Barreaux/Psaume V

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Éditions de Minuit et demi (p. 31-32).

Psaume V

Exilés sur le bord des eaux de Babylone,
Nous avons suspendu nos souvenirs, Seigneur,
Aux arbres dépouillés par les pluies de l’automne,
Et rappelons ainsi le passé dans nos cœurs.

On nous dit de chanter sur terre étrangère
Les chansons qui berçaient les jours évanouis,
On voudrait voir monter de nos longues misères
Le dérisoire appel des plaisirs de jadis.

Et parfois reprenant sur l’invisible fleuve
Nos vieux chants d’autrefois de nos bouches fermées,
Nous nous laissons aller aux espérances neuves
Et ranimons l’éclat des choses bien-aimées.


Nous ne demandions rien, ô Seigneur, ou bien peu,
Le lit où reposer dans la nuit notre tête,
La plus modeste joie et le plus petit feu,
La cendre qu’aujourd’hui disperse la tempête.

Nous n’étions pas, Seigneur, tellement difficiles,
Nous n’avions pas besoin de gloire, ni d’argent,
Seulement du murmure amical de la ville,
Nous n’étions pas, Seigneur, tellement exigeants.

Et maintenant qu’au bruit que fait le vent d’automne
Tout s’est évanoui de ce que nous aimions,
Exilés sur le bord des eaux de Babylone,
Vaut-il pas mieux se taire, ô captifs de Sion ?

Car le silence seul qui tombe sur la rive
Reste digne du chant des printemps disparus,
Et jette sur le feu des blessures captives
Le baume sous lequel le cœur ne saigne plus.