Barzaz Breiz/1846/Les Ligueurs/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
Les Ligueurs



VIII


LES LIGUEURS.


( Dialecte de Cornouaille. )


Vers l'heure où le soleil se couche, un bruit s’entendit hier, le bruit d’une barque descendant la rivière, et un cliquetis d’armures, et des fanfares de clairons, et un roulement de tambours tel, que les rochers en résonnaient au sommet des montagnes.

Et moi d’aller voir ; mais je ne vis rien que Marguerite la Grue, pêchant, immobile sur une patte :

— Marguerite, Margot, qui voles haut et loin, qu’est-il donc arrivé de nouveau en basse Bretagne ?

— Il n’est rien arrivé de nouveau en basse Bretagne, excepté la guerre et le trouble aux trois coins du pays ; tous les Bretons se sont levés, paysans et gentilshommes ; et la guerre n’aura point de fin si le ciel ne vient en aide aux hommes. —

On les vit rassemblés pour aller combattre aux frontières de Bretagne, le jeudi de Pâques, au lever de l’aurore, sur le tertre de Kergrist-Moélan, chacun une arquebuse sur l’épaule, chacun un plumet rouge au chef, chacun une épée au côté, le drapeau de la foi en tête.

Avant de partir, ils entrèrent dans l’église pour prendre congé de saint Pierre et du seigneur Christ ; et, en sortant de l’église, ils s’agenouillèrent dans le cimetière : — Or çà ! haute Cornouaille, voilà vos soldats !

Voilà les soldats du pays, les soldats unis pour défendre la vraie foi contre les huguenots, pour défendre la basse Bretagne contre les Anglais et les Français et tous ceux qui ravagent noire patrie pire que l’incendie ! —

En quittant le cimetière, ils demandaient en foule : — Où trouverons-nous du drap rouge pour nous croiser présentement ? —

Le fils du manoir de Kercourtois repartit en brave : — Prenez exemple sur moi, et vous serez croisés ! —

A peine il achevait ces mots, qu’il s’était ouvert une veine du bras, et que son sang jaillissait, et qu’il avait peint une croix rouge sur le devant de son pourpoint blanc ; et que tous ils étaient croisés dans un instant.

Comme ils étaient en route et approchaient de Callac, ils entendirent les cloches de Duhot, qui sonnaient la messe, et eux de détourner la tête, et de dire tout d’une voix :

— Adieu, ô cloches de Marie ! adieu, ô cloches bien-aimées !

Adieu donc, adieu donc, ô cloches baptisées, que nous avons tant de fois mises en branle aux jours de fête ! Plaise au Seigneur et à la Vierge sainte que nous vous sonnions encore quand la guerre sera finie !

Adieu, sacrées bannières que nous avons portées processionnellement autour de l’église, au pardon de Saint-Servet. Ah ! puissions-nous être aussi forts pour défendre notre pays et la vraie foi que nous l’avons été pour vous défendre sur le tertre, au grand jour !

Que Dieu secoue la gelée ! que le blé soit flétri, flétri dans le champ du Français qui trahit les Bretons ! Et chantons toujours, tout d’une voix, enfants de la Bretagne :

— « Jamais ! non jamais, la génisse ne s’alliera au loup ! » —

Ce chant a été composé depuis que nous sommes en route ; il a été composé en l’année mil cinq cent quatre-vingt-douze, par un jeune paysan, sur un air facile à chanter. Répétez-le, hommes de Cornouaille, pour réjouir le pays.

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