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Aux Vieux de la vieille/01/01

La bibliothèque libre.
Perriquet, Imprimeur-Libraire, Éditeur (p. 1-2).

Pourquoi j’écrivis ces Mémoires.

1818-1850.

… J’avais 72 ans. Une perte récente et cruelle me laissait dans l’isolement le plus complet. La tristesse et l’ennui m’accablaient. Je rappelai, pour me distraire, le souvenir de temps déjà bien éloignés, et j’en composai le récit qu’on va lire.

Si quelques erreurs ont pu s’y glisser, elles sont involontaires. Que mes lecteurs me les pardonnent, en faveur de ma bonne foi et de ma sincérité.

Qu’ils me pardonnent aussi le style et la licence d’un vieux troupier.

Je n’ai pas reçu, dans mon enfance, la moindre éducation. À 33 ans, je ne savais ni lire ni écrire. Deux vélites de la garde (nommés Gobin et Gallot… je me rappellerai toujours leurs noms !) furent mes maîtres d’école. C’était vers 1808, entre Friedland et Wagram.

Je leur dois le peu que je sais. Mais je soupçonne, malgré leurs excellentes leçons, qu’ils n’ont pas fait de moi un élève accompli, et que mon éditeur aura de nombreux démêlés avec mon orthographe.

Pendant 25 ans de ma vie, je n’ai pris la plume que pour signer mon nom au bas d’une facture d’épicerie ou d’un billet de commerce.

On conçoit par là, que de peine il m’a fallu pour mener à bonne fin la tâche que j’ai si tardivement entreprise ; ma pauvre tête s’y est usée.

Heureusement, j’avais retenu ce que l’Empereur nous a dit bien des fois, que l’homme peut ce qu’il veut. J’ai travaillé avec confiance, et aujourd’hui, je livre à mes compatriotes, à mes amis, aux survivants de mes compagnons d’armes, l’histoire d’un vieux soldat racontée par lui-même.

Elle leur rappellera quelques détails d’une époque qui semble aujourd’hui fabuleuse.

Peut-être même, les enfants du pays apprendront en la lisant, comment le conscrit le plus misérable parvient, en luttant contre la mauvaise fortune, à se faire une position modeste, mais paisible et honorée.