Avant le voyage du Président - La Question indigène en Algérie/01

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H. de la Martinière
Avant le voyage du Président - La Question indigène en Algérie
Revue des Deux Mondes7e période, tome 8 (p. 326-351).
AVANT LE VOYAGE DU PRÉSIDENT

LA
QUESTION INDIGÈNE EN ALGÉRIE
AU LENDEMAIN DE LA GUERRE

I

L’importance de notre empire de l’Afrique du Nord a encore grandi du fait de la guerre. Au cours des hostilités, nous avons trouvé un précieux concours militaire et de nombreuses ressources dans nos belles colonies, vaste et magnifique domaine que la Métropole a l’impérieux devoir de développer et de mieux utiliser.

La sécurité autant que la prospérité de notre œuvre coloniale dépendent, dans une large mesure, du sort que nous ferons à la population musulmane ; à la veille de la visite que va faire M. Millerand à nos colonies africaines, nous étudierons ici quelques aspects de notre politique algérienne.


LES DIFFÉRENTS RÉGIMES APPLIQUÉS EN ALGÉRIE PAR LA MÉTROPOLE

L’Algérie a été l’école où s’est formée la politique indigène de la France. Dans l’administration d’une population courageuse, attachée à une religion qui lui tient lieu de nationalité, nous devions rencontrer de grandes difficultés, mais l’expérience que nous y avons acquise nous a conduits à Tunis et plus tard à Rabat. On ne saurait donc méconnaître que l’Algérie est le fondement de notre puissance en Afrique et, en quelque sorte. dans la Méditerranée. Dès le début, s’inspirant des traditions les plus élevées de son histoire, la France allait réaliser la plus pure des conquêtes, suivant la parole de Chateaubriand, bien que le Gouvernement de Charles X, désireux seulement d’en finir avec le nid de corsaires qu’abritait la Régence d’Alger, n’ait pas compris tout d’abord l’importance du rôle que nous devions être appelés à y remplir. L’Angleterre, plus perspicace, s’opposait jalousement à notre installation ; ses hommes d’État prévoyaient l’avenir d’un établissement qui rendrait évidente la faute commise, au XVIIe siècle, lorsque le Parlement de Charles II avait abandonné Tanger. Et l’on se rappelle qu’il fallut l’énergique et patriotique attitude du ministère Polignac pour passer outre et montrera Londres ce que notre action avait, au contraire, de bienfaisant, puisque nous assurions la sécurité de la Méditerranée ; on aurait pu ajouter que nous apporterions l’ordre et la civilisation en Berbérie.

Cependant on doit attendre jusqu’en 1834 pour que le Gouvernement de Louis-Philippe consacre notre conquête ; sur le rapport d’une commission d’études, l’ordonnance du 22 juillet constitue l’administration algérienne avec un gouverneur, sous les ordres du ministère de la Guerre ; il a le titre de Gouverneur général des possessions françaises dans le Nord de l’Afrique. La dénomination d’Algérie ne prévaudra que plus tard.

A mesure que s’affermissait notre domination, les colons s’accommodaient de moins en moins du régime militaire. En 1848, la réaction se produit fatalement ; le Gouvernement d’alors, dans la plus généreuse des illusions, croyant à une assimilation presque complète de l’Algérie à la France, n’hésite pas à transporter l’organisation métropolitaine sur ce sol africain où ne vivaient encore que quelques milliers d’Européens perdus dans une masse de plusieurs millions d’indigènes.- Politique sans mesure qui provoque, sous le Second Empire, la contre-partie ; mais il en subsistera une centralisation vers la Métropole dont la colonie sera longtemps victime.

On se rappelle les idées de Napoléon III. Le souverain était revenu d’un voyage de quelques semaines en Algérie, séduit par la majesté des grands chefs arabes et par les spectacles où s’était complu son imagination romantique ; il venait, en France, de rendre la liberté à Abd-el-Kader ; avec cette générosité qui n’était ni sans grandeur ni, disons-le, sans habileté, il méconnaissait, toutefois, les réalités historiques de l’Algérie où n’existaient déjà plus les cadres de la société indigène. On sait qu’à l’encontre des pays voisins, l’Algérie n’a guère possédé d’unité au milieu des dominations étrangères qui l’ont asservie. Dans une lettre, désormais célèbre, au maréchal Pellissier, l’Empereur définissait, assez inconsidérément, le royaume arabe que notre possession était à ses yeux, et afin de sauvegarder, disait-il, la population indigène, il n’hésitait point à assigner aux Européens un périmètre où ceux-ci eussent été comme parqués. Les colons protestèrent ; n’était-ce pas, en effet, aviver et comme organiser la rivalité des deux populations, le plus grand des périls que nous eussions à redouter.

La troisième République devait installer le régime civil, mais c’est encore la politique d’assimilation après la politique de conquête. La grande insurrection de 1871 précipite le régime d’administration directe ; la colonie devient à nouveau le prolongement de la Métropole ; les colons sont, ainsi, récompensés. Cette politique va subsister jusqu’en 1914 ; elle renfermait, toutefois, une lourde erreur initiale : n’était-il pas illogique d’appliquer à l’Algérie, terre d’Afrique, toute la législation française, et rien qu’elle, dans un milieu indigène alors réfractaire à la moindre pénétration, tandis qu’une population étrangère, encore insuffisamment venue à nous, grandissait à vue d’œil ? Pour encourager la colonisation, on exempta la propriété agricole européenne, mais dans une telle mesure que cette politique fiscale fut exploitée contre les colons par ceux qui, dans la Métropole, entendaient protéger les indigènes. On essaya d’y porter remède et on se mit en mesure de développer les libertés coloniales, tout en évitant les déceptions auxquelles pouvait conduire une politique prématurée que redoutaient nombre de bons esprits. Cette évolution débuta en 1891, sous le gouvernement de M Jules Cambon : elle fut le déclin de la politique d’assimilation que l’on appelait alors la politique des rattachements. Mais l’Algérie continuait de relever du ministère de l’Intérieur, la Métropole affirmant sa volonté de ne comprendre, à aucun moment, nos trois départements algériens dans les cadres de l’administration coloniale, tandis que la Tunisie et le Maroc continueraient de relever du ministère des Affaires étrangères. On témoignait là d’une réelle connaissance de l’Afrique du Nord en réservant, momentanément, à ces pays, un régime différent, bien que quelques-uns de nos intérêts politiques eussent un indéniable caractère de connexité. La colonie allait cependant de plus en plus réclamer son autonomie financière ; les idées y avaient fait du chemin depuis 1870 quand on s’y prononçait nettement pour l’assimilation intégrale avec la Métropole.

Et c’est ainsi, en dépit de ces changements de régimes, entre ces sautes de méthodes, que l’Algérie est parvenue à se constituer, nationalité nouvelle, a-t-on dit assez justement. Mais les conditions mêmes de cette formation montrent le soin avec lequel la mère-patrie devra y maintenir une suprématie nettement française.

Peu de contrées offrent, en effet, une telle variété ethnique : les Arabes et les Berbères, que des siècles n’ont pas rapprochés, bien que, dans l’ensemble, on désigne leur groupement sous l’appellation d’arabo-berbère, les israélites, que le décret de 1870 a transformés en citoyens français, puis les étrangers. Espagnols, Italiens, Maltais, etc. Pour tout dire, nous autres Français, nous y sommes en présence de quatre millions et demi de musulmans, chiffre fourni par le recensement de 1921, alors que la population française globale est de six cent mille âmes et que celle qui est dénommée européenne étrangère atteint presque deux cent mille.

Ces chiffres appellent quelques commentaires. Si nous nous reportons au précédent recensement, on constate que la population européenne serait en fléchissement [1] : 680 000 en 1913 ; dans les statistiques de cette époque, l’élément français ne figurait que pour 278 000 âmes, et encore fallait-il remarquer que depuis 1890, sous l’influence de la loi de 1889 qui naturalise automatiquement les étrangers ne se réclamant pas de leur nationalité, les chiffres des éléments de sang purement français ont quelque chose de fictif, puisqu’ils renferment un nombre sans cesse croissant de néo-Français,-Espagnols et Italiens pour la plupart. Les chiffres qui nous ont été fournis sur le dernier recensement de 1921 ne permettent pas d’établir le nombre des Français purs et celui des néo-Français : c’est un ensemble. Mais si nous nous référons aux recensements antérieurs, on a toute raison de craindre que les Français de France ne soient de plus en plus en minorité. La population française, en effet, a été particulièrement éprouvée par la guerre ; sur 620 000 Français d’Algérie, il est parti aux armées 115 000 hommes et, comme indigènes, 157 000, ces derniers sur plus de quatre millions ; on voit la proportion : un cinquième environ de la population française et un trentième de la population indigène. Les pertes ayant été sensiblement les mêmes, 18 000 Français et 19 000 indigènes tués, la colonisation française va cruellement s’en ressentir !

On avait établi, il y a quelques années, sous une forme saisissante, que l’augmentation de la population française ne progressait que de 3 000 âmes par an, tandis que les étrangers [2] augmentaient de 6 000 et les indigènes de 60 000 ; en 1906 on calculait que, vers 1920, le corps électoral de la colonie serait en majorité formé par les néo-Français, les Algériens, ainsi qu’ils se désignent eux-mêmes avec le légitime orgueil d’un jeune peuple formé à travers toutes les difficultés d’une colonie naissante. Enfin, pour caractériser la population européenne d’Algérie, ajoutons que le particularisme de certains néo-Français, notamment en Oranie où le sang espagnol est prédominant, n’est pas sans influencer nos compatriotes eux-mêmes soit par suite des alliances de familles, soit par l’intensité des sentiments ; c’est ainsi que, dans cette partie de l’Algérie, notre politique à l’égard des indigènes pourrait être contrariée, si nous n’y veillions, par une sorte de fanatisme atavique.

En tout cas, persuadons-nous qu’il n’est pas au monde une seule colonie, non pas, bien entendu, d’exploitation, mais de peuplement, où l’élément européen soit en si faible proportion : en 1906, 87 à 88 indigènes en face de 12 à 13 Européens : ce rapport n’a pas dû changer sensiblement, s’il ne s’est accusé en faveur des indigènes, car ceux-ci sont encore plus prolifiques que les Espagnols et Italiens, venus faire souche dans le pays : aussi voit-on, tout de suite, le péril, si des luttes s’établissaient entre ces deux groupements composés l’un de néo-Français, auxquels se joindraient par la force même des sentiments les étrangers, Espagnols, Italiens Maltais, et l’autre formé par le bloc islamique de la population indigène musulmane.


LE PROBLÈME INDIGÈNE ET LA LOI DE 1919 SUR L’ACCESSION DES INDIGÈNES AUX DROITS POLITIQUES

Après tout ce qui en a été écrit, les affaires indigènes d’Algérie sont cependant mal comprises par la Métropole ; entrevues dans le prisme d’un orientalisme fantaisiste, elles ont été déformées et, avant la guerre, on les avait compliquées à souhait. Mais voici que, dans la colonie, se présentent trop de graves problèmes pour que nous n’ayons à pas délaisser la méthode précaire d’un sentimentalisme erroné.

Le problème indigène mérite d’être étudié de près. A la faveur d’une loi préparée durant les hostilités, votée au lendemain de l’armistice, des politiciens des partis les plus extrêmes, communistes ou bolchévisants ont pénétré sur le terrain africain et s’efforcent de l’exploiter pour détruire l’œuvre française. Ceux-ci suggèrent à quelques meneurs des revendications auxquelles la grande masse est encore et heureusement indifférente, ils ont cependant réussi à grouper nombre de leurs coreligionnaires, en excitant leurs ambitions.

Bien qu’il soit encore malaisé de discerner jusqu’à quel point les tendances du particularisme musulman, que nous voyons se manifester un peu partout, évolueront vers un nationalisme de plus en plus épris d’indépendance, il importe de se préoccuper des conséquences qu’un tel mouvement peut avoir dans nos possessions africaines.

Le spectacle que nous offrent les pays islamiques n’est pas, en effet, moins troublant que celui de l’Europe. Leurs dirigeants paraissent avoir puisé dans la guerre des tendances à une sorte de nationalisme de forme xénophobe ; jadis, c’était le panislamisme dont l’Allemagne s’était habilement emparé ; présentement, les influences partent autant de Moscou que de Berlin en une troublante solidarité.

L’effondrement du grand Empire russe qui, dans une large mesure, contenait l’Asie, a donné naissance au formidable foyer d’infection bolchéviste. D’où la nécessité d’adopter une politique d’expérience, de souplesse, mais aussi de fermeté, vis-à-vis des indigènes africains, en grande partie Berbères et endurcis par tant de dominations [3], politique d’autant plus nécessaire que tout récemment un de nos compatriotes, qui a l’expérience du pays et de ses populations, écrivait que les djemaas en pays berbère, ou assemblées élues, sont des manières de soviets [4].

Or, la Métropole, ainsi que nous venons de l’indiquer, a toujours montré plus que de l’incertitude chaque fois qu’il s’est agi de définir le régime algérien ; les pouvoirs publics, tiraillés entre des thèses contradictoires, ont aidé à la confusion. Rien n’est plus délicat que d’établir les règles d’une parfaite harmonie entre musulmans et Européens, par endroits si opposés de civilisations. L’esprit indigène procède du Coran et un observateur de passage ne saisit guère ce qu’est la société islamique, avec ses qualités, mais aussi avec ses travers. Gardons-nous de parti pris et n’acceptons pas sans bénéfice d’inventaire ces jugements formulés au lendemain de rapides randonnées par des parlementaires, quelles que soient les facultés d’observation de ces excursionnistes.

Quand on traite de l’évolution des indigènes, il faut s’entendre ; évidemment, la masse n’est plus, en apparence, ce qu’elle était aux débuts de la conquête ; un musulman de 1830 qui reviendrait de nos jours aurait sujet d’être scandalisé ; certaines libertés concédées à la femme musulmane, le costume, l’alimentation, le choqueraient ; mais ne nous méprenons point, en dépit des apparences, l’indigène demeure encore figé dans son Coran.

Quelques-uns des dirigeants du parti indigène exploitent cet attachement, ne se faisant pas faute d’en user pour leurs fins politiques ; récemment, le conseil général d’Alger fut obligé d’annuler l’élection de l’un des conseillers municipaux indigènes dont la campagne avait révélé des procédés que l’on compara aux prédications d’un véritable marabout fanatique.

Si l’Islam est en voie d’évolution, comme quelques-uns le prétendent, nous le verrons ; pour le moment, il s’agit d’en surveiller les tendances nouvelles et de guider nos musulmans en les préservant d’une action révolutionnaire qui, en déformant leurs aspirations ou leurs besoins, travaille à compromettre l’avenir français en Afrique.

Dans la Revue [5] on faisait récemment remarquer, très justement, qu’il était inutile de vouloir assimiler ces hommes et tenter de les ranger à nos conceptions que repoussent leurs croyances. Pourquoi chercher à les faire pénétrer dans notre cité, puisque leur fidélité à des croyances lointaines de notre civilisation les rendrait malhabiles, pour le moins, à exercer les droits que nous leurs conférerions ; ce serait le plus sûr moyen de grossir la phalange, déjà nombreuse, des déclassés.

Présentement, des Indes à l’Afrique du Nord, une même fermentation, frottée de bolchévisme, travaille les esprits ; pouvons-nous espérer que nos populations échappent à ce trouble ? La Tunisie y est la plus exposée : sa position géographique, les liens de sa bourgeoisie avec Stamboul, le reflet du panislamisme, celui de la politique germano-turque aident les manœuvres de nos ennemis. Le mouvement devait, forcément, gagner l’Algérie ; il a même pénétré, dans une certaine mesure, au Maroc. Il convient donc de faire le départ entre les fallacieuses revendications de soi-disants « Jeunes Algériens » ou autres et les besoins de la masse qui réclame, si justement, plus d’égalité fiscale, plus de bien-être, plus de sécurité dans les campagnes et une instruction mieux adaptée à ses besoins.

Aussi l’étude impartiale de la loi de 1919 sera-t-elle un enseignement. L’idée qui présida, à son élaboration est à l’honneur de la France par la générosité de l’intention ; convenons, cependant, que le texte aurait gagné à s’inspirer d’une plus exacte connaissance des affaires algériennes. Loin de nous la pensée d’apporter de stériles récriminations ; mais comment ne pas s’élever contre un dispositif qui renferme tant de risques, quand Raymond Aynard, le collaborateur immédiat de M. Jonnart, l’un des gouverneurs les plus remarquables, écrivait, avant la guerre : « Telle est bien, qu’on ne s’y trompe pas, l’arrière-pensée de tous les adversaires de l’administration algérienne (il aurait pu ajouter de la puissance française) : faire de nos sujets, sinon des citoyens, du moins des électeurs, au risque de jeter ce pays dans la paralysie ou dans les convulsions [6]. »

On se rappelle les campagnes passionnées poursuivies par certains hommes politiques et par quelques brillants écrivains pour l’amélioration du sort de la population indigène d’Algérie et de Tunisie. Ces efforts, parfois peu mesurés, produisirent un effet discutable. A chaque discussion du budget, on assistait aux mêmes joutes oratoires ; on entendait les mêmes critiques sur le régime dit de l’indigénat et sur les pouvoirs de l’administration, celle-ci battue en brèche à la grande joie de ceux qui placent leur espoir dans l’affaiblissement de notre autorité.

En 1912, l’établissement de la conscription indigène avança très naturellement la question et le parti des « jeunes Algériens » prit la chose en mains ; cet impôt du sang devait leur permettre de réclamer des réformes plus politiques qu’utiles, au sens exact du terme. Pendant la guerre, la cause indigène devint sacrée, car on voyait l’admirable courage de nos beaux régiments d’Afrique. Ainsi se détermina le vote de la loi de 1919. Dès le mois de novembre 1915, le chef du Gouvernement, M. Briand, était pressé par M. Georges Leygues, président de la Commission des Affaires extérieures, à la Chambre, et au Sénat par M. Clemenceau, de faire aboutir, sans délai, des réformes jugées urgentes. On se persuadait que la France, pour assurer son empire, ne devait pas recourir aux seules rigueurs de la contrainte ou d’une stricte autorité, mais s’attacher à un régime de sympathie et d’équité qui, loin de mettre en péril la souveraineté de la Métropole, lui assurerait la gratitude confiante des indigènes. En un mot, nous n’entendions conquérir que pour élever et non pour asservir. C’est ainsi que se définissait textuellement le programme inséré dans le rapport de 1918 au Sénat, sur l’accession des indigènes aux droits politiques. Mais de cet apprentissage de l’indigène à la liberté, qui risquerait, si on n’y prenait garde, de s’effectuer au détriment de la France, puisque la mentalité musulmane demeure soumise à l’intransigeance coranique, on n’avait cure. Seuls les députés algériens protestèrent, on les écarta, ils étaient suspects ; dans la Métropole on en était encore à la légende de l’hostilité du colon vis-à-vis de l’Arabe.

J’entends bien que le législateur voulait que la France profitât de la force latente constituée par la population indigène. « Faisant appel, en l’organisant, à cette population, il convient de provoquer ses expansions engourdies et, parle développement de la vie publique, de viser à stimuler l’initiative chez un peuple habitué à obéir à des chefs et à rendre ainsi plus clair et plus saisissant chez lui le sentiment de la solidarité française » [7]. Convenons qu’un tel programme et son application réclament une extrême prudence pour éviter le mirage dangereux d’une assimilation prématurée. Aussi, l’émoi fut-il vif parmi la population européenne ; le mécontentement des Algériens devint de l’irritation quand ils apprirent que cette loi, capable, à leurs yeux, de bouleverser le pays, avait été votée au cours de l’une de ces séances parlementaires du matin où seuls quelques dizaines de députés sont présents ; aussi un congrès des maires de l’Algérie s’organisa ; la motion adoptée, à l’unanimité, par les 246 municipalités représentées fut d’une rare violence, et fit impression à Paris.

La population européenne se ramassait en un bloc ; les dernières élections qui ont renouvelé les délégations financières ont accusé cette situation, les intérêts ruraux s’affirmant comme une sorte de grand syndicat de défense agricole, véritable revanche du colon se jugeant lésé par la politique indigène de la Métropole.

Les partis indigènes n’étaient pas plus satisfaits ; au premier rang des déçus étaient les « Jeunes Algériens « qui s’étaient activement remués avant la guerre, alors que leurs « leaders » étaient partis à la conquête de la Métropole. Ils y avaient rangé à leurs idées plusieurs, et non des moindres, de nos hommes politiques en jouant l’indifférence religieuse, sorte d’anticléricalisme musulman. La loi promulguée, il la jugèrent insuffisante ; ne leur avait-on pas parlé d’un projet de M. le député Marius Moutet qui, au retour d’une excursion dans la colonie, avait rapporté un programme comportant la naturalisation globale des indigènes musulmans dans leurs statuts personnels, quelque chose comme le fameux décret Crémieux de 1870 en faveur des Israélites algériens ? Quant à la grande masse et en particulier celle des combattants rentrant de la guerre, les uns épuisés, les autres mutilés, leur satisfaction était médiocre car ces braves gens n’avaient que faire d’avantages politiques, alors qu’ils soupiraient après des places, des pensions et une meilleure répartition d’impôts. Enfin, l’ensemble des propriétaires indigènes grands ou petits manifestèrent leur inquiétude : de même que les colons, ils prévoyaient de dangereuses agitations. L’état d’esprit, disaient-ils, ainsi créé, rendra plus difficile entre les deux groupes de populations cette confiante collaboration qu’il faut, à tout prix, développer et fortifier.

En réalité, comme me le disait une personnalité musulmane d’un esprit des plus sympathiques à la France, on a donné des satisfactions d’ordre électoral qui intéressent peu la masse indigène. Celle-ci, au fond, très utilitaire ne se trouve point satisfaite parce que des ambitions particulières seront servies par de larges élections, avantageuses seulement pour quelques politiciens indigènes. Nos musulmans d’Algérie attendaient des dispositions législatives qui auraient atténué ou réparti avec plus d’équité les diverses charges financières. A vrai dire, la Métropole, une fois de plus, est passée à côté de ce qu’elle avait à faire. Pour servir la cause indigène, il aurait fallu, par exemple, aborder enfin la constitution de la propriété indigène, et poursuivre les opérations de cadastre qui n’ont encore été qu’esquissées et abandonnées, comme dans certaines communes telle que Châteaudun du Rhummel. Mais qui y songea ? Puis il y avait toute une série de travaux publics, ceux-ci souvent d’apparence secondaire, et cependant indispensables à la vie indigène (aménagement de sources, de pistes, construction de ponts, etc..)

Assurément, ce ne sont pas les circulaires de la haute administration qui manquent ; elles foisonnent, et quand elles ne sont pas contradictoires, elles s’accumulent, inutiles sans conception d’ensemble, sans méthode, tandis que les moyens financiers ont été jusqu’à présent négligés ou insuffisants. Les deux années que vient de traverser l’Algérie ont été mauvaises à cet égard ; souhaitons que l’horizon s’éclaircisse à la suite de l’emprunt que la colonie a été autorisée à contracter.

La loi du 6 février 1919 dite « Loi sur l’accession des indigènes de l’Algérie aux droits politiques » est composée de deux titres ; le premier confirme les dispositions du sénatus-consulte du 14 juillet 1865 et en facilite le fonctionnement. On sait que, d’après le texte, l’indigène musulman est français [8] et qu’il continue d’être régi par la loi coranique : il peut, toutefois, à charge de se soumettre aux conditions de notre code civil, être admis aux droits du citoyen français, mais il doit alors abandonner son statut personnel musulman, aussi bien en ce qui concerne le mariage, que le divorce et le droit successoral.

Or, ces différents points sont la base même de la société musulmane issue directement du Coran. Il n’est donc pas surprenant que, sauf d’infimes exceptions, la masse se tienne éloignée de la naturalisation dans les conditions où nous la lui offrons ; à peine mille dossiers de naturalisation sur deux générations indigènes. La loi, tout en maintenant ce régime, simplifie la procédure des demandes : celles-ci, instruites précédemment par l’autorité administrative, le seront désormais par l’autorité judiciaire. Le législateur a entendu éviter les longues formalités imposées aux étrangers, estimant, avec raison, que l’indigène algérien étant déjà Français au titre du sénatus-consulte, il était logique de ne pas le soumettre au même régime que celui des étrangers. Ces dispositions sont, toutefois, de peu d’importance, puisque nous venons de voir le très petit nombre de demandes de naturalisation ; il n’est pas à croire que le nouveau régime modifiera une situation due, en réalité, à l’indéfectible attachement d’une population à sa religion, d’autant que cette sorte de particularisme est fortifié par d’ancestrales habitudes, et ce sont ces dernières qui éloignent les Kabyles de notre naturalisation, bien que ceux-ci soient d’assez tièdes musulmans. En admettant que notre intention soit de contrarier un tel attachement, ce n’est pas un simple texte de loi qui permettrait d’arriver à ces fins discutables.

Quoiqu’il en soit, dans les milieux musulmans les plus cultivés, au sens du Coran, on reconnaît la générosité de nos intentions, mais on ne ménage pas les critiques sur le caractère inopérant de beaucoup de ces réformes, alors que le dernier Parlement les croyait destinées au plus grand succès. C’est ainsi que m’étant entretenu avec quelques notables de la société indigène, j’ai trouvé l’expression d’opinions très nettes. Ils ne m’ont pas caché leurs sentiments. « Vous devriez, me disaient-ils, en substance, comprendre qu’il y a incompatibilité absolue à ce qu’un musulman fidèle à sa religion recherche la qualité de citoyen français avec les obligations qui en découlent. Croyez-nous, aucun musulman digne de ce nom n’acceptera de renoncer à son statut, c’est-à-dire à sa loi religieuse, divine, qui est à prendre tout entière et telle qu’elle est. Ce dogmatisme est, peut-être, fait pour vous surprendre, ajoutaient-ils, mais notre loi est d’essence divine et votre loi française est purement humaine. Vous ne pouvez, disaient-ils, en manière de conclusion, les considérer à un point de vue d’assimilation, ni même les comparer. »

Cette résistance à la naturalisation française, on la retrouve même chez certains intellectuels indigènes, alors que l’on pourrait croire ceux-ci dégagés de tout scrupule religieux ; l’un d’eux me développa le programme que la France devrait adopter pour établir sur de nouvelles bases les cadres de la société indigène ; seule l’instruction pouvant assurer l’évolution de l’indigène, la Métropole reconnaîtrait d’office les droits de citoyens aux titulaires de diplômes acquis dans les Facultés et laisserait à elle-même la masse ignorante qui du reste ne demande rien au point de vue politique. Cette esquisse de programme, pour séduisante qu’elle paraisse, serait de nature à troubler un esprit peu averti, mais, sauf de très rares exceptions, les lettrés indigènes ne sont pas, hélas ! encore français de cœur, et il est prématuré qu’ils soient considérés comme tels en droit. La porte de la naturalisation leur a été ouverte, mais ce peu d’empressement à la franchir dévoile une arrière-pensée. Ils veulent être Français « par force, » sans le demander ; ils mettent en avant des scrupules religieux pour justifier une pareille prétention ; ils souhaitent, en somme, quelque chose de semblable à cette loi Delbrück, qui permettrait à nos musulmans d’entrer chez nous sans sortir de chez eux ; la « tare » de la naturalisation serait ainsi voilée aux yeux de leurs coreligionnaires, car ils démontreraient qu’en bons musulmans ils ont cédé à la force, par conséquent plié devant la volonté d’Allah. Et ils pourraient manier, sous le couvert des préceptes du Coran, la masse des indigènes qui se laisse guider, indifféremment, par le bon ou le mauvais berger.

Rapprochons cette profession de foi de la déclaration faite au cours de la dernière session des délégations financières, à Alger, par l’un des délégués musulmans le plus en vue, celui-ci inspiré, à n’en pas douter, par les chefs du nationalisme musulman de l’Inde, de l’Egypte et de la Tunisie. Dans un discours très étudié, ce délégué précisa la nécessité de développer la culture musulmane par un vaste enseignement en langue arabe aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Le panégyrique du Coran fait à cette occasion, où ce livre saint était représenté comme le meilleur enseignement de morale, de philosophie et de civilisation, montre l’ardeur d’un nationalisme religieux qui s’exerce à dépendre l’indigène de la civilisation occidentale.

Dans la loi de 1919, le titre II qui vise le statut politique des indigènes musulmans algériens, quand ils ne sont pas citoyens français, c’est-à-dire la presque universalité, est extrêmement important, car l’effet de ce dispositif fut immédiat. En voici le texte :

« Les indigènes musulmans algériens qui n’ont pas réclamé la qualité de citoyens français sont représentés dans toutes les assemblées délibérantes de l’Algérie (délégations financières, conseils supérieurs du Gouvernement, conseils généraux, conseils municipaux, commissions municipales, djemaas de douars) par des membres élus siégeant au même litre et avec les mêmes droits que les membres français, sous réserve des dispositions de l’article 2 de la loi organique du 2 août 1875. Dans les assemblées où siègent en même temps les membres indigènes nommés par l’administration, ceux-ci ne peuvent pas être en nombre supérieur aux membres élus.

« Les conseillers municipaux indigènes participent, même s’ils ne sont pas citoyens français, à l’élection des maires et adjoints. »

Ne méconnaissons point la pensée du législateur qui a voulu donner à l’indigène le moyen de s’initier et de participer à la vie politique de la colonie dans les limites où cette participation est utile et demeure compatible avec la sûreté de notre établissement. On verra plus loin ce qui en est réellement et si cette loi répond aux besoins de la population indigène. C’est, en tout cas, la nécessité de maintenir la suprématie française qui a décidé de limiter dans les assemblées le nombre des membres musulmans élus.

Quant aux droits à accorder aux conseillers municipaux indigènes de participer à l’élection des maires, on se rappellera que ce droit exista jadis de 1876 à 1884. Participation équitable, car il est indispensable que le maire représente les intérêts de ses administrés indigènes au même titre que ceux des Européens ; or, quantité de communes de plein exercice n’ont pu être constituées et on n’a pu maintenir leur budget qu’en leur annexant des groupes de populations indigènes plus considérables que le chiffre de la population européenne. Comme ces indigènes font les frais de la majeure partie du budget de la commune, il est juste que les conseillers indigènes concourent au choix du chef de la municipalité. La sollicitude municipale leur sera mieux assurée. Il faudra, cependant, veiller à ce que la majorité française ne soit, parfois, mise en échec par une coalition formée d’une minorité avec les conseillers indigènes ; le suffrage universel français serait alors faussé dans l’élection du maire ou de ses adjoints. Cet inconvénient, qu’il est nécessaire de prévenir, ne pouvait néanmoins dispenser d’un article qui est une œuvre d’équité.

Au reste, dans toute cette loi, on constate que judicieusement les deux collèges français et indigène demeurent distincts. Les électeurs indigènes votent entre eux pour leur représentant, mais ils ne concourent à aucune élection française, de même que l’électeur français ne participe à aucune élection indigène.

A la vérité, depuis le décret du 7 avril 1884, certains indigènes étaient déjà investis de l’électorat ; ils élisaient leurs représentants aux conseils municipaux, mais ils n’étaient qu’une infime minorité dans la masse ; or, quelques mois avant la guerre, en janvier 1914, sous le gouvernement de M. Lutaud, on étendit l’électorat municipal et on augmenta, d’une façon peut-être excessive, le nombre des conseillers indigènes dans les assemblées municipales, les portant du quart au tiers de l’effectif total, soit un minimum de quatre conseillers au lieu de deux et un maximum de douze conseillers au lieu de six ; ce premier élargissement du corps électoral indigène était inspiré par l’évolution de la population indigène au cours des trente dernières années.

Prendre la direction de ce mouvement, essayer de l’orienter, fut évidemment la pensée du législateur. Quoi qu’il en soit, la loi et les divers décrets qui en assurent l’application, après avoir confirmé les grandes lignes du décret de janvier 1914 en ce qui a trait au corps électoral, ont singulièrement accru la capacité de l’indigène électeur municipal ; celui-ci désormais prendra part à l’élection des conseillers généraux indigènes et à celle des délégués financiers élus au titre indigène, alors que précédemment ces conseillers et ces délégués étaient issus d’un collège électoral trop réduit aux dires des défenseurs de la cause indigène, pour assurer l’éducation politique de nos musulmans.

Tout au plus, le législateur a-t-il limité aux communes de plein exercice les diverses augmentations de droits électoraux, car dans les communes mixtes où se rencontre la majorité des indigènes, il a bien fallu se rendre à l’évidence que l’esprit de ces derniers constituait, pour longtemps encore, un obstacle absolu à l’adoption de si généreux dispositifs. La loi se borne à instaurer l’électoral des Conseils des douars ou « Djemaas, » mais là aussi la réforme est-elle heureuse ? Il est permis d’en douter.

On sait que ce sont ces djemaas, petites assemblées, véritables centres de la vie locale que l’on voit à la base de la société indigène dans toute la Berbérie. En 1895, le Gouverneur [9], pénétré de la nécessité de donner aux indigènes les éléments d’une saine pratique administrative pour leur permettre de discuter leurs affaires, procéda à la réorganisation des djemaas ; il aurait même désiré étendre la mesure au bénéfice des groupements indigènes englobés dans les communes de plein exercice, mais il ne fut pas suivi par la Métropole. Le régime s’était néanmoins continué, donnant, sous le contrôle de l’administration, des résultats très satisfaisants. A la tête de chacune de ces assemblées siégeait le cheikh ou caïd, en qualité de président, et dans les plus petites agglomérations, ou « mechtas, » se trouvaient les ouakaffs ou chefs de fractions, sorte de délégués des caïds qui remplissaient un rôle analogue. Tous, auxiliaires de l’Administration, nommés par elle, assuraient le prestige de l’autorité française, puisqu’ils en étaient issus. Ces assemblées, d’une importance primordiale dans la vie rurale de l’indigène dont on connaît l’esprit chicanier, délibéraient, néanmoins, dans une atmosphère de sérénité indispensable à la tranquillité du pays. Si des abus se produisaient, ils étaient aisément réprimés, l’administration étant outillée pour y mettre bon ordre et on évitait, ainsi, toute agitation. Mais voici la loi de 1919 : ce sont les décrets du 6 février et du 5 mars 1919 avec les dispositifs des articles 17 et 18 qui réorganisent le régime ; les djemaas auront à délibérer sur toutes les affaires qui intéressent la propriété indigène en territoire communal et de collectivité, et sur les questions si délicates de jouissance et de répartition des terres collectives de culture et, de ce fait, sur l’examen des réclamations.

Or, le recrutement par voie d’élection du président et des membres de la djemaa, institué par la loi, ne tarda pas à donner les plus fâcheux résultats : la partialité bien connue chez les indigènes s’affirme dans les avis toujours émis en faveur de gens de la fraction à laquelle appartiennent les membres élus ; aussi, quels que soient les droits des autres indigènes, ceux-ci sont écartés avec la plus absolue mauvaise foi. Enfin, tous les indigènes inscrits sur les listes électorales étant éligibles, de nombreuses djemaas se trouvent composées, en majorité, d’indigènes qui ne devraient pas avoir place dans une assemblée ayant de telles attributions. Comme l’indigène ne recherche, souvent, l’autorité que pour les avantages qu’il en peut tirer, les avis sont l’objet de déplorables trafics, et l’atmosphère qui entoure les enquêtes conduites en territoires indigènes rend presque impossible la preuve de ces agissements ; les tribunaux sont impuissants pour sévir et l’administration est pratiquement désarmée.

Ces abus entraînent de regrettables conséquences : combien de braves indigènes mobilisés trouvèrent, au retour, leurs terres occupées et, grâce à la complicité de ces djemaas, ne purent se faire rendre justice, chose qui eût été impossible sous l’ancien régime !

N’ai-je pas entendu les doléances justifiées d’un indigène désespéré de ne pouvoir obtenir une délibération aux fins d’expulser un individu indûment installé sur son champ ? Notre homme, à bout de patience, menaçait d’occuper un autre terrain, d’où, par un juste retour, il prétendait qu’on ne pourrait le faire déguerpir, « puisqu’il était loisible à chacun d’agir suivant son bon plaisir, » s’écriait-il.

Toutes ces conditions ont été, très justement, mises en lumière, au cours de la dernière session des délégations financières à Alger, par M. Vallet, délégué financier du département de Constantine, l’un des hommes qui connaissent le mieux la diversité des questions algériennes.

Comme tout se tient en un rapport étroit dans notre colonie, que la grande majorité de la population indigène est formée d’agriculteurs et de pasteurs et comme la première réforme à accomplir est, sans contredit, celle qui a trait au régime foncier, on déplore d’autant plus, là aussi, les effets de la loi de 1919. Pour essayer d’y remédier, le gouvernement général à Alger créa récemment, en guise de moyens de fortune, à côté des djemaas élus, des sortes de conseils administratifs, composés de notables choisis par l’administration et auxquels est confiée la tâche dévolue aux anciennes djemaas.

N’oublions point, en effet, que près de 3 000 000 d’hectares d’excellentes terres sont improductives ou mal cultivées en Algérie parce qu’en qualité de terres indivises ou de collectivité, elles ne sont possédées qu’à titre précaire ; mais, tandis que l’on espérait les modifications législatives réclamées depuis longtemps par tous les corps élus de la colonie pour sortir de cette situation, voici que, circonstance aggravante, ces terres sont présentement soumises au bon plaisir de ces djemaas, dont nous venons de voir le manque de moralité. On maintient ainsi dans la population indigène plus que du malaise, de l’irritation ; et on provoque des revendications qui, souvent, sont à l’origine de bien des attentats.

Enfin la loi de 1919 a nui à la sécurité ; on sait à quel point le maintien de celle-ci a été, de tout temps, l’objet des préoccupations de l’administration algérienne. Pour assurer la tranquillité dans un pays qui nous a coûté les plus grands sacrifices, il fallut un long effort de prudence et de fermeté. Ce fut l’honneur du gouvernement général de M. Lutaud, d’y être parvenu, au cours de cette longue guerre. En dépit du peu de troupes dont on disposait, la situation demeura satisfaisante, sauf sur deux ou trois points, comme dans la province de Constantine, à Aïn-Touta, où éclata, en 1916, un assez grave mouvement sur l’origine duquel il y aurait, du reste, beaucoup à dire.

L’émotion fut donc vive dans le personnel de la colonie et chez les propriétaires français aussi bien qu’indigènes, quand on apprit que l’une des conséquences de la loi de 1919 qui n’aurait pas dû surprendre, si on avait réfléchi à quel point le musulman se passionne à posséder un fusil, permettrait à la majorité de la population indigène d’échapper aux règlements qui primitivement avaient sagement limité les possibilités d’achats d’armes. En effet, cette loi qui règle l’accession de nos sujets musulmans aux droits politiques, assimile ceux qui sont inscrits sur les listes électorales, — en fait les neuf dixièmes, — aux citoyens français, pour ce qui a trait aux contraventions et délits. L’indigène se trouvait ainsi libéré ipso facto de toutes formalités pour s’armer, situation qu’allait confirmer une malencontreuse circulaire du précédent Gouverneur, en date du 11 décembre 1919. Les conséquences ne se firent pas attendre dans cette population où le geste est prompt à faire parler la poudre ; en quelques mois, le commerce des armuriers devint des plus florissants et la criminalité doubla. Pour compenser cette négligence de rédaction, il fallut que le sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur [10] demandât au Parlement un amendement établissant une réserve analogue à celle qui avait été prévue pour les délits forestiers. Désormais, les indigènes, électeurs ou non, sont replacés sous le régime de 1851 et soumis à l’obligation de l’autorisation administrative pour se procurer des armes et des munitions. Le 29 octobre 1920, un arrêté du Gouvernement général régularisait enfin la situation accordant un délai de deux mois pour la déclaration en mairie des armes possédées et obtenir l’autorisation réglementaire. Si l’autorisation leur est refusée, un nouveau délai leur est octroyé pour vendre les armes ainsi détenues irrégulièrement à des tiers eux-mêmes autorisés. Toutes ces opérations de régularisation sont en cours, mais il est douteux qu’elles puissent s’effectuer aussi complètement qu’on le souhaite. Le métier d’armurier n’est pas, en effet, sérieusement surveillé ; il y a un registre de vente du reste mal tenu, chez la plupart des détaillants, et comme il n’y a pas de registre d’arrivée, on se demande quel est le contrôle. C’est ainsi que dans l’un des départements algériens, à la date du 5 février 1920, on avait appris que de nombreuses commandes avaient été faites à Saint-Etienne, sans que l’on ait . avisé pour empêcher la dissémination de ces armes. On s’en consolait en disant que le stock existant après la guerre chez les détaillants était heureusement peu important.

Après avoir montré quelques-unes des conséquences de cette loi, on se demande comment une telle imprévision fut possible et pourquoi la haute administration de la colonie, qui compte tant d’agents distingués et d’expérience, n’introduisit pas, en temps opportun, les réserves utiles. C’est ainsi que le législateur a été insuffisamment éclairé ; et, comme dans toutes les entreprises qui tournent mal, personne n’ose plus tirer le moindre orgueil d’avoir travaillé à l’établissement d’un texte aussi critiqué. La loi attaquée, en effet, par la presse algérienne, ne fut guère défendue que par un timide plaidoyer, inséré dans une revue hebdomadaire illustrée d’Alger où l’on se borna à plaider des circonstances atténuantes en invoquant la part du feu.

En résumé, la situation se présente ainsi :

140 000 électeurs français ou néo-français dans toute l’Algérie, 421 000 électeurs indigènes comme résultat de la loi de 1919, et ce dernier chiffre s’accroîtra automatiquement chaque année : 1° de tous les indigènes ayant satisfait au service militaire ; 2° de ceux nommés à un emploi public ; 3° de ceux ayant acquis, depuis la formation des listes précédentes, la qualité de propriétaires ou fermiers ; 4° de ceux ayant reçu une distinction ou acquis un titre universitaire de degré quelconque, ou mérité une récompense dans un concours agricole ou industriel à la condition qu’ils aient vingt-cinq ans d’âge et deux ans de résidence dans leur commune. Après quatre ans, le chiffre global des électeurs indigènes aura ainsi dépassé le demi-million, et dans un seul département, celui de Constantine, les chiffres sont particulièrement impressionnants : 15 470 électeurs indigènes avant la loi de 1919, 202 904 actuellement.

Il est donc intéressant de constater que, dans ce dernier département, de même qu’à Alger, le mouvement électoral a été parfois anti-français, c’est-à-dire contre la liste que l’on trouvait trop rapprochée de l’idée française. Les candidats venus à nous de tout temps, tel un docteur indigène naturalisé français d’ancienne date qui, tout en demeurant musulman et en se réclamant de notre culture et de notre cause, a épousé une Française, ont été écrasés. Ils furent combattus comme renégats ayant abandonné leur statut indigène ; on les jugea trop voisins de nous, mal qualifiés par conséquent, pour faire triompher les âpres revendications d’un programme qui ne tend à rien de moins qu’à amoindrir et peut-être à ruiner la souveraineté française en Algérie. En somme, nulle part, la masse des indigènes n’a donné l’impression qu’elle appréciait un libéralisme qui dépasse son entendement. Sur ces individus, amorphe troupeau, les intrigants ont beau jeu pour exercer leur rôle d’avides profiteurs politiques. Aussi les affaires sont-elles excellentes pour ces exploiteurs que l’on avait déjà vus à l’œuvre lors des récentes élections municipales et au moment de la reconstitution des djemaas où ils avaient commencé à se faire la main. Le type du courtier électoral indigène est désormais créé au grand dommage, peut-on avancer, de notre colonisation, et nombre de candidats, capitalistes indigènes, ont poussé très loin et du premier coup leur propagande. On les vit, aux dernières élections, avec leurs agents parcourir dans des automobiles rapides leurs circonscriptions, ne négligeant aucun des moyens les plus modernes de réclame. Le jour du scrutin, le troupeau des électeurs rassemblés était amené aux bureaux de vote parfois assez éloignés, présenté aux courtiers ; ces derniers, triés sur le volet, beaux parleurs et quelque peu charlatans, comme il convient, très adaptés à leur tâche de maquignons. Les indigènes, bouche bée et tout oreilles, écoutaient la parole, recevant dans une main un irrésistible viatique avec le bulletin de vote préparé, tandis que dans l’autre, on plaçait leur carte d’électeur. La manœuvre ne s’arrêtait pas là : d’autres agents se repassaient les groupes, les accompagnaient jusqu’aux urnes pour déjouer toute supercherie et néanmoins, en dépit de cette vigilance, on vit des électeurs trahir la cause pour laquelle ils avaient été payés en faisant triompher, à la dernière heure, un concurrent plus généreux.

Ailleurs, ce furent les marabouts, lettrés ou tholba qui rédigèrent les bulletins ; on distribua également des manifestes imprimés à Alger prêchant la « revendication des droits et l’émancipation du peuple musulman. »

La corruption a joué son rôle dans cette campagne ; à certains endroits, les 9 dixièmes des électeurs ont vendu leurs bulletins ; dans quelques localités, on précise le chiffre de 300 000 francs auquel ont atteint certains achats de votes.

Le triomphe fut fêté, la poudre parla, des bandes glorieuses vinrent parcourir les villages français où des bagarres auraient pu se produire sans les mesures prises par les autorités et aussi sans le calme des Européens.

De telles élections firent revenir au jour les déchets de l’administration, anciens khodjas, chaouchs, et autres petits agents congédiés ; tel un notaire indigène révoqué et qui, à l’heure même de son élection, envoya au Préfet du département et à l’Administrateur de sa commune un même télégramme qu’il communiqua, du reste, à tout le monde et qui jette un jour curieux sur la mentalité de ces élus : « Malgré toute mauvaise volonté, malgré toute mauvaise grâce, malgré toute pression malveillante, malgré tout attentat à la liberté, malgré toute parole manquée et tout manque de conscience et par la seule bonne volonté de mes braves électeurs, suis élu Conseiller général. » Ces reproches venaient mal à propos, car l’administration avait expressément tenu la main à ce que cette consultation fût entourée des plus complètes garanties d’indépendance.

Que devient, dans ces conditions, le prestige indispensable à une nation européenne en terre d’Islam ?


LES PARTIS INDIGÈNES ALGÉRIENS

Après la loi de 1919, examinons les partis indigènes algériens, celui des « Jeunes Algériens » dont nous avons vu le rôle jusque dans la Métropole pour provoquer la loi de 1919, puis celui qui, prenant la suite des « Jeunes Algériens, » s’est placé sur le terrain coranique des revendications indigènes en y ajoutant une tendance marquée au nationalisme, et enfin les « Vieux Turbans, » ainsi que leurs rivaux les désignent par dérision, quand ils ne les appellent pas les « Beni-Oui-Oui » en raison de la fidélité que ceux-ci conservent à notre administration.

Les « Jeunes Algériens » se considèrent comme une élite, mais, tiraillée entre l’Europe et l’Islam, leur évolution qui, pour quelques-uns, les porte vers la libre pensée, les laisse sans grande autorité sur la masse indigène et vis-à-vis de ceux qui, tout au contraire, exploitent la fidélité islamique. Aussi la défaite des « Jeunes Algériens » aux dernières élections a-t-elle été complète ; plusieurs sont, cependant, d’apparence sympathique. Comment ne pas être séduit par ces jeunes médecins ou avocats, quelques-uns diplômés à Paris et dont la parole. est facile, entraînante ? C’est ainsi qu’on s’explique leur influence auprès de nos hommes politiques peu au courant des choses indigènes. J’en connais qui ont du tact, de l’esprit de mesure et une culture générale. Ce n’est pas chez eux que l’on trouverait, je me l’imagine, des personnalités analogues à ce « Jeune Persan » que je voyais à Téhéran, au lendemain de la Révolution ; sa faconde était inépuisable et ses déclarations péremptoires inspirées du plus insupportable orgueil ; ancien élève en pharmacie de Tauris, après de brèves études au Caire, il avait été élu au Parlement de Perse, et s’y comparait volontiers à Robespierre !

De son côté, le parti qui a supplanté les « Jeunes Algériens » est très remuant ; il poursuit la naturalisation des indigènes dans leur statut religieux, la suppression totale des pouvoirs disciplinaires des administrateurs et des juridictions d’exception, l’application du droit commun à tous, sans exception et sans aucune distinction, la représentation au Parlement des indigènes non naturalisés et enfin l’assimilation complète, à égalité de titres, des fonctionnaires indigènes à leurs collègues français, programme cher aux « Jeunes Algériens. » La scission est donc plus apparente que réelle : elle cesserait en face de circonstances nouvelles, par exemple, dans l’intérêt islamique commun.

Il est à peine besoin d’ajouter que si quelques-unes de ces revendications méritent d’être prises en considération, — telles que la représentation des indigènes non naturalisés à un Conseil quelconque de la Métropole, et l’assimilation, dans certains cas, des fonctionnaires indigènes à leurs collègues français, à égalité de titres, — en revanche, les autres ne sauraient être envisagées sans mettre en jeu notre établissement dans l’Afrique du Nord. C’est ainsi que lorsque les dirigeants du parti, pour justifier leurs prétentions à obtenir la qualité de citoyens français, dans le statut indigène, en faveur des musulmans algériens, invoquent le précédent des nègres des quatre communes du Sénégal ou celui des Noirs des Antilles ou celui des Indiens, tous citoyens français, comme on sait, ils feignent d’oublier qu’il n’existe aucune similitude entre la situation de ces différentes parties de notre domaine colonial et celle de l’Algérie. Nos petits établissements en Hindoustan, aux Antilles, ou même les conditions qu’offre le Sénégal, ne peuvent, en effet, être mis en parallèle avec nos possessions de l’Afrique du Nord où l’immense majorité de la population est musulmane et touche aux pays islamiques.

Certains des chefs algériens de ce nouveau parti sont intéressants, tel ce délégué financier indigène de la province d’Oran dont le programme est dominé par l’orthodoxie et par les préjugés musulmans dans ce qu’ils ont de plus étroit. Un long séjour à Paris pour ses études de droit, lui a permis d’acquérir, dit-il, non sans malice, la connaissance de nos incertitudes et de nos faiblesses sans qu’il ait, le moins du monde, été gagné, ajoute-t-il, à notre civilisation et, de fait, l’ancien habitué du quartier latin et des milieux cultivés de la capitale est retourné, en Algérie, à l’islamisme le plus pur ; vêtu suivant le rigorisme commandé par le rôle qu’il s’est tracé, il affiche un profond dédain pour le fez et les vestons modernes des « Jeunes Algériens » . Ajoutons que cet avocat est affilié à la puissante confrérie des Derkaoua, réputée pour son intransigeance et pour son action politique ; il y est devenu moqaddem, c’est-à-dire intendant, ses convictions lui ayant assuré un prestige mérité. Il est superflu d’ajouter que notre homme n’a jamais envisagé la naturalisation française où il aurait abandonné son statut religieux ; personnage avisé, il semble désigné, par son talent, à la défense des revendications musulmanes les plus opposées à notre politique ; esprit souple et délié, il ne manque aucune occasion d’affirmer que la France trouvera toujours ses indigènes pour la seconder, car ceux-ci, ajoute-t-il, sont convaincus des profits à retirer de leur collaboration. Tous les espoirs sont justifiés, affirmait-il récemment, puisqu’ils légitimeront et satisferont toutes les ambitions. Parole d’un utilitaire qui a de l’esprit d’avenir et qui ne s’embarrasse pas des mirages de l’idéologie. On retrouve cette même attitude chez d’autres dirigeants de la cause indigène. « Que nous importent les moyens, si nous parvenons à nos fins ? » s’écriait une personnalité musulmane au sortir d’une réunion publique tenue à Tlemcen et dont l’assistance avait été soulevée d’enthousiasme par un candidat aux dernières élections législatives, venu faire œuvre de propagande révolutionnaire communiste.

On l’a souvent dit, et nos compatriotes d’Algérie le savent pertinemment, nul n’est plus utilitaire et procédurier que l’indigène. Le plus fanatique a toujours quelque réclamation à présenter ; il comprend la commodité de nous combattre avec nos propres armes, presse, réunions, associations, mandats publics. On peut, tant bien que mal, faire endosser au musulman tous les harnais du citoyen moderne, l’envoyer à l’école, à la caserne, à la salle de vote : autre chose est d’en tirer une réelle utilité aussi bien pour lui-même que pour nous [11].

Quant au parti des « vieux Turbans » ou des « Beni-Oui-Oui » que leurs adversaires représentent comme asservis à notre administration, plusieurs sont, cependant, des hommes jeunes, intelligents et énergiques, formant une sorte de parti conservateur. Quelques-uns, chefs d’illustres familles, sont les cadres qui subsistent de cette société indigène disparue sous les efforts de la Métropole vers l’assimilation. D’autres, — et la constatation peut être utile, — ont un esprit nouveau, réaliste ; sans aspirations politiques, ils désirent simplement et sincèrement, semble-t-il, collaborer à l’œuvre française algérienne. Ceux qui sont arrivés aux délégations financières, professent un programme plus spécialement économique ; ils nous offrent, là, un spectacle du meilleur exemple au milieu de l’agitation créée par les autres partis. A nous de savoir mettre en valeur ces indigènes que j’appellerai volontiers de véritables « jeunes Algériens » au bon sens du terme.

Dans cette phalange, une action gouvernementale avisée trouvera de précieux concours pour la collaboration musulmane. Une telle politique, il ne faut pas tarder à l’entreprendre avec tact, sans imprudence, mais sans faiblesse, si nous ne voulons nous exposer à ne plus trouver qu’une poussière de populations se soulevant au gré de tous les vents.

Donnant leur collaboration aux partis indigènes d’opposition, apparaissent de nombreux déchets de l’administration, adels ou notaires révoqués, caïds prévaricateurs congédiés, qui vont à nos adversaires, jouant leur rôle dans le malaise politique de la colonie. Durant les deux années qui viennent de s’écouler, ils exploitèrent le mécontentement d’une population contrainte à des restrictions dont elle méconnaissait la nécessité. Se produisait-il des erreurs dans le ravitaillement, suite de statistiques erronées, à plus forte raison quelque désordre était-il constaté, immédiatement l’incident était grossi avec un art qui surprendrait, si on ne savait ces gens aux mains d’agitateurs professionnels. Ceux-ci ont été pour une large part dans les difficultés presque insurmontables que rencontra le précédent gouverneur.

Pour compléter cet aperçu des partis indigènes en Algérie, disons quelques mots des « jeunes Tunisiens » qui de la Régence influencent les « jeunes Algériens. »

Le groupement ou plus exactement la création de ce parti tunisien remonte à quelques années avant la guerre ; on y retrouve l’Allemagne dont un agent vint alors à Tunis [12] comme instrument de cette politique germano-turque qui encourageait, si elle ne mettait en mouvement, le fameux panislamisme. Reçu dans différents milieux indigènes, cet émissaire rencontra un groupe d’ambitieux qu’il encouragea à fonder un journal sous le titre du Tunisien complété peu après par une autre feuille, celle-ci en français, afin de montrer aux esprits candides de la Métropole sous quel joug gémissait la Tunisie ; on discerne déjà, à peu de chose près, le plan de la « Tunisie martyre, » pamphlet récemment paru. Quoi qu’il en soit, nombre d’indigènes ne se doutèrent pas, au début, de la manœuvre, d’autant que l’occupation italienne de Tripoli devait échauffer les esprits, fournissant un prétexte pour allier la religion à un début de nationalisme qui déborda sur les « jeunes Algériens. »

La Tunisie aux Tunisiens, proclame-t-on à Tunis ; à Alger, on se borne à réclamer pour les musulmans algériens l’accès de la cité française où ils apporteraient leur statut religieux et où ils prétendent que nous n’aurions pas à douter de leur loyalisme ; cependant, quand on connaît la nature des liens qui existent entre Tunis et Alger, l’âpreté de ces revendications réagissant les unes sur les autres, la Métropole agira prudemment en observant une extrême vigilance ; ne sait-on pas que, lors du séjour du président Wilson à Paris, une démarche fut faite pour essayer de poser les revendications nationalistes des indigènes africains ?


H. DE LA MARTINIÈRE.

  1. Ce phénomène se manifeste dans les campagnes ; au lieu d’augmenter de plus de 100 000 âmes par période décennale comme nous le montraient les statistiques précédentes, le gain des Européens n’est plus que de 32 000 au dernier recensement ; l’accroissement a trait à la population urbaine et porte également sur les israélites naturalisés qui sont, en somme, des indigènes. La situation mérite de nous préoccuper.
  2. V. Demontès, le Peuple algérien. Essai de démographie algérienne. Alger, 1906.
  3. E.-F. Gautier, l’Algérie et la Métropole. Paris, A. Colin, 1918.
  4. Qu’est-ce que la politique musulmane ? par un Africain. La Renaissance, Paris, 11 décembre 1920. L’auteur est l’un de nos fonctionnaires les plus distingués du Nord de l’Afrique,
  5. L’Islam et son avenir, par XX. Revue des Deux Mondes, 1er août 1921.
  6. Raymond Aynard, L’œuvre française en Algérie (page 175), Paris, 1912, Préface de M. C. Jonnart, ancien gouverneur général de l’Algérie. — Paris, Hachette, 1912.
  7. Rapport présenté en 1918 au Sénat sur la loi qui allait être votée en 1919.
  8. Le terme de « sujet » ne résulte d’aucun texte législatif, il passa dans l’usage comme suite à certains jugements de la Cour d’Alger.
  9. Jules Cambon, loc. cit.
  10. M. Robert David, instruit des affaires algériennes par de longs séjours dans la colonie.
  11. Raymond Aynard, loc. cit.
  12. Probablement un certain Oppenheim dont on suit la trace à la base de toutes les intrigues germaniques dans l’Orient de la Méditerranée et dont nous avons, nous-même, vu l’action durant notre séjour à la légation de Téhéran.