Notes et Sonnets/Aux étudiants de la Société de Zofinge

La bibliothèque libre.


Lorsque j’arrivai à Lausanne pour y commencer un cours, MM. les étudiants de la société dite de Zofingue m’adressèrent un chant de bon accueil et d’hospitalité ; j’y répondis la veille du 1er janvier par la pièce suivante, où il est fait allusion, vers la fin, à la perte récente d’un jeune et bien regrettable poète, qui aurait fait honneur au pays.


Pour répondre à vos vers, à vos chants, mes Amis,
Je voulais, plus rassis de ma prose, et remis,
Attendre au moins les hirondelles ;
Je voulais, mais voilà, de mon cœur excité,
Que le chant imprévu de lui-même a chanté
Et vers vous a trouvé des ailes.

Il a chanté, croyant dès l’hiver au printemps,
Tant la neige à vos monts, à vos pics éclatants
Rit en fraîcheurs souvent écloses ;
Tant chaque beau couchant, renouvelant ses jeux,
À tout ce blanc troupeau des hauts taureaux neigeux
Va semant étoiles et roses !

Même aux plus sombres jours, et quand tout se confond,
Quand le lac, les cieux noirs et les monts bleus nous font
Leurs triples lignes plus serrées,
Il est de prompts éclairs partis du divin seuil,
Et pour l’esprit conforme à ce grand cadre en deuil
Il est des heures éclairées.


Tout ce que d’ici l’œil embrasse et va saisir,
Miroir du chaste rêve, horizon du désir,
Autel à vos âmes sereines ;
Là-bas aussi Montreux, si tiède aux plus souffrants,
Et fidèle à son nom ce doux nid de Clarens,
Où l’hiver même a ses haleines ;

Oui, tout !… j’en comprends tout, je les aime, ces lieux ;
J’en recueille en mon cœur l’écho religieux
S’animant à vos voix chéries,
À vos mâles accords d’Helvétie et de ciel !
Car vous gardez en vous, fils de Tell, de Davel[1],
Le culte uni des deux patries.

Oh ! gardez-le toujours, gardez vos unions ;
Tenez l’œil au seul point où nous nous appuyons
Si nous ne voulons que tout tombe.
La mortelle patrie a besoin, pour durer,
D’entrer par sa racine, et par son front d’entrer
En celle que promet la tombe.

Fils au cœur chaste et fort, gardez tous vos saints nœuds,
Ce culte du passé, fécond en jeunes vœux,
Cet amour du lac qui modère,
Cet amour des grands monts qui vous porte, au pied sûr,
Dès le printemps léger, dans la nue et l’azur
D’où vous chantez la belle terre.

Et si quelqu’un de vous, poëte au large espoir[2],
Hardi, l’éclair au front, insoucieux de choir,
S’il tombe, hélas ! au précipice,

Gardez dans votre cœur, au chantre disparu.
Plus sûr que l’autre marbre auquel on avait cru,
Un tombeau qui veille et grandisse.

À ceux, aux nobles voix qu’encor vous possédez,
À ceux dont vous chantez les chants émus, gardez
Amour constant et sans disgrâce ;
Toutes les piétés fidèles à mûrir ;
Et même un souvenir, qui n’aille pas mourir,
À celui qui s’asseoit et passe.

31 décembre 1837.

  1. Le major Davel, patriote et religieux, exécuté en 1723 pour avoir tenté d’affranchir le Pays de Vaud de la domination bernoise.
  2. Frédéric Monneron, jeune poëte qui promettait de prendre un essor élevé ; mort à la fleur de l’âge, dans l’égarement de l’esprit.