Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/16

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XVI.


On a posé l’hypothèse de la spoliation.

Nul ne peut croire à la corruptibilité des majorités, sans nier, au même instant la raison humaine et le principe de sa démonstration. Si les majorités sont incorruptibles, elles sont équitables : or, la loi élémentaire de l’équité, c’est le respect du droit acquis.

Le droit acquis a été respecté même chez les peuples où les moyens d’acquérir avaient été déniés aux majorités. Comment ce droit pourrait-il être violé chez nous, où l’acquisition, bien qu’entravée encore, peut cependant être considérée comme publique.

Qu’on ne me parle pas de brigandage, lorsqu’il est prouvé qu’il ne peut être que le fait des minorités, et lorsque son exercice nécessite son organisation.

Qu’on ne me parle pas de brigandage, lorsqu’à la place d’un plan d’organisation incombinable, on ne m’apporte que quelques cris de rue ou quelque argument de club.

Le peuple n’est pas responsable de l’insanité exceptionnelle de quelques esprits. Les fous sont les enfants perdus de l’humanité !

Le brigandage n’est pas organisable. Je me trompe, on peut l’organiser, et voici comment : Placez dans chaque commune une autorité plus jalouse du droit exceptionnel que du droit public ; établissez dans chaque arrondissement, dans chaque département des magistrats haineux, intolérants et fanatiques : constituez au sommet de cette hiérarchie un chef suprême aveuglé par l’orgueil de la domination, et nourri dans des dogmes impies ; donnez à cet homme quatre ou cinq cent mille hommes armés pour soutien, et la spoliation pour mot d’ordre et la violation des droits acquis est consommée.

Mais on me dit que le tableau ci-dessus n’est autre chose que l’organisation administrative, fondée par les constitutions. Je l’avoue, et il suit de là qu’un malfaiteur qui ne s’emparerait pas de l’administration de l’état ne serait nullement à craindre. Mais cela revient à dire aussi que cette administration nous annule de telle sorte que nous sommes à l’entière discrétion du premier audacieux que les hasards y peuvent précipiter.

Donnez pour mot d’ordre au peuple la spoliation, et ce mot d’ordre va s’enfermer dans la probité du nombre.

Que ce mot d’ordre parte de l’administration dont les réseaux systématiques embrassent tous les individus et tout le territoire, et la pensée suprême se propage comme l’électricité pour se perdre dans le sang !

Telle est l’unique organisation possible du brigandage, et voilà, en définitive, à quel usage peut être appliqué le gouvernement des monarchies représentatives.

Ceux qui possèdent craignent-ils d’être spoliés isolément par ceux qui ne possèdent pas ? Je les plains tout en pouvant les condamner, car ils m’apprennent par là ce qu’eux-mêmes seraient en disposition de faire s’ils n’avaient rien.

Et, cependant, ils se trompent ; ils sont plus honnêtes gens qu’ils ne le pensent ; ils raisonnent au point de vue des besoins que leur fortune leur a donnés. Je conçois que s’ils étaient tout à coup privés de la satisfaction de ces besoins, qui sont devenus pour eux, en quelque sorte, naturels, ils auraient à souffrir, et c’est sous l’empire de cette impression qu’ils argumentent ; mais une chose qu’ils oublient, c’est que s’ils n’avaient pas eu leur fortune, ils n’auraient pas en non plus leurs besoins.

Est-ce que, d’ailleurs, celui qui me viendrait déposséder aujourd’hui ne serait pas, en vertu du même principe dépossédé demain ? Et si le temps se passait ainsi à se déposséder mutuellement, que deviendrait la production ?

Est-ce qu’un état de choses aussi absurde peut être appréhendé par des gens sensés, le lendemain d’une révolution où tout était à la discrétion des masses, et où la perversité, à l’état d’exception, s’est trouvé noyée dans la probité publique ?

Si la majorité, qui ne possède pas, avait l’instinct de la spoliation, il y a longtemps que la minorité qui possède saurait à quoi s’en tenir.

S’il y a des malfaiteurs dans nos localités, comptons-les ; ce travail est facile ; et si nous en trouvons peu ou si nous n’en trouvons pas, n’allons pas croire que nous exerçons ici le monopole de l’équité : les hommes sont les mêmes partout.

Que la rage dominatrice et insolente de quelques hommes déchiquette à belles dents la magnanimité populaire et déconsidère le caractère humain, cela se conçoit : le dogme de l’improbité est la raison des tyrannies, et la sécurité des tyrans se fonde sur la haine et la défiance des citoyens entre eux. Quant à moi, séparé des partis pour rester homme, je défends l’humanité par esprit de corps…