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Aventures fantastiques d’un canadien en voyage/11

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P. R. Dupont, imprimeur-éditeur (p. 118-130).

XI

à black-hill.


La lune venait de disparaître derrière les montagnes, et déjà, à l’orient, on distinguait les premières lueurs de l’aurore, lorsque les quatre aventuriers se remirent en route.

Magloire les accompagnait.

La tempête avait cessé complètement, et un épais brouillard couvrait la forêt, mais ne s’étendait pas loin.

Il était environ trois heures.

Peu à peu, la lueur grandit à l’orient. Le firmament noir et le vent impétueux de la veille ont fait place à un ciel d’azur et à une brise légère. Les rayons lumineux de l’aurore transpercent le brouillard comme des flèches.

L’aurore, dans les montagnes de l’Australie a souvent de ces beautés, de ces spectacles que la nature offre à l’œil du voyageur.

Mais les quatre aventuriers — disons qu’ils sont cinq puisque Magloire les accompagne — qui en ce moment se dirigent à pied du côté Black-Hill, restent insensibles à ces beautés.

Le chemin qu’ils suivent devient de plus en plus accidenté ; d’autant plus que la pluie de la veille a laissé de l’eau sur la route. Enfin, après quatre heures de marche pénible, par un temps splendide, ils arrivèrent au sommet d’une haute montagne.

— Hourra ! s’écria Magloire, voici Black-Hill.

De l’endroit où ils se trouvaient, la roche nue, inégale et rugueuse, plongeait presqu’à pic à plusieurs centaines de pas dans une plaine unie dont le sol se composait visiblement de boue et de pierres. À un demi mille droit devant eux, s’élevait une montagne de rochers également à pic, et, c’est entre ces deux gigantesques remparts que se trouvait Black-Hill.

De quelque côté que l’on tourna la vue, cette plaine était, comme au lac Oméo, du reste, couverte d’un essaim de chercheurs d’or.

Les cinq voyageurs commencèrent à descendre la montagne rapide où l’on risquait à chaque moment de se rompre le cou.

— Pourvu, dit Dupont, que personne ne m’invite ici à jouer au biribi !

Les quatre amis réussirent à placer Magloire dans une compagnie de mineurs français. Magloire, cependant dut verser cent dollars comme garantie et cent autres dollars pour lui permettre d’entrer dans la compagnie. Cette compagnie exploitait un claim très favorisé et tout annonçait que ses membres s’en retourneraient très riches dans leurs pays respectifs.

Ainsi, presque sûrs de l’avenir de leur nouvel ami, les quatre amis, après un séjour de trois semaines à Black-Hill songèrent à repartir.

Williams était très impatient.

— Pourquoi donc sommes-nous venus à Black-Hill, disait-il et quelle idée aviez-vous, Dupont, de nous proposer un pareil voyage ?

— Bah ! mon ami, disait le Marseillais, vous ne le savez pas, vraiment ?

— Ma foi, non.

— Ne savez-vous pas que tout cela recule le moment de la séparation !

Le nègre se gratta l’oreille.

— Ah ! diable, c’est vrai, dit-il,

— Si nous n’étions pas ici, continua Dupont, savez-vous où nous serions ?

Le nègre regarda l’aventurier, mais ne répondit pas.

— Eh bien, mon cher, toi tu serais à Melbourne, moi, je serais à Marseille, le Parisien serait à Paris et Bernard serait au Canada,

— Vrai ?

— Mais oui, mon cher Williams, et crois-tu que malgré ma richesse, je puisse sans regret quitter trois amis comme toi, Bernard et le Parisien ?

— Peste ! vous avez raison, dit le nègre.

— Aussi, dit Bernard, nous continuerons à voyager.

— Où irons-nous ? demanda le Parisien.

— Ah ! voilà ! il s’agit de savoir où aller.

— Les voyages à travers les montagnes me plaisent peu, fit Williams.

— Eh bien ! quittons le pays, mes amis, allons en Angleterre, en France…

— Hourra ! s’écria le Parisien.

— Et quand nous serons blasés des voyages, quand notre amitié sera assez resserrée pour être éternelle, nous nous séparerons alors et nous irons chacun saluer le clocher qui nous a vus naître.

Il fut décidé entre eux qu’ils se rendraient incontinent à Melbourne et que, de là, ils prendraient le steamer pour le Havre.

Sur le champ, ils se préparèrent au départ.

Le soir, ils allèrent faire leurs adieux à Magloire.

Le lendemain, ils se remirent en route. À tour de rôle, ils portaient sur leurs dos un gros sac … c’était le trésor. Ils marchèrent si bien qu’à onze heures, ils arrivèrent à l’auberge ci-devant tenue par Magloire. Le cadavre de la panthère avait disparu.

— Si nous nous reposions ici ? fit Bernard.

Le Marseillais, qui avait eu la bonne idée de se faire donner la clef de l’auberge par Magloire, introduisit cette clef dans la serrure et la porte s’ouvrit.

— Entrons, dit-il.

À ce moment, des coups de feu retentirent et des balles sifflèrent aux oreilles des quatre aventuriers. En même temps, dix hommes armés surgirent pour ainsi dire d’un buisson voisin et accoururent.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais avant d’aller plus loin, racontons ce qu’était devenue la troupe de bandits formée par Ragling au lac Oméo, laquelle troupe, on le sait avait été si malmenée par nos quatre aventuriers.

Lorsque ceux qui restaient de la troupe racontèrent au changeur ce qui s’était passé sur la route du lac Oméo à Black-Hill, celui-ci fut en proie à un accès de fureur terrible.

— Comment ! s’écria-t-il, j’envoie vingt hommes à la rencontre de quatre aventuriers et ces vingt hommes reculent !

— Ils étaient au moins vingt, eux aussi, répliquèrent-ils.

— Vous mentez… Ils n’étaient que quatre !….

— Lorsque nous constatâmes la mort de notre chef…

— Oui, vous vous êtes sauvés ! Lâches ! lâches ! mais vous étiez douze…… contre quatre… lâches !…

— Mais !…

— Pas de mais ! Vous aviez reçu une mission, il fallait la remplir… Qui maintenant désire être le chef ?

I can to be him ! dit un des douze.

— Eh ! bien ! Roberts, c’est aujourd’hui jeudi, reviens lundi, il nous faut reprendre cette expédition. Êtes-vous tous prêts !

— Oui ! oui !

— Seulement, dit Roberts, nous voulons être payés.

— Nous voulons êtres payés, répétèrent les bandits.

— Vous deviez m’apporter mes cinquante mille dollars, vociféra le changeur, et vous ne m’apportez rien du tout.

— Nous avons fait notre devoir, dit Roberts, si nous avons été défaits ce n’est pas notre faute. Payez-nous ou…

— Ou quoi ?

— Ou nous vous dénoncerons à tous les habitants de ce placer.

À ces mots, le changeur prit une bourse, la soupesa, puis la jeta aux pieds de Roberts.

— Tenez, payez-vous, dit-il, et partagez, mais revenez lundi.

— C’est correct.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le lundi suivant, Roberts était venu.

— Vous allez aller vous embusquer, dit le changeur, à quelques pas de la route tracée en face de l’auberge de Magloire Dupont. Là, vous attendrez que les quatre chercheurs d’or reviennent…

— Mais reviendront-ils ?

— Oui, il n’y a pas d’ouvrage pour eux à Black-Hill.

— Bien, après ?

— Aussitôt qu’ils seront en face de l’auberge, faites feu sur eux sans miséricorde et surtout ne les manquez pas car ce sont de véritables diables à quatre et ils viendraient à bout de vous tous, encore une fois.

— Et vous nous donnerez ?

— Deux cents dollars chacun.

— Mais à moi qui suis le chef et sur lequel reposent toutes les responsabilités ?

— Vous aurez trois cents dollars !

— Très bien, mais le temps que nous serons à l’embuscade, il nous faut vivre !…

— Vous aurez des vivres pour un mois, s’il le faut.

— Et nous partons ?…

— Demain matin. J’irai moi-même vous porter des vivres.

Il y avait déjà huit jours que les dix bandits (deux avaient refusé de se joindre à l’expédition) étaient en embuscade et les quatre mineurs s’obstinaient à ne pas se montrer. Huit autres jours s’écoulèrent. Enfin, les bandits aperçurent un jour, de loin, les quatre amis qui descendaient la montagne, joyeux, causant entre eux.

— Ce sont eux, avait dit Roberts, attention, mes amis.

Et au moment où Dupont ouvrait la porte de l’auberge et y entrait avec ses amis, Roberts commanda le feu.

Malheureusement pour lui, pas une balle ne toucha les aventuriers

God dam ! s’écria-t-il, ce sont des sorciers !

On le sait, la troupe s’était élancée vers l’auberge, mais Dupont avait eu le temps de fermer la porte.

— M’est avis, dit Bernard, que ces messieurs en veulent encore à notre argent.

— C’est aussi mon avis, dit Williams.

— Pourquoi nous dérangent-ils, nous aurions si bien dîné ! fit Dupont, d’une voix dolente.

— Eh ! bien, dînons, fit le Parisien, j’ai une faim de loup.

— C’est le bon temps de dîner, dit Bernard, qui par la fenêtre, laquelle se composait d’une ouverture grande comme la main pratiquée dans le mur, observait les faits et gestes des bandits, il est temps de dîner, ces messieurs se concertent.

En un clin-d’œil, la table fut dressée par Williams et l’on se mit en frais de dîner.

— Réconfortez-vous, dit Bernard qui n’avait pas quitté son poste d’observation, moi, je veille au grain. Un de vous me remplacera tout-à-l’heure.

Dupont, le Parisien et Williams firent honneur au repas, lequel se composait de viandes froides et de pain.

Tout-à-coup, Bernard épaula sa carabine et fit feu.

— Qu’est-ce donc ? fit Dupont.

— Continuez votre dîner, mon cher, ce n’est rien. Un de ces messieurs avait eu la curiosité de s’approcher trop près de l’auberge, voilà tout !

— Rendez-vous ! cria une voix du dehors.

— Messieurs, cria Bernard aux gens de la troupe, nous sommes quatre amis en train de dîner. Passez donc votre chemin et laissez-nous tranquilles, à moins que vous teniez absolument à servir cet escogriffe de Ragling qui vous paie pour tuer et dévaliser les honnêtes gens.

Une balle qui vint se loger à deux pouces de la fenêtre lui répondit.

— Ah ! vous voulez bataille, s’écria Bernard indigné, eh bien, vous allez l’avoir. Puis s’adressant à ses amis :

— Messieurs, avez-vous fini de dîner ?

— Mais, oui, dit Williams, la bouche pleine.

— Eh bien, prenez vos armes, mettez-vous ici et ne laissez approcher personne.

— Qu’allons-nous faire ? dit Dupont.

— Je vais d’abord dîner à mon tour, fit Bernard, nous aviserons ensuite.

Et le Canadien se mit à table, tandis que le Parisien, Dupont et Williams prenaient sa place à la fenêtre.

— Ma foi, dit Dupont, en examinant la troupe, si nous nous en sauvons, ce sera beau. Où est le sac ?

— Sous la table, fit le Parisien, en souriant.

— Il faudra y avoir l’œil, car si nous le perdons, adieu alors voyages et richesse !

— Les voilà ! s’écria Williams.

— Qui ? demanda Bernard.

— Mais les gens de la troupe.

— Faites feu tous trois sur cette canaille ! Ils firent feu simultanément.

— Eh bien, dit Bernard, qui achevait de boire son verre de rhum.

— Trois de moins, dit le Parisien, mais ils approchent.

En ce moment, les crosses de fusil de la petite troupe heurtèrent la porte.

— Enfoncez ! cria une voix qui était sans doute celle du chef.

Le Canadien se leva. Il venait de terminer son repas.

— Je crois que ça va chauffer dur tout à l’heure, dit-il.

Puis, prenant la carabine.

— Allons, mes amis, il nous faut nous défendre.

Auparavant, laissez-moi dire un mot à ces messieurs.

Et s’adressant aux bandits :

— Messieurs, si vous vous obstinez à vouloir nous attaquer, je vous avertis que pas un de vous ne sortira vivant de cette bataille. Au contraire, laissez-nous la paix et je vous jure que Ragling vous paiera quand même ce qu’il vous doit c’est-à-dire ce qu’il vous devra quand vous nous aurez pris le produit du claim que nous lui avons vendu.

— Expliquez-vous ? demanda le chef, qui, comme on le sait, n’était autre que l’anglais Roberts.

— Tout simplement, répondit le Canadien, allez chercher le changeur et amenez le moi, je me charge du reste.

— Mais c’est le trahir ?

— Trahir un traître, le diable en rit, messieurs !

— Quand Ragling nous aura payés, il nous fera assassiner.

— Je vous réponds du contraire.

— Comment cela ?

— Je ne puis m’expliquer davantage. Si vous refusez, cela m’est égal.

— Nous refusons.

— C’est bien.

Le Canadien se tourna vers ses amis.

— Vous êtes témoins, messieurs, dit-il, que j’ai fait ce que j’ai pu pour éviter toute effusion de sang.

— Voilà bien des cérémonies, dit le Marseillais.

— Nous avons assez parlementer, dit le Parisien, débarrassons-nous de cette canaille et partons ; il me tarde d’être à Melbourne.

— Nous sommes chrétiens, dit le Canadien, et il ne fallait pas livrer bataille, sans avertir ces malheureux, sans faire notre possible pour les détourner de leur projet.

À ce moment la porte s’ébranla, puis elle s’écroula.

— Feu ! cria le Canadien.

Quatre coups de feu retentirent, puis quatre autres encore et huit hommes tombèrent foudroyés. Un seul de la troupe, c’était Roberts, était demeuré debout.

Il ôta son chapeau, et, saluant :

— Tuez-moi, messieurs, je suis le chef.

— Non pas, dit le Canadien, en lui tendant la main.

— Que faites-vous donc, Bernard, fit le Parisien vivement. Vous tendez la main à un traître ?

— C’est un brave ! se contenta de dire le Canadien.

En effet, Roberts qui avait visiblement été un ancien soldat, se tenait fièrement debout et attendait son sort.

Le nègre épaula sa carabine.

— Williams ! s’écria Bernard, baissez votre arme s’il vous plaît, assez de sang comme cela… mais le coup était parti, et Roberts tomba.

— Qu’avez-vous fait ? s’écria de nouveau Bernard, vous tuez un homme sans défense ? C’est mal, et si vous n’étiez mon ami, Williams, je vous dirais que c’est lâche.

— Pas un ne devait sortir vivant de cette bataille. Nous tenons parole, voilà tout, répondit le ponctuel nègre.

— Partons ! partons ! dit le Canadien, tristement… quittons ce lieu…