Barzaz Breiz/1846/L’Enfant supposé/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
L’Enfant supposé



IV


L’ENFANT SUPPOSÉ.


( Dialecte de Cornouaille.. )


Marie la belle est affligée; elle a perdu son cher petit Laoïk ; la Korrigan l’a emporté.

— En allant à la fontaine puiser de l’eau, je laissai mon Laoïk dans son berceau ; quand je revins à la maison, il était bien loin ;

Et à sa place on avait mis ce monstre ; sa face est aussi rousse que celle d’un crapaud ; il égratigne, il mord sans dire mot ;

Et toujours il demande à têter, et il a sept ans passés, et il n’est pas encore sevré.

— Vierge Marie, sur votre trône de neige, avec votre fils entre vos bras, vous êtes dans la joie, moi dans la tristesse.

Votre saint enfant, vous l’avez gardé ; moi, j’ai perdu le mien. Pitié pour moi, mère de la Pitié !

— Ma fille, ma fille, ne vous affligez pas ; votre Laoïk n’est pas perdu ; votre cher Laoïk sera retrouvé.

« Qui feint de préparer le repas dans une coque d’œuf pour dix laboureurs d’une maison, force le nain à parler.


« Quand il a parlé, fouettez-le, fouettez-le bien ; quand il a été bien fouetté, il crie ; quand il a été entendu, il est enlevé promptement. »

— Que faites-vous là, ma mère ? disait le nain avec étonnement ; que faites-vous là, ma mère ?

— Ce que je fais ici, mon fils ? Je prépare à dîner dans une coque d’œuf pour dix laboureurs de ma maison.

— Pour dix, chère mère, dans une coque !
J’ai vu l'œuf avant de voir la poule blanche ; j’ai vu le gland avant de voir l’arbre.

J’ai vu le gland et j’ai vu la gaule ; j’ai vu le chêne au bois de Brézal, et n’ai jamais vu pareille chose.

— Tu as vu trop de choses, mon fils ; clic ! clac ! clic ! clac !
Petit vieillard, ah ! je le tiens !

— Ne le frappe pas, rends-le-moi ; je ne fais aucun mal au tien ; il est notre roi dans notre pays —

Quand Marie s’en revint à la maison, elle vit son enfant endormi dans son berceau, bien doucement.

Et comme elle le regardait toute ravie, et comme elle allait le baiser, il ouvrit les yeux ;

Il se leva sur son séant, et lui tendant ses deux petits bras :
— Hé! mère, j’ai dormi bien longtemps ! —