Au duc de Nevers, sur des vers de Chapelle
ÉPÎTRE À M. LE DUC DE NEVERS
J’ai vu, du paisible rivage,
Enfoncer le fragile esquif
Que Chapelle et d’age et d’if
Avoit lesté pour son voyage.
Mais par un vent superlatif
Sa métaphore a fait naufrage ;
Je l’ai laissé, sauvant à nage
Sur le rocher du Château d’If,
Sa Muse et tout son équipage :
Moi, d’un style plus libertin,
Et d’une verve moins prisée,
Par la Paresse autorisée,
Sans m’en réveiller plus matin,
Je vais griffonner ma pensée ;
Car ce n’est pour moi chose aisée
De mettre ainsi dans la prison
D’une rime tant épuisée,
Le peu que tu sais de raison
Que la Nature m’a laissée.
Si tu connoissois chaque jour
Avec combien d’impatience
Nous voyons que Phébus commence
Et finit son oblique tour,
Sans que ton aimable présence
Vienne embellir notre séjour,
Bientôt Vilpreux et Garanciere
Verraient tes vîtes Postillons,
De leurs fertiles sillons
Faire voler la poussiere ;
Tel qu’après les froids rigoureux
Des Hyvers qui nous font la guerre,
Tu quittes ce climat heureux
Qu’habiterent jadis les Maîtres de la terre ;
Et, partant avec les Zéphyrs,
Dont tu devances la vîtesse,
Tu ramenes la politesse
Dans nos repas et nos plaisirs.
Qui donc à S. Germain t’arrête ?
Es-tu prié de quelque fête
Que donne ce Seigneur courtois,
Qui, toujours entouré d’anchois,
Pendant sa podagre passée,
D’un grand fromage Polonois
Faisoit une chaise percée,
Mais que je voyois autrefois,
Dans ces glaciales contrées,
Donner un sage contrepoids
Aux Puissances Hyperborées ;
Lui, dont l’esprit plein de ressorts
Forma les importans accords
Entre le Turc et le Sarmate,
Et dont la pacifique voix
A fait pendre au croc les carquois,
De l’Océan jusqu’à l’Euphrate ?