La Mer élégante/Aveu

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 35-37).
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Aveu


Enfin elle a reçu l’aveu de ma tendresse !
Je ne le voulais pas, mais le charme vous presse
Et le secret d’amour qu’il faut tenir caché
Se débat dans le cœur comme un homme couché
Vivant — dans un cercueil enfoui sous la terre.
J’aurais voulu plutôt me contraindre et me taire
Pour qu’elle pût en paix poursuivre son chemin ;
Mais sans savoir comment, pourquoi, j’ai pris sa main…
Elle l’a laissé prendre avec un doux sourire,
Et, ses yeux attachés sur mes yeux, sans rien dire,
Nous marchions lentement sous le ciel étoilé.


Tout mon cœur frémissait comme un tambour voilé
Dont on arrache enfin le crêpe aux plis funèbres ;
Je l’entendais chanter au milieu des ténèbres ;
Je ne voyais plus rien, je ne savais plus rien
Que ce mot éternel, doux, frêle, aérien :
Je t’aime ! qui volait de ma bouche à la sienne.

Que m’importaient mon spleen et ma tristesse ancienne,
Et ma foi déclinant comme un soleil pâli,
Et mes amours fanés balayés par l’oubli,
Puisque je rencontrais ma chimère et mon rêve,
La vierge au cœur profond que j’évoquais sans trêve
Et que je pressentais déjà dès mes vingt ans
Comme un oiseau pressent les douceurs du printemps !

Ô Faust ! ô Roméo ! vous les amants nocturnes
Qui dans l’ombre leviez vos beaux fronts taciturnes
Illuminés bientôt d’un bonheur surhumain
Lorsque dans vos cheveux s’insinuait la main
De vos vierges d’amour qui tressaillaient de joie ;
Ô Faust ! ô Roméo ! dans le ciel qui flamboye
Tous les astres jaloux semblaient fermer leurs yeux
Comme pour ne pas voir vos deux couples joyeux

Que la nuit indulgente avait pris sous son aile
Se murmurer tout bas la chanson éternelle
Faite d’ardents baisers, de pleurs et de serments
Qui vibrera toujours aux lèvres des amants ;

Ô Faust ! ô Roméo ! qu’un autre vous envie
Car moi j’ai pu goûter une fois dans ma vie
Ces moments de tendresse et de transports fiévreux
Où l’on voudrait mourir — se sentant trop heureux !…
Car un soir comme vous, devant la mer sans voiles,
À l’heure où dans le ciel s’allument les étoiles,
J’ai trouvé l’idéale enfant que je rêvais ;
Et soudain oubliant tout mon passé mauvais
J’ai souri, j’ai chanté, j’ai sanglotté, que sais-je !
En sentant que mon cœur fondait comme une neige
Sous son regard d’amour plus brûlant qu’un baiser ;
Et sans prévoir qu’un jour il pourrait se briser,
J’ai caressé ce rêve où je l’aurais pour femme
Le front couvert d’un voile aussi blanc que son âme !…