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Au jardin de l’infante/Heures d’été

La bibliothèque libre.
Au jardin de l’infanteMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 1 (p. 11-24).

D’une essence ravie aux vieillesses des roses.
stéphane mallarmé.

HEURES D’ÉTÉ

I

Apporte les cristaux dorés,
Et les verres couleur de songe ;
Et que notre amour se prolonge
Dans les parfums exaspérés.


Des roses ! Des roses encor !
Je les adore à la souffrance.
Elles ont la sombre attirance
Des choses qui donnent la mort.



L’été d’or croule dans les coupes ;
Le jus des pêches que tu coupes
Éclabousse ton sein neigeux.


Le parc est sombre comme un gouffre…
Et c’est dans mon cœur orageux
Comme un mal de douceur qui souffre.

II

Frêle comme un harmonica,
L’eau pure des vasques soupire ;
La même étoile en feu se mire
Dans nos verres de vieux muscat.


Ton col superbe et délicat
De Clorinde ou de Lindamire
Sort tout entier, pour qu’on l’admire,
D’un brocart de pontificat.



Dans le soir de magnificence,
Les richesses de ta présence
Évoquent l’âge Florentin ;


Et vers le ciel fin de turquoise
Monte des coupes du festin,
Suave, un songe de framboise.

III

Lune de cuivre — Parfums lourds…
Comme des lampes sous un dôme
Les astres brûlent ; l’heure embaume ;
Les fleurs dorment dans le velours.


L’âme en langueur des jardins sourds
Exhale d’étouffants aromes.
L’eau des porphyres polychromes
Dans les bassins pleure, toujours.



Nulle ombre de feuille qui bouge…
Seule, ta lèvre éclate, rouge,
À la flamme du haut flambeau ;


Et tu sembles, dans l’air nocturne,
Dure et fatale comme l’urne
Impénétrable d’un tombeau.

IV

Les grands Jasmins épanouis
Vibrent dans les chaudes ténèbres…
Seuls, les Parfums règnent, funèbres,
Sur les jardins évanouis.


La phalène en silence vers
La flamme d’or se précipite.
Dans l’obscurité qui palpite
Tes yeux verts rêvent, grands ouverts.



Tes yeux verts, ô ma Bien-Aimée,
Rêvent dans l’ombre parfumée
D’affreux supplices pour les cœurs ;


Et ton nez irrité respire
Dans l’étouffement des odeurs
Des fêtes sanglantes d’empire !

V

Ton menton pose dans ta main ;
Tes lèvres songent, évasives ;
Tes prunelles dorment, pensives,
Sur une branche de jasmin…


La bouche brûlant de carmin,
Sous tes parures excessives
Tu prends, dans les ombres massives,
L’air fabuleux et surhumain.



Et mon amour qui s’exacerbe
Devant ton silence superbe
Cherche en vain, sans trouver la paix,


Ce je ne sais quoi de ton âme,
De ton cœur, de tes sens, ô femme,
Qu’il ne possédera jamais.

VI

Il pleut des pétales de fleurs.
La flamme se courbe au vent tiède ;
De mes deux yeux je te possède,
Et mes yeux ont besoin de pleurs.


Vieille argile faite aux douleurs,
Quel goût de souffrir sans remède
Harcèle ainsi le cœur qui cède…
Il pleut des pétales de fleurs.



Les roses meurent, chaque et toutes…
Je ne dis rien, et tu m’écoutes
Sous tes immobiles cheveux.


L’amour est lourd — Mon âme est lasse…
Quelle est donc, Chère, sur nous deux,
Cette aile en silence qui passe ?