BAnQ/Émeutes de Québec de 1918/Témoignage de Xavier Blouin, constable de la Police municipale

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Témoignage de Xavier Blouin, constable de la Police municipale[1]


XAVIER BLOUIN.


XAVIER BLOUIN, de la Cité de Québec, constable de la Police Municipale, âgé de vingt quatre ans, étant dûment assermenté sur les Saints Évangiles dépose ainsi qu’il suit.


INTERROGÉ par le Major Barclay.

Q. Constable, quand est-ce que vous êtes allé sur les rues de Québec, d’abord le soir de lundi — vers quelle heure ?

R. Dix heures et demi. J’étais sur la rue, c’est-à-dire que j’étais en devoir de police depuis neuf heures. J’étais allé sur la rue d’abord en devoir pour la paix depuis neuf heures. Je suis rentré à la station à dix heures et demi.

Q. Quelle station ?

R. No. 9 de la rue Franklin.

Q. Alors à dix heures et demi où vous trouviez-vous ?

R. Je me trouvais à remonter sur la rue St.-Valier.

Q. Voulez-vous l’indiquer s’il vous plaît sur le plan ?

R. J’ai arrivé par la rue Bagot et j’ai descendu jusqu’à la rue St.-Joseph.

Q. Où était la foule à ce moment là ?

R. Lorsque je suis arrivé la foule était encore sur la rue St.-Joseph et sur la rue St.-Valier. J’ai redescend la rue St.-Joseph et on a refoulé la foule.

Q. Il y avait à peu près combien de personnes ?

R. Ils pouvaient être trois à quatre cents personnes.

Q. Composé de…

R. De jeunes gens et d’hommes.

Q. Il y avait des hommes âgés ?

R. Oui.

Q. Qu’est-ce que faisait la foule ?

R. Le temps que je suis arrivé les soldats n’étaient pas encore arrivés.

Q. Qu’est-ce que faisait la foule ?

R. Ils s’amusaient à ramasser des morceaux de glace pour tirer sur les soldats je suppose. Il y en a un qui a ramassé une poignée de boue dans la rue sur la glace et il me l’a tirée. J’ai dit : Toi tu fais mieux de t’en aller chez-vous te coucher. Si je mets la main sur toi je vas te mettre à la bonne place. Il est rentré au Club National. Là j’ai vu les soldats apparaître au Boulevard. J’ai dit : Reculez pour l’amour du bon Dieu, les soldats s’en viennent vous allez voir ce qui va vous arriver. Ils ont dit : C’est pas des balles qui piquent c’est des cartouches blances ça ne nous attrapera pas. Si on est tué, c’est bon. Ils continuèrent toujours à reculer sur la rue St.-Valier.

Q. Combien étiez-vous d’hommes dans ce temps là ?

R. On était six hommes. On les a reculés comme ça jusqu’à chez M. Gagnon à peu près le pharmacien, et là on n’étaient plus capables de les reculer, On n’étaient pas assez d’hommes de police pour les reculer. Ça fait que les soldats sont arrivés et ils se sont mis en fall in par le magasin de M. Julien et ils ont traversé la rue St.-Valier, et ils ont traversé la rue St.-Joseph à aller jusqu’au magasin de M. Cantin, le marchand de meubles, en fall in toute la largeur de la rue. Les soldats sont arrêtés là et ils criaient aux civiliens : Go home.

Q. Qu’est-ce qu’ils faisaient les civils ?

R. Ils restaient dans la rue et ils criaient : Va chez le diable tu n’es pas capable de nous envoyer.

Q. Est-ce que vous avez vu faire dans la foule une distribution de revolvers ?

R. Oui Monsieur.

Q. Quand ça ?

R. Il était à peu près dans ce temps là vers onze heures moins vingt cinq ou onze heures moins vingt, entre ces heures là.

Q. Alors voulez-vous dire qui a tiré le premier coup — est-ce que ce sont les civils ou les soldats ?

R. C’est le civils.

Q. Ce sont les civils qui ont commencé le feu ?

R. Oui.

Q. Combien de coups avez-vous entendu tirer sur les soldats avant qu’ils commencent à tirer ?

R. Plusieurs coups.

Q. Combien ?

R. Je ne peux pas dire combien.

Q. Est-ce cinq coups ou dix ou cinquante ou deux cents ? qu’il y a eu de tirer ?

R. Il s’en est tiré entre vingt cinq à cinquante.

Q. Sur les soldats ?

R. Oui Monsieur.

Le Coroner. — Y en a t-il plusieurs qui ont été blessés ?

R. J’ai vu un soldat tomber à la première décharge d’un civil.

Q. De quelle direction venaient les coups de revolvers ?

R. Depuis la rue St.-Valier, au coin de la rue Laviolette on a vu un garçon accotté au coin chez Drolet, il se cachait et il tirait.

Le coroner. — Vous n’avez pas essayé à l’arrêter ?

R. Je suis parti. — J’ai vu mon confrère M. Caouette partir, il s’est avancé jusque dans le milieu de la rue. Dans le temps que M. Caouette est parti pour l’arrêter, je suis parti pour lui donner du secours et il avait trop de balles qui passaient, on se seraient fait estropier nous autres mêmes.

Q. Les balles venaient d’où ?

R. De la foule — on voyait des bras levés…

Q. Vous voyiez des bras levés et tirer ?

R. Oui, les petits garçons ramassaient de la glace, des morceaux de brique et ils garochaient ça quand même qu’ils n’étaient pas armés.

Le Coroner. — Tous ceux qui avaient les bras levés comme ça était-ce des revolvers qu’ils tiraient ou si c’était des glaçons ?

R. Des glaçons.

Q. Alors d’après vous la vi des soldats était en danger à ce moment là ?

R. Oui Monsieur.

Q. Et tout ça c’est passé avant qu’ils aient tiré ?

R. Oui Monsieur.

Q. Est-ce que quand on a commencé à tirer, est-ce que les officiers ont donné des ordres aux citoyens, aux civils ?

R. Oui Monsieur. — Nous autres premièrement on leur a donné ordre de s’en aller chez eux, et ils se sont mis à crier après les soldats qu’ils n’avaient pas de bonnes cartouches.

Q. Est-ce vous qui avez été menacé de mort et qui avez été obligé de les prier de vous laisser aller — on a mentionné que quelqu’un avait été forcé de se mettre à genoux et de plaider pour sa vie ?

R. Ce n’est pas moi.

Mtre. F. C. Droulh. Vous n’avez pas entendu dire qu’un constable avait été menacé de mort s’il tentait de les arrêter ?

R. Je ne les ai pas entendu dire.


Interrogé par le Coroner.

Q. Vous avez dit qu’il y avait eu une distribution de revolvers. Était-ce dans la foule ?

R. Oui.

Q. Voulez-vous dire aux Jurés, M. Blouin, s’il a été distribué à votre connaissance plusieurs revolvers dans la foule — et savez-vous par qui cela a été fait ?

R. Bien je ne peux que dire les noms de ceux qui l’ont fait, qui ont distribué des coups de revolvers.

Q. Étaient-ils plusieurs qui distribuaient, non pas des coups, mais des revolvers ?

R. Non, je n’ai pas vu distribuer des revolvers.

Q. Vous avez dit à M. Barclay que vous aviez vu distribuer des revolvers ?

R. J’ai dit qu’on avait distribué des coups de revolvers, c’est ce que j’entends.

Q. Par conséquent quand vous avez répondu ça vous n’aviez pas compris M. Barclay ?

R. Je n’avais pas compris.

Q. Ce que vous avez voulu dire qu’il y avait eu une distribution de coups de revolver, c’est-à-dire qu’il y avait des gens qui tiraient du revolver ?

R. Oui.

Q. Si je comprends bien vous avez dit qu’il y avait vingt cinq ou cinquante coups que vous aviez entendus et que vous n’avez vu qu’un homme qui avait été blessé par un coup de revolver.

R. Oui.

Q. Un seul ?

R. Oui.

Q. Personne ne vous a menacé de mort vous non plus ?

R. Non.

Q. Parmi les civils ?

R. Non.

Q. Quand vous avez commencé à maintenir la foule vous étiez rien que trois hommes ?

R. D’abord on était trois hommes.

Q. Ensuite trois hommes sont venus à votre rescousse et vous étiez six hommes ?

R. Trois du poste No 8 et trois du poste No 9 oui. Vous n’aviez pas de chef qui vous commandait, ce que vous faisiez vous le faisiez seul ?

R. Oui.

Q. Vous avez réussi, à six hommes à maintenir la foule en partant de la rue St.-Joseph et à la conduire sur la rue St.-Valier jusqu’à la rue de Laviolette ?

R. Oui.

Q. Et à la maintenir là ?

R. Oui.

Q. Jusqu’au moment où les militaires sont apparus. Alors ils sont devenus plus excitables et vous ne pouviez plus les controler ?

R. Il n’y avait plus moyen.

Q. Maintenant vous ont-ils fait des menaces de tirer sur vous autres ?

R. Non.

Q. Ont-ils essayé à vous faire mal ?

R. Non, il y en a qui ont dit : La police, on ne leur en veut pas, laissons la police et poignons les soldats.


INTERROGÉ par Mtre. Lavergne.

Q. Quelle heure était-il lorsque les soldats ont commencé à tirer ?

R. Il était entre moins quart et moins vingt.

Q. Avez-vous entendu l’officier parler à la foule ?

R. Tous les officiers ont parlé.

Q. Avez-vous entendu lire un document ?

R. Je ne me rappelle pas de ça, je n’ai pas vu ça.

Q. Avez-vous entendu un officier lire un document en français en anglais disant à la foule de se disperser et finissant par les mots : Dieu sauve le Roi ?

R. Non.

Q. Si cela avait été fait vous vous en rappelleriez ?

R. Bien… cela a pu être fait et que je ne l’aie pas entendu.

Q. Vous avez été là tout le temps ?

R. Oui j’ai été là tout le temps.

Q. Vous n’avez pas vu un officier se lever dans la foule et lire un document ?

R. Non.

Q. Ou faire un discours à la foule en disant de se disperser au nom de la loi du Roi ?

R. Non.

Q. Vous jurez que vous ne l’avez pas entendu ?

R. Je jure ça.

Q. Et vous avez été là tout le temps ?

R. Oui.

Q. Jusqu’au moment où ils sont venus vous chercher en disant : Venez-vous en, on va tirer sur la foule ?

R. Oui.


INTERROGÉ par Mtre. F. C. Dro in.

Q. Vous n’avez remarqué personne qui composait cette foule là ?

R. J’en ai vu quelques uns que je connaissais dans le temps mais on était tellement surmontés qu’on n’était pas… qu’on ne sait pas où les placer.

Q. Vous ne pouvez pas vous rappeler de leurs noms ?

R. Non.

Q. C’était des gens de Québec ?

R. Si j’en voyais, je le dirais.

Q. Vous rencontrez ça souvent sur la rue n’est-ce pas ?

R. Je ne sais pas leurs noms.


INTERROGÉ par M. Picher.

Q. Vous avez dit que vous aviez entendu vingt cinq à cinquante coups de revolvers qui venaient de la foule ?

R. Oui.

Q. Pouvez-vous dire si ces coups là étaient tirés à balle ou si c’était rien que des cartouches blanches ?

R. Je ne peux pas dire.

Q. Avez-vous entendu siffler les balles ?

R. Non.

Q. Avez-vous vu le lendemain des gens qui faisaient des recherches et avez-vous constaté des balles de revolver dans la direction où vous étiez ?

R. …

Q. Avez-vous constaté si par ces balles il y avait eu des vitres de cassées ?

R. Non.

Q. Alors d’après vous c’était probable que c’était des cartouches blanches ?

R. Ça je ne peux pas dire ça.


INTERROGÉ par Mtre. F. C. Drouin.

Q. Vous dites que c’est tout probable qu’ils ont tiré à blanc ?

R. …

M. Picher. Il y a une grande différence si on tire à balles ou avec des cartouches blanches. Ça fait toute la différence du monde.

R. Si j’avais été dans le fond des revolvers j’aurais vu si c’était des balles blanche ou non. Il n’y a eu aucune mortalité, de sorte que je ne sais pas.

Q. Vous dites que vous avez vu un soldat tomber ?

R. Oui.

Q. Avez-vous pu constater que ce soldat avait été frappé par une balle de la part des citoyens, des civils ?

R. Non je n’ai pas constaté ça.

Q. Vous n’avez constater si ce n’était pas un accident par un de ses voisins ?

R. Non, dans le temps que le soldat est tombé, les soldats n’avaient pas encore tiré.


INTERROGÉ par le Major Barclay.

Q. Vous ne savez pas combien il y a de soldats qui ont été blessés ?

R. Non, Monsieur.

Q. Les soldats ont été transportés à l’hôpital et ils sont encore là, les soldats blessés par la foule — vous n’en avez pas eu connaissance ?

R. Le docteur St.-Amand ce soir-là a été demandé pour aller secourir M. Fortin au No 883 rue St.-Valier, il était blessé à travers du bras. Il lui a demandé : Dr St.-Amand, combien avez-vous eu de blessés. Il a dit qu’il y en avait dix.

Le Coroner. Pas par des balles ?

R. il m’a dit qu’il y en avait dix. Il ne m’a pas dit par quoi.

Mtre. Lavergne. — Je suggererais qu’on mette un rapport officiel des pertes des soldats.

Le Coroner. — C’est mon intention de le demander.

M. Picher. Maintenant constable vous avez dit qu’il y avait neuf ou dix blessés que vous avez pu voir ?

Le Major Barclay. — Cette liste officielle démontre qu’il y a trente deux soldats de blessés.

M. Picher. Dans le temps que vous avez été là, vous êtes-vous aperçu d’une chose extraordinaire, si c’était une émeute qu’on peut appeler incontrôlable, une foule terrible ?

R. Oui, d’après ce qui s’est passé les autres soirs.

M. Picher. Je vous parle de ce soir là quand vous étiez en devoir — vous avez dit que vous aviez réussi à refouler la foule du Boulevard Langelier jusqu’à la rue Laviolette ? une distance à peu près deux cent cinquante à trois cents pieds, et que vous étiez six hommes, alors ce n’était pas une chose extraordinaire qui se passait là, c’était une foule de curieux n’est-ce pas ?

R. …

Q. Des gens qui voulaient ce qui se passait — c’est l’impression que ça vous a fait ?

R. Bien, je ne savais pas si c’était des curieux ou des émeutiers qui étaient là, parce que personne ne me l’avait dit.

Q. D’après leurs agissements ?

R. D’après leurs agissements, il y avait plus de curieux que d’émeutiers, parce que les émeutiers, c’était des petits garçons en petits pantalons que j’ai vu ramasser de la glace pour tirer sur les soldats.

Q. Était-ce vraiment des petits garçons ou était-ce des gens déguisés ?

R. Je ne sais pas.

Q. Maintenant sur la place, est-ce que la lumière s’est éteinte ?

R. Le temps que les civils sont arrivés au coin de la rue Bagot et Demes, il y avait une lumière là. Là les civils ont poigné la corde et ils ont tiré la corde et la lumière est descendue et elle s’est éteinte.

Q. Qui est-ce qui l’a ralumée ?

R. C’est moi.

Q. À ce moment là que faisaient les soldats ?

R. Ils étaient après se mettre en fall in pour s’en aller.

Q. C’était avant que les coups aient été tirés ?

R. Non.

Q. Après ?

R. Après.

Q. Après que les coups aient été tirés ?

R. Oui.

Q. Par les soldats et par les civils ?

R. Oui. M. Tremblay était blessé et l’ambulance arrivait. J’ai allumé la lumière moi pour faire une clarté pour que l’ambulance puisse passer parce qu’il y avait pas mal de neige.


INTERROGÉ par Mtre. Lavergne.

Q. Jusqu’à ce que les soldats arrivent c’était une foule ordinaire qu’on pouvait controler facilement ?

R. À venir jusqu’à ce qu’ils soient rendus chez M. Gagnon, à la rue Laviolette, on les a controlés facilement.

Q. Jusqu’à ce qu’ils voient des soldats ?

R. Oui.


INTERROGÉ par Mtre. F. C. Drouin.

Q. Les jours précédents aviez-vous pu réussir à les controler ?

R. Je n’y étais pas.

Q. Où étiez-vous ?

R. J’étais à la station.

Le Coroner s’adressant au Major Barclay.) Vous avez produit un document signé par le Colonel Winters. Le produisez-vous ce document comme un document officiel et vrai et qui peut être assermenté  ?

R. Le Major Barclay — Oui.

Le Coroner. — Vous pouvez le faire assermenter par le Colonel Winters comme étant un document vrai.

Le Major Barclay. — Je ne sais pas si c’est différent d’avec les causes civiles. Quand un document est signé par un officier il est censé être officiel.

Le Coroner. — Pour moi il faut qu’il soit assermenté.

Le Major Barclay. Je crois que son serment d’officier est suffisant.

Le Coroner. Il vaudrait mieux que j’aurais le document assermenté par le Colonel Winters.

Le Major Barclay. Je l’amènerai ici.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.