Barzaz Breiz/1846/Le Seigneur Nann et la Fée/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
/Le Seigneur Nann et la Fée



III


LE SEIGNEUR NANN ET LA FÉE.


( Dialecte de Léon. )


Le seigneur Nann et son épouse ont été fiancés bien jeunes, bien jeunes désunis.

Madame a mis au monde hier deux jumeaux aussi blancs que la neige ; l’un est un garçon, l’autre une fille.

— Que désire votre cœur, pour m’avoir donné un fils ? Dites, que je vous l’accorde à l’instant :

Chair de bécasse de l’étang du vallon, ou chair de chevreuil de la forêt verte ?

— La chair du chevreuil est celle que je préférerais, mais vous allez avoir la peine d’aller au bois. —

Le seigneur Nann en l’entendant saisit sa lance de chêne,

Et sauta sur son cheval noir, et gagna la verte forêt.

En arrivant au bord du bois, il vit une biche blanche ;

Et lui de la poursuivre si vivement que la terre tremblait sous eux ;

Et lui de la poursuivre aussitôt si vivement, que l’eau ruisselait de son front,

El des deux flancs de son cheval. Et le soir vint ;


Et il trouva un petit ruisseau près de la grotte d’une Korrigan,

Et tout autour un gazon fin ; et il descendit pour boire.

La Korrigan était assise au bord de sa fontaine, et elle peignait ses longs cheveux blonds,

Et elle les peignait avec un peigne d’or (ces dames-là ne sont point pauvres).

— Comment êtes-vous si téméraire que de venir troubler mon eau !

Ou vous m’épouserez sur l’heure, ou, pendant sept années vous sécherez sur pied ;

Ou vous mourrez dans trois jours.

— Je ne vous épouserai point, car je suis marié depuis un an.

Je ne sécherai point sur pied, ni ne mourrai dans trois jours ;

Dans trois jours je ne mourrai point, mais quand il plaira à Dieu ;

Mais j’aimerais mieux mourir à l’instant que d’épouser une Korrigan !

— Ma bonne mère, si vous m’aimez, faites-moi mon lit, s’il n’est pas fait ;

Je me sens bien malade.

Ne dites mot à mon épouse ; dans trois jours je serai mis en terre :

Une Korrigan m’a jeté un sort. —

Et, trois jours après, la jeune femme faisait cette question :

— Dites-moi, ma belle-mère, pourquoi les cloches sonnent-elles ?


Pourquoi les prêtres chantent-ils en bas, vêtus de blanc ?

— Un pauvre malheureux que nous avions logé est mort cette nuit.

— Ma belle-mère, dites-moi : mon seigneur Nann, où est-il allé ?

— Il est allé à la ville, ma fille ; dans peu il viendra vous voir.

— Ma chère belle-mère, dites-moi : mettrai-je ma robe rouge ou ma robe bleue pour aller à l’église ?

— La mode est venue, mon enfant, de porter du noir à l’église. —

En franchissant l’échalier du cimetière, elle vit la tombe de son pauvre mari.

— Qui de notre famille est mort, que notre terrain a été fraîchement bêché ?

— Hélas ! ma fille, je ne puis plus vous le cacher, votre pauvre mari est là ! —

Elle se jeta à deux genoux, et ne se releva plus.

Ce fut merveille de voir, la nuit qui suivit le jour où on enterra la dame dans la même tombe que son mari,

De voir deux chênes s’élever de leur tombe nouvelle dans les airs ;

Et sur leurs branches, deux colombes blanches, sautillantes et gaies,

Qui chantèrent au lever de l’aurore, et prirent ensuite leur volée vers les cieux.