BAnQ/Émeutes de Québec de 1918/Témoignage du Révérend Père Narcisse Cotnoir, prêtre

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Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage du Révérend Père Narcisse Cotnoir, prêtre
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Témoignage du Révérend Père Narcisse Cotnoir, prêtre[1]


REV. Père N. Cotnoir.


RÉVÉREND PÈRE NARCISSE COTNOIR, de St. Sauveur de Québec, prêtre, Oblat de Marie Immaculée, étant dûment assermenté dépose ainsi qu’il suit :

INTERROGÉ par le Coroner.


Q. Lundi soir, mon Père, avez-vous été appelé à donner les soins de votre Ministère à un blessé sur la rue Sauvageau ?


R. Oui Monsieur.


Q. À la résidence de M. Dupéré ?


R. Oui.


Q. Voulez-vous dire à quelle heure vous êtes parti du Presbytère de St. Sauveur ?


R. Au deuxième appel d’un prêtre, je suis parti, moi. Il pouvait être onze heures et quart ou onze heures et demi, en compagnie d’un Monsieur d’une vingtaine d’années.


Q. Un soldat ?


R. Un civil. Nous prîmes la rue Sauvageau, et arrivé au coin Bagot mon compagnon me dit : Les soldats sont au fond et il y a du danger à passer. Maintenant les soldats criaient tous ensemble : Go back go back.


Q. Est-ce qu’il y avait beaucoup de monde à part de vous


R. Je n’ai rencontré personne sur la rue en allant. J’ai rencontré un individu qui s’en allait rapidement dans une autre direction, dans la direction opposée. Mon compagnon ne comprenait pas l’anglais parce que je lui dis : Attendez un peu, il y a du danger il faut avertir avant, faire quelques signes, donner aux soldats, un signe pour qu’ils ne tirent pas sur nous. Il dit : Nous avons droit de passer deux. Je vas passer seul et vous passerez ensuite. C’était bien sur l’affiche que nous avions vu dans les rues que ce n’était pas un groupe que d’être deux. Les soldats lui disaient : Go back. mais déjà il était face aux soldats. Comme il était en face d’eux, et qu’il passait sans s’arrêter, à son passage les soldats ont continué à crier : Retournez. Il n’a pas arrêté, et j’ai pu passer. J’ai dit : Tâchez donc de leur faire comprendre que je suis prêtre, qu’on voudrait passer, qu’on m’appelle et que je veux aller aux malades. On parlait tous ensemble j’ai cru devoir crier pour leur dire que je voulais passer — et comme ils ne comprenaient pas le français et que j’avais un mot d’ordre pour me faire comprendre en anglais, je suis passé quand même, ne sachant pas ce qu’ils feraient. Ils ne m’ont pas insulté, seulement lorsque je passai ils m’ont dit : Go back go back. Je me suis rendu chez le malade ; chez M. Dupéré, je l’ai administré enfin, et pendant que j’étais là la fusillade s’est fait entendre de nouveau, plusieurs coups répétés. Je demandai à un des hommes d’aller voir si étant donné que c’était sur l’endroit — d’aller téléphoner au presbytère pour savoir s’il n’y avait pas d’autres besoin de prêtres dans les environs. Il est allé téléphoner et il m’a dit que non. Vers minuit moins vingt, ayant rempli mon devoir, je retournai chez moi.


Q. Par quelle direction ?


R. Par la même rue, la rue Sauvageau. Au sortir de la maison deux soldats viennent à moi. Ils s’étaient avancés de la rue Bagot à la rue Sauvageau. Deux soldats vinrent à moi et me demandèrent : Where are you going ? Je leur répondis : je vas à l’Église. Il y avait un autre peloton de soldats au coin de la rue Morin et Sauvageau. Il dit : Let them go.


Q. Ils pouvaient juger que vous étiez un Père par votre costume — il faisait assez clair pour qu’il puisse constater que vous étiez un prêtre ?


R. Je le crois parce que j’avais une sacoche à la main aussi — il m’a remarqué comme prêtre. C’est tout ce que j’ai pu remarquer dans les quelques instants que j’ai passés sur le chemin.


Q. On n’a pas tiré sur vous ?


R. Non Monsieur.


Q. Avez-vous entendu les balles siffler ?


R. J’ai entendu seulement lorsque j’étais à la maison chez M. Dupéré.

INTERROGÉ par Mtre. F. Gosselin.


Q. Quelle heure était-il lorsque vous êtes arrivé chez M. Dupéré ?


R. J’ai dû partir de chez moi entre onze heure et quart et onze heure et demi.


Q. C’était pour le jeune Demeule que vous êtes allé là ?


R. Oui.


Q. Est-ce qu’il avait encore sa connaissance lorsque vous êtes arrivé ?


R. Oui il avait sa connaissance parfaitement. Il répondait par signes aux questions que je lui posais.


Q. Où était-il blessé ?


R. Il avait une blessure au côté gauche — au côté droit ici, et une autre petite blessure se faisait sentir dans le rein, et traversait le corps. Il avait une plaie ici tout son linge était humecté de sang.


Q. Se plaignait-il beaucoup ?


R. Il ne poussait pas de cris, mais il souffrait beaucoup.


Q. Vous a-t-il parlé quand vous êtes arrivé ?


R. Je lui ai posé des questions et il me répondait par signes — signes des yeux et de la tête.


Q. Vous a-t-on dit où on l’avait ramassé et qui l’avait ramassé ?


R. C’est mon compagnon M. Villeneuve qui l’avait ramassé et là il l’a emporté à la première porte libre.


Q. Quelqu’un l’a invité à entrer chez M. Dupéré ?


R. La porte d’à côté était fermée et il est entré chez M. Dupéré. C’est M. Villeneuve qui était son voisin lorsque l’enfant a été frappé.


Q. Avez-vous entendu plusieurs coups de feu ce soir là ?


R. J’ai entendu beaucoup de coups de feu lorsque j’étais à ma chambre, vers onze heures, la fusillade a commencé. Il y a eu beaucoup de coups de feu qui se sont fait entendre successivement. Je me suis levé et j’ai ouvert ma fenêtre et j’ai entendu des gens qui se sauvaient en criant. Quelque temps après une autre fusillade a commencé et c’est précisément à ce moment là qu’on est venu demander un autre prêtre pour secourir les blessés. Lorsque j’étais à la maison de M. Dupéré, une troisième fusillade s’est fait entendre.


Q. Est-ce que c’était des coups isolés ou des coups de salve ?


R. C’était des coups continus.


Q. Le Coroner.- Est-ce qu’il y avait plusieurs coups qui se tiraient en même temps ?


R. Oui, plusieurs coups ensemble.

INTERROGÉ par le Major Barclay.


Q. À propos de votre fusillade, étant chez-vous, vous ne savez pas qui est-ce qui a commencé ni quelle en est la cause ?


R. Non Monsieur.


Et le témoin ne dit rien de plus.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.