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Au jardin de l’infante/Musique confidentielle

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Au jardin de l’infanteMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 1 (p. 51-54).

MUSIQUE CONFIDENTIELLE

Au cartel d’or,
Qui s’endort,
La lyre du pendule à peine se balance.


Sans avirons,
Nous errons,
Au vague, sur le lac enchanté du Silence.


L’accord dernier
Du clavier
Au long des fils vibrants se prolonge et se pâme,



Et d’un remous
Lent et doux
En ondes de langueur s’élargit dans notre âme.


Sur les tapis
Assoupis
Une rose blessée et penchante agonise ;


Et le désir
De mourir
Comme une extase en nous monte et se divinise.


D’ombre noyé,
Déployé,
Comme un dais triomphal, pour des pompes célèbres,


Le lit massif,
Dieu pensif,
Médite obscurément nos baisers des ténèbres.



L’air amolli
S’est empli
De ton parfum subtil, obsesseur et complexe,


Philtre ambigu,
Suraigu,
Fleur tiède épanouie au soleil de ton sexe.


Tes yeux mourants,
Transparents,
M’ouvrent les profondeurs des verts mélancoliques,


Et les charbons
Moribonds
Font trembler tout au fond des flammes symboliques.


Je t’aime ainsi,
Sans souci
De l’heure disparue, et du mal et des peines,



Que par nos doigts
Plus étroits
Notre amour se pénètre au plus fin de nos veines.


Restons perdus,
Suspendus
Au-dessus de la terre ironique et brutale,


Sans rien savoir,
Sans rien voir,
Révélés à la Vie Unique et Musicale…


Ne parle pas,
Ou si bas
Que ce soit un secret vaporeux qu’on devine,


Et qui se meurt
Dans le cœur
Comme une haleine d’ange en un duvet d’hermine.