Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/6

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VI.


L’organisation de la société c’est l’esclavage des individus, et sa désorganisation amène la liberté qui déploie sur le corps social ces règles d’harmonie providentielle dont l’observance, étant dans l’intérêt de chacun, se trouve être le fait de tous.

Mais on dit que la liberté sans frein est menaçante.

Qui donc menace-t-elle ?

Qui donc doit craindre le coursier indompté, si ce n’est celui qui le dompte ?

Qui donc a peur devant l’avalanche, si ce n’est celui qui veut l’arrêter ?

Qui donc tremble devant la liberté, si ce n’est la tyrannie ?

La liberté menaçante ! c’est le contraire qu’il faudrait dire. Ce qui effraye en elle c’est le bruit de ses fers. Dès qu’elle les a rompus, elle n’est plus tumultueuse ; elle est calme et sage.

N’oublions pas l’ordre qui suivit le déchaînement du 24 février, et rappelons-nous surtout le désordre qui survint de l’enchaînement de juin !

Les hommes de l’Hôtel-de-Ville gouvernèrent ; ce fut là leur tort. Ils n’étaient que les simples gardiens des scellés apposés par la révolution sur la succession gouvernementale des royautés. Nous étions les héritiers de cette succession ; ils crurent que c’était eux : — Folie ! Quel fut leur rêve, qu’ils portaient des noms aimés, qu’ils étaient plus honnêtes gens que les vaincus ? Comme si, dans les nations libres, le gouvernement était une question de noms propres ! comme si, dans les démocraties, l’usurpation pouvait arguer de la probité de l’usurpateur !

Qu’ils étaient plus capables ? Comme s’il était possible d’avoir de l’intelligence pour tout le monde, quand tout le monde fait réserve de son intelligence !

Ils auraient dû comprendre une chose bien simple, bien élémentaire, c’est que, depuis que le droit divin a été relégué au fond du sacerdoce, nul n’a reçu mandat d’agir au nom de tous et à la place de tous.

Mais ce que n’avait point fait le gouvernement provisoire, l’Assemblée pouvait le faire ; on pouvait espérer qu’elle démocratiserait la France ; car, quelles que pussent être les dispositions d’esprit de la grande majorité des représentants, il suffisait d’un seul homme véritablement démocrate, c’est-à-dire d’un homme qui eût vécu dans la pratique de la démocratie et de la liberté, pour éclairer la situation et affranchir le pays. Or, cet homme, s’il y est, ne s’est pas montré ; nul n’a parlé à la tribune le langage noble, désintéressé, grandiose de la démocratie. Il y a sans doute au Palais national de généreuses intentions ; mais les intentions inintelligentes sont les avortons de la grandeur humaine, les morts-nés de Dieu, et l’Assemblée comme le Gouvernement provisoire, dont elle a sanctionné la conduite, a méconnu son mandat.

Nous avons vu jaillir de son sein que des hommes de parti, des théoriciens, des casuistes politiques, qui n’ont pratiqué que la Monarchie, l’exclusivisme administratif, les gouvernements dirigeants ; des hommes qui n’ont jamais vu la liberté qu’à travers le voile jaloux du royalisme.

Aussi, pouvons-nous dire de la majorité de l’Assemblée ce que nous avons dit des membres du gouvernement provisoire : Ne comptons pas sur ces théoriciens pour asseoir la démocratie en France, pour introduire la liberté dans la pratique des faits sociaux.