Barzaz Breiz/1846/Lez-Breiz/Bilingue-Chevalier

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Barzaz Breiz, édition de 1846
Lez-Breiz




III


LE CHEVALIER DU ROI.


I.


Entre Lognez et le chevalier Lez-Breiz a été convenu un combat en règle.

Que Dieu donne la victoire au Breton, et de bonnes nouvelles à ceux qui sont au pays.

Le seigneur Lez-Breiz disait à son jeune écuyer, un jour :

— Éveille-toi, mon page ; et te lève ; et va me fourbir mon épée ;

Mon casque, ma lance et mon bouclier ; que je les rougisse au sang des Gaulois (des Franks).

Avec l’aide de Dieu et de mes deux bras, je les ferai sauter encore aujourd’hui !

— Mon bon seigneur, dites-moi : n’irai-je pas au combat à votre suite ?

— Que dirait ta pauvre mère, si tu ne revenais pas à la maison[1] ?

Si ton sang venait à couler sur la terre, qui mettrait un terme à sa douleur ?

— Au nom de Dieu ! seigneur, si vous m’aimez, vous me laisserez aller au combat.


Je n’ai pas peur des Gaulois ; mon cœur est dur, tranchant mon acier.

Qu’on y trouve à redire ou non, où vous irez, j’irai moi-même ;

Où vous irez, j’irai moi-même ; où vous combattrez, je combattrai. —


II.


Lez-Breiz allait au combat, son jeune page avec lui pour toute suite.

En arrivant à Sainte-Anne d’Armor, il entra dans l’église.


— O sainte Anne, dame bénie ; je vins bien jeune vous rendre visite ;

Je n’avais pas vingt ans encore ; et j’avais été à vingt combats,

Que nous avons gagnés tous par votre assistance, ô dame bénie !


Si je retourne encore au pays, mère sainte Anne, je vous ferai un présent.

Je vous ferai présent d’un cordon de cire qui fera trois fois le tour de vos murs,

Et trois fois le tour de votre église, et trois fois le tour de votre cimetière, et trois fois le tour de votre terre, arrivé chez moi.

Et je vous offrirai une bannière de velours et de satin blanc, avec un support d’ivoire poli.

De plus, je vous donnerai sept cloches d’argent qui chanteront gaiement nuit et jour sur votre tête.


Et j’irai trois fois, à genoux, puiser de l’eau pour votre bénitier.

— Va au combat, va, cheval Lez-Breiz ; j’y vais avec toi. —


III.


— Entendez-vous ? voilà Lez-Breiz qui arrive ; il est suivi sans doute d’une armée bardée de fer.

Tiens ! il monte un petit âne blanc dont la bride est un licou de chanvre ;

Il a pour toute suite un petit page : mais on dit que c’est un terrible homme ! —

Le jeune écuyer de Lez-Breiz, en les voyant, se serra de plus en plus contre son maître.

— Voyez-vous ! c’est Lorgnez qui vient ; une troupe de guerriers devant lui ;

Une troupe de guerriers derrière lui ; ils sont dix, et dix, et puis dix encore.

Les voilà qui arrivent au bois de châtaigniers : nous aurons, mon pauvre maître, bien de la peine à nous défendre.

— Tu iras voir combien ils sont quand ils auront goûté mon acier.

Frappe ton épée, écuyer, contre mon épée, et marchons à eux. —


IV.


— Hé ! bonjour à toi, chevalier Lez-Breiz.

— Hé ! bonjour à toi, chevalier Lorgnez.


— Est-ce que tu viens seul au combat ? — Je ne viens pas au combat seul ;

Au combat seul je ne viens pas, sainte Anne est avec moi.

— Moi, je viens de par mon roi t’ôter la vie.

— Retourne sur les pas ! va dire à ton roi que je me moque de lui comme de toi,

Que je me moque de lui comme de toi, comme de ton épée, comme des tiens.

Retourne à Paris, au milieu des femmes, y porter tes babils dorés ;

Autrement, je rendrai ton sang aussi froid que le fer ou la pierre.

— Chevalier Lez-Breiz, dites-moi : en quel bois avez-vous été mis au jour ?

Le dernier valet de ma suite ferait sauter votre casque de dessus votre tête. —

A ces mots, Lez-Breiz tira sa grande épée :

— Si tu n’as pas connu le père, je te ferai bien connaître le fils ! —


V.


Le vieil ermite du bois, debout sur le seuil de sa cabane, parlait ainsi amicalement à l’écuyer de Lez-Breiz :

— Vous courez bien vite à travers le bois ! votre armure est souillée de fange et de sang.


Venez, mon enfant, dans mon ermitage ; venez vous reposer et vous laver.

— Ce n’est pas le moment de se reposer et de se laver, mais, certes, de trouver une fontaine ;

De trouver de l’eau par ici pour mon jeune maître, tombé au combat, épuisé de fatigue ;

Treize guerriers tués sous lui ; le chevalier Lorgnez tué tout le premier !

Et moi, j’en ai abattu autant ; les autres ont pris la fuite. —


VI.


Il n’eût pas été Breton dans son cœur, celui qui n’aurait pas ri de tout son cœur.

En voyant l’herbe verte rougie du sang des Gaulois maudits.

Le seigneur Lez-Breiz, assis auprès, se délassait en les regardant.

Il n’eût pas été chrétien dans son cœur, celui qui n’eût pas pleuré à Sainte-Anne,

En voyant l’église mouillée de larmes qui tombaient des yeux de Lez-Breiz,

De Lez-Breiz pleurant, à genoux, en remerciant la vraie patronne la Bretagne.

— Grâces vous soient rendues, ô mère sainte Anne ! C’est vous qui avez gagné cette victoire ! —



VII.


En souvenir durable du combat, a été composé ce chant ;

Qu’il soit chanté par les hommes de la Bretagne en l’honneur du bon seigneur Lez-Breiz !

Qu’il soit longtemps chanté partout à la ronde, pour réjouir tous les hommes du pays !


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  1. Lez-Breiz semble ici faire un retour sur lui-même, et se souvenir de sa propre mère morte de chagrin en ne le voyant pas revenir au manoir. (V. le chant 1er.)