Aube Marine - Annonciation - Le Croissant
La barque est noire et la mer grise ;
Et dans l’eau calme où dort la brise
Vénus, qui jette un vif éclair,
Semble une perle qui s’irise.
Quelle Cléopâtre de l’Air
A dans ta coupe, ô Mer profonde,
Laissé tomber ce joyau clair ?
Parfois un souffle agite l’onde
Et d’un léger balancement
Berce en son lit la gemme blonde...
Mais voici l’Aube ! — Lentement
Une lueur diffuse et pâle
Monte et blanchit le firmament ;
Tandis que sous le flot d’opale.
Au sein du gouffre, tout au fond,
S’éteint l’Etoile matinale,
Comme une perle qui se fond.
Je possède un tableau d’un vieux maître inconnu
Qu’eût signé Martin Schœn ou le grand Albert Dure ;
La couleur en est crue et la ligne un peu dure,
Mais c’est d’un art savant et pourtant ingénu.
Au milieu d’un jardin au feuillage ténu
On y voit, sur un fond de ciel et de verdure,
La Vierge agenouillée en une humble posture,
Pâle, et croisant les mains sous son col demi-nu.
Gabriel, nimbe au front, s’avance sur la mousse ;
Il salue, et du bout de l’index et du pouce
Lui présente un beau lys au pistil éclatant ;
Elle, les traits défaits, la prunelle hagarde,
Devant la blanche fleur que l’Archange lui tend
Frissonne d’épouvante et d’extase, et regarde...
Ainsi, quand l’Aube monte à l’horizon dormant,
Plus pâle que la Vierge, ô Terre, tu tressailles !
Premier baiser de l’Astre, ô claires fiançailles
De la glèbe féconde avec le firmament !
Mère auguste, déjà tu sens confusément
Sourdre le grain sacré qui germe en tes entrailles ;
Et les fouilles des bois et l’herbe et les broussailles,
Tout palpite à la fois d’un long frémissement...
Le ciel s’ouvre. On dirait qu’un chœur lointain t’acclame,
Grave comme un cantique aux sons de l’orgue uni,
Tendre et voluptueux comme un épithalame ;
Et tu vois resplendir vers l’Orient béni,
Telle une fleur céleste aux pétales de flamme,
L’Étoile du Matin, ce lys de l’Infini !
Les pourpres du couchant étalaient leur magie ;
Un autre Phaéton, guidant le char du dieu,
Avait-il de nouveau mis l’horizon en feu,
Comme aux jours merveilleux de la Mythologie ?
Une tache de sang par la brume élargie
S’arrondissait, vermeille, et semblait le moyeu
De quelque roue énorme arrachée à l’essieu,
Et du sang des chevaux encor toute rougie.
Au-dessus de l’immense embrasement, plus haut
Que les débris épars du divin chariot,
Le Croissant dans l’azur courbait sa fine lame ;
Sans doute un des coursiers, dans l’abîme roulant.
Avait derrière lui de son sabot de flamme
Laissé tomber au ciel ce fer étincelant.
PAUL MUSURUS.