Aux Régions dévastées/01

La bibliothèque libre.
Aux Régions dévastées
Revue des Deux Mondes6e période, tome 40 (p. 406-431).
AUX
RÉGIONS DÉVASTÉES

I
LES RUINES


Noyon.

Les Allemands ne sont plus à Noyon... Et la guerre assurément est entrée dans une phase nouvelle depuis que nous ne sommes plus au temps où, selon une formule célèbre, « ils étaient à Noyon ! » Mais la trace de leurs dévastations volontaires apparaît dès qu’on approche des faubourgs de cet antique chef-lieu d’un des plus riches diocèses de la Picardie. Les débris d’une usine gisent dans les champs ravagés, à gauche de la route qui vient de Compiègne. Une grosse cheminée de briques a sauté ; un de ses tronçons, pareil à un fragment de cylindre, a roulé sur le sol, au milieu d’un amoncellement de débris informes. A droite, on aperçoit, aux pentes des coteaux jadis fleuris et boisés, un château désert et les pelouses d’un parc déchirées en zigzag par des lignes de tranchées. La couleur fauve de la terre bouleversée ressort en larges balafres parmi la verdure de l’herbe rase... Sur ce paysage en deuil se dressent les deux tours de Notre-Dame de Noyon. L’église-forteresse des évêques comtes de Noyon et pairs de France domine encore de sa structure, imposante et fière comme le profil d’un donjon féodal, les vieux logis de la cité mérovingienne, carolingienne, capétienne où s’évoque et se résume en images de pierre le vivant tableau des plus vénérables souvenirs et des plus lointains âges de notre histoire nationale.

C’est dans la matinée du dimanche 30 août 1914 que les Allemands arrivèrent, encombrant de leurs autos blindées et de leurs cuisines roulantes la « rue de Paris, » qui est la plus belle rue de Noyon. Cette rue, aujourd’hui égayée par un va-et-vient d’uniformes bleu horizon, conduit à la place de l’Hôtel-de-Ville. C’est une de ces places comme on en voit dans les estampes d’autrefois. Elle n’est pas très grande, s’étant adaptée aux coutumes des temps anciens où la vie communale était, en quelque sorte, une vie de famille. Mais elle est le centre où aboutissent toutes les rues de la cité. La façade de cette vieille maison de ville a été décorée jadis de fenestrages fleuronnés et d’impostes à guirlandes par des artistes précurseurs de la Renaissance française. Que de mélancolie toutefois dans la grisaille de ces murs, confidens des drames passés et des douleurs récentes ! Il n’y a pas longtemps que le bleu horizon du soldat territorial, en faction devant la porte de cet hôtel de ville, a remplacé le feldgrau du factionnaire allemand. Sur une bâtisse voisine, on lit encore ces mots : Orts-Kommandantur. C’est là qu’une bureaucratie impitoyable organisait la persécution méthodique des gens du pays, préparait froidement, par ordre supérieur, la dislocation des familles, la désolation des foyers, les déportations en masse, les enlèvemens de femmes et de jeunes filles. Devant les étroites fenêtres de ces bureaux maintenant vides, je songe à tous les yeux inquiets dont le regard s’est voilé de larmes en voyant briller la lampe nocturne qui éclairait d’une lueur sinistre ce travail allemand.

Les historiens de l’avenir retraceront le tableau de cette arrivée furieuse des Allemands à Noyon, venant de Ham et de Guiscard, ayant parcouru à grandes enjambées la route presque droite qui va de la Somme à l’Oise. Ils marchaient sur Paris, éternel objet des convoitises tudesques. Tout un quartier de Péronne était déjà en cendres. Les cantons de Rosières, de Chaulnes, de Lassigny étaient pillés, rançonnés, ensanglantés. Chemin faisant, les envahisseurs prenaient un avant-goût des joies que leur réservait apparemment la prise de Paris. Les habitans de Pont-Noyelles ont vu les officiers d’un brillant état-major rouler ivres-morts sous des tables chargées de victuailles et se réveiller juste à temps pour emporter l’argenterie de la plus riche maison du bourg. A Framerville, sous les yeux du curé de la paroisse, les incendiaires se mirent à danser, au son d’un piano mécanique, en activant par des projectiles inflammables les brasiers allumés. A Guiscard, les plus fieffés hobereaux de la Garde prussienne se firent remarquer, selon le témoignage du maire, par un état d’ « ivresse ignoble. » Quant aux conquérans de Noyon, l’image de leur triomphe est digne d’être transmise à la postérité ! Arraché de l’hôtel de ville, l’honorable maire de Noyon, M. Noël, sénateur de l’Oise, directeur de l’Ecole centrale des Arts et Manufactures, homme éminent et bienfaisant, dont les Allemands ne pouvaient pas ignorer le caractère digne de tous les égards et de tous les respects, est forcé d’aller au-devant des troupes qui viennent par le faubourg d’Amiens. On le fait marcher, avec ses deux adjoints, MM. Félix et Jouve, attaché à l’étrier d’un commandant. M. Jouve, ne pouvant suivre le pas des chevaux, sous l’ardent soleil de cette chaude journée d’août, tombe de fatigue : ‘ un uhlan le frappe du bois de sa lance pour l’obliger à se relever. Dans la rue du Rouard, les témoins de cette lugubre scène voient M. Jouve tomber de nouveau, ainsi que M. Noël, au milieu des soldats grisâtres, dont le défilé par rangs et par files dure interminablement. Au bout de ce calvaire, à la fin de cette terrible journée, le maire et les adjoints, accablés de lassitude et de tristesse, sont jetés en prison. Ils seront désormais des otages, à la disposition de la Kommandantur, et leur vie est à la merci d’un caprice ou d’un hasard. Une parole téméraire, le geste imprudent d’un de leurs compatriotes, une rixe entre soldats et habitans, cela suffira pour les amener devant le peloton d’exécution. Les fusils Mauser sont prêts à partir. Tout sert de prétexte. On montre encore, à deux pas de l’hôtel de ville, l’endroit où un paisible citoyen, M. Devaux, tourneur en bois, fut abattu par une balle. Ce malheureux homme, étant consigné comme otage à l’hôtel de ville, avait cru pouvoir sortir pour aller chercher un objet oublié dans sa maison, située tout près de là...

Lorsque l’on quitte la place de l’Hôtel-de-Ville pour descendre la pente qui mène à la rue des Tanneurs, on se trouve en présence de maisons complètement démolies. Elles ont sauté, en même temps que les ponts voisins, au moment où les Allemands se préparaient à la retraite forcée. Toute une rangée de vieux logis, singulièrement pittoresques, a disparu dans ce cataclysme Les lucarnes béantes s’ouvrent sur des charpentes effondrées. Il n’y a plus que de l’ombre et du silence entre ces débris de murailles. Les pans de bois, hourdés en maçonnerie, à la mode du XVe siècle, apparaissent, çà et là, comme les os d’un squelette désarticulé. On se demande où sont maintenant les habitans de ce quartier en ruines. Dès le 16 mars 1917, ils avaient reçu de la Kommandantur un ordre leur enjoignant de se rassembler dans les caves de la ville haute ou dans la cathédrale, et déclarant que toute personne « attrapée » dans les rues par une patrouille serait immédiatement fusillée. Il s’agissait, disait l’ordre, d’une explosion de mines, annoncée pour quatre heures et demie de l’après-midi. En prévision de cet événement, les portes de toutes les maisons devaient rester ouvertes. Ce fut l’occasion d’un pillage général.

On ne saura jamais tout ce que les habitans de Noyon et des autres villes et villages de la Picardie martyre ont souffert pendant cette occupation qui a duré depuis le 30 août 1914 jusqu’au 18 mars 1917. Aux dommages matériels se joignaient les tortures morales. J’ai vu des visages douloureux, qui garderont toujours l’empreinte d’un supplice intérieur et silencieux.

Les affiches de la Kommandantur ou du grand état-major allemand n’ont pas encore disparu des murs de Noyon. Ces documens, qui sont signés tantôt des noms tristement fameux d’un Max von Fabeck ou d’un Fritz von Below, commandans d’armées, tantôt du nom obscur d’un certain major Josephson, racontent presque au jour le jour les procédés imaginés par nos ennemis pour rendre la condition des opprimés plus insupportable. Les peines les plus sévères sont édictées pour la plus petite infraction à des règlemens sans cesse renouvelés, compliqués par une bureaucratie méchamment inventive.

Voici une des affiches, une affiche de couleur verte, imprimée par la Kriegsdruckerei, qu’on pourrait lire s’étalant sur les murs de Noyon :


AVIS AU PUBLIC

Il est rappelé à la population que, par ordre supérieur, tous les habitans du sexe masculin, âgés de douze ans au moins, doivent saluer poliment, en se découvrant, tous les officiers de l’armée allemande, ainsi que les fonctionnaires ayant rang d’officier.

M. le commandant de place a constaté que, malgré ces prescriptions, beaucoup d’hommes et principalement des jeunes gens ne saluent pas ou ne le font que d’une manière inconvenante.

En conséquence, pour lui éviter tout ennui, la population est invitée à se conformer strictement aux ordres rappelés ci-dessus.


Une autre affiche, conservée à la mairie, mentionne les noms des Français qui ont refusé de saluer les officiers allemands, et qui, pour ce fait, furent condamnés à la prison. Ainsi, dans cet abime de détresse, il restait aux âmes libres et fières la satisfaction de goûter en silence, selon l’expression d’un de nos plus éloquens moralistes, « l’âpre volupté qu’on éprouve à mépriser plus fort que soi. »

Il faudra conserver aussi, comme un document, cette autre affiche, qui est datée du 28 juillet 1915, et qui montre bien de quelle façon les Allemands comprennent la juste indemnité qui est due, même en temps de guerre et conformément à la convention de La Haye, pour toute « prestation en nature » et pour tout travail réquisitionné :


Toute la récolte (seigle, blé, avoine, orge) est réquisitionnée pour l’armée allemande.

Les cultivateurs et les propriétaires recevront de l’armée allemande, après la récolte, la part qu’elle jugera suffisante. Ils seront obligés, sans aucune rétribution, à aider à la récolte par ordre de l’administration allemande.

Il est sévèrement interdit de couper et de rentrer les récoltes sans que l’ordre leur en ait été donné ; ils seraient punis d’une amende jusqu’à cent marks ou de prison jusqu’à deux semaines, s’ils contrevenaient aux ordres de l’armée allemande.

La dernière notification de la Kommandantur aux habitans de Noyon était datée du 11 février 1917, et concernait plusieurs centaines de personnes qui eurent le malheur de recevoir un appel ainsi conçu :


Par ordre supérieur,

Étant capable de travailler, vous serez évacué dans le Nord. Vous devez vous présenter, le 12 février 1917, six heures du soir (heure allemande) au collège.

Si vous manquez à l’appel, la force des armes sera employée contre vous ; en plus, vous serez gravement puni.

N.B. — Se munir de vêtemens chauds et de vivres pour trois jours.


C’était une condamnation aux travaux forcés. Les Allemands étaient coutumiers du fait. Ils avaient dépeuplé Gricourt, Bernes, Vendelles, Hancourt, afin de constituer des chiourmes, sous le bâton des subordonnés du général von Fabeck ou du prince Rupprecht de Bavière. Quand on parle de bâton, ce n’est point, hélas ! par métaphore. Un officier de notre justice militaire, commissaire du gouvernement, chargé par notre haut commandement de faire une enquête aussi complète que possible sur les crimes de droit commun que les Allemands ont commis en territoire français, a bien voulu nous signaler un document trouvé dans la commune d’Holnon, à cinq kilomètres de Saint-Quentin. C’est un règlement rédigé (on verra ci-dessous en quel style !) par un certain Gloss, chef de la Kommandantur locale :


Holnon, 20 juillet 1915.

Tous les ouvriers et les hommes et les enfans de quinze ans sont obligés de faire travaux des champs tous les jours, aussi dimanche, de ! heures du matin jusqu’à 8 heures du soir (temps français).

Récréations : une demi-heure au matin, une heure à midi et demi-heure après-midi.

La contravention sera punie à la manière suivante :

1° Les fainéans ouvriers seront combinés pendant la récolte en compagnie des ouvriers dans une caserne sous inspection des corporaux allemands [1]. Après la récolte, les fainéans seront emprisonnés six mois ; le troisième jour, la nourriture sera seulement du pain et de l’eau.

2° Les femmes fainéantes seront exilées à Holnon pour travailler. Après la récolte, les femmes seront emprisonnées six mois.

3° Les enfans fainéans seront punis de coups de bâton.

De plus le commandant réserve de punir les fainéans ouvriers de vingt coups de bâton tous les jours.

Les ouvriers de la commune de Vendelles sont punis sévèrement [2].


Signé : GLOSS, colonel.

Sur cette pièce est apposé le cachet de la Kommandantur d’Holnon et, tout à côté, Gloss a griffonné de sa main cet ordre impératif : Afficher !

Ainsi, les habitans de cette commune française, hommes, femmes, enfans, vieillards, travaillaient depuis la première aube jusqu’aux derniers rayons du soleil couchant, sous le bâton de ce garde-chiourme. Tels ces captifs d’Asie que l’on voit peiner et souffrir, en longues files lamentables, sur les plus anciens monumens de Ninive ou de Babylone. Aussi bien, la conception archaïque et barbare de ce régime de travaux forcés et d’esclavage en masse n’est pas née uniquement dans le cerveau d’un Gloss, tyranneau d’Holnon ou d’un Josephson, préposé à la persécution méthodique des habitans de Noyon. Ces obscurs comparses ne sont que les exécuteurs d’un vaste plan élaboré sous la surveillance directe du Kaiser lui-même, à Berlin, dans ce mystérieux immeuble du Koenigsplatz où travaillent les scribes du grand état-major. L’autorité militaire française est en possession d’un document significatif, qui montre avec quel soin fut étudiée, jusqu’aux plus minutieux détails, dans les conciliabules de cet état-major et dans les conférences secrètes de la Kriegsakademie de Berlin, l’organisation des travaux forcés en pays envahis. On a tout prévu : la marque distinctive du forçat, les précautions à prendre contre les tentatives d’évasion et enfin, pour les manquemens à la discipline germanique, une gradation de châtimens, qui va de la bastonnade à la peine de mort. Les affiches relatives à ces travaux forcés étaient si bien préparées d’avance, que, dans certains villages de la frontière lorraine, elles ont fait leur apparition dès le 5 août 1914.

L’un des adjoints de Noyon, M. Jouve, très cruellement éprouvé lui-même par la guerre, a raconté la douloureuse journée du 18 février 1917. « Ce qu’il y avait de plus terrible, dit l’honorable témoin, c’est le spectacle des jeunes filles arrachées à leurs familles. Il en a été enlevé ainsi quatre-vingts. Quelques jours après, un certain nombre de jeunes filles évacuées de la Somme et de l’Aisne ont encore été séparées de leurs parens... Ces mesures abominables ont jeté la consternation parmi nous [3]... »

Dans la journée du samedi 24 février 1917, un officier, se disant délégué de la trésorerie de Berlin et accompagné d’un soldat, se présenta chez M. Brière, banquier à Noyon, et le requit d’ouvrir ses coffres-forts. Le banquier ayant refusé, le soldat, muni d’un de ces chalumeaux dont se servent les chimistes dans leurs laboratoires pour fondre au moyen d’une flamme très forte les plus rebelles soudures, procéda à l’effraction. Tout ce qui se trouvait dans la banque, numéraire, titres, valeurs, effets de portefeuille et de commerce, bijoux, argenterie, comptabilité, archives, tout a été enlevé. Comme le banquier faisait remarquer que ses archives ne pouvaient être d’aucune utilité pour les autorités allemandes, l’officier répondit :

— Nous avons ordre de vider les coffres ; je vide les coffres.

Le 27 février, la banque Chéneau et Barbier reçut, à son tour, la visite de deux officiers et de deux soldats allemands. La même opération au chalumeau recommença. Il y avait à Noyon, rue Saint-Eloi, un bureau de la « Société générale pour favoriser le développement du commerce et de l’industrie en France, » dont le siège social est à Paris. Huit coffres-forts, gardés dans les sous-sols de cet établissement, furent fracturés et vidés.

— C’est la guerre ! disaient les Allemands aux victimes de ces cambriolages méthodiques.

Or, en vertu de l’article 53 de la convention de La Haye, signée par l’Allemagne, « l’armée qui occupe un territoire ne pourra saisir que le numéraire, les fonds et les valeurs exigibles appartenant en propre à l’Etat, les dépôts d’armes, moyens de transport, magasins et approvisionnemens et, en général, toute propriété mobilière de l’Etat de nature à servir aux opérations de guerre... »

Je ne veux pas quitter Noyon sans présenter mes respectueux hommages à la sœur Saint-Romuald, supérieure de l’hospice. Un témoignage officiel de la reconnaissance publique a récemment signalé à l’admiration du pays tout entier le dévouement qu’en des jours tragiques cette humble et sublime servante des malades et des blessés a prodigué aux malheureux dont elle a pu prolonger la vie ou adoucir la mort. Par la porte ouverte d’un dortoir plein de soleil et de lumière, je la vois s’activer doucement, vaillamment autour des lits, allant, de chevet en chevet, porter à des vieillards, à des enfans, à des femmes la parole qui réconforte ou le remède qui guérit.

C’est l’heure de la visite du docteur. Le médecin-major, chef de service, et la supérieure ont fort à faire. Car, à Noyon, les derniers jours de l’occupation allemande ont été marqués par les indicibles souffrances de plusieurs centaines de malades, arrachés de leurs lits dans les villages de la Somme, autour de Saint-Quentin, amenés en un long cortège de douleurs, sous la pluie ou dans la neige, et concentrés à l’hôpital civil. Je m’excuse de me présenter au moment où les survivans de cette multitude dolente ont besoin de la présence de la sœur Saint-Romuald. J’ai voulu simplement m’incliner devant une haute et bienfaisante vertu, d’autant plus digne d’admiration qu’elle semble s’ignorer elle-même. De ce bref entretien dans un petit parloir au parquet bien ciré, je garde le souvenir d’un visage où se reflètent, sous la cornette blanche, les clartés de cette lumière intérieure qui donne à certaines âmes une puissance surhumaine. La supérieure de l’hospice de Noyon ne consent à se souvenir des misères toutes récentes et des plaies encore vives, que pour faire l’éloge de ses dévouées compagnes. Mais je connais, par d’autres, l’exemple qu’elle a donné à tous, en ces heures effroyables. Il fallait s’occuper à la fois des vivans et des morts. Il y avait là des agonisans, des paralytiques, des nonagénaires, et même une pauvre vieille de cent deux ans que les Allemands n’ont pas laissée mourir dans son village. Dix-sept vieillards de Roisel sont morts en arrivant à Noyon, épuisés par les privations et transis de froid. On enterra des morts dont on ne savait même pas le nom [4].

Que dire de cet officier allemand qui accepta de se rendre au domicile d’une dame de Gibercourt, atteinte d’une maladie de cœur au dernier degré ? Par ordre supérieur, cette malade, alitée depuis plusieurs années, fut obligée de se lever. L’Allemand exigea qu’elle s’habillât en sa présence, bien qu’elle l’eut prié de s’éloigner un peu. Elle est morte à Noyon.

La sœur Saint-Romuald eut à soigner aussi une jeune mère de famille, qui faisait partie du convoi de Flavy-le-Martel, et qui souffrait d’une affection cardiaque. Cette malheureuse femme avait demandé vainement qu’on lui permît d’emmener à Noyon ses enfans, âgés l’un de sept ans, l’autre de quatre ans. Les pauvres petits s’accrochaient aux roues de la voiture : ils sont restés en chemin !

Une autre femme de la même commune était dans son lit, atteinte de bronchite, lorsqu’on vint lui annoncer que les Allemands emmenaient son mari, avec d’autres captifs. Elle voulut lui dire adieu. Elle se leva, courut au convoi déjà en marche sous les coups de crosse des gens de la Kommandantur. Le commandant la repoussa. Elle approcha quand même, disant qu’on la tuerait plutôt... Elle réussit à se jeter dans les bras du prisonnier. Et celui-ci s’en alla plus fort, plus résigné, résumant, dans un dernier geste navré, toute sa tendresse pour elle et pour l’enfant resté au logis en deuil.

Pour soigner tous ces malades, il n’y avait plus de médicamens, la pharmacie de l’hospice ayant été pillée par les Allemands qui emportèrent aussi les instrumens de la salle d’opérations. D’ailleurs, dès le 16 février, les médecins de Noyon, et les prêtres, c’est-à-dire tous ceux qui pouvaient apporter aux malades une aide matérielle ou un secours moral, avaient été emmenés en, captivité. Machination vraiment infernale, qui faisait coïncider avec une concentration de malades et de mourans l’évacuation des médecins et des prêtres qui pouvaient les soigner dans leur misère ou les assister au dernier moment.

Les Allemands ont dressé, sur un coteau qui domine Noyon, tout près de nos casernes incendiées, une colonne massive, en l’honneur du corps d’armée et des unités qui ont occupé cette ville et tout le pays d’alentour. Ce monument d’insolence domine un cimetière dont les tombes, soigneusement étiquetées révèlent les numéros des divisions, des brigades et des régimens qui ont piétiné, ravagé pendant plus de deux ans ce coin de France. Grenadiers de Mecklembourg-Strelitz, fusiliers du Schleswig-Holstein, artilleurs et uhlans de la Garde prussienne ont ainsi leur place marquée, dans la série historique des incursions tudesques, à la suite des Boches d’autrefois qui incendièrent Noyon, et mirent toute la Picardie à feu et à sang.

— Nous autres, nous respectons la mort, me dit un de nos officiers. Mais, si vous voulez voir comment ils se conduisent envers les tombeaux, venez visiter avec moi la crypte funéraire du château de Mont-Renaud, dans la commune de Passel.


Mont-Renaud.

Ce château, situé sur une hauteur, dans un paysage harmonieux et doux, parmi les vieilles pierres d’une ancienne chartreuse, appartient au marquis d’Escayrac-Lauture. Un général allemand s’y installa pendant plusieurs mois avec son état-major. Aussi n’y trouve-t-on plus aucun meuble. Tout a été déménagé. Les portes elles-mêmes ont été arrachées de leurs gonds. Le peu de mobilier qui reste a été mis en morceaux. Voici un billard crevé, un prie-Dieu jeté dans un salon désert, quelques livres épars, déchirés, parmi lesquels je remarque les ouvrages scientifiques d’un des ancêtres du maître de la maison, un traité sur le télégraphe, avec cette devise généreuse : Aperire terram gentibus. Les portraits de famille ont été décrochés, emportés ; les tapisseries déclouées, enlevées.

De ce château, naguère plein de souvenirs vénérables et de reliques charmantes, il ne reste plus que des salles vides, entre quatre murs couverts d’inscriptions où s’exalte l’orgueil barbare de l’Allemagne, « au-dessus de tout. » « 

Dans le parc de Mont-Renaud, l’état-major du général allemand installé au château découvrit une crypte funéraire où reposaient des morts qui semblaient à l’abri de toute profanation. L’entrée de ce cimetière souterrain était malaisée à trouver, ignorée même des habitans du village voisin. Les profanateurs ont pénétré dans cet hypogée. Et là, éclairés sans doute par la lumière électrique des lampes perfectionnées qui font partie de leur outillage de guerre, ils ont attaqué à coups de hache et de pic le bois et le plomb des cercueils. Ayons le courage de regarder de près les effets de cette besogne macabre. On voudrait pouvoir douter d’une telle infamie, si profondément inhumaine. Mais il faut se rendre à l’évidence, lorsqu’on a vu, par l’ouverture béante des planches de sapin et des lames de plomb, les ossemens des morts qui furent confiés au mystère de ces catacombes, et qui devaient y dormir en paix leur dernier sommeil. Jamais la malfaisance de cette Allemagne qu’on nous avait peinte sous des traits mensongers ne m’a paru plus hideuse que dans l’horreur de ce caveau profané…

Du seuil de ce château saccagé, une jeune fille restée seule, admirablement vaillante au milieu des ruines de son bonheur, me montre ce qui reste des habitations rurales, dans ce pays naguère florissant et prospère, où les Allemands ont passé. Là, ce petit tas de décombres pulvérisés était une métairie peuplée de travailleurs, riche en récoltes et en troupeaux. Plus loin, sur l’emplacement d’un moulin à vent ou d’une minoterie mécanique, il n’y a plus rien qu’une traînée de poussière et de cendre. L’anéantissement de tout ce qui peut servir à la vie agricole en ce pays d’agriculture faisait partie du plan tactique et stratégique conçu par Hindenburg.


Grisolles, Avricourt, Le Frétoy, Fréniches.

Voici des charrues, des herses, des moissonneuses-lieuses, et même de simples charrettes rustiques, réunies, par ordre upérieur, dans un terrain vague, comme en un camp de concentration. Chacun de ces instrumens de travail a subi sur place, comme un être vivant, la mutilation prescrite et prévue par l’Etat-major allemand : l’amputation d’un brancard, l’enlèvement d’une paire de ridelles, le bris du moyeu et des rais d’une roue à coups de mailloche, cela suffit pour réduire le laboureur à l’impuissance d’atteler son cheval ou ses bœufs, de charger une gerbe, de tracer un sillon. C’est ce qu’on a voulu obtenir, par les soins d’une équipe spécialement enrôlée pour cet office.

La destruction technique des établissemens industriels dans ce pays d’industrie était indiquée aussi par les directives des chefs militaires stylés par les économistes d’outre-Rhin. Il faut voir en quel état ils ont mis, par exemple, la sucrerie de Grisolles. Un régiment d’infanterie française cantonne à présent dans la carcasse de cette usine. Nos petits « bleuets, «  au repos entre deux batailles, peuvent regarder à loisir ce que nous voyons en passant : ces machines, détraquées savamment par des ingénieurs ; ces chaudières, défoncées avec art par des métallurgistes ; tout cet outillage d’honnête labeur, réduit à néant, et les livres de comptes, les registres, la correspondance, tous les papiers qui étaient les titres de noblesse d’une maison honorable et prospère, déchirés, jetés pêle-mêle avec des monceaux d’immondices.

— Où sont les gens du pays ? demandai-je à un vieillard qui venait chercher sa pitance quotidienne dans la gamelle charitable de nos soldats.

Et cet homme, qui est un des rares habitans du village dépeuplé, me raconte, lui aussi, des scènes d’enlèvemens et de déportations...

Je constate qu’avant de partir, ils ont fait sauter à l’aide de leurs engins explosifs l’église de Grisolles.

— Ils n’avaient pas l’air très fiers de cette besogne, me dit une bonne femme, devant le cadran de l’horloge paroissiale, précipité à terre par l’explosion.

Elle ajoute :

— Nous leur disions : Ça n’est tout de même pas ça qui va vous faire aller à Paris...

Parmi ceux qui, dans les premiers temps de la campagne, se montraient particulièrement assurés d’aller à Paris et pressés d’y faire la fête, figurait un personnage du plus haut rang, qui avait élu domicile au château d’Avricourt. Le joli village d’Avricourt, situé près des sources de l’Avre picarde, est le chef-lieu d’une des vingt-deux communes du canton de Lassigny. Les habitans de cette commune rurale, au nombre de deux cent cinquante environ, cultivaient paisiblement une superficie de sept cents hectares, autour d’un élégant château, qui n’existe plus. Ils sont persuadés que l’hôte indésirable de ce château n’était autre que le prince Eitel-Friedrich, fils puîné du kaiser. Son existence, en tout cas, semblait fort précieuse, et son inquiétude était extrême, car on remarque, dans tous les logis que Son Altesse encombra de sa personne et de sa suite, un luxe inouï de précautions contre les avions. On m’a montré, dans le parc du château d’Avricourt. une des issues du souterrain aménagé à son intention. C’est un solide travail en maçonnerie et en ciment. Le prince pouvait sortir de ce trou par un escalier de pierre, accédant à un terre-plein orné de deux vases que dessina, en style simili-corinthien ou pseudo-étrusque, un archéologue de l’état-major prussien. Cette issue aboutissait, par une cave, à la salle à manger et à la chambre à coucher du prince.

Avant de monter dans l’auto qui devait le mener à une nouvelle étape sur le chemin de la retraite, ce prince allemand résolut de signaler sa présence dans ces parages, à la mode de son pays et de sa race. Le château d’Avricourt fut anéanti par les soins d’une équipe de dynamiteurs et d’incendiaires. On chercherait vainement le dessin de son architecture et le style de sa délicate ornementation dans ces débris informes qui jonchent le sol bouleversé. La dynamite a dispersé les pierres, brisé les boiseries, disloqué les charpentes, projeté en l’air les toits d’ardoises des pavillons. Un de ces toits est tombé à terre, et recouvre de son faîtage pointu l’inextricable fouillis des tuiles en morceaux, des lattes en miettes et des vitres en éclats qui se mêlent, çà et là, aux feuillets déchirés des livres de la bibliothèque.

Je demande :

— Où est allé ce prince allemand, après avoir mis en cet état le château du comte Balny d’Avricourt ?

— Au Frétoy, et même il a emporté là-bas tous les meubles.

Avant de suivre au Frétoy, dans le canton de Guiscard, la piste du grand personnage prussien qui répond au signalement du prince Eitel-Friedrich, je suis conduit, par l’officier du quartier général qui veut bien me servir de guide, à la maison où fut installé le bureau de la Kommandantur pendant le séjour du prince au château d’Avricourt.

Le jardin de cette maison saccagée nous offre, en un étroit espace, le résumé de la méthode appliquée par nos ennemis à l’anéantissement de la nature elle-même. Pas un arbre qui ait échappé à l’arrêt de mort.

— Même le lierre ! disent les pauvres femmes. On n’avait jamais vu ça !

Tous les détails du supplice infligé aux arbres de chez nous ont été minutieusement réglés, par ordre supérieur, au quartier général d’Hindenburg. Pour les pommiers, les poiriers et les pruniers de ce jardin, c’est la mort lente. Une entaille circulaire, qu’on dirait faite avec un instrument de chirurgie, écorche la base du tronc, laissant à nu et à vif la chair meurtrie du blessé. Sans doute quelque docte professeur de pomologie, mobilisé pour cet office, a calculé tous les effets de cette opération : l’écoulement de la sève par l’ulcération meurtrière, le dessèchement de l’arbre avant la maturation des fruits, la stérilisation du sol par l’encombrement des racines mortes.

Tel est le travail allemand qui se faisait dans cette commune du canton de Lassigny, tandis que l’hôte princier du château d’Avricourt s’enfuyait au Frétoy, dans le canton de Guiscard, à peu de distance de la route de Ham.

Là, personne ne doute de l’identité du prince qui vint chercher au château du Frétoy, loin à l’arrière des lignes de l’armée allemande, un refuge contre les aviateurs français qui lui faisaient grand’peur. Le maire de la commune a reçu des observations au sujet des marques de respect qui étaient exigées par ce haut et puissant seigneur. Je transcris, sous sa dictée, les. observations qu’il reçut d’un officier allemand :

— Le fils de Sa Majesté se plaint qu’on ne le salue pas convenablement. Vous allez faire annoncer que tous les habitans de la commune sont convoqués pour recevoir des observations à ce sujet. Les femmes doivent incliner la tête devant Son Altesse et les officiers de sa suite. Il faut obéir.

En conséquence, il y eut un rassemblement d’hommes et de femmes, pour faire, sous la direction de l’état-major du prince, la manœuvre du salut, conformément aux rites imposés par le protocole de la cour berlinoise.

Le château du Frétoy, spacieux logis du XVIIIe siècle, est à peine reconnaissable depuis qu’il a servi de séjour à ce prince plein d’orgueil et hanté de terreurs folles. Les allées du jardin sont recouvertes d’une couche épaisse de feuillage et de branchages, pour donner le change à nos aviateurs. Les bâtimens sont camouflés. L’eau des fossés est masquée d’un enchevêtrement de bois mort, afin d’éviter le miroitement du soleil et de la lune. Enfin, les sapeurs ont creusé dans le sous-sol de l’arrière-cour un passage souterrain, protégé par un blindage de ciment, afin de permettre au prince de se sauver, en cas d’alarme, dans un pigeonnier qui communiquait avec sa salle à manger et sa chambre à coucher.

Le voisinage d’un grand seigneur de l’armée allemande ou de la cour de Berlin attirait toujours sur les villageois un surcroît de vexations et d’outrages. Le maire de Fréniches, commune voisine du Frétoy, nous a communiqué la liste de quatre-vingt-dix-neuf personnes qui furent enlevées de leurs foyers. Par la fenêtre du petit bureau où cette communication nous fut faite, on voit le jardin paisible où furent convoquées les jeunes filles de Fréniches, quelque temps avant cet exil forcé. Un médecin militaire allemand, le docteur Chappuis (serait-ce un parent de Son Excellence von Chappuis, ancien directeur au ministère de l’instruction publique en Prusse ?) attendait ces jeunes filles dans une pièce voisine où elles furent obligées de défiler une à une, pour la plus humiliante formalité [5]. Au moment de quitter Fréniches, les Allemands entassèrent dans cette localité la population d’une dizaine de villages des alentours. Ensuite, ils criblèrent le pays d’obus, bombardant notamment le presbytère et la ferme du Bois-Brûlé.


Margny-aux-Cerises.

Dans la fertile plaine du Santerre, que traverse directement la grande route de Noyon à Roye, sur ce sol limoneux et riche où, depuis plus de vingt siècles, le soc de la charrue creuse profondément le sillon propice aux bonnes semailles, il y avait des villages heureux, des bourgades paisibles qui avaient oublié les anciennes invasions et l’horreur des guerres. C’étaient des agglomérations très anciennes, et dont les noms indiquent l’origine agricole. Maisons rustiques, serrées autour d’un clocher paroissial, dans la végétation touffue des vergers, ces habitations, presque toutes bâties sur le même plan, avaient accueilli certaines industries rurales, par où s’était accrue la prospérité du pays. Margny-aux-Cerises, près de l’Avre picarde, à huit kilomètres de Roye, était un lieu si avenant et si tranquille, que les Allemands en firent un cantonnement de repos. On y voit encore l’enseigne de la Dortmunde Union Bier, qui est apparemment une société coopérative pour la consommation de la bière. Avant de s’en aller, les Allemands ont fait sauter à la dynamite tout ce qui restait debout. On dirait qu’un tremblement de terre a bouleversé ce village de Picardie. Et l’on reste confondu par la disproportion des moyens mis en œuvre et des résultats obtenus. Dépenser tant de dynamite et de cheddite pour anéantir des étables, des granges et des poulaillers !

Autour du cimetière où reposent quelques pionniers de la Garde prussienne, Margny-aux-Cerises offre le spectacle d’une dévastation dont le contraste avec ce nom printanier est véritablement tragique. Squelettes de maisons, cadavres d’arbres, tous ces lamentables restes sont plus tristes encore sous l’éclatant soleil qui rayonne magnifiquement sur les tombes et sur les ruines. Contre l’église, les Barbares ont employé un bélier à roues, pareil aux machines de guerre de l’antiquité. Plus une âme vivante dans ce village anéanti. Margny-aux-Cerises n’est plus habité que par des morts.

Les morts eux-mêmes ont subi, en maint endroit de la Picardie dévastée, l’injure des Barbares. L’officier qui a bien voulu m’accompagner et me renseigner dans cette enquête douloureuse me mène au cimetière de Champien, commune située à vingt-quatre kilomètres de Montdidier, dans le canton de Roye. Champien était une riche bourgade... Quelle vision ! Le presbytère, attenant au champ des morts, est écroulé, jonchant de gravats le modeste mobilier et le petit jardin du curé. Un cyprès géant, scié à sa base, est étendu tout de son long, parmi des sépultures dont les pierres tombales ont été soulevées. Je vois un cercueil brisé... Au bout de ce cimetière, on avait installé un banc pour prendre le frais !


Roye.

La route de Roye est complètement rasée. A la place des beaux arbres qui ombrageaient cette chaussée ancienne où passa le grand Condé, allant vaincre les Impériaux à Lens, on ne voit plus, hélas ! qu’une double rangée de tronçons, qui sortent de terre, pareils à des moignons. Les rails du chemin de fer économique qui longeait la route ont été enlevés...

La destruction des chemins de fer en pays envahi, au cours d’une avance ou d’une retraite, est un acte de guerre. Mais quelle utilité militaire pouvait présenter l’emploi systématique des pompes à pétrole et des grenades incendiaires qui ont dévasté les monumens publics et les édifices particuliers de la ville de Roye ? Un honorable témoin, M. Leblan, greffier de la justice de paix, a constaté, pendant le premier hiver de l’occupation allemande, quatre-vingt-quinze incendies, parmi lesquels celui de l’hospice. La sucrerie Mandron, rue de Paris, et celle de M. Labruyère, au faubourg Saint-Gilles, ont été brûlées. Quatre cents maisons, ou peu s’en faut, ont reçu la visite des pillards bavarois qui ont tout déménagé, arrachant même les boiseries attenantes aux murailles. A Roye, les Allemands ont organisé la destruction progressive de toutes les industries et de tous les métiers par le sabotage scientifique de tous les instrumens de travail. Avant de partir, ils ont pris soin de rendre inutilisables les fours des boulangeries ; ils ont coupé les conduites d’eau qui alimentaient les habitans. En même temps, ils sciaient tous les arbres fruitiers dans les jardins et mutilaient tout le matériel agricole. C’était bien la « guerre aux civils, » annoncée aux religieuses de Noyon par le docteur allemand Beneke.

Pendant la nuit du 17 mars, à 3 h. 45, les habitans de Roye, — ou du moins ceux que les déportations successives avaient encore laissés au logis, — furent réveillés en sursaut par une détonation formidable. Une explosion de mines faisait sauter l’hôtel de ville. Sous quel aspect nous apparaît aujourd’hui ce pacifique monument de la vie municipale d’autrefois et de la commune affranchie par Philippe-Auguste ! Brèches ouvertes, crevasses béantes, écroulemens de plâtras et de gravats, enchevêtrement de poutres arrachées des mortaises, le beffroi retourné sens dessus-dessous, chaviré dans un tas de pierres et de planches, quel triomphe pour M. le professeur Paul Clemen, de Bonn, « conservateur des Beaux-Arts » en Belgique et dans les départemens de la France envahie ! Ce docte professeur, qui a compilé un énorme ouvrage sur l’Entretien des monumens en France, connaissait aussi l’église Saint-Pierre de Roye, dont la façade fut construite en style roman, au XIIe siècle, en même temps que les flèches monumentales de Vermelles et de Richebourg-l’Avoué. La nef de cette église fut achevée en style ogival, au commencement de la Renaissance française, à l’époque où s’élevèrent, sur la plaine de Picardie, dominant l’estuaire de la Somme, les tours de Saint- Vulfran d’Abbeville. Les vitraux de l’église Saint-Pierre de Roye étaient splendides. L’Allemagne savante a décidé l’anéantissement de ce magnifique décor architectural. Une première fois, le 15 décembre 1914, les Allemands ont fait sauter avec des explosifs le clocher et la toiture de cette église, classée au nombre de nos monumens historiques. Dans la suite, le 17 mars 1917, à la veille de leur retraite, ils ont terminé la destruction de l’édifice, en faisant encore sauter une plate-forme, haute d’environ trente-cinq mètres, qui avait été épargnée jusque-là, et qui leur servait d’observatoire. La nef de l’église n’est plus qu’une débâcle de pierres écroulées, de charpentes écartelées, et les fenêtres délicatement ciselées où brillait la féerie multicolore des vitraux s’ouvrent béantes, ébréchées, sur le vide...

Les Allemands procédèrent, selon leur méthode, à la déportation d’un grand nombre d’habitans de Roye. Un convoi de cent quatre-vingt-deux personnes, âgées de seize à soixante ans, fut mis en route le 17 février 1917. Le départ des jeunes filles, dit un témoin, a donné particulièrement lieu aux scènes les plus douloureuses. Le 13 mars, vingt-trois autres personnes furent emmenées en captivité, notamment M. Lefèvre, boulanger, faisant fonction de maire à Roye ; M. Carpentier, huissier, délégué du Comité d’alimentation hispano-américain ; Mme Dhilly, faisant fonction de maire à Solente, et plusieurs maires des communes voisines.

Malgré ces angoisses, ces ruines, ces deuils et ces déchirantes séparations, dans ce coin de France où les communes furent si cruellement éprouvées, jamais la vie municipale n’a été interrompue. Régulièrement, il y avait délibération du Conseil. Admirable exemple de continuité dans la vie française et dans la résistance nationale. On sent ici le ferme cœur et la volonté tenace de ces communes de Picardie, qui sont les plus anciennes de toute la France, ayant reçu leurs chartes d’affranchissement, dans les vallées de l’Oise, de l’Aisne et de la Somme, au temps des premiers rois de la dynastie capétienne.


Ham.

— Voyez, me dit M. Étévé, adjoint au maire de Ham, le registre de nos délibérations. Nous sommes fiers de penser qu’il pourra servir de document à ceux qui feront demain l’histoire de la France d’aujourd’hui.

On ne peut regarder sans émotion ce gros cahier dont la calligraphie nette et loyale raconte, avec la sobre précision d’un procès-verbal, la vie de la cité triste, fière, et toujours animée d’une secrète et invincible espérance, malgré la présence odieuse de l’ennemi. Les Allemands, venant de Péronne, arrivèrent à Ham dans la matinée du samedi 29 août 1914. A partir de ce moment, la ville de Ham fut séparée du reste de la France. Et cette épreuve a duré jusqu’au 19 mars 1917, pendant deux ans, six mois et dix-neuf jours !

Un des premiers soins des envahisseurs fut d’emmener en captivité le maire de Ham, M. Gronier, qui fut arrêté en même temps que M. Caurette, notaire, et enferme au camp de Holzmiden. Selon les propres paroles de l’adjoint, M. Étévé, « ils ont donné ensuite libre cours à leur instinct de destruction, cassant les meubles, coupant les draps, et causant des dommages sans aucune utilité pour eux-mêmes. Les réquisitions sont devenues continuelles ; maisons et magasins ont été vidés peu à peu... Un jour, on est venu soi-disant emprunter, pour le chef de la Kommandantur, une très belle table, appartenant à l’Hôtel de Ville, et qui avait été estimée cinq mille francs ; elle ne nous a jamais été rendue. » Avant de quitter Ham, les Allemands mirent le feu aux fabriques de sucre de MM. Bocquet et Bernot, aux ateliers mécaniques de MM. Mahot et Génin, à la brasserie de M. Serré, à la fabrique d’huile de M. Dive fils.

Dans la matinée du 10 février, plus de cinq cents personnes de Ham reçurent la convocation fatale qui jetait l’épouvante au foyer des familles. Il fallait se rendre à l’esplanade du château, sous prétexte d’une vérification de papiers d’identité. Lorsque l’appel eut été fait, ces pauvres gens restèrent là, piétinant dans la neige, jusqu’à trois heures de l’après-midi, sans rien manger. C’est à peine si quelques mères de famille purent apporter à leurs enfans un peu de nourriture avant la déchirante séparation. Ces malheureuses mères, ayant accompagné leurs filles pour tenter une suprême démarche auprès de la Kommandantur, furent brutalement repoussées. Un document public nous a fait connaître ce mot d’un commandant allemand qui, après avoir repéré dans le troupeau des captives une jeune fille de seize ans, a dit : « Celle-là est pour moi [6]. »

Dans cette même ville de Ham, les Allemands enlevèrent encore, le 13 mars 1917, quatre-vingts personnes, soixante hommes et vingt femmes, parmi lesquelles se trouvaient quatre malades de l’hospice. Un témoin de ces scènes en a fait ainsi la description : « J’ai assisté aux enlèvemens d’habitans. C’était navrant ! Ma femme, âgée de cinquante-quatre ans, a été l’une des victimes de cette horrible mesure. Elle n’est pas encore revenue ; je n’ai jamais reçu de ses nouvelles, et j’ignore même où elle est. Elle avait exhibé aux Allemands un certificat médical, établissant l’état précaire de sa santé : il n’en a été nullement tenu compte. J’ai alors demandé à partir avec elle, mais je n’ai pu l’obtenir. »

Dans la nuit du samedi 17 mars 1917, le maire de Ham reçut l’ordre de réunir à l’église et au centre de la ville, avec des vivres pour vingt-quatre heures, les derniers habitans de sa ville, dépeuplée par plusieurs enlèvemens d’otages et de captives. Une proclamation du haut commandement allemand disait que les ponts de la Somme, le château de Ham, le beffroi allaient sauter, et que les explosions auraient lieu le dimanche de midi à quatre heures, après avoir été annoncées par des sonneries de clairons. La population anxieuse attendit toute la journée. Mais les clairons annonciateurs de la catastrophe ne sonnèrent point. Et, quand le soleil de ce triste jour se coucha dans un horizon d’orage, nul encore n’avait entendu les détonations prévues et prescrites par l’état-major de Hindenburg. La nuit vint. Personne n’avait l’esprit assez dispos ni le cœur assez apaisé pour songer à dormir. Avait-on calculé cette insomnie comme un surcroît de tourment, infligé par la méthode allemande à une population qui, depuis vingt-quatre heures, endurait de mortelles alarmes ? Toujours est-il qu’en pleine nuit, sans avertissement préalable, la ville tout entière, en proie au plus terrible cauchemar, fut secouée jusqu’en ses profondeurs par une brusque détonation, suivie d’un effroyable roulement de tonnerre. On entendit aussitôt un fracas de pierres écroulées. Et maintenant, le vieux château de Ham, la tour du connétable de Saint-Pol, ces murs à créneaux et à mâchicoulis, dont l’ensemble formait un pittoresque monument de l’architecture du XVe siècle et fut respecté même par les démolisseurs et les incendiaires aux gages de Charles-Quint, ne sont plus qu’un éboulis de décombres, comme le donjon de Coucy [7].

Le dernier chef de la Kommandantur de Ham était un général nommé Fleck. Ce Fleck s’était logé, avec son état-major, rue du Marché-Franc, dans une grande et belle maison, appartenant à Mme Bernot, veuve du regretté sénateur, président du conseil général de la Somme. Dans la semaine qui précéda la retraite de l’armée allemande, c’est-à-dire à partir du 11 mars, Fleck fit emporter par des camions militaires automobiles une cargaison de meubles, notamment un coffre-fort.

— Dès que les camions étaient chargés, dit un témoin, ils filaient dans la direction de la gare.

Le moment vint où Fleck lui-même « fila » dans une auto rapide. C’était le dimanche 18 mars, à huit heures et demie du matin. A cet instant, une vingtaine d’hommes, sous la conduite d’un caporal, vinrent s’aligner dans la rue du Marché-Franc. Ils étaient armés de haches et de bâtons ferrés. Ils avaient reçu des ordres précis. Au moment où le général Fleck disparaissait, le caporal et ses hommes entrèrent dans la maison. Ils avaient dit :

Zum Befehl, Herr General. A vos ordres, seigneur général.

Alors, conformément aux ordres donnés, l’équipe se mit en devoir de détruire tout ce qui n’avait pas été emballé par le général sur des camions automobiles. Cela fut fait mécaniquement, selon la consigne, avec l’automatisme machinal de la discipline allemande, à coups de haches et de bâtons ferrés. Nous avons vu cette maison dans l’état où ce sabotage l’a réduite. Dès qu’on a franchi la grille d’entrée, on marche sur des tessons de porcelaine brisée. Le vestibule, au haut du perron, est jonché des éclats miroitans d’une grande glace cassée. Dans le salon, le buste du maître de la maison, en marbre blanc, a été jeté sur le parquet et barbouillé d’encre noire. Les portes sont enfoncées, les persiennes décrochées, les serrures broyées, les verrous arrachés, les loquets tordus.

On nous rapporte qu’aux témoins de cette scène qui leur faisaient honte, ces saboteurs en uniforme répondaient :

— Ordre du général... Alles kapout.

Alles kapout !... Tout doit être détruit. C’est ainsi que les officiers allemands, sous le règne de Guillaume II, prennent congé des personnes chez lesquelles ils ont habité. Je me souviens, à ce propos, d’un passage des Mémoires de Goethe, où l’on voit qu’un officier français, le comte de Thorenc, lieutenant du roi de France, étant logé dans la maison du père de l’auteur, à Francfort-sur-le-Mein, en 1759, « ne voulut même pas clouer aux murs ses cartes de géographie, pour ne pas endommager les tapisseries neuves... »

Allons maintenant à Chauny, où nous attendent d’autres effets de la Kultur.


Chauny.

L’arrivée à Chauny, cité naguère avenante, c’est un voyage parmi les ruines d’une sorte de Pompéi. Mais il y a une différence : cette dévastation n’est pas un méfait de la nature aveugle et sourde, c’est le crime raisonné, abominable et absurde de la barbarie scientifique.

La ville de Chauny fut dépeuplée avant d’être dévastée. Pendant plus de deux années d’un régime intolérable, la peine de la déportation, arbitrairement prononcée, punissait la moindre peccadille, la plus petite infraction aux règlemens d’une police aussi taquine que vexatoire et brutale. Il était défendu aux habitans de sortir de chez eux avant huit heures du matin ; chacun devait rentrer à sept heures du soir et rester au logis sans lumière. La servante d’un vicaire, se trouvant dans le couloir d’entrée de sa maison un peu après l’heure fixée, fut condamnée pour ce fait à plusieurs mois de prison et envoyée dans une geôle d’Allemagne. Le vicaire, ayant protesté, subit le même sort. La déportation des habitans de Chauny, âgés de quinze à soixante ans, commença le 18 février 1917 et dura jusqu’au 23 du même mois, date à laquelle le maire de Chauny, M. Descambres, le directeur du ravitaillement, M. Soulier, le délégué, M. Vasseur, et MM. Halland, Emond, comptables du comité, furent emmenés en captivité. Comme le nombre des malades croissait, on enleva les médecins... Nous sommes heureux de trouver à son poste d’honneur et de dévouement l’adjoint au maire, M. Broglin, qui a résumé en termes saisissans cette longue épreuve : « Notre ville a été occupée sans interruption depuis le 1er septembre 1914 jusqu’au matin du 19 mars 1917. J’ai vu deux invasions. Celle de 1870 n’était rien à côté de celle que nous venons de subir. Pendant près de trente mois, nous avons vécu sous le régime le plus intolérable et le plus humiliant. Obligés de ne pas sortir de chez nous avant huit heures du matin, de rentrer à sept heures du soir, de rester sans lumière dans nos demeures, de saluer chapeau bas les officiers sous peine d’emprisonnement, menacés de perdre ce qui nous restait de liberté, pour les raisons les plus futiles, accablés de contributions et de réquisitions, nous attendions avec angoisse l’heure de la délivrance. Quelle n’a pas été notre joie, malgré l’horreur des derniers jours, quand elle est arrivée [8] ! »

Cette « horreur des derniers jours » n’apparaît nulle part plus poignante que dans l’état actuel de Chauny. Un simple procès-verbal de constat suffirait à peindre la dévastation de cette ville industrieuse et florissante qui, dans une situation commode et agréable, sur les deux rives de l’Oise, à la jonction de deux canaux, au pied d’une colline verdoyante et boisée, avait oublié ses malheurs d’autrefois, s’était relevée des ruines accumulées par les reitres et les lansquenets du XVIe siècle, au point de réclamer devant l’Assemblée nationale, en 1790, le titre de chef-lieu du département de l’Aisne, comme un privilège dû au chiffre de sa population non moins qu’aux avantages de sa situation naturelle et à l’ancienneté de sa maîtrise des eaux et forêts. Toutes sortes d’industries anciennes ou nouvelles, depuis la manufacture de glaces de Saint-Gobain jusqu’aux plus récentes exploitations des phosphates de chaux, avaient assuré la prospérité de Chauny et l’aisance de ses habitans. C’était un coin de France où l’on vivait heureux. A présent l’aspect de cette ville n’offre que des visions de choses écroulées, effondrées, anéanties, qui n’ont plus de forme, ni de couleur, ni de nom. Sous la formidable poussée des explosions, les murs se sont abîmés, pulvérisés, éparpillés en traînées de poussière et de cendre, en effondrements de gravats calcinés. Les ravages d’une éruption volcanique sont moins cruels que cette destruction exécutée par ordre.

De l’église Saint-Martin de Chauny rien ne subsiste, hormis quelques pans de murs déchiquetés. Les rues, dont le déblaiement occupe de nombreuses escouades de braves territoriaux, sont obstruées de décombres, ne traversent que des ruines et ne mènent qu’à des fondrières. Pour miner la ville de Chauny, les ingénieurs allemands avaient eu soin, deux mois à l’avance, de prendre la mesure des caves de toutes les maisons. Ils savaient ainsi, fort exactement, la quantité d’explosifs qui leur était nécessaire. Des matières inflammables étaient préparées, pour le cas où les explosifs ne suffiraient pas.

L’opération prévue et prescrite par les directives de l’état-major allemand commença, dans les derniers jours de février, par l’évacuation forcée d’environ 1990 habitants de Chauny, la plupart vieux ou infirmes (à peu près tout ce qui restait d’une population de plus de dix mille âmes !) que l’on entassa pêle-mêle avec trois milliers d’évacués de treize communes d’alentour et même du canton de La Fère, dans un faubourg qui, en temps ordinaire, ne peut guère loger plus d’un millier de personnes. Quand cet internement fut achevé, on procéda méthodiquement au pillage de la ville déserte. Les maisons, avant d’être bourrées de dynamite et de cheddite, furent vidées de tout leur contenu. Les meubles furent déménagés. L’effraction des coffres-forts fut organisée comme à Noyon. On peut voir, en explorant les ruines de l’église Notre-Dame de Chauny, ce que fut ce pillage final. Les trois troncs de l’église sont brisés, et les traces des instrumens de cambriolage qui ont servi à cette fracture sont très visibles. Les serrures des armoires ménagées dans les boiseries sont forcées. Les portes de la sacristie sont enfoncées et l’on a jeté sur le plancher, en vidant les tiroirs, tout ce qu’on n’a pas emporté.

En s’en allant, dans la nuit du 19 au 20 mars, les Allemands firent un dernier geste, qu’il faut noter, comme l’épilogue de ces jours d’angoisse, de larmes et de sang. Leurs batteries, installées à Saint-Gobain et sur les buttes de Rouy, envoyèrent des obus sur les bâtimens de l’institution ecclésiastique Saint-Charles, qui servait de refuge à des vieillards, à des enfans, à des malades, et dont ils ne pouvaient ignorer la destination, puisqu’ils avaient fait peindre eux-mêmes, sur la toiture -de cet établissement, plusieurs croix rouges, entourées de cercles blancs. Un enfant de dix ans, entre autres victimes, a péri dans ce bombardement stupide et féroce.

Par un ordre de cabinet, daté du 24 mars 1917, Guillaume II a adressé ses félicitations officielles au maréchal Hindenburg, pour avoir ravagé nos départemens de l’Oise, de l’Aisne et de la Somme.

« Avec une sage clairvoyance, disait le kaiser à son subordonné, vous avez, de concert avec votre conseiller éprouvé, le général Ludendorff, pris cette décision... Vous avez donné ainsi une nouvelle preuve de votre grand art de stratège... Cette décision de haute portée ne pouvait être réalisée prudemment que si tout était prévu dans le moindre détail et méthodiquement préparé... Le parfait développement de toutes les mesures venues jusqu’ici à exécution constitue une nouvelle page de gloire dans l’œuvre accomplie par mon état-major général. De même que je vous ai prié d’exprimer aux troupes toute ma reconnaissance pour leurs exploits, je saisis maintenant l’occasion de vous exprimer à vous-même, au général Ludendorff et à tous vos collaborateurs, mes remerciemens tout particuliers et ma satisfaction sans réserve, et je vous prie d’en faire part à tous les intéressés. »

Cette pièce, signée de Guillaume II, désormais classée au dossier d’un procès qui sera jugé au grand jour, contient un aveu personnel où se révèlent nettement les responsabilités de l’auteur principal et des complices de la plus monstrueuse entreprise qui ait jamais été organisée contre nos foyers, contre le travail humain, contre l’existence même de la civilisation. Enregistrons cet aveu, en attendant avec confiance l’heure inéluctable du règlement des comptes et de l’évaluation des justes indemnités.


GASTON DESCHAMPS.

  1. Gloss veut dire que le contingent de ces « fainéans » formera des « compagnies d’ouvriers » dans une caserne, et que ces compagnies seront encadrées par des caporaux allemands.
  2. Vendelles est une commune du canton de Vermand, près de la ligne du chemin de fer économique de Bertincourt à Saint-Quentin. Cet aveu de Gloss est bon à retenir.
  3. Témoignage recueilli, sous serment, par la commission d’enquête instituée par décret du 23 septembre 1914. Le président de cette commission, M. Georges Payelle, premier président de la Cour des Comptes, a bien voulu nous communiquer des procès-verbaux et d’autres documens encore inédits.
  4. Journal officiel du 18 avril 1917, rapport de la Commission d’enquête.
  5. Comparez une page terrible du Journal d’une déportée, publié dans la Revue du 15 juin et dont un des chefs de notre armée nous disait : « Un témoignage aussi accablant devrait être répandu à des millions d’exemplaires dans le monde entier. »
  6. Séance du Sénat, 31 mars 1917.
  7. Voyez dans la Revue du 1er mai 1917, l’article de M. Germain Lefèvre-Pontalis : Un crime allemand, la destruction de Coucy.
  8. Une citation à l’Officiel vient de porter à la connaissance du pays l’exemple donné par M. Broglin et par ses vaillans collègues qui ont bravé toutes sortes de périls en restant à leur poste. On sait d’ailleurs ce qui s’est passé à Lassigny, où M. Fabre, conseiller général, accourut dès la première alerte et fut fait prisonnier par les Allemands ; à Senlis, où le maire, M. Odent, paya de sa vie la haute -idée qu’il se faisait de son devoir civique ; à Chantilly, où les magistrats municipaux et les fonctionnaires de l’Institut ont rivalisé de courage, en des journées tragiques. Voyez dans la Revue du 15 février 1917, l’Institut de France et la guerre, et dans le Journal des Savans de janvier 1915, le rapport de M. Elie Berger, conservateur du musée Condé.) Tandis que le maire, M. Vallon, était pris comme otage, l’hospice Condé continuait de recevoir des blessés et des malades soignés par le docteur Chaumel. L’ambulance de l’Institut, dirigée par M. Georges Vicaire, a maintenu sans interruption, au moment du danger, le fonctionnement des services qu’elle n’a pas cessé d’assurer jusqu’à ce jour.