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Barzaz Breiz/1846/La Ceinture de noces/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
La Ceinture de noces



XXXII


LA CEINTURE DE NOCES.


( Dialecte de Cornouaille. )


I.


Le lendemain de mes fiançailles je reçus l’ordre de marcher, de marcher à la suite du baron de Rieux ; à la suite du seigneur baron, et dépasser la mer pour aller soutenir, si possible, l’essaim des Bretons d’outre-mer.

— Viens avec moi, mon page, à la campagne ; il faut que je prenne aujourd’hui congé de ma fiancée ; il faut que je prenne congé de ma fiancée ce soir même, ou bien mon cœur se brisera de chagrin dans ma poitrine. —

A mesure qu’il approchait du manoir, il ne faisait que trembler ; quand il entra dans la maison, son cœur battait avec violence.

— Approchez, cher sire, approchez-vous du feu ; je vais vous préparer une collation.

— Merci ; ma vieille tante, je ne veux point collationner, mais seulement parler à votre fille, si vous le permettez. —

Quand la dame l’ouït, elle ôta ses chaussures, et monta sur ses bas sur le banc du lit ;

Elle monta sur le banc, et se penchant au bord du lit : — Réveille-toi, mon Aloïda, et lève-toi ; réveille-toi, ma fille, réveille-toi vite, et sors de ton lit ; viens parler à ton amoureux qui vient d’arriver. —

À ces mots, la jeune fille s’élança hors du lit, ses cheveux noirs de jais fiottants sur ses épaules blanches comme neige : — Hélas ! ma douce amie, hélas ! Aloida, il faut que je m’embarque, il faut que je vous quitte.

Il faut que j’aille en Angleterre, que je suive l’armée du baron ; Dieu seul sait ce que j’ai de chagrin au cœur.

— Au nom du ciel ! mon amoureux, ne vous embarquez pas ! le veut est changeant et la mer est traîtresse !

Si vous veniez à mourir, que deviendrais-je ? Dans l’impatience de recevoir de vos nouvelles, mon cœur se briserait ; j’irais tout le long du rivage, d’une chaumière à l’autre : — Avez-vous entendu parler, mariniers, entendu parler de mon fiancé ? —

La jeune fille pleurait ; il essaya de la consoler : — Taisez-vous, taisez-vous, Aloïda, ne pleurez pas sur moi ; je vous rapporterai une ceinture d’au delà de la mer, une ceinture de noces de pourpre, étincelante de rubis. —

On eût vu le chevalier assis près du feu, sa bien-aimée sur ses genoux, la tête penchée, les deux bras passés autour de son cou, pleurant, en silence, dans l’attente du jour qui devait le séparer d’elle.

Quand l’aurore vint à paraître, le chevalier lui dit : — Le coq chante, ma belle, voici le jour. — Impossible ! mon doux ami, impossible ; il nous trompe ; c’est la lune qui luit, qui luit sur la colline.

— Sauf votre grâce, j’aperçois le soleil à travers les fentes de la porte ; il est temps que je vous quitte, il est temps que j’aille m’embarquer. —

Et il s’éloigna ; et sur son passage les pies caquetaient : « Si la mer est traîtresse, les femmes le sont bien plus ! »


II.


À la Saint-Jean d’automne, la jeune fille disait : — J’ai vu au loin sur la mer, du haut des montagnes d’Arèz ; j’ai vu au loin sur la mer un navire en danger ; et debout sur l’arrière était celui qui m’aime.


Il tenait à la main une épée ; il était engagé dans un combat terrible ; il était entouré de morts, et sa chemise pleine de sang. C’en est fait de mon pauvre ami ! c’en est fait! disait-elle. — Et aux prochaines étrennes elle était fiancée à un autre.

Cependant des nouvelles, d’heureuses nouvelles arrivèrent au pays :

— La guerre est terminée ! le chevalier est de retour ! Il est de retour chez lui, le cœur gai et dispos, et, dès ce soir, il part pour aller revoir sa fiancée. —

Comme il approchait, il entendit le son des rotes, et vit rayonner le manoir de l'éclat des lumières :

Étrenneurs joyeux qui courez les campagnes, qu’y a-t-il de bon au manoir d’où vous sortez? qu’est-ce que cette musique que j’entends ?

— Ce sont les joueurs de rote, seigneur, qui jouent deux à deux : « Voilà la soupe au lait (des nouveaux mariés) qui passe le seuil de la porte. » Ce sont les joueurs de rote, qui jouent trois à trois : « Voilà la soupe au lait qui entre en la maison ! »


III.


Or, comme les mendiants, invités à la noce, étaient à table, au manoir, arriva un pauvre truand demandant l’hospitalité. — Pourriez-vous me donner à manger et à coucher ; voici la nuit, je ne sais où aller.

— Sûrement, pauvre cher truand, on vous donnera à coucher, et, de plus, vous souperez à table avec les autres : approchez donc, brave homme ; entrez dans la maison ; mon mari et moi nous allons vous servir. —

Au tour de danse qui suivit le premier service, la mariée lui demanda : — Qu’avez-vous, mon pauvre homme, que vous ne

dansez pas ? — Rien, ma dame ; si je ne danse pas, c’est que je suis étourdi par la fatigue du chemin. —

Au second tour de danse, la mariée lui demanda encore : — Vous êtes donc toujours las, brave homme, que vous ne dansez pas ? — Oui, ma dame, je suis toujours las ; je suis las et de plus j’ai un poids sur le cœur. —

Au troisième tour de danse, souriant d’une façon charmante, elle lui dit : Venez danser avec moi. — C’est un honneur que je ne mérite point ; cependant je l’accepte ; personne n’aurait l’impolitesse de ne pas accepter. —

Or, tandis qu’ils dansaient, se penchant vers elle, il lui murmura à l’oreille, en riant d’un rire verdâtre : — Qu’avez-vous fait de la bague d’or que vous reçûtes de moi, au seuil de la porte de cette salle même, il y a un an jour pour jour ? —

Elle joignit les mains en élevant les yeux au ciel, et s’écria : — Mon Dieu ! jusqu’ici j’avais vécu sans chagrin, je pensais être veuve, et voilà que j’ai deux maris ! — Vous pensiez mal, ma belle, vous n’en avez aucun ! —

Et il tira un poignard qu’il tenait caché sous sa veste, et il en frappa la dame au cœur si violemment, qu’elle tomba sur ses deux genoux, la tête penchée : — Mon Dieu ! dit-elle, mon Dieu ! — Et elle mourut.


IV.


Dans l’église de l’abbaye de Daoulaz, il est une statue de la Vierge portant une ceinture étincelante de rubis venue d’au delà de la mer. Si tu désires savoir qui lui en a fait don, demande au moine repentant qui est prosterné à ses pieds.


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