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Barzaz Breiz, édition de 1846
Lez-Breiz




XII


LEZ-BREIZ.


( Dialecte de Cornouaille. )


I


LE DÉPART.


I.


Comme l’enfant Lez-Breiz était chez sa mère, il eut un jour une grande surprise ;

Un chevalier s’avançait dans le bois, et il était armé de toutes pièces.

Et l’enfant Lez-Breiz, en le voyant, pensa que c’était saint Michel ;

Et il se jeta à deux genoux, et fil vite le signe de la croix.

— Seigneur saint Michel, au nom de Dieu, ne me faites point de mal !

— Je ne suis pas plus le seigneur saint Michel, que je ne suis un malfaiteur ;

Je ne suis pas saint Michel, non vraiment ; chevalier ordonné, je ne dis pas.

— Je n’ai jamais vu de chevalier, pas plus que je n’ai entendu parler d’eux.

— Un chevalier, c’est quelqu’un comme moi ; en as-tu vu passer un ?

— Répondez-moi d’abord vous-même ; qu’est-ce que ceci ? et qu’en faites-vous ?


— J’en blesse tout ce que je veux ; cela s’appelle une lance.

— Mieux vaut, bien mieux vaut mon casse-tête ; on ne l’affronte pas sans mourir.

Et qu’est-ce que ce plat de cuivre-ci que vous portez au bras ?

— Ce n’est point un plat de cuivre, enfant, c’est un blanc-bouclier.

— Seigneur chevalier, ne raillez pas; j’ai vu plus d’une fois des blancs monnoyés ;

Il en tiendrait un dans ma main, tandis que celui-ci est large comme la pierre d’un four.

Mais quelle espèce d’habit portez-vous? c’est lourd comme du fer, plus lourd même.

— Aussi est-ce une cuirasse de fer pour me défendre contre les coups d’épée.

— Si les biches étaient ainsi harnachées, il serait plus malade de les tuer.

Mais, dites-moi, seigneur, êtes-vous né comme cela ? —

Le vieux chevalier, à ces mots, partit d’un grand éclat de rire.

— Qui diable vous a donc habillé, si vous n’êtes pas né comme cela ?

— Celui qui en a le droit, c’est celui-là, mon cher enfant.

— Mais alors qui en a le droit ?

— Le seigneur Comte de Quimper.


Maintenant, réponds-moi à ton tour ; as-tu vu passer un homme comme moi ?

— J’ai vu passer un homme, comme vous, et c’est par ce chemin qu’il est allé, seigneur. —


II.


Et l’enfant de revenir en courant à la maison ; et de sauter sur les genoux de sa mère, et de babiller.

— Ma mère, ma petite mère, vous ne savez pas? Je n’avais jamais rien vu de si beau ;

Jamais je n’ai vu rien de si beau que ce que j’ai vu aujourd’hui :

Un plus bel homme que le seigneur Michel, l’archange, qui est dans notre église !

— Il n’y a pas d’homme plus beau pourtant, plus beau, mon fils, que les anges de Dieu.

— Sauf votre grâce, ma mère, on en voit ; ils s’appellent, disent-ils, chevaliers ;

Et moi je veux aller avec eux, et devenir chevalier comme eux. —

La pauvre dame, à ces mots, tomba trois fois à terre sans connaissance.

El l’enfant Lez-Breiz, sans détourner la tête, entra dans l’écurie ;

Et il y trouva une méchante haquenée, et il monta vite sur son dos ;

Et il partit, courant après le beau chevalier, en toute hâte, sans dire adieu à personne ;

Courant après le beau chevalier vers Quimper, et il quitta le manoir ;



II


LE RETOUR.


Le chevalier Lez-Breiz fut bien surpris quand il revint au manoir de sa mère ;

Quand il revint au bout de dix ans révolus, très-fameux entre les guerriers.

Le chevalier Lez-Breiz fut surpris en entrant dans la cour du manoir ;

En y voyant pousser les ronces et l’ortie, au seuil de la maison,

Et les murs à demi ruinés et à demi couverts de lierres.

Le seigneur Lez-Breiz voulant entrer, une pauvre vieille femme aveugle lui ouvrit.

— Dites-moi, ma grand’mère, peut-on me donner l’hospitalité pour la nuit ?

— On vous donnera assez volontiers l’hospitalité, mais elle ne sera pas, seigneur, des plus brillantes.

Cette maison est allée à perte depuis que l’enfant l’a quittée pour faire à sa tête. —

Elle avait à peine fini de parler, qu’une jeune demoiselle descendit.

Et elle le regarda en dessous, et se mit à pleurer.

— Dites-moi, jeune fille, qu’avez-vous à pleurer ?


— Seigneur chevalier, je vous dirai bien volontiers ce qui me fait pleurer.

J’avais un frère de votre âge, voilà dix ans qu’il est parti pour mener la vie de chevalier ;

Et aussi souvent que je vois un chevalier, aussi souvent je pleure, seigneur.

Aussi souvent, malheureuse que je suis ! je pleure en pensant à mon pauvre petit frère !

— Ma belle enfant, dites-moi, n’avez-vous point d’autre frère ? n’avez-vous point de mère ?

— D’autre frère ! je n’en ai point sur la terre, dans le ciel, je ne dis pas :

Et ma pauvre mère, aussi, elle y est montée ; plus personne que moi et ma nourrice dans la maison ;

Elle s’en alla de chagrin, quand mon frère partit pour devenir chevalier, je le sais ;

Voilà encore son lit de l’autre côté de la porte, et son fauteuil près du foyer,

El j’ai sur moi sa croix bénite, consolation de mon pauvre cœur en ce monde. —

Le seigneur Lez-Breiz poussa un sourd gémissement ; tellement que la jeune fille lui dit

— Votre mère, l’auriez-vous aussi perdue, que vous pleurez en m’écoutant ?

— Oui ! j’ai aussi perdu ma mère, et c’est moi-même qui l’ai tuée !

— Au nom du ciel ! seigneur, si vous avez fait cela, qui êtes-vous ? comment vous nommez-vous ?


— Morvan, fils de Konan, est mon nom, et Lez-Breiz mon surnom, ma sœur[1]

La jeune fille fut si interdite qu’elle resta sans mouvement et sans voix.

La jeune fille fut si interdite, qu’elle crut qu’elle allait mourir.

Enfin son frère lui jeta ses deux bras autour du cou et approcha sa bouche de sa petite bouche.

Et elle le serra dans ses bras, et elle l’arrosa de ses larmes.

— Dieu t’avait éloigné, et Dieu t’a ramené !

Dieu soit béni, mon frère, il a eu pitié de moi. —


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  1. Les vicomtes de Léon avaient la prétention de descendre du premier Konan, ou chef couronné des Bretons armoricains. Cette prétention était, selon d’Argentré, appuyée sur la tradition. « Morvan, dit-il, estoit issu des comtes de Léon, de la race, comme on disait, de Konan. » {Hist. de Bretagne, p. 103.)