Aux auteurs de la Chronique de Paris (21 mars 1790)
Messieurs,
Nous voyons enfin arriver ces jours heureux d’une réforme univerſelle & générale, de tout ce qui nuit & peut nuire, en tous genres. Permettez, qu’à cet occaſion je vous rappelle qu’en 1779 parut un pamphlet plaiſant, intitulé : l’Orme de Saint-Gervais, ou Lettre d’un habitant de la rue du Monceau, à meſſieurs le lieutenant de police, curés & marguilliers de la paroisse de Saint-Gervais de Paris.
L’auteur anonyme, qui eſt de ma connoiſſance y voyoit alors avec peine le portail de cette égliſe, l’un des beaux monumens de la capitale, offuſqué par de hautes maisons, & encore caché aux regards des amateurs par un vieil orme ſans utilité, comme ſans agrémens.
Entr’autres queſtions piquantes, l’auteur demandoit à l’illuſtre magistat, & aux vénérables curé & marguilliers : 1o. par quelle puiſſance l’orme étoit protégé ? s’il étoit un miracle ? 2o. ſi la place qu’il occuppe lui a été concédée par une bulle de notre ſaint-pere le pape, régîſtrée en parlement, les pairs & les chambres aſſemblées, ou par un arrêt du conseil, le roi y ſéant, ou par une lettre de cachet contre ſignée par le ſecrétaire d’état ayant le département de Paris, &c. Enfin l’auteur prouvoit à ces meſſieurs que la Divinité ne pouvoit prendre aucun intérêt à la conſervation de cet arbre hideux, & rabougri, qui gêne la voie publique, embarraſſe, dans un paſſage très-fréquenté, la marche perpétuelle d’une multitude de voitures, à la porte d’un temple où les carroſſes des bons paroiſſiens s’arrétent pendant l’office divin. L’auteur ne ſignoit pas, diſant que la feue police n’entendoit pas la plaiſanterie, & qu’elle ſe fâchoit très-ſérieusement lorsqu’on oſoit critiquer sa négligence à remplir ſes fonctions. Dans un nouvel ordre de choſes, je m’adreſſe à vous, meſſieurs, pour vous prier de faire en ſorte que la deſtruction de l’orme ſoit décrétée, ordonnée, ſanctionnée & exécutée, nonobſtant toutes oppoſitions, & réclamations.