Barzaz Breiz/1846/Lez-Breiz/Bilingue-Roi

La bibliothèque libre.
Barzaz Breiz, édition de 1846
Lez-Breiz




V


LE ROI.


Ce jour-là, le seigneur Lez-Breiz allait à l’encontre du roi lui-même ;

À l’encontre du roi pour le combattre, suivi de cinq mille braves hommes d’armes à cheval.

Or, comme il allait partir, voilà un coup de tonnerre, de tonnerre des plus épouvantables !

Son doux écuyer, y prenant garde, en augura mal :

— Au nom du ciel ! maître, restez à la maison ; ce jour s’annonce sous de fâcheux auspices !

— Rester à la maison ! mon écuyer ; c’est impossible ; j’en ai donné l’ordre, il faut marcher !

Et je marcherai tant que la vie, que la vie sera allumée dans ma poitrine.

Jusqu’à ce que je tienne le cœur du roi du pays des forêts[1] entre la terre et mon talon. —

La sœur de Lez-Breiz voyant cela, sauta à la bride du cheval de son frère :

— Mon frère, mon cher frère, si vous m’aimez, vous n’irez point aujourd’hui combattre ;

Ce serait aller à la mort ! et que deviendrons-nous après ?


« Je vois sur le rivage le blanc cheval de mer[2] ; un serpent monstrueux l’enlace,

« Enlace ses deux jambes de derrière de deux anneaux terribles, et ses flancs de trois autres anneaux.

« Et ses jambes de devant et son cou de deux autres encore, et il monte le long de son poitrail, il le brûle, il l’étouffe.

« Et le malheureux cheval se dresse debout sur ses pieds, et renversant la tête de côté, il mord la gorge du monstre :

« Le monstre bâille ; il agile son triple dard rouge comme du sang, et déroule ses anneaux en sifflant ;

« Mais ses petits l’ont entendu, ils accourent : fuis ! la lutte est inégale, tu es seul. Oh ! fuis, sain et sauf ! »

— Qu’il y ait des Franks par milliers ! je ne fuis pas devant la mort ! —

Il n’avait pas fini de parler, qu’il était déjà loin, bien loin de sa demeure.


________


  1. La France, par opposition aux côtes de l’Armorique.
  2. Symbole des Bretons armoricains et de leur chef lui-même. (V. plus haut, p. 33.) La jeune fille fait ici preuve de ce bon sens précautionneux naturel aux femmes, et qui passait pour don de prophétie dans les sociétés primitives.