BAnQ/Émeutes de Québec de 1918/Témoignage de J. Wilfrid Dion

La bibliothèque libre.
Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage de J. Wilfrid Dion
(p. 1-20).


Témoignage de J. Wilfrid Dion.[1]


J. W. Dion.


J. WILFRID DION, de Québec, représentant The Montreal Abattoirs, étant dûment assermenté sur les Saints Évangiles, dépose ainsi qu’il suit :

Interrogé par le Coroner.


Q. M. Dion, vous avez eu connaissance des évènements de lundi soir, premier avril, n’est-ce-pas ?


R. Oui, Monsieur.


Q. Voulez-vous dire ce qui s’est passé à partir de neuf heures ?


R. À neuf heures, je suis arrivé chez moi. J’ai ôté mon chapeau, et je suis descendu à la porte. Il y avait un rassemblement de monde qui étaient tous curieux de voir passer les soldats, la cavalerie. Je suis traversé chez M. Cantin, et, à la porte de M. Cantin, on s’est assis sur une barre de fer, la barre de la vitrine. On était là comme les autres curieux pour voir ce qui se passait. La cavalerie est montée jusqu’au coin de la rue St Valier et Bagot et elle est retournée vers St Roch, et quelques fois, on a vû des petits enfants, des petit garçons, à peu près dans les dixaines d’années, ramasser des morceaux de glace, quand la cavalerie était revirée et leur garocher ça. La majeure partie du temps, ils les attrapaient pas.


Q. Pas pour les tuer ?


R. Non. Vers dix heures, le temps était un peu xxxxcrû et, j’ai dit à mon ami, M. Cantin : "Je pense que je vais traverser." Je l’ai laissé en compagnie d’un jeune homme qui me disait venir de St-Romuald. Je me suis rendu à la maison. À la maison, je suis monté et me suis mis à mon aise et j’ai ouvert mon châssis, qui donne justement sur le Stand. À un moment donné, j’entends chanter. C’étaient des jeunes gens qui montaient la rue Laviolette et qui arrivaient devant le magasin chez Lajeunesse, en marchant vers tout le monde qui était là, … un coup d’audace, fait peut-être par un écervelé, devant tout le monde, … il prend un glaçon et il casse la vitre de la porte du milieu. Ils n’ont pas cherché à rentrer, rien du tout. Le garçon avait l’air en boisson, soutenu par deux, … un jeune homme assez court, portant une calotte, et il avait une cravate rouge que je pouvais distinguer. Ils sont partis vers la rue St Joseph, tous ensemble. Il n’y a pas eu plus de train que ça. Vers dix heures et quart, j’étais dans mon châssis, voyant monter la foule pas mal pressée, ça courait, beaucoup de monde, ça revenait de St. Roch, venant vers la rue St. Valier et la rue Bagot, en tournant par le Boulevard, de la rue St. Valier. Je me dis en moi-même : « Ça m’a l’air que les soldats sont après vider les rues. » Comme de fait, il était à peu près dix heures et quart dans le temps, … vers dix heures et vingt, les troupes étaient rendues au coin de la rue St Valier. De dix heures et vingt à aller à peu près à onze heures moins vingt, la foule s’est dispersée. On entendait des cris seulement, et puis de temps en temps, des glaçons qui arrivaient. Il y avait peu de police. Il y avait deux hommes de Police dont l’un, j’ai remarqué, dans la personne d’Isidore Caouette, qui ont cherché à disperser la foule, et puis, le travail des policemen se faisait naturellement, par là, comme du monde, ça se faisait admirablement bien, mais les soldats n’avaient pas l’air à être…… ça n’allait pas pour eux autres, ça n’allait pas assez vite. Ça fait que, la lumière électrique de la rue Bagot était allumée dans le temps. Elle s’est éteinte ; donc, la foule s’est trouvée à la noirceur et les soldats se trouvaient à la clarté. Ils ont constaté que la lumière était éteinte. L’Officier en chef avait l’air un peu excité, … ça n’avait pas l’air à aller à son goût.


Q. Qui est-ce qui vous fait dire cela ? A-t-il dit quelque chose ?


R. Sur ses commandements, ça n’avait pas l’air à arriver. Il a voulu téléphoner et il a défoncé la porte du Kiosque, à coups de pieds. Ça n’avait pas l’air à aller à son goût. Il a fait placer un peloton de soldats sur le trottoir de là où je demeure. Il devait y en avoir, à peu près, douze ou quinze ensemble. Là, ils ont commencé encore à crier à la foule : « Go Back ». Ça, c’étaient les Officiers. Les soldats ne disaient pas un mot dans le temps ; c’étaient les officiers qui criaient : « Go Back. » À un moment donné, il leur a donné l’ordre de tirer. La première décharge qu’ils ont donnée,…


Q. Un instant,… Avez vous eu connaissance, avant de donner l’ordre de tirer, si quelqu’un, un Officier ou un militaire quelconque, a lu un papier à haute voix ?


R. Rien du tout.


Q. Il n’a pas lu un papier ?


R. Rien du tout. Parmi eux, il y avait trois officiers qui paraissaient parler Anglais et, il y en a un qui parlais très-bon Français, un jeune homme, c’est-à-dire, un homme assez court, habillé en militaire,… il avait un capot avec une ceinture,… les autres portaient des capots en drap.


Mtre. Lavergne. — Est-ce qu’il y a eu un coup de feu de tiré ?


R. Il n’y en avait pas eu encore du côté de la foule. Après, il en est venu du côté de la foule, mais il n’y avait pas encore eu un coup de feu de tiré lorsqu’ils ont tiré, lorsqu’il a donné le commandement de tirer,… seulement que des glaçons qu’on garochait. Après le coup, nous avons entendu une plainte extraordinaire d’un homme : « Heu, Heu, Heu. » Ça fait que moi, j’étais dans mon châssis, mon châssis était ouvert, et puis je les voyais comme il faut en bas, lorsque l’Officier en charge a fait placer une autre gang de soldats. Dans l’intervalle, ce coin-là se trouvait à la noirceur. Il y a une lumière qui s’est allumée. On a entendu les soldats dire: « There is a light. » et là, l’Officier a donné un autre ordre de tirer et ils ont tiré tous ensemble dans la direction droite du trottoir, directe.


Q. Vers la rue Bagot ?


R. Vers la rue Bagot, juste en ligne droite, de même ; et puis, pour quelques moments, les Officiers, c’est-à-dire, les deux Officiers, non pas celui qui était en charge, — ont fait placer un soldat, ils l’ont fait coucher dans un puisard, — c’est-à-dire, il avait une bonne place, il y avait un trou de percé pour ragrandir le puisard, et ils l’ont fait coucher dedans, — ils l’ont fait coucher, c’est-à-dire, à plein ventre, par terre, — ils ont donné le commandement, … d’autres, qu’ils ont fait cacher derrière le poteau chez Jos. Côté. Dans le même intervalle, il a fait placer d’autres soldats en différents piquets. Là, il arrivait des glaçons du côté de la rue St Valier. Là, il a redonné ordre de décharger les carabines dans la direction de la rue St Valier, dans la direction de chez le Docteur Gosselin, et de chez Bertrand. Ils étaient eux-mêmes au coin, ils étaient ici de même.


Q. Est-ce qu’il y avait beaucoup de monde là ?


R. Non, je ne voyais personne. Et puis, dans l’intervalle, il y a un Officier qui est arrivé, il a dit : « I will fix the machine gun, we will do better work. » Ils ont placé le machine-gun dans le détour où les chars électriques dévirent. Il y a une plaque en fer, … c’est à peu près la place qu’ils ont placé la machine-gun.


Q. Montrez donc sur le plan ?


R. Ils ont placé le machine-gun ici. L’Officier en charge, ce n’est pas lui qui a mis le machine-gun en mouvement, c’est un autre Officier, après avoir eu le commandement. La première décharge du machine-gun a été dans la direction de la rue Laviolette. La deuxième décharge du machine-gun a été faite à gauche, du côté de chez Lajeunesse, après avoir mouvé leur machine-gun de dix à douze pieds.

Le Major Barclay : — Marquez cela sur le plan ?


R. Ici, — ça, c’est le magasin de Lajeunesse.


Le Major Barclay : — Il y a un mur de brique là ?


R. Non, le mur de brique est ici. La première place qu’ils ont mis le machine-gun, c’est ici. Ensuite, ils ont avancé là après le premier coup de machine-gun. Je n’ai pas pu constater où ils avaient tiré la troisième décharge parce que on m’a appelé au téléphone. — Madame Gosselin m’a appelé au téléphone. Elle a dit : « On demande le Docteur pour aller aux malades, aux blessés, et il ne peut pas sortir. Il y a un blessé qui le demande le Docteur, et il ne peut pas sortir : ils tirent sur la maison, les vitres de la porte sont cassées, c’est xxxxxx impossible pour lui de pouvoir sortir … penses-tu qu’on est dans un état de siège. »


Q. Vous avez dit que la première décharge était où ?


R. Le premier coup de mitrailleuse était à peu près dans la courbe des chars électriques. Ils ont tiré dans la direction de la rue Laviolette. Ensuite, ils ont commencé de douze ou treize pieds et ils ont tiré dans la direction de M. Johnny LaRoche, et chez Lajeunesse. La troisième décharge, je n’étais pas là, j’étais au téléphone, — le téléphone a sonné.


Q. Comme ça, d’après vous, il y a eu trois décharges de machine-gun ?


R. Oui, et en volley, … qu’il appelle la volée, plusieurs ensemble, à ma connaissance, il y en a eu quatre fois qu’ils ont tiré presque en volley, ensemble, et par le peu que j’ai pu constater, la volley avait pris la direction chez le Docteur Gosselin, — et, quand il a donné son ordre, les soldats étaient dispersés, je pense pour exempter la tête de celui qui était en avant, — ils était obligés de se tasser du long.


Q. Êtes-vous capable de dire à quelle heure a fini la fusillade ?


R. Au moins, de chez nous, c’est-à-dire, au coin de la rue St. Valier et la rue Bagot, cela a fini, à peu près, vers onze heures et dix, onze heures et quart, — ils se sont en allés en arrière.


Q. Ils se sont transportés plus loin ?


R. Oui.


Q. Avez vous entendu des conversations sur le trottoir, entre eux autres, entre soldats ?


R. Des conversations très-sales, que je ne me permettrai pas de répéter ici.


Q. À l’adresse de qui ?


R. À l’adresse des Canadiens-Français.


Q. Répétez-les ?


Le Major Barclay : — Je ne sais pas si c’est nécessaire de dire toutes ces saletés qui ont été dites dans la rue ce soir-là. Je pourrais dire tout ce qu’on a dit contre les soldats.


Le Coroner : — Vous pourrez le faire, si vous en avez ?


R. Après le deuxième coup tiré, dans la direction de la Rue Bagot, il a été dit, non pas par la masse des soldats, mais il y en a quelques uns qui l’ont dit, des soldats : « Come on, you French sons of bitches, we’ll trim you. »


Q. Dans ce temps là, il n’y en avait pas beaucoup ?


R. Non, ils étaient pas mal dispersés. Ils disaient : Go back, you French cock-suckers, and go back you French cunt-lickers.


Le Major Barclay. — Si cela continue, au nom du Gouvernement Fédéral, je vas me retirer d’ici.


Le Coroner. — Comme vous voudrez, Major Barclay.


Le Major Barclay. — Voulez vous m’expliquer, M. le Coroner comment toutes ces saletés qui ont été dites par des individus sur la rue concernent la cause des quatre morts ? Je ne sais pas si c’est pour faire monter les gens ?


Le Coroner. — On rapporte quelques unes des injures lancées à l’adresse de la population pour démontrer quels étaient les sentiments de ces gens là.


Le Major Barclay. — C’est vous qui êtes en charge de cette enquête. Vous en avez la responsabilité — et ce sera dans mon rapport aussi.


Le Coroner. — Continuez ?


R. Ensuite de ça, naturellement, j’ai fermé mon châssis, lorsqu’ils m’ont dit de me retirer, et j’ai été me mettre dans le châssis du Bay-window et je me suis aperçu que la bataille se faisait en arrière, en gagnant la rue Sauvageau, dans la rue Bagot, en gagnant la rue Sauvageau.


Q. Les derniers coups de fusil, quand les avez-vous entendus ?


R. C’était vers onze heures et demie, ou minuit moins quart, à peu près.


Q. Vous avez dit tout à l’heure, que les civils avaient tiré du revolver. Avez vous entendu des coups de revolver ?


R. Oui, Monsieur.


Q. À quel moment ?


R. Justement au moment qu’ils ont mis la mitrailleuse. Il y avait un type qui avait l’air à tirer du revolver dans la direction,… ça avait l’air de venir dans la direction de la rue Laviolette, et les soldats avaient l’air à être bien en maudit de ne pas pouvoir les localiser. C’est là-dessus qu’ils ont mis la mitrailleuse, pour tirer dans cette direction-là.


Q. Avez vous vû un homme qui se tenait au coin de la rue Laviolette et qui essayait de tirer du revolver ?


R. Non.


Q. Vous ne l’avez pas vû, — mais vous avez vû des coups de feu venir de là ?


R. Bien,…


Q. Est-ce avant qu’on tire sur eux autres ?


R. C’est après.


Q. Est-ce que la foule était dispersée ?


R. La foule était dispersée et il y avait trois volleys de données dans le temps.


M. Lesage : … Me permettez-vous une question ? Est-ce que vous ne croyez pas qu’il serait préférable de rayer de la minute de l’enquête, ce que les militaires et les civils ont pu dire. Je demanderai aussi à La Presse de ne pas répéter cela. Je crois qu’on peut s’exempter, enfin……


Le Coroner : — Je pense que la presse sera assez sage pour ne pas mettre ces choses-là. Si M. Barclay n’a pas d’objection, je vais le faire rayer.


Major Barclay : — Je n’ai pas d’objection, … j’ai fait objection à ce que ça soit dit.


MTRE. F. O. DROUIN : — Je pense que les paroles du jury sont très sages.


MTRE. Lavergne : — Il n’y a eu de prouvé jusque ici, que les paroles des soldats. On peut prouver les paroles de la foule, s’il y en a eu. M. Barclay a le droit d’interroger les témoins là-dessus. Je crois qu’il est très-important de connaître l’animus de ces gens-là.


xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx


Le Major Barclay : — Il n’y a rien que Monsieur Lavergne …


Mtre. Lavergne : — S’il n’y a rien que moi, je m’y objecte. Dans cette enquête, je représente la famille des victimes. Il est important de savoir qui les a tués et pourquoi ils ont été tués, et quelles étaient les intentions de ceux qui les ont tués, et à quoi ils pensaient. Je comprends que, dans la presse, cela n’est pas nécessaire que ça soit répété. Je suis sûr que la presse sera assez sage pour ne pas le faire. Mais je ne crois pas qu’on doive rayer cette partie du témoignage.


Le Coroner. — Quand j’ai posé la question, je ne savais pas quels étaient les termes qui avaient été employés ? J’ai posé la question au témoin, parce que, on a dit, auparavant, qu’il avait été dit des choses, propres à insulter les citoyens qu’il y avait là, — les émeutiers, si vous voulez, … à provoquer leur irritation. Je présume que, ce qu’on a dit ici, ce n’était pas dans le but de faire de la sensation, ni autre chose. C’est pourquoi, à la demande de Messieurs les Jurés, je suit prêt à consentir à ce que cette partie du témoignage soit retirée.


MTRE. F. O. Drouin : — Je pense que M. Dion lui-même désirerait la retirer.


R. Je ne désire pas la retirer.


Mtre. Lavergne : — Des paroles comme celles-là sont de nature à provoquer ou à prolonger l’émeute ? Il y avait des Officiers qui étaient là et ils étaient responsables. Je demande à ce que ces paroles-là restent, et quand même je serai seul à le demander, …


Mtre. F. Gosselin : — Il n’est pas seul, d’ailleurs, — je seconde M. Lavergne.


Le Coroner. — Je demanderai comme faveur aux journaux, de ne pas répéter ces choses-là.


Mtre. Lavergne. — Il y a trois ans que cela s’écrit dans les journaux d’Ontario.

Interrogé par le Major Barclay :


Q. Voulez vous m’indiquer s’il vous plaît, M. Dion, sur le plan, où se trouve votre maison ?


R. Ici, au coin de la rue Bagot et St. Valier.


Q. Faites donc une marque, là où vous étiez ?


R. Justement là.


Q. C’est à une fenêtre que vous étiez ?


R. Oui.


Q. Alors, de là, est-ce que vous pouviez constater où était placée la mitrailleuse ?


R. Oui, Monsieur.


Q. En dépit du fait que c’est autour du coin ?


R. Oui, c’est autour du coin, mais c’est-à-dire que, la mitrailleuse était ici, et si vous remarquez, la rue s’en vient de biais et on peut certainement très-bien voir l’entrée de la rue St. Joseph, de mon châssis.


Q. Vous avez dit d’abord que, vous étiez dans une autre fenêtre ?


R. Je me trouvais en face de la rue St Valier et de la rue Bagot.


Q. Quand est-ce que l’on vous a dit de vous retirer et de fermer votre fenêtre ?


R. Après avoir tiré la première fois, la mitrailleuse.


Q. Alors, la deuxième fois, vous étiez dans la fenêtre fermée ?


R. J’étais à la même place, mais la fenêtre était fermée.


Q. Vous avez vû tout ce qui s’est passé ?


R. Oui.


Q. Comment les choses étaient placées ?


R. Oui.


Q. Et qui est-ce qui l’a placée ?


R. Ça, je ne puis pas dire qui est-ce qui l’a placée.


Q. Vous l’avez juré tantôt ?


R. Je ne peux pas dire qui est-ce qui l’a placée.


Q. Vous mettez vos quatre Officiers, tels qu’ils étaient ce soir-là ?


R. (indiquant sur le plan). Je vais les placer, tels qu’ils étaient. Je ne connais pas leur noms.


Q. Vous dites qu’ils ont tiré dans la rue St. Valier, vers la direction de la rue Laviolette ?


R. Oui, avec la mitrailleuse.


Q. Y a-t-il eu des personnes de blessées, dans cette rue-là ?


R. Je ne connais pas. Je ne me suis pas transporté hors de chez moi pour voir si quelqu’un était tombé.


Q. Pendant combien de temps est-ce que M. Cantin a été avec vous ?


R. Monsieur Cantin était là avant, beaucoup avant ça.


Q. Seulement pour l’affaire de la fenêtre cassée ?


R. Non, il n’était pas avec moi, j’étais chez moi.


Q. Quand la fenêtre a été cassée ?


R. J’étais chez moi, je n’étais pas avec Cantin. Monsieur Cantin était dans sa maison.


Q. Alors, vous ne savez pas s’il peut corroborer ce que vous avez dit à propos de cela ?


R. Je ne connais pas.


Q. Lui non plus ne sait pas ce que vous pouvez dire ?


R. Non.


Q. Avez vous discuté cela ensemble ?


R. Non.


Q. C’est vous qui l’avez amené ici ?


R. Non.


Q. Et vous, qui vous a amené ici ?


R. Moi, c’est le Coroner.


Q. Êtes-vous prêt à jurer que vous n’avez pas entendu des coups de revolver, tirés sur les soldats, avant que les soldats aient commencé à tirer ?


R. Oui, Monsieur.


Q. Vous n’avez pas entendu, pendant que vous étiez dans votre maison ?


R. Oui.


Q. La fenêtre était ouverte ?


R. Oui.


Q. Vous n’avez rien entendu avant que les soldats aient commencé à tirer ?


R. Non.


Q. Vous avez bien écouté ?


R. Oui.


Q. Et, s’il y a vingt hommes de police de Québec qui viennent dire qu’il y a eu, au moins, trente coups de tirés sur les soldats ?


R. Peut-être que c’était dans d’autre direction, mais pas au coin de chez nous.


Q. Je parle de votre coin ?


R. Pas au coin de chez nous.


Q. Vous n’avez rien entendu ?


R. Non.


Q. Vous avez entendu seulement ce qu’il y a de mauvais contre les soldats ?


R. Je vous dis tel que c’est arrivé. Lorsque la cavalerie a reviré devant chez nous …


Q. Je ne vous parle pas de la cavalerie, je vous parle maintenant de la fusillade ?


R. Je ne pouvais pas rien entendre de la foule, la foule était dispersée.


Q. Il y avait de la brume, n’est-ce pas, ce soir-là ?


R. Oui, Monsieur.


Q. La foule était dispersée, où ?


R. …


Q. À combien de distance avez vous pu voir ?


R. La distance que j’ai pu voir, … on pouvait voir de chez moi, la dernière vitrine de chez M. Drolet.


Q. Est-ce que la vitrine était illuminée ?


R. Non. — Il y a des poteaux d’ornementation du long.


Q. Ça fait combien de pieds ?


R. Il peut y avoir, à peu près, soixante-quinze pieds.


Q. Ce que vous voulez dire, quand vous dites que la foule était dispersée, vous voulez dire dans cette distance-là ?


R. Dans la distance du coin chez moi à soixante-quinze pieds.


Q. Où se trouvaient les soldats ?


R. Oui.


Q. Vous voulez dire par là, que là où vous avez vû les soldats, il n’y avait pas de foule ?


R. Non.


Q. Mais, plus loin que les soldats, vous ne savez pas ? Si à soixante-quinze pieds peut-être, des soldats, il n’y avait pas de foule ?


R. Il aurait pu y avoir mille personnes plus loin, je ne le sais pas.


Le Coroner. — Vous n’avez pas eu connaissance lorsque Bergeron a été tué ?


R. Non.


Interrogé par Mtre. Lavergne :-


Q. À quelle heure étiez vous à votre fenêtre ?


R. À dix heures.


Q. Vous avez vû arriver la foule ?


R. Oui.


Q. Et ensuite, les troupes ?


R. Oui.


Q. La foule s’est dispersée ?


R. Oui.


Q. Et les troupes sont restées au coin de chez vous ?


R. Oui.


Q. Un peloton, de combien d’hommes ?


R. Ils étaient soixante-quinze ou quatre-vingts, environ.


Q. Combien d’Officiers ?


R. Quatre.


Q. Maintenant, à quelle heure ont-ils tiré ?


R. La fusillade a commencé vers onze heures et vingt, à peu près.


Q. Jurez-vous, M. Dion, — et c’est très important, vous comprenez, … que l’Acte d’Émeute n’a pas été lu ?


R. Je le jure.


Q. Au coin de chez vous ?


R. Je jure qu’il n’a pas été lu, à ma connaissance.


Q. Vous êtes resté à votre fenêtre tout le temps ?


R. Oui.


Q. Vous n’avez pas entendu un Officier parler de le lire ?


R. Non.


Q. Jurez vous que personne n’a récité l’Acte d’Émeute, sans le lire ?


R. Les soldats ne disaient pas un seul mot au commencement, lorsqu’ils sont arrivés au coin.


Q. J’ai vû que vous compreniez l’Anglais, … vous parlez le Français, principalement, — alors, vous dites qu’il n’a été lu en aucune langue ?


R. Pour moi, non, je ne l’ai pas entendu.


Q. Maintenant, reconnaîtriez-vous l’Officier qui a commandé le feu ?


R. Je l’ai reconnu hier, — c’est-à-dire, que je l’ai reconnu, non pas par sa figure mais, par son allure et ses cheveux. J’avais remarqué ses cheveux parce que, lorsqu’il a donné un coup de pieds dans la porte du Kiosque, sa calotte est tombée à terre. Il y avait de la glace, le pied gauche lui est parti, et sa calotte est partie.


Q. C’est l’Officier qui a rendu témoignage ici hier matin ?


R. Oui.


Q. Vous êtes sûr de cela ?


R. Oui, Monsieur, — c’est-à-dire, avant-hier matin. Ils l’ont nommé Rodgers. Je ne le connaissais pas.


Q. Vous êtes sûr que c’est lui qui a commandé le feu ?


R. Oui.


Q. Est-ce lui qui a posé la mitrailleuse ?


R. Non.


Q. Maintenant, voulez-vous dire, M. Dion, comment le feu, — a été commandé ? — est-ce un feu de salve ou un feu de peloton ou, si on tirait séparément ?


R. Le premier coup a été tiré à douze ou quinze ensemble.


Q. Sur un commandement ?


R. Sur un commandement.


Q. Avez vous entendu le commandement ?


R. Oui.


Q. Quel était le commandement ?


R. « FIRE ».


Q. Ça, c’était la première salve ?


R. Oui.


Q. Le Coroner. — Qui est-ce qui l’a commandée ?


R. Ah ça, je ne peux pas dire, quelle voix, de qui ça venait, je ne peux pas dire.


Q. La deuxième fois, état-ce un feu de salve, comme ça, sur commandement ?


R. Exactement.


Q. C’était sur l’extinction de la lumière, le deuxième coup ?


R. Lorsque la lumière s’est allumée, oui Monsieur.


Q. Comment étaient les hommes, étaient-ils debout ou à genoux ou couchés ?


R. Le premier coup et le deuxième coup, ils étaient debout. Le troisième coup, ça s’est tiré : un à genoux, l’autre à plein ventre, l’autre couché dans le puisard.


Q. Ils avaient été disposés comme ça par les Officiers ?


R. Oui.


Q. Était-ce encore un feu de salve ?


R. …


Q. Ils ne tiraient pas tous ensemble ?


R. Non. J’ai remarqué qu’il y en avait un, — il y avait quelques soldats qui parlaient Français, — parce que, l’Officier qui parlait Français,… il y a un soldat qui a échappé une cartouche, en chargeant son fusil, faut croire, et il lui a dit : « Ramasse-là, parce que on a pas beaucoup de munitions. »


Q. Ont-ils chargé leur fusils en arrivant chez vous ?


R. Oui, Monsieur, — c’est-à-dire, je ne sais pas s’ils les ont chargés, — je sais qu’ils ont fait un mouvement.


Q. Longtemps avant de tirer ?


R. À peu près trois à quatre minutes.


Q. Dans quelle direction ont-ils tiré les trois coups ?


R. Dans la direction droite, vers la rue Bagot.


Q. Après cela, on a mis la mitrailleuse ?


R. Oui, après la troisième fois.


Q. Et, vous jurez que la mitrailleuse a tiré trois fois ?


R. Elle a tiré deux fois, à ma connaissance, et la troisième fois, je l’ai entendu tirer, lorsque j’étais au téléphone.


Q. xxxxxxMais, vous avez entendu cela, — vous connaissez la différence, — était-ce exactement la même chose que les deux autres coups, — vous connaissez le crépitement de la mitrailleuse ?


R. C’était la première fois que j’entendais tirer une mitrailleuse, c’était bien remarquable.


Q. Par le crépitement que vous avez entendu, pendant que vous étiez au téléphone, est-ce que c’était la même chose que les deux premiers coups ?


R. Oui.


Q. Pouvez-vous dire pendant combien de temps ils ont tiré la première fois ?


R. Pour moi, c’était tellement effrayant, que je n’ai pas pensé à compter les secondes.


Q. La deuxième fois, ont-ils tiré plus longtemps ?


R. Un petit peu plus longtemps. La décharge de la deuxième a été un petit peu plus longue que la première.


Q. Et la troisième fois ?


R. Comme je vous dis, j’ai entendu le coup, dans le temps, j’étais dans le passage à téléphoner.


Q. Est-ce que vous pouviez voir très-bien la mitrailleuse ?


R. Très bien.


Q. Savez vous à quel angle elle a été posée ?


R. …


Q. C’est posé sur un trépied, n’est-ce pas ?


R. Oui.


Q. Savez vous si le trépied était haut ou bas ?


R. La première fois, le trépied était un peu … c’est-à-dire plus bas que la deuxième fois, parce qu’ils l’ont réhaussé.


Q. Ont-ils haussé le canon ?


R. Ça, je n’ai pas vû. J’ai vû qu’ils avaient tiré dans la direction contraire, à gauche et à droite.


Q. Pouvez-vous dire si, en tirant, ils ont fait agir la mitrailleuse en arrosoir, en éventail, ou si elle est restée fixe ?


R. Elle est restée fixe, c’est-à-dire, qu’il y a un coup, le premier coup, lorsqu’ils l’ont fait fonctionner, le premier coup, je ne sais pas s’il y a eu quelque chose de défectueux, mais ils ne l’ont pas fait runner jusqu’au bout. Elle a arrêté immédiatement.


Q. La deuxième fois, l’ont-ils lassé aller jusqu’au bout ?


R. Non, pas la deuxième fois non plus.


Q. Et, la troisième fois ?


R. Je ne sais pas.


Q. Après cela, il y a eu une nouvelle salve de mousqueterie ?


R. Oui.


Q. Une quatrième ?


R. Oui.


Q. Était-ce près de chez vous ?


R. Non, c’était lorsque ils sont allés en arrière.


Q. Après ça, avez-vous entendu d’autres coups de fusil ?


R. Oui, de temps en temps.


Q. Des détonations ?


R. Oui.


Q. Avez vous entendu d’autres coups de mitrailleuse ?


R. Non.

INTERROGÉ par Mtre. F. O. Drouin :-


Q. Vous ne connaissez rien de ce qui s’est passé avant ça ?


R. Rien.


Q. Jeudi, vous ne connaissez rien ?


R. Jeudi, j’étais allé à la retraite chez les Jésuites.


Et le témoin ne dit rien de plus.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.