « louèrent des carrosses de remise, » pour promener par les rues « le délire de leur allégresse. » Spectacle qui réjouissait les bonnes âmes, mais dont s’inquiétaient les gens sages, car les déceptions du lendemain sont faites des folles espérances de la veille.


V

L’éclatante victoire de Turgot semblait devoir consolider sa situation politique. Ce fut, dans le premier moment, l’impression générale. « Le crédit de M. Turgot est tellement établi, affirmait un contemporain[41], qu’il a écarté toute concurrence, et les observateurs éclairés ne voient plus dans M. de Maurepas, vis-à-vis du contrôleur général, qu’un subdélégué vis-à-vis de son intendant. » Les « observateurs éclairés » n’eurent pas longtemps à attendre pour constater, non sans surprise, que la confiance et la faveur du Roi s’éloignaient insensiblement du ministre réformateur. Plus d’un historien a pensé que le lit de justice était cause, en partie du moins, de ce refroidissement subit et que Turgot avait « fatigué » son souverain en exigeant de lui un si considérable effort[42]. La chose n’a rien d’invraisemblable. Tout accès d’énergie est suivi, chez les faibles, d’une dépression de volonté, parfois même d’une secrète rancune contre ceux qui les ont provoqués à l’action. Le Journal de Véri constate, en effet, chez Louis XVI, après le coup de vigueur du 12 mars, un surcroît d’irrésolution, additionnée d’une sorte d’indolence qu’on ne lui connaissait pas encore ; et l’abbé nous montre Maurepas « assez découragé d’avoir toujours à arracher par force des décisions sur les moindres objets, » tandis qu’il dépeint le jeune Roi « passant ses matinées, dans son cabinet de travail, à regarder, au moyen de son télescope, les gens qui arrivent à Versailles, » ou bien encore « à balayer lui-même, à clouer ou à déclouer, » en un mot, gaspillant les heures qu’il occupait naguère à de meilleures besognes.

Cette défaillance pourtant ne fut que passagère. On n’en peut dire autant de l’opposition qui s’élevait contre le contrôleur général, de la coalition formée pour préparer sa chute. « M. Turgot, écrit l’ambassadeur de Suède[43], est en butte à la ligue la plus formidable, composée de tous les grands du royaume, de tous les parlemens, de toute la finance, de toutes les femmes de la Cour et de tous les dévots, » c’est-à-dire de tous ceux dont les édits récens lésaient les intérêts, blessaient les préjugés ou inquiétaient l’orgueil. Cette « ligue » allait trouver de puissans et ardens alliés jusque dans les entours du trône. Il ne sera pas superflu, avant de pénétrer dans ce dédale d’intrigues, de noter les changemens survenus à Versailles au cours de la dernière année.


La Reine, après les incidens du Sacre, avait paru d’abord renoncer à la politique. Elle ne l’avait jamais aimée, et il avait fallu, pour la fourvoyer dans la lutte, les excitations de Besenval, les menées du parti Choiseul. Les échecs l’avaient refroidie ; Choiseul, d’ailleurs, semblait s’être retiré sous sa tente ; et Marie-Antoinette, livrée à ses goûts personnels, n’intervenait plus guère dans les choses de l’État. Sans doute cette abstention eût-elle été durable, si certains personnages, entrés depuis peu dans sa vie, lui eussent permis de s’endormir dans une molle insouciance. « Elle cherchait à faire des heureux plutôt que des ministres, » a-t-on dit justement[44], et sa rentrée dans une carrière où elle n’avait à recueillir que tracas et déboires fut la plus grande preuve d’affection qu’elle pût donner à ses nouveaux amis.

La Reine avait traversé, au courant de l’été de 1775, ce que l’on peut appeler une crise sentimentale. Fort isolée, malgré un constant entourage, dans une cour dont la froide et pompeuse étiquette la glaçait et l’exaspérait tour à tour, n’ayant guère avec son époux que des relations officielles, et séparée de lui par la barrière qu’établissaient deux natures foncièrement contraires, trop scrupuleuse pourtant, — du moins à cette époque, — pour chercher au dehors ce qu’elle ne trouvait pas au foyer conjugal, elle n’avait de consolation que la seule amitié, consolation précieuse sans doute, mais souvent refusée aux reines et pour elles fertile en dangers. Deux femmes, charmantes toutes deux, lui en avaient, ces derniers temps, procuré l’illusion, la princesse de Lamballe et la comtesse Dillon ; mais le désenchantement avait été rapide, et, sans incident ni rupture, l’intimité s’était graduellement refroidie. Le vide de sa jeune âme déçue n’en fut que plus sensible, et depuis lors, dit le comte de Saint-Priest[45], « elle cherchait une amie comme elle eût cherché à remplir une place dans sa maison. » Le hasard d’une rencontre plaça près d’elle, sur l’entrefaite, celle qui, presque du premier jour, lui parut faite exprès pour animer son cœur et pour intéresser sa vie, et jamais il ne fut pressentiment plus juste, puisque quinze ans d’étroite liaison ne firent qu’affermir davantage un si pur et tendre attachement.

Yolande de Polastron, mariée en l’an 1767 au comte Jules de Polignac[46], n’avait que vingt-six ans quand, sans l’avoir cherché, elle fit ainsi son apparition dans l’histoire. Le ménage était pauvre. De la fortune des Polignac, jadis considérable, de leurs immenses possessions en Velay, il ne restait que de maigres débris ; le jeu, le gaspillage, les prodigalités de générations successives avaient progressivement amené la ruine de cette puissante maison[47]. Jules de Polignac et sa femme résidaient presque toute l’année dans une petite terre de famille, à Claye, en Picardie ; l’hiver seulement, ils passaient quelques mois dans un modeste appartement de l’hôtel Fortisson, rue des Bons-Enfans, à Versailles, ne se montrant que rarement à la Cour. Il fallut, pour les y amener d’une manière plus fréquente, que la sœur du comte Jules, la comtesse Diane de Polignac, entrât, en qualité de « dame pour accompagner, » dans la maison de la Comtesse d’Artois et vînt s’établir au château. Sa belle-sœur, lui rendant visite, y rencontra la princesse de Lamballe et la Comtesse d’Artois qui, frappées de son charme, l’attirèrent l’une et l’autre dans leurs salons, où fréquentait la Reine. Ainsi naquit et se noua fortuitement l’intimité de la comtesse avec celle qui bientôt ne verra plus que par ses yeux.

Pour juger de la séduction d’Yolande de Polignac, il n’est qu’à constater l’accord des mémorialistes du temps. Tous, quelle que soit leur opinion, s’entendent pour célébrer son délicieux visage, pour admirer sa bouche menue et sa lèvre vermeille, son nez « un peu en l’air sans être retroussé, » ses yeux « d’un bleu céleste, » son « sourire enchanteur, » et cette chevelure bouclée flottant sur les épaules, et cette taille souple et svelte, harmonieusement aisée, et, plus encore que tout cela, l’air de bonté, de douceur, d’« innocence, » l’expression « angélique, » qui, après que les traits avaient ébloui les regards, attendrissaient et conquéraient les cœurs. Il faut joindre à ces dons un naturel parfait, une sorte de « grâce négligée, » une causerie, non pas étincelante, mais d’une simplicité enjouée qui tenait lieu d’esprit brillant et mettait les gens en confiance. Aucune ambition personnelle ; point d’avidité pour soi-même ; en revanche, une âme un peu molle et influençable, et, — par malheur pour elle comme pour la Reine — un dévouement à sa famille, à ses amis, à tout son entourage, qui fit d’elle l’instrument docile de gens intéressés à exploiter son crédit à la Cour. C’est la malchance de Marie-Antoinette que, répugnant par nature à l’intrigue, ayant pris pour amie une femme qui lui ressemblait sur ce point, elle ait servi les convoitises, les machinations, les rancunes d’un petit groupe d’hommes sans scrupules qui mirent en coupe réglée sa facile complaisance.

Tout le mal vint, à l’origine, de la façon dont la souveraine comprit et pratiqua les devoirs d’amitié. Qu’elle eût admis sa favorite dans son intimité, dans sa société familière, rien de plus naturel ; mais ce fut la Reine, au contraire, qui entra dans la société de la comtesse de Polignac et qui adopta ses amis[48]. Il se trouva, par une mauvaise fortune de plus, que ces amis, pour la plupart, étaient aussi ceux de Choiseul. C’était, en première ligne, le marquis de Vaudreuil, homme d’un âge déjà mûr, autoritaire et ambitieux, fort avant, disait-on, dans les bonnes grâces d’Yolande de Polignac, qu’il gouvernait d’une manière despotique, et c’étaient le comte d’Adhémar, aimable et fin, habile à plaire, insinuant et peu sûr, Breteuil, Coigny, le baron de Besenval qui, lié de date ancienne avec les Polignac, « ne manqua pas de fréquenter dans ce petit cénacle, dès qu’il en sentit l’importance[49], » enfin le comte de Guines, qui, fort de cet appui, rentrera prochainement en scène. Dans ce milieu de gens d’esprit, unis en apparence et se voyant presque quotidiennement, régnèrent pendant un temps « la confiance et la liberté. » Il semblait à la Reine qu’elle y respirait plus à l’aise. L’étiquette en était bannie. « Là, s’écriait-elle, je suis moi[50]. » Elle y passa bientôt la plus grande part de ses journées. Un des premiers effets de ce changement de vie fut d’éloigner peu à peu de la Cour ce qui naguère en faisait le décor. « Les gens âgés, s’y croyant déconsidérés, n’y parurent que rarement. » Mesdames, déjà très retirées, ne s’y montrèrent désormais plus du tout. « Les princesses du sang n’y allèrent que les jours de cérémonie, les dames titrées que pour l’exercice de leurs charges. » La reine de France, aux regards du public, passa pour « la prisonnière d’une coterie[51]. »

Une autre conséquence des habitudes nouvelles fut le redoublement de la « dissipation » et des plaisirs mondains. « Le goût de la parure, les recherches du luxe, les signes de la frivolité, firent un progrès rapide, note le comte de Saint-Priest, et la Reine, emportée par le flot plus que le dirigeant, s’y livra sans réflexion. Le Roi, naturellement disposé à la vie simple, retirée et économe, laissait couler ce torrent et n’empêchait rien. » De cette époque date la folie du jeu, qui passa promptement toute mesure. Les reines de France, jusqu’à ce jour, avaient laissé aux favorites le scandale de cet amusement, se bornant, pour leur compte, au « cavagnol, » plus tard au whist, jeux où l’argent ne tenait qu’une place accessoire. Il était réservé à Marie-Antoinette, soit chez elle, soit chez ses amis, d’inaugurer le lansquenet, le pharaon et autres jeux de hasard. Elle y risquait des sommes considérables, perdant quelquefois cinq cents louis dans le cours d’une soirée, et les parties se prolongeaient jusqu’à une heure avancée de la nuit. « La cour de France, écrira Joseph II, est devenue une manière de tripot. » Lors d’un voyage à Fontainebleau, où Louis XVI, par prudence, n’avait autorisé « qu’une seule partie de pharaon, » la « séance » dura trente-six heures, à peu près sans interruption. Sur une observation du Roi, Marie-Antoinette répliqua qu’en permettant une seule partie, il avait négligé d’en fixer la durée : « Allez, répondit-il en riant, vous ne valez rien, tant que vous êtes ! » Les dettes, à ce régime, montèrent à un chiffre important. Aux derniers jours de l’année 1776, lorsque la Reine fit établir ses comptes, le déficit de sa cassette était de 487 000 francs, que Louis XVI, débonnaire, paya sur sa bourse privée.

Si fâcheuses que fussent ces pratiques, il faut déplorer davantage, au point de vue de l’opinion, les inconvéniens de tout genre produits par la passion effrénée du plaisir. J’entends par-là la multiplicité des fêtes, bals, redoutes et soupers, promenades de nuit, sous le masque et le domino, par les terrasses, sous les charmilles du jardin de Versailles, ou encore soirées prolongées chez la princesse de Guéménée, femme de réputation douteuse, qui recevait un monde mêlé, où une reine de vingt ans n’était guère à sa place. Tant de divertissemens nocturnes ne nuisaient pas à ceux de la journée ; la Reine y apportait un laisser-aller familier, un mépris des anciens usages, dont se scandalisaient les vieux habitués de la Cour. Ecoutons gémir l’un d’entre eux : « Au lieu[52]de ces voitures lourdes et superbes, dont la feue Reine se servait et dans lesquelles se plaçaient avec elle toutes ses dames, Marie-Antoinette employait des chars élégans, pour elle seule, et Mme de Polignac avec elle. Les dames d’honneur, d’atours ou du palais n’étaient même pas averties de ces courses. Point d’officiers ni de gardes d’escorte. » On allait en cet équipage tantôt à Trianon, tantôt dans quelque pavillon dépendant du domaine royal, et l’on s’y ébattait, innocemment sans doute, mais dans une liberté qui prêtait à la calomnie. Le Comte d’Artois, comme bien on pense, était l’âme de toutes les parties, l’inspirateur de toutes les équipées. Les encouragemens pernicieux qu’il prodiguait à sa belle-sœur l’emportaient aisément sur les reproches et sur les homélies des conseillers plus sages : « On réussit tellement à tenir la Reine hors d’elle-même et à l’enivrer de dissipations, se lamente Mercy-Argenteau[53], qu’il n’y a, dans certains momens, aucun moyen de faire percer la raison. » Toute la jeune Cour, entraînée par l’exemple, se lançait dans le tourbillon, faisait cortège à la souveraine, el c’était une rage d’amusemens dont l’un de ceux qui y participaient parlera plus tard en ces termes : « On eût dit qu’on faisait amas de joie pour tout le temps qu’on allait pleurer, et il y avait quelque chose de prophétique dans cette indigestion de plaisir qu’on se donnait à l’envi. Nous avions l’air de nous divertir par prudence, comme les gens qui s’approvisionnent contre la disette. »

Louis XVI souffrait de ces allures, mais son mécontentement ne se manifestait que par de passagères boutades, vite regrettées et rachetées aussitôt par une condescendance plus grande. Dans la plupart des cas, sa faiblesse pour la Reine, sa crainte de lui déplaire, le poussaient à faire bon visage à ceux-là mêmes dont il regrettait l’influence. « Une chose fort désagréable, dit un observateur du temps[54], c’est que le Roi ne traite bien en public que les gens que la Reine protège, ce qui fait un très grand mal, par le dégoût que cela cause à tous ceux qui ne sont pas aimés de la Reine et qui n’en sont pas moins d’excellens sujets et de bons serviteurs du Roi. » Le seul qui aurait pu prévenir ces défaillances, Maurepas, fermait volontairement les yeux, souriait bénévolement aux fantaisies les plus osées de Marie-Antoinette. « M. de Maurepas, reprend le même témoin, est toujours faible pour ce qui regarde la Reine, et celle-ci, qui connaît sa faiblesse, se moque de lui et lui lave la tête quand il se fait quelque chose qui ne va pas à son caprice. » Cette indulgence, si l’on en croit Maurepas, lui était inspirée par un profond calcul. Certain jour que Louis XVI le consultait sur le danger qui pouvait résulter des inconséquences de la Reine, il eut, assure Mme Campan[55], « la cruelle politique de répondre au Roi qu’il fallait la laisser faire, que ses amis avaient beaucoup d’ambition et désiraient la voir se mêler des affaires, et qu’il n’y avait pas de mal à lui laisser prendre un caractère de légèreté. »


VI

De vrai, le mobile secret de Maurepas était de ménager la Reine, pour chercher près d’elle un appui contre le crédit de Turgot. Il n’avait pu voir sans dépit l’estime que professait Louis XVI pour le contrôleur général, les entretiens fréquens du souverain avec son ministre. « J’ai lieu de croire, écrira Turgot à Louis XVI quelques jours avant sa retraite, qu’il a craint que je n’obtinsse de Votre Majesté une confiance personnelle, indépendante de la sienne[56]. » À cette jalousie politique s’ajoutaient des griefs d’un ordre plus intime. Le contraste entre les deux hommes était trop absolu pour que leur entente fût durable. Nul n’était moins fait que Turgot pour comprendre et manier le caractère fuyant, insaisissable de Maurepas. Les fortes convictions de l’un se heurtaient, sans les entamer, contre le léger scepticisme, l’ironique insouciance de l’autre[57]. Il en résultait des conflits, où Turgot n’apportait ni patience ni souplesse. « S’il a le don de voir juste, écrit de lui Véri, il n’a pas l’art d’amener à son but la volonté des autres. Il n’a point avec eux d’aisance dans la discussion, ni d’aménité dans la contradiction, ni cette apparence d’égards que la politesse française donne aux gens les plus médiocres. »

Malesherbes, son plus cher ami, avait eu lui-même à souffrir de cette rigidité : « Au plus fort de la lutte contre le parlement, il se voyait sèchement refuser, par celui auquel il se dévouait, une charge pour un de ses parens, qui était d’ailleurs plein de mérite. Turgot en convenait, mais ce choix contrariait les règles générales de son administration, et il ne pouvait se décider à y porter atteinte[58]. »

Une obstination analogue faillit, au même moment, provoquer un plus grave éclat avec le vieux conseiller de Louis XVI. Certain matin, Véri, passagèrement absent, recevait une lettre éplorée de Mme de Maurepas : « Vous êtes tranquille dans vos champs, et nous ne le sommes guère ici. Vous êtes le seul homme qui puissiez faire entendre raison à l’un de vos amis (Turgot) ; je crains bien que, pour une misère, il ne se brouille avec M. de Maurepas, qui ne veut pas en avoir le démenti. Il se fait beaucoup d’affaires avec tout le monde… » Il s’agissait, en effet, d’une « misère : » un protégé de M, de Maurepas, dont les fonctions avaient été supprimées par Turgot et pour lequel son protecteur demandait une compensation. A toutes les instances du Mentor, Turgot ne répondait que par un refus opiniâtre. Il fallut, pour le faire fléchir, les objurgations répétées de l’abbé de Véri, des négociations qui durèrent une semaine. Aussi conçoit-on l’impatience qui perce entre les lignes de ce billet écrit par le médiateur[59] : « Sans vouloir examiner de quel côté sont les torts, je blâmerai toujours celui qui ne saura pas faire de sacrifices à la paix. Si vous êtes contrarié sur des bagatelles, n’oubliez pas cependant que vous avez été jusqu’à ce jour le maître absolu des grandes opérations de votre département. » La concession, arrachée à grand’peine et « de fort mauvaise grâce, » laissa l’abbé plein d’inquiétude sur l’harmonie future entre les deux collègues : « Leur fond à tous les deux est bon, soupire-t-il mélancoliquement, mais une légère goutte d’huile leur manque. La seule utilité qu’ils ont pu trouver dans m’a vieille liaison avec eux, c’est que je place quelquefois cette goutte d’huile ; mais, quand elle ne vient que d’une main tierce, l’effet de la goutte n’a qu’un temps[60] ! »

En mauvais termes avec Maurepas, Turgot n’était pas mieux placé dans le cœur de la Reine et de sa « société. » La chose datait de loin. Entre le contrôleur et Marie-Antoinette, il régnait une certaine froideur depuis un incident qui remontait au début de son ministère. Louis XVI avait promis, sur l’instante prière de Turgot, qu’il ne serait plus payé désormais d’« ordonnances au comptant ; » à quelques jours de là, on présente au Trésor, avec la signature du Roi, un bon de 500 000 livres au nom « d’une personne de la Cour, » qui n’était autre que la Reine. Turgot se rend aussitôt chez Louis XVI : « On m’a surpris, balbutie celui-ci. — Que dois-je faire ? interroge Turgot. — Ne payez pas, » répond le Roi[61]L’affaire s’arrangeait néanmoins, mais Marie-Antoinette en conservait un vif ressentiment. Un an plus tard, au mois d’août 1775, nouvelle affaire amenée par la vacance de la surintendance des postes, sans titulaire depuis plus de cinq ans[62]. La Reine voulait la place pour un de ses amis, le chevalier de Montmorency ; Turgot, pour des raisons d’économie, désirait supprimer l’emploi. Il l’emporta dans le conseil, et la Reine en fut si outrée, au dire de Mercy-Argenteau, que, quand le contrôleur, au lendemain de cette décision, parut en sa présence, elle refusa de lui adresser la parole. D’ailleurs, poursuit l’ambassadeur, Turgot, « en conséquence de la simplicité de ses mœurs, s’en ressenti ! si peu, qu’il déclara à ses amis avoir été bien content de la réception de la Reine[63]. »

Il fallut bien se départir de cette indifférence dans la querelle qu’il eut, un peu plus tard, avec Mme de Polignac. Celle-ci avait obtenu de Louis XVI, par l’entremise de Marie-Antoinette, une pension de deux mille écus pour la comtesse d’Andlau, sa tante et jadis sa tutrice. C’était en vain que le contrôleur général avait combattu cette largesse, en alléguant l’intérêt du Trésor et le renom médiocre de la dame, disgraciée jadis sous Louis XV à la suite d’un scandale. Mme de Polignac crut cependant habile d’ignorer cette opposition et elle écrivit à Turgot pour le remercier de cette grâce : « Vous mettrez le comble à ma reconnaissance, ajoutait-elle, si vous avez la bonté de faire dater le brevet du 1er octobre. Je n’oublie point que le Roi m’a recommandé le secret sur cette affaire[64]. » L’austérité puritaine de Turgot repoussa cette avance : « Madame, répondit-il sèchement, vous ne me devez point de remerciemens, puisque j’ai fait tout ce que j’ai pu et dû pour m’y opposer[65]. » La comtesse, justement blessée, réplique sur l’heure par quelques lignes « fort piquantes, » qu’avant de les faire parvenir, elle soumet à Maurepas : « Si jamais vous êtes mécontente de moi, goguenarde celui-ci, donnez-moi deux soufflets, mais ne m’écrivez point pareille lettre ! Cependant il faut en amuser le Roi ; remettez-la à la Reine. » Ce fut, dans l’après-midi du même jour, l’entretien de la « société. » On jugea la réponse « trop douce, » et l’on en rédigea une autre, en présence de la Reine. Cette lettre, copiée de la main de la comtesse de Polignac, s’est retrouvée plus tard[66]parmi les papiers de Turgot : « Versailles, 14 décembre 1775. — Je reprends mon remerciement, monsieur ; je conçois que je ne vous en dois à aucun égard. Votre ton augmente ma reconnaissance pour les bontés du Roi. Je ne me serais jamais attendue que, sur une affaire décidée, vous me feriez des reproches, qui blâment en même temps la conduite du Roi. Au reste, monsieur, la preuve que la grâce que j’ai demandée pour Mme la comtesse d’Andlau était juste, c’est que le Roi me l’a accordée. » Si Turgot ressentit l’offense, il eut du moins la sagesse de se taire, et ne se plaignit pas au Roi, comme on s’y attendait, comme on le désirait peut-être[67].


Ainsi, de tous côtés, s’amoncelaient les inimitiés ; ainsi mille nuages, épars à l’horizon, annonçaient la prochaine venue de l’orage. On peut, sans blesser la justice, faire la part de Turgot dans la faillite, imminente aujourd’hui, de sa noble entreprise. Non qu’il se soit montré inférieur à sa lâche ; mais le talent d’administrer ne saurait suffire à lui seul, sans l’art de gouverner les hommes. Turgot possédait l’un, et il ignorait tout de l’autre ; il semblait démontré qu’il ne s’y instruirait jamais. « M. Turgot, remarque Sénac de Meilhan, ne savait point composer avec les faiblesses humaines… Il agissait comme un chirurgien qui opère sur des cadavres et ne songeait pas qu’il opérait sur des êtres vivans. » De là, l’invincible découragement que l’on constate dès lors dans le langage de ses meilleurs amis. « Nous ne devons plus, lui écrira l’un d’eux[68], vous tourmenter des reproches dont nous vous avons accablé sur les accessoires répréhensibles de votre abord et de votre maintien. Ni vous ni moi nous ne corrigerons vos défauts… Mon ami, faites le bien comme vous l’entendrez. Ecrivez beaucoup au Roi, car vous écrivez parfaitement, mais vous ne discutez pas de même de vive voix. Agissez dans l’intérêt public, et croulez, si besoin est, pour l’avoir voulu servir avec courage. — Je ne veux que ce que je crois le bien du Roi, répondait le ministre. Il a plus besoin de moi que je n’ai besoin de lui. S’il me renvoie, ou si je le quitte parce que ma besogne deviendra impossible, qu’est-ce que je perds ? » Et il reprenait peu après : « Quand le Roi devrait me congédier demain, je lui dirais aujourd’hui : Voilà, selon moi, ce que vous devez faire. Je ne vous le répéterai pas après-demain, puisque vous ne voulez plus de moi, mais il est de mon devoir de mettre jusque-là cette vérité sous vos yeux. Lorsqu’on n’a pas l’art des ménagemens, concluait-il, la vérité est toujours la meilleure ressource. Si la vérité ne réussit pas, je m’en irai avec elle. »

Un homme qui pense et parle de la sorte se grandit sans doute pour l’avenir, mais il se perd dans le présent. Il nous reste à montrer quelles machinations d’un côté, quelles maladresses de l’autre, allaient, en l’espace de quelques semaines, précipiter le dénouement.


MARQUIS DE SEGUR.

  1. Copyright, by Clamann-Lévy, 1909
  2. Voyez la Revue des 1er et 15 février, du 15 septembre et du 1er octobre 1909.
  3. Cette appellation était fondée sur la prétention séculaire du clergé de ne pouvoir être taxé par le pouvoir temporel et de n’accorder de subsides que proprio motu. En fait, chaque fois que le souverain le jugeait nécessaire, on convoquait l’épiscopat en assemblée extraordinaire et on le pressurait selon les besoins du royaume.
  4. L’ancien clergé de France, par l’abbé Sicard.
  5. En décembre 1774, notamment, l’archevêque de Paris ayant refusé les sacremens à un vieux prêtre de Saint-Séverin, suspect de jansénisme, Louis XVI le manda à Versailles et l’apostropha en ces termes : « Le Roi, mon aïeul, vous a exilé plusieurs fois à cause du désordre que vous avez causé parmi ses sujets. Je ne vous exilerai point, mais je vous livrerai à toute la sévérité des lois. Je vous donne ma parole royale que je n’en arrêterai point l’activité pour vous. Vous m’entendez, retirez-vous. » — Lettre du sieur Régnier au prince X. de Saxe, du 22 décembre 1774. — Arch. de l’Aube. — Le fait est également mentionné dans le Journal de Hardy.
  6. Les intendans des provinces sous Louis XVI, par Ardascheff.
  7. Archives nationales, O 1473.
  8. Documens publiés à la suite des Mémoires de Soulavie.
  9. Journal inédit, passim.
  10. Journal de Véri, passim. — Voir aussi l’Espion anglais, tome II, 14 décembre 1775.
  11. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 28 septembre 1775. — Archives de l’Aube.
  12. Ibidem.
  13. Une assez vive discussion s’éleva notamment au sujet de l’édit de Louis XV qui, en réglementant le noviciat dans les ordres religieux, avait fixé à dix-huit ans pour les filles et à vingt et un ans pour les hommes l’âge de prononcer des vœux. Certains ordres alléguaient que, depuis l’application de cette règle, il n’y avait presque plus de novices, et l’évêque de Cahors se fit le porte-parole de ces réclamations. Le débat fut violent. L’archevêque de Toulouse riposta par une sorte d’attaque contre les ordres religieux, dont il jugeait le nombre excessif, et dont quelques-uns, alla-t-il jusqu’à dire, n’étaient plus qu’une retraite pour l’indolence et l’oisiveté. « Des vœux faits à quinze ans, ajouta-t-il, ne sauraient être regardés comme faits avec la prudence et les lumières nécessaires ; il serait étonnant que les lois permissent à un citoyen de disposer de sa liberté pour toute sa vie, dans un âge où elles lui défendent d’aliéner un pouce de terre. » Sur ce sujet comme sur les autres, le débat resta sans issue. — Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 9 décembre 1775. — Arch. de l’Aube.
  14. Procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France, tome VIII.
  15. Lettre du 29 juillet 1773. — Ed. Asse.
  16. Journal inédit, passim.
  17. Saint-Germain avait alors soixante-huit ans.
  18. Journal de l’abbé de Véri.
  19. Lettre de Mme de Maurepas à la duchesse d’Aiguillon, du 25 octobre 1775., — Archives du marquis de Chabrillan.
  20. Journal de Véri.
  21. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 24 octobre 1775. — Archives de l’Aube.
  22. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 27 octobre, et Journal de Véri.
  23. Le comte de Saint-Germain ayant perdu la plus grosse partie de sa fortune par la malhonnêteté d’un homme d’affaires, Maurepas, dès le début du règne de Louis XVI, lui avait fait donner une pension sur la cassette du Roi.
  24. Mémoires du prince de Montbarrey.
  25. Journal de l’abbé de Véri, passim.
  26. Ibidem.
  27. Lettre de septembre 1774. — Correspondance de Condorcet et de Turgot, publiée par M. Charles Henry.
  28. L’abbé de Véri mentionne que le projet d’édit, avant sa rédaction définitive, avait été « envoyé par Turgot aux intendans des provinces, pour demander leurs observations. » La plupart se prononcèrent pour la suppression des corvées. « Le Roi, ajoute Véri, sentait d’ailleurs lui-même la dureté, l’injustice, la perte de travail, qui résultaient de cet usage. » — Journal inédit, passim.
  29. Le seul point sur lequel Turgot consentit à céder fut la participation du clergé au nouvel impôt ; non qu’il abandonnât le principe, dont il maintenait, au contraire, la justesse, mais à cause du peu d’intérêt qu’il y avait, au point de vue financier, à exiger cette contribution, et surtout par respect pour les scrupules du Roi. « Peut-être, écrivit-il, les opinions du Roi et des ministres ne sont-elles point assez décidées, pour qu’il ne soit pas à propos d’éviter d’avoir deux querelles à la fois. » — Turgot, par Léon Say.
  30. Journal de Véri, passim.
  31. Remontrances du parlement au Roi.
  32. Lettre du 13 avril 1776. — Ed. Asse.
  33. Journal inédit, passim.
  34. « Les opinions publiques, confiera quelques mois plus tard Turgot à Louis XVI, font sur M. de Maurepas une impression incroyable pour un homme d’esprit, qui, avec ses lumières, doit avoir une opinion par lui-même. Je l’ai vu changer dix fois d’idée sur le lit de justice, scion qu’il voyait ou M. le garde des Sceaux, ou M. Albert, lieutenant de police, ou moi. C’est cette malheureuse incertitude, dont le parlement était fidèlement instruit, qui a tant prolongé la résistance de ce corps. Si l’abbé de Véri n’avait pas contribué à fortifier son ami, je ne serais point étonné qu’il eût tout abandonné et conseillé à Votre Majesté de céder au parlement. » — Lettre du 30 avril 1716. — Journal de Véri, passim.
  35. Lettre du 6 mars 1776. — Ed. Lescure.
  36. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 20 février 1776. — Archives de l’Aube.
  37. Journal de l’abbé de Véri, passim,
  38. D’après une lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, le prince de Conti termina ainsi la dispute : « Monsieur de Choiseul, avant d’être en place, vous étiez un étourdi ; quand vous avez été en place, vous avez été un insolent ; et depuis que vous n’y êtes plus, vous êtes un pied-plat. » (Lettre du 22 mars 1776. — Arch. de l’Aube.) — Métra rapporte aussi l’incident en termes presque analogues. « Il n’est pas étonnant, mandait à ce propos le comte de Creutz a Gustave III, que le prince de Conti s’oppose avec tant de violence à la suppression des jurandes, puisqu’il perd par-là le bénéfice de la franchise du Temple et 50 000 livres de rente. » — Lettre du 16 mars 1776, citée dans l’introduction à la Correspondance de Mercy-Argenteau publiée par d’Arneth.
  39. L’Espion anglais, tome III.
  40. Lettres des 1er et 15 mars 1776. — Correspondance générale.
  41. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 22 mars 1776. — Archives de l’Aube.
  42. Turgot, par Léon Say.
  43. Lettre du comte de Creutz à Gustave III, du 14 mars 1776.
  44. Marie-Antoinette, par Goncourt.
  45. Mémoires inédits du comte Guignard de Saint-Priest. — Collection de M. le baron de Barante.
  46. Il fut créé duc en 1780.
  47. Jacqueline du Roure, comtesse de Polignnc, mère du cardinal et grand’mère du comte Jules, était pour une bonne part responsable de cette situation, ayant fait vendre à son mari seize terres importantes, dont le prix fut mangé à la Cour en dépenses de toutes sortes. En 1775, il ne restait guère au comte Jules qu’une trentaine de mille livres de rente, grevées de charges nombreuses. (Renseignemens communiqués par M. le comte Melchior de Polignac.)
  48. Réflexions historiques, etc., par le Comte de Provence, passim.
  49. Mémoires inédits du comte de Saint-Priest, passim.
  50. Portraits et caractères, par Sénac de Meilhan.
  51. Mémoires inédits du comte de Saint-Priest, et Mémoires de Soulavie.
  52. Mémoires du comte de Saint-Priest, passim.
  53. Lettre du 16 mai 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  54. Lettre du sieur Pomiès au prince X. de Saxe, du 20 mars 1776. — Archives de l’Aube.
  55. Mémoires.
  56. Lettre du 30 avril 1776. — Journal de Véri.
  57. Turgot en conviendra lui-même, lorsqu’il écrira à Louis XVI : « Mon caractère plus tranchant que le sien doit naturellement lui faire ombrage. Ma timidité extérieure a peut-être fait dans les premiers temps quelque compensation. » — Lettre du 30 avril, passim.
  58. Journal de Véri, passim.
  59. L’abbé de Véri à Turgot. — Journal de Véri, passim.
  60. Une anecdote rapportée par Moreau témoigne, à cette même date, de la rancune de Maurepas. Certain jour que le contrôleur avait demandé une audience au Roi, le duc de Duras raconta à Louis XVI que « le pauvre homme toussait à faire pitié. — Eh bien ! j’irai chez lui, » dit simplement le Roi. Quelqu’un entend le propos, court le redire à Maurepas, lequel arrive aussitôt et fait si bien qu’il empêche le Roi de se rendre chez le contrôleur, auquel on se contente d’envoyer un huissier pour le dispenser de venir — Souvenirs de Moreau.
  61. Turgot, par Léon Say.
  62. Le duc de Choiseul avait été longtemps titulaire de l’emploi ; depuis sa disgrâce, il n’y avait pas été remplacé. Turgot se fit donner le titre et la fonction, sans recevoir pour cela aucune rétribution.
  63. Dépêche au prince de Kaunitz, du 16 août 1775. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  64. Lettre du 13 décembre 1775. — Documens publiés par M. Dubois de l’Estang.
  65. Journal de Véri, et Souvenirs de Moreau.
  66. Documens publiés par M. Dubois de l’Estang. — cette lettre et la précédente sont renfermées dans une chemise, où on lit cette annotation de la main de Malesherbes : « Deux lettres de Mme de Polignac qui ont l’ait du bruit dans le temps, et qu’on fera peut-être bien de brûler. »
  67. Journal de Véri.
  68. Lettre de l’abbé de Véri à Turbot. — Journal de Véri.