Baliseurs de ciels/Prologue

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Flammarion (p. 5-7).


En hommage à tous mes camarades de l’Aviation qui ont balisé le monde de jalons marqués à des noms bien français.



PROLOGUE



Le 27 novembre 1942 notre France métropolitaine se trouvait isolée de son Empire, privée de toute armée, de toute flotte, de toute aviation, commerciale, sportive ou militaire.

Je venais de terminer Destin des Ailes et, dans l’abattement qui déferla sur notre patrie totalement occupée, j’hésitai à le redemander à l’éditeur.

À quoi bon, en effet, tenter de démontrer quelle magnifique mission est réservée à l’aviation à l’heure même où nos ailes se fermaient et où notre pauvre France était condamnée à ne plus voir son ciel traversé que par des appareils étrangers.

Durant quelques jours je cessai tout travail, à demi convaincu déjà de l’inanité d’un vain effort, lorsqu’une lettre du directeur de l’une de nos plus grandes usines de produits chimiques vint fort opportunément me démontrer qu’il y a, dans notre race, une vertu précieuse qui nous a maintes fois sauvés au cours de l’histoire : la Foi dans les Destinées de la Patrie.

Cet ingénieur, qui a sous son autorité une véritable petite ville industrielle isolée au pied des Alpes, loin de tout centre urbain, me disait son désir d’organiser pour ses ouvriers et leurs familles, dès l’hiver de 1942, une série de conférences d’information ; il tenait à ce que les deux premières eussent pour thème l’aviation et l’Empire français.

Je compris la leçon et que nous avions assez de gloire dans le passé — dans cette gloire assez de gages pour l’avenir — pour négliger les tristesses de l’heure présente et continuer, chacun à notre place, la tâche qui devait aboutir au redressement du pays.

J’acceptai l’invitation et, depuis ce jour, durant l’occupation comme depuis la libération, j’ai eu la joie, au cours de voyages qui m’ont fait parcourir toute la France, de retrouver partout ce même esprit constructif, cette même Foi intangible.

Baliseurs de ciels, succédant à Destin des Ailes et à Aviation de France, répond à ce besoin de notre peuple de trouver dans son propre passé des raisons de croire en l’avenir ; écrit durant l’occupation, il parait aujourd’hui dans une France libérée que les Ailes françaises survolent à nouveau.

Il nous reste beaucoup à faire cependant pour que notre patrie devienne une grande puissance aérienne ; laissons donc derrière nous les regrets stériles et le souvenir des heures où, suivant, en troupeau docile, des chefs indignes de nous commander, nous évitions de regarder au loin sur la route où ils nous conduisaient de peur d’avoir à rougir d’un but inavouable, mal dissimulé dans l’ombre.

Évoquons plutôt la mémoire de ceux qui ont créé notre patrimoine national et fait rayonner notre prestige.

Nous sommes leurs fils ou leurs frères, après tout ; pourquoi cette génération aurait-elle démérité des précédentes.

Dans le cadre aéronautique le monde doit beaucoup à la France qui, suivant la belle parole de Paul Painlevé, « lui a donné ses ailes » ; dans le cadre national, la France doit beaucoup à son aviation.

Il ne pouvait être question de condenser en ces quelques pages l’histoire de notre aviation commerciale ; nous voudrions pourtant que ces notes puissent servir à écrire un jour cette histoire ; aussi ne comportent-elles que des faits historiquement vrais.

« L’épopée, disait Hugo, c’est l’histoire écoutée aux portes de la Légende. »

Ce sera l’une des plus curieuses caractéristiques de l’aviation que ses chroniqueurs n’aient eu besoin de nul génie, ni de nulle imagination pour composer une épopée en feuilletant des carnets de vol.


R. de N.